III. UN PREMIER BILAN POUR L'OPTION DE CONFIDENTIALITÉ DES COMPTES POUR LES MICRO-ENTREPRISES
En application de l'ordonnance n° 2014-86 du 30 janvier 2014 allégeant les obligations comptables des micro-entreprises et petites entreprises, prise sur le fondement de l'article 1 er de la loi n° 2014-1 du 2 janvier 2014 habilitant le Gouvernement à simplifier et sécuriser la vie des entreprises, les sociétés qui correspondent à la définition des micro-entreprises « peuvent déclarer que les comptes annuels qu'elles déposent ne seront pas rendus publics » (article L. 232-25 du code de commerce). Sont par principe exclus de cette option de confidentialité des comptes les établissements de crédit ou d'assurance et les sociétés cotées ou celles dont l'activité consiste à gérer des portefeuilles de participation 28 ( * ) . Pour autant, l'obligation de dépôt des comptes au registre du commerce et des sociétés (RCS) n'a pas été remise en cause , même si de nombreuses simplifications ont été réalisées en matière d'obligations et de documents comptables.
Une micro-entreprise est une entreprise qui ne dépasse pas à la clôture de l'exercice précédent deux des trois seuils suivants : 350 000 euros de total de bilan, 700 000 euros de montant net du chiffre d'affaires et 10 salariés 29 ( * ) .
L'ouverture de cette faculté - conforme à la directive 2013/34/UE du 26 juin 2013 relative aux états financiers annuels - répond à une revendication ancienne et récurrente de certaines sociétés voulant éviter de dévoiler à leurs concurrents leurs documents comptables, afin qu'ils ne puissent pas en tirer d'informations utiles. Votre rapporteur rappelle toutefois que la publicité légale des comptes, dans le modèle français, vise d'abord à assurer la confiance dans les relations commerciales , permettant de connaître la consistance économique et financière d'un éventuel partenaire commercial, client ou fournisseur. À cet égard, il relève que la loi n° 2015-990 du 6 août 2015 pour la croissance, l'activité et l'égalité des chances économiques a ouvert aux « personnes morales, relevant de catégories définies par arrêté des ministres chargés de l'économie et des finances, qui financent ou investissent, directement ou indirectement, dans les entreprises ou fournissent des prestations au bénéfice de ces personnes morales » 30 ( * ) la possibilité de consulter les comptes réputés confidentiels, pour leur permettre d'exercer leurs activités relatives au financement des entreprises.
Le décret devant préciser les modalités d'application du dispositif issu de l'ordonnance n° 2014-86 du 30 janvier 2014 précitée a été longtemps attendu et n'a été pris par le Gouvernement que le 15 octobre 2014. En conséquence, ce dispositif n'a pas pu être pleinement utilisé sur l'exercice 2013, du fait des règles en matière de dépôt des comptes au RCS, dans le mois 31 ( * ) de leur approbation par l'assemblée des associés ou des actionnaires - dans les deux mois en cas de dépôt électronique -, laquelle se réunit à cette fin dans les six mois de la clôture de l'exercice 32 ( * ) .
Selon les chiffres communiqués à votre rapporteur, sur l'exercice 2013, 1,872 million de sociétés étaient soumises à l'obligation de dépôt des comptes au RCS. Seules 1,085 million de sociétés les ont déposés, soit une proportion de 58 % seulement, qui demeure stable au fil des années. L'absence de dépôt des comptes annuels n'entraîne pas de sanction 33 ( * ) , mais dans ce cas le président du tribunal de commerce est informé par le greffier et peut décider d'enjoindre la société à déposer ses comptes 34 ( * ) , sous astreinte, et toute personne intéressée peut demander au président du tribunal d'enjoindre la société aux mêmes fins 35 ( * ) . Votre rapporteur relève ainsi que la réalité comptable des sociétés françaises, c'est le non-dépôt des comptes pour une part très importante des sociétés.
Les statistiques fournies à votre rapporteur, présentées dans le tableau ci-après, semblent démontrer un fort engouement des entreprises pour l'option de confidentialité, suscitant sans doute les inquiétudes des sociétés finançant ou investissant dans les entreprises mentionnées supra , auxquelles la loi n° 2015-990 du 6 août 2015 précitée a permis d'accéder aux comptes déposés mais non publiés, compte tenu du risque de manque de transparence dans les relations de financement et de crédit.
Nombre de sociétés ayant opté pour la confidentialité de leurs comptes 36 ( * )
Nombre de sociétés déposantes |
Nombre de déclarations de confidentialité |
Proportion |
|
Clôture 2013 |
1 084 822 |
43 206 |
3,98 % |
Clôture 2014 |
955 194 |
258 386 |
27,05 % |
Clôture 2015 |
84 648 |
31 662 |
37,40 % |
Source : Conseil national des greffiers des tribunaux de commerce
Entendu par votre rapporteur, le président du Conseil national des greffiers des tribunaux de commerce (CNGTC), lesquels sont chargés de la tenue du RCS, a rappelé que l'absence de dépôt des comptes était un indice fiable utilisé pour la détection des difficultés des entreprises, dans le cadre des prérogatives du président du tribunal. Ainsi, près des deux tiers des sociétés qui connaissent une procédure de liquidation judiciaire n'ont pas déposé leurs comptes dans les deux années précédant l'ouverture de la procédure.
Le président du CNGTC a également indiqué à votre rapporteur que les greffiers n'étaient pas en mesure de vérifier que les sociétés demandant le bénéfice de la confidentialité de leurs comptes remplissaient bien les critères de la micro-entreprise, rien n'étant prévu à cet égard par le décret du 15 octobre 2014 précité. Les greffiers doivent se contenter d'une déclaration sur l'honneur du déclarant. Votre rapporteur en déduit que le dispositif, tel qu'il a été mis en oeuvre, peut être une source de fraude à la loi.
En tout état de cause, votre rapporteur juge peu probable que l'option de confidentialité incite les sociétés qui ne déposent pas leurs comptes à les déposer, exprimant son scepticisme à l'égard de ce dispositif.
En outre, il rappelle que la loi n° 2015-990 du 6 août 2015 précitée a étendu aux petites entreprises, dans les mêmes conditions que pour les micro-entreprises, la possibilité de demander que leur compte de résultat ne soit pas rendu public, comme le permet également la directive 2013/34/UE du 26 juin 2013 précitée 37 ( * ) . Une petite entreprise est une entreprise qui ne dépasse pas deux des trois seuils suivants : 4 millions d'euros de total de bilan, 8 millions d'euros de montant net du chiffre d'affaires et 50 salariés 38 ( * ) . Cette possibilité trouvera à s'appliquer à compter de l'année prochaine, sur les comptes de l'exercice 2015.
* 28 En outre, la déclaration de confidentialité n'est pas opposable aux autorités judiciaires, aux autorités administratives ainsi qu'à la Banque de France.
* 29 Articles L. 123-16-1 et D. 123-200 du code de commerce.
* 30 Établissements de crédit, sociétés d'investissement, agences de notation, assureurs-crédit...
* 31 Articles L. 232-21 à L. 232-23 du code de commerce.
* 32 Voir notamment les articles L. 223-26 et L. 225-100 du code de commerce.
* 33 En revanche, le fait pour un dirigeant de société de ne pas établir de comptes ou de ne pas soumettre les comptes à l'assemblée des associés ou des actionnaires constitue une infraction pénale (voir notamment les articles L. 241-4, L. 241-5, L. 242-6 et L. 242-8 du code de commerce).
* 34 Articles L. 232-24 et L. 611-2 du code de commerce. Certains présidents de tribunaux de commerce ont mis en place une politique active de relance en cas de non-dépôt des comptes. Le registre du commerce et des sociétés du ressort du tribunal de commerce de Grenoble atteint ainsi un taux de dépôt des comptes de 92 %. La grande majorité des greffiers des tribunaux de commerce organisent déjà la relance des comptes non déposés.
* 35 Article L. 238-1 du code de commerce.
* 36 Chiffres au 17 novembre 2015. Les chiffres des exercices 2014 et 2015 ne sont pas définitifs.
* 37 Le droit français a ainsi mis en oeuvre l'essentiel des facultés de confidentialité offertes par la directive.
* 38 Articles L. 123-16 et D. 123-200 du code de commerce.