C. L'ARTICLE 19 DU PROJET DE LOI COMPLÈTE LE RÉGIME JURIDIQUE DE L'ÉTAT DE NÉCESSITÉ
L'article 19 du présent projet de loi complète utilement le régime juridique de l'usage de la force armée sur le territoire national. Toutefois, s'agissant des militaires des armées, cette modification ne constitue qu'une première étape et devra être complétée par d'autres réformes dont le rapport sur les conditions d'emploi des armées sur le territoire national, remis au Parlement par le Gouvernement en mars 2016, trace les contours.
1. Un nouveau cas légal d'usage de la force armée
L'article 19 du projet de loi ajoute un nouveau cas particulier d'excuse pénale pour état de nécessité, afin de permettre l'usage de la force armée par les forces de l'ordre en cas de « périple meurtrier » . Il s'agit du cas où des terroristes viennent de commettre un attentat, sont en cavale et sont susceptibles de tuer à nouveau des passants ou des otages. En effet, selon l'étude d'impact joint au projet de loi, « la législation et l'application jurisprudentielle qui en est faite apparaît insuffisamment prévisible et explicite, et par conséquent sécurisante, pour permettre aux policiers de mesurer l'étendue de leur action lorsqu'ils sont appelés à agir dans un temps distinct de la menace immédiate à la vie d'autrui ou à leur vie et alors que la valeur sacrifiée peut être équivalente ».
Ainsi, le I du présent article crée un nouvel article L. 434-2 du code de la sécurité intérieure qui instaure un nouveau régime d'irresponsabilité pénale en raison de l'état de nécessité. Cette nouvelle excuse pénale sera valable « lorsqu'un ou plusieurs homicides volontaires ou tentatives d'homicide volontaire viennent d'être commis et qu'il existe des raisons réelles et objectives de craindre que plusieurs autres de ces actes participant d'une action criminelle susceptible de causer une pluralité de victimes pourraient être à nouveau commis par le ou les mêmes auteurs dans un temps rapproché ». Dans ce cas, le fonctionnaire de la police nationale ou le militaire de la gendarmerie nationale pourra « faire un usage de son arme rendu absolument nécessaire pour faire obstacle à cette réitération . ».
Notons que cet usage est rendu possible pour tous les militaires de la gendarmerie nationale, alors que l'article L 2338-3 ne concernait que les officiers et sous-officiers de gendarmerie. En outre, comme l'a souligné le sous-directeur de la police judiciaire de la gendarmerie nationale lors de son audition par votre rapporteur, cet article n'était pas adapté à une situation où les sommations ont toutes les chances d'être dépourvues d'effet. L'article 19 concerne en effet plutôt la « deuxième vague » des forces de l'ordre ou des forces militaires, en particulier les tireurs d'élite, tandis que la « première vague », qui réagit immédiatement à l'attaque terroriste, peut s'appuyer sans difficulté sur les dispositions actuelles relatives à la légitime défense et à l'état de nécessité.
Comme il a déjà été indiqué, le II du présent article complète l'article L. 4123-12 du code de la défense pour prévoir l'application du I aux militaires des formes armées déployés sur le territoire national dans le cadre des réquisitions légales pour les besoins de la défense et de la sécurité civiles.
En l'état, votre rapporteur estime que ce texte est équilibré. Tant les représentants de la direction de la gendarmerie nationale que ceux de l'état-major de l'armée de terre rencontrés pour l'élaboration de ce rapport l'ont d'ailleurs jugé satisfaisant.
Ce texte présente en effet trois avantages pour les militaires des armées :
- il permet de conforter le passage d'une vision statique de la protection à un mode opératoire nouveau, en mouvement, selon un schéma de « force d'intervention rapide », avec une combinaison du feu et du renseignement militaire dans le cadre d'une traque anti-terroriste ;
- il permet un meilleur emploi de la palette capacitaire des armées en ouvrant l'usage des armes longues qui étaient inutiles dans le cadre de la légitime défense stricte ;
- enfin, on évolue avec cette modification vers un rapprochement des modes opératoires hors et au sein du territoire national, avec l'identification d'un ennemi et la prise d'ascendant sur lui.
Ainsi, cette évolution juridique permettra à la fois de mieux protéger les militaires et de les rendre plus efficaces.
2. Une réforme qu'il sera nécessaire de compléter
a) Le renforcement de la protection fonctionnelle
Il est nécessaire de souligner que toutes les interrogations légitimes des militaires ne sont cependant pas résolues par ces dispositions.
D'une part, elles ne concernent pas les cas, de plus en plus fréquents, où les militaires font eux-mêmes l'objet d'une agression et où ils souhaitent porter plainte.
D'autre part, même dans le cas où le dommage a été causé par les militaires dans un cas de légitime défense ou de nécessité qui permettra, in fine , leur mise hors de cause, il n'en reste pas moins qu'ils auront à affronter le processus judiciaire et doivent par conséquent être soutenus dans cette situation .
Actuellement, les militaires bénéficient de la protection fonctionnelle prévue par l'article L 4123-10 du code de la défense aussi bien sur le territoire national qu'en opérations extérieures. Cet article prévoit que les militaires sont protégés lorsqu'ils sont mis en cause pénalement ou sont victimes d'attaques, à condition qu'ils n'aient pas commis de faute personnelle . Cette protection consiste en une information accrue sur leurs droits, un accès facilité à ces droits par des circuits administratifs adaptés à l'urgence de certaines situations, un recours facilité à des avocats spécialisés, une amélioration du traitement administratif pendant les éventuelles investigations judiciaires afin d'éviter un impact négatif sur la carrière de ceux pour qui, in fine, les poursuites se soldent par un non-lieu.
Comme le rapport précité le souligne, cette protection est d'autant plus importante que les militaires, du fait de leur participation accrue aux missions de sécurité sur le territoire national, risquent de faire désormais l'objet, comme les autres forces de sécurité, d'une attention accrue et légitime de la part du Défenseur des droits , dans ses fonctions de déontologie de la sécurité.
Or, sur le territoire national, les forces armées disposent d'une expérience moindre que les policiers et les gendarmes des situations où la mise en oeuvre de la protection fonctionnelle est nécessaire . À titre d'exemple, il existe au sein de commissariats des formulaires permettant aux agents de police de mettre en oeuvre cette protection fonctionnelle lorsqu'ils sont victimes d'injures.
Le ministère de la défense a néanmoins travaillé à l'amélioration de cette situation. Selon le rapport précité, la présentation de ces éléments de protection fonctionnelle aux militaires de Sentinelle a été renforcée sur la base d'exemples tirés de la jurisprudence . Ainsi, le ministère s'est organisé pour que les militaires faisant l'objet d'une garde à vue puissent avoir accès à un avocat dès la première heure . Cette amélioration sera d'ailleurs entérinée par le projet de loi relatif à la déontologie et aux droits et obligations des fonctionnaires, en cours d'examen au Sénat, dont l'article 10 bis A précise que la protection fonctionnelle dont bénéficie le militaire qui fait l'objet de poursuites pénales à l'occasion de faits qui n'ont pas le caractère d'une faute personnelle « bénéficie également au militaire qui, à raison de tels faits, est entendu en qualité de témoin assisté, placé en garde à vue ou se voit proposer une mesure de composition pénale .».
b) L'évolution de la posture de protection des armées
Lors de l'examen du projet de loi d'actualisation de la programmation militaire précité, votre commission a adopté deux amendements afin que le Gouvernement remette au Parlement, avant le 31 décembre 2015, un rapport sur les conditions d'emploi des armées lorsqu'elles interviennent sur le territoire national pour protéger les populations.
Ce rapport a été remis au début du mois de mars 2016. Il indique notamment qu'à la suite des attentats de 2015, l'armée de terre a conduit une réflexion visant à définir une « posture de protection terrestre » dans le cadre du dispositif global de sécurité intérieure. Cette nouvelle posture doit se traduire par l'optimisation de l'emploi des forces engagés dans le cadre du nouveau contrat de protection, aujourd'hui pour l'opération Sentinelle, et par la réorientation d'une partie de la préparation opérationnelle des forces terrestres dans un cadre interministériel au profit de la sécurité intérieure sur le territoire national.
En ce qui concerne tout d'abord l'optimisation de l'emploi des armées dans le cadre de l'opération Sentinelle, les autorités administratives doivent prendre en compte les spécificités des forces terrestres engagé sur le territoire national dans le cadre du nouveau contrat de protection fixés aux armes lors de la définition des effets à obtenir dans le cadre des réquisitions.
Selon le rapport précité, l'ensemble des missions de sécurité intérieure suivantes peuvent ainsi être confiées aux unités déployées en autonomie ou conjointement avec les forces de sécurité intérieure :
- surveiller ou contrôler une zone frontières ;
- protéger des sites sensibles ou stratégique, des axes de communication, des points d'importance vitale, en privilégiant au maximum une approche zonale ;
- contribuer, en complément des forces et services de sécurité intérieure, à la surveillance des objectifs ou activités susceptibles de constituer une menace ;
- escorter des convois ou des détachements militaires et civils sensibles ;
- collecter des informations d'ambiance sur le terrain, au contact des différents acteurs présents sur le territoire national (autorités locales, population, forces de sécurité intérieure) ;
- intervenir en appui des forces de sécurité intérieure face à une agression terroriste caractérisée.
Par ailleurs, la réorientation de la préparation opérationnelle devra être coordonnée avec les forces de sécurité intérieure afin, par le biais d'une réorientation géographique vers des zones peu fréquentées ou difficiles d'accès, de renforcer la présence territoriale de l'armée. Les objectifs visés par cette réorganisation seraient les suivants :
- permettre aux unités de mieux appréhender l'environnement spécifique au territoire national ;
- renforcer la coopération et les liens mutuels des unités avec les principaux acteurs (autorités locales, population, forces de sécurité intérieure) qui peuvent être au cas par cas associés aux exercices ;
- contribuer, en synergie avec les structures administratives et de sécurité intérieure de la zone, à l'acquisition des informations de terrain et d'ambiance à l'échelle locale ;
- travailler sur des modes opératoires pouvant être mis en oeuvre dans le cadre de crises futures ;
- assurer une plus grande visibilité de l'armée sur le territoire et renforcer les liens entre l'armée et la Nation.
La question de l'adaptation des forces armées à la nouvelle situation sécuritaire sur le territoire national est enfin celle des moyens des opérations intérieures.
À cet égard, le rapport précité identifie les grands axes d'un renforcement de moyens permettant d'assurer dans la durée les missions du nouveau contrat opérationnel . Outre le renforcement des aptitudes militaires telles que la connaissance de l'environnement que constitue le territoire national ou encore une meilleure planification des actions en coordination avec les acteurs du territoire national, sont évoqués le renforcement des capacités (moyens de mobilité terrestre ou aérienne, capacité de surveillance, intégration des drones aux missions exercées sur le territoire national...) et la rénovation des politiques des réserves.
En revanche, ce même rapport ne traite pas la question du f inancement de l'engagement des armées sur notre territoire de manière suffisante.
Il est en effet urgent de relancer la réflexion sur une mutualisation des surcoûts liés aux missions intérieures , comme pour les opérations extérieures. En outre, il convient d'actualiser les tableaux de plafond d'emplois et les tableaux de ressources financières de la loi de programmation militaire, afin d'y intégrer les annonces du Président de la République du 16 novembre 2015, avant même l'examen de la loi de programmation des finances publiques. Comme l'a souligné Jean-Pierre Raffarin lors du débat précité, « le sujet n'est pas annexe. Faute de consolider la trajectoire financière, la défense serait dans l'impasse à l'heure des lourds investissements programmés à partir de 2018 ».