II. LES ACTEURS DE LA JUSTICE DES MINEURS EN QUÊTE D'IDENTITÉ
Depuis 2008, les missions de la protection judiciaire de la jeunesse ont été recentrées sur la prise en charge des mineurs délinquants. En parallèle, le décret du 8 juillet 2008 relatif à l'organisation du ministère de la justice est venu affirmer sa mission de coordination sur l'ensemble des questions relatives à la justice des mineurs.
Cet objectif de concertation se partage avec l'autorité judiciaire. En dépit de la création d'un magistrat coordonnateur 11 ( * ) et d'instances de concertation telles que les « trinômes » 12 ( * ) , la coordination d'une véritable politique territoriale de la protection judiciaire de la jeunesse reste incertaine.
A. LA DIRECTION DE LA PROTECTION JUDICIAIRE DE LA JEUNESSE EN PLEIN QUESTIONNEMENT
Depuis 2002, neuf lois ont modifié substantiellement l'ordonnance du 2 février 1945 relative à l'enfance délinquante. « L'empilement des textes forme désormais un ensemble dont le défaut de lisibilité, sinon de cohérence, est souligné par les professionnels eux-mêmes, magistrats et éducateurs », comme le relevait la Cour des comptes 13 ( * ) . Cette absence de lisibilité de la politique publique peut expliquer l'inquiétude des personnels quant à l'évolution de leur métier.
1. Les signes d'un malaise au sein des éducateurs de la protection judiciaire de la jeunesse
Le métier d'éducateur de la protection judiciaire de la jeunesse est incontestablement en évolution. Le recentrage sur le pénal de l'activité de la PJJ et l'affirmation ces dernières années d'une politique de « tolérance zéro », même à l'égard des mineurs, ont assurément modifié l'identité professionnelle des éducateurs et participent d'un certain malaise.
Celui-ci explique en partie les difficultés de l'administration à recruter des éducateurs expérimentés à des postes qui demandent une grande disponibilité. L'ensemble des personnes rencontrées ont témoigné auprès de votre rapporteure de la fin d'un modèle de recrutement fondé sur l'engagement dans une profession militante.
Deux indicateurs illustrent ce diagnostic : le taux de vacance et le taux de contractualisation .
Au 31 août 2015, 18,5 % des postes d'assistant de service social, 16,1 % des postes de responsable d'unité éducative et 16 % des postes d'adjoints techniques étaient vacants 14 ( * ) .
Par conséquent, et en raison d'un recrutement statutaire difficile, l'administration fait appel à des contractuels pour pallier les vacances d'emplois.
Au 31 août 2015, les contractuels représentent 17,92 % de l'ensemble des effectifs de la PJJ , avec un usage prépondérant en administration centrale (25,46 %), dans les établissements et services de la région Grand centre (21,63 %) et de la région Sud Est (21,70 %).
Lors de ses déplacements, votre rapporteure a constaté une désaffection des éducateurs pour les établissements de placement, en particulier les centres éducatifs fermés. Ce problème d'attractivité conduit d'une part, à un turn over important dans les établissements de placement, et d'autre part à un fonctionnement déséquilibré des établissements avec des équipes incomplètes, constituées de contractuels ou de jeunes éducateurs, ce qui fragilisent les dispositifs. Ce problème récurrent s'aggrave au fil des années. Ainsi en 2015, à l'issue de la commission administrative paritaire, 67 postes sont restés vacants dans les centres éducatifs fermés, soit 7 de plus qu'en 2014. Au sein des établissements de placement éducatif, ce sont 142 postes qui sont restés vacants.
L'affectation dans les établissements pénitentiaires pour mineurs (EPM) pose également d'importantes difficultés, eu égard à l'opposition d'une partie de la profession de cautionner une participation éducative au sein d'un environnement carcéral. Comme le rappelait le rapport de notre ancien collègue M. Jean-Claude Peyronnet et de notre collègue François Pillet 15 ( * ) , « les établissements pénitentiaires pour mineurs (EPM) n'ont cessé, depuis leur création par la loi d'orientation et de programmation pour la justice du 9 septembre 2002, de susciter la controverse et le débat.» Ces établissements reposent en effet sur l'intervention conjointe de l'administration pénitentiaire et de la protection judiciaire de la jeunesse, avec des binômes éducateur-surveillant.
Or, la relative indétermination du rôle de chaque partenaire et la juxtaposition de deux cultures opposées, l'une sécuritaire, l'autre éducative, peuvent engendrer des résistances qui nuisent à l'efficacité du dispositif. Aussi, votre rapporteure tient-elle à saluer l'initiative de l'EPM de Meyzieu d'avoir lancé une réflexion sur l'identité professionnelle et la place de chaque administration au sein de l'EPM. Votre rapporteure souhaite également saluer le travail des équipes de l'EPM de la Valentine à Marseille qui témoignent d'une réelle synergie entre administrations et de la nécessité de disposer dans ces établissements de personnels expérimentés et volontaires pour participer à un travail spécifique et exigeant reposant sur l'interdisciplinarité.
2. Des missions à redéfinir
Le principe de pluridisciplinarité, au coeur des pratiques professionnelles de la PJJ, apparaît aujourd'hui difficile à garantir . La pluridisciplinarité est pourtant obligatoire en milieu ouvert pour les mesures judiciaires d'investigation éducative 16 ( * ) .
Néanmoins, les services de milieu ouvert rencontrés par votre rapporteure témoignent d'une augmentation massive des mesures judiciaires d'investigation éducative (MJIE) et d'une difficulté à les traiter en respectant le principe d'une pluridisciplinarité ( cf. infra pour les délais de traitement).
En dépit d'un recentrage sur le pénal, la PJJ conserve une compétence exclusive sur les mesures judiciaires d'investigation éducative, civiles et pénales. Or la restructuration de 2008 des missions de la PJJ a indéniablement conduit à une perte de technicité des professionnels dans le domaine civil. Il leur apparaît difficile aujourd'hui d'assumer un nombre important de mesures d'investigation civiles : 33 823 ont été exécutées en 2014 (contre 52 073 au titre de l'ordonnance du 2 février 1945). Les professionnels témoignent d'une réelle difficulté à évaluer la situation de très jeunes enfants, voire de nourrissons en danger . Les magistrats partagent ce constat et souhaitent pouvoir davantage mandater les associations du secteur habilité ( cf. infra).
Enfin, votre rapporteure souhaite également souligner la transformation du métier d'éducateur en hébergement du fait de la suppression des veilleurs de nuit . S'insérant dans le mouvement général de réduction du nombre de corps de la fonction publique, la PJJ a supprimé en 2008 le corps des adjoints techniques d'éducation (ATE) qui exerçaient cette fonction 17 ( * ) . Cette « suppression injustifiée » selon la Cour des comptes 18 ( * ) oblige les éducateurs à se relayer pour assurer une « surveillance » la nuit, empêchant une dissociation pédagogique entre l'encadrement diurne et nocturne.
* 11 Décret n° 2008-107 du 4 février 2008 modifiant le code de l'organisation judiciaire et relatif à la justice des mineurs.
* 12 Ces instances sont composées du procureur de la République, du juge des enfants chargé de la situation du mineur et du directeur du service concerné de la PJJ.
* 13 Cour des comptes, La protection judiciaire de la jeunesse, enquête demandée par la commission des finances du Sénat, octobre 2014, page 59.
* 14 À l'exception du corps d'adjoint technique, le taux de vacance porte uniquement sur les postes dans les services éducatifs, à l'exclusion des postes en directions.
* 15 Rapport d'information n° 759 (2010-2011) de MM. Jean-Claude Peyronnet et François Pillet, fait au nom de la commission des lois, « Enfermer et éduquer : quel bilan pour les centres éducatifs fermés et les établissements pénitentiaires pour mineurs ? »
* 16 Aux termes de l'article 2 de l'arrêté du 2 février 2011 portant création de la mesure judiciaire d'investigation éducative, « cette mesure est interdisciplinaire et modulable ».
* 17 Décret n°2008-1267 du 3 décembre 2008 portant mise en extinction du corps des agents techniques d'éducation de la protection judiciaire de la jeunesse.
* 18 Cour des comptes, La protection judiciaire de la jeunesse, enquête demandée par la commission des finances du Sénat, octobre 2014, page 42.