II. DES DÉFIS À RELEVER POUR DES CRÉDITS EN HAUSSE
A. LE SOUTIEN À LA CRÉATION EN RÉGION, ENJEU RÉPUBLICAIN DE LA RÉFORME TERRITORIALE
1. Baisse des dotations et réforme territoriale : des risques de désengagement
Votre rapporteur pour avis constate la grande inquiétude des créateurs devant le phénomène conjugué de la baisse des dotations aux collectivités locales et de la réforme territoriale , comme si l'une et l'autre devaient mécaniquement jouer contre le soutien à la création. Des scènes nationales ou des centres d'art, en difficulté depuis plusieurs années, sont mis en danger par l'annonce de collectivités territoriales - de tous échelons - qu'elles diminuent voire cessent leur participation financière, des festivals sont annulés (voir plus bas). À cela s'ajoute que le passage de 22 à 13 régions fait planer une incertitude non seulement sur les équipements, mais aussi sur les politiques culturelles régionales , car les régions fusionnées au 1 er janvier 2016 ont fait des choix parfois très différents jusqu'à aujourd'hui pour soutenir la création. Enfin, la loi portant nouvelle organisation territoriale de la République (NOTRe), en écartant la compétence culturelle obligatoire pour les régions aussi bien que l'obligation d'une Conférence territoriale de l'action publique (CTAP) culture, a donné aux professionnels le sentiment que l'État les laissait bien seuls dans leurs territoires, comme si les politiques publiques culturelles, à tout le moins le soutien à la création, seraient désormais du seul ressort de l'opportunité et de la démocratie locales.
Selon les informations transmises par le ministère de la culture à votre rapporteur pour avis, les collectivités territoriales auraient diminué, cette année, d'environ 17 millions d'euros leur participation financière aux actions où l'État est un partenaire financier. Selon des informations transmises par l'Association des Maires de France, la baisse des dotations de l'État et l'augmentation des charges auraient réduit de près du tiers les capacités d'investissement des collectivités territoriales - une moyenne qui est à prendre avec prudence et qui ne dit rien de situations parfois très critiques, non plus que des répercussions sur le soutien à la création, lequel varie très fortement selon les collectivités territoriales.
Trois exemples de scènes nationales mises en
difficulté
Fin mars 2015, la ville de Chambéry , aux prises avec un endettement très élevé lié à des emprunts toxiques, annonce qu'elle diminue de 320 000 euros (soit 22 %), sa subvention à « l'Espace Malraux », dont elle est le premier financeur (1,42 million d'euros l'an passé, devant l'État, 1,275 million d'euros, le département, 485 000 euros, la communauté d'agglomération, 137 000 euros et la région, 70 000 euros). La direction de la scène nationale doit mettre du personnel en chômage technique, l'État dépêche une inspection générale qui recommande de conditionner le renouvellement du label « scène nationale » à la signature d'un contrat d'objectifs et de moyens (COM) définissant les missions et les relations partenariales, ainsi que des projections financières. Dans le même temps, l'État se mobilise pour aider la ville à accéder au fonds de soutien sur les emprunts indexés au Franc suisse. À Chalon-sur-Saône , le conseil municipal baisse de 25 % ses subventions aux associations (pour une économie de 500 000 euros) puis l'agglomération baisse de 240 000 euros sa subvention annuelle à la scène nationale « L'Espace des arts », soit un recul de 10 %, provoquant une forte inquiétude locale, en particulier pour le festival Chalon dans la rue , qui doit limiter le nombre de jours de représentation et de compagnies invitées. Selon les informations communiquées à votre rapporteur pour avis, des discussions avec l'agglomération font ressortir que ce repli est temporaire et que la ville compte revenir à son niveau de subvention à la scène nationale, une fois achevés les travaux qui y seront réalisés en 2016-2018. À Évreux et Louviers , en décembre 2014, les maires annoncent une réduction de 25 % des subventions municipales aux associations, soit près de 200 000 euros pour leur soutien à la scène nationale d'Évreux-Louviers. Le ministère de la culture se mobilise, un EPCC étant en cours de constitution, avec un volet musiques actuelles important et fortement soutenu par les élus (cf. festival Rock dans tous ses états ). Ici encore, la négociation et la perspective d'un conventionnement limitent les dégâts. |
Pour votre rapporteur pour avis, ce mouvement de repli des collectivités territoriales n'est pas inéluctable, mais il résulte de choix politiques dans les arbitrages locaux, alors même que les dépenses culturelles ne représentent le plus souvent qu'une part relativement faible des budgets locaux.
Cependant, il semble bien qu' après une période de progrès constant des investissements dans la culture, aussi bien de l'État que des collectivités locales, on assiste au mouvement inverse : pour la première fois depuis la décentralisation, les collectivités territoriales diminuent leurs subventions à la création, alors qu'elles s'y sont fortement engagées, jusqu'à en représenter la majeure partie.
Ensuite, le regroupement de régions va mettre dans de mêmes ensembles des politiques de soutien très différentes , non seulement dans leur niveau, mais aussi dans leurs objets et leurs relais.
Dans ces conditions, plusieurs risques graves pèsent sur la création :
- des situations où le « décroisement » des financements va ouvrir des brèches difficiles à combler : le retrait d'un financeur peut concerner des équipements dont le tour de table est très déséquilibré ; c'est le cas, par exemple, d'équipements de centralité - tel opéra dans la ville centre d'une agglomération - qui est financé par l'agglomération, le département et la région bien davantage que par la commune centre : le retrait d'une collectivité comme la région, par exemple, déséquilibre l'ensemble ;
- des cas où les collectivités s'étant spécialisées par secteurs (tel département soutient le théâtre, tel autre la musique, tel FRAC est maintenu mais pas tel autre), de nouvelles « zones blanches » risquent d'apparaître, où des pans entiers du soutien public à la création seront abandonnés. Ce risque est particulièrement redouté par les professionnels, qui examinent des pistes pour assurer une couverture de l'ensemble des nouveaux territoires régionaux.
2. Une transition qu'il faut accompagner
Votre rapporteur pour avis entend souligner l'importance de la transition en cours, au-delà des épisodes brutaux qui la rendent particulièrement sensible : les moyens se faisant plus rares et l'organisation territoriale étant appelée à changer, il revient à l'État d'expliciter au mieux son soutien à la création et d'accompagner les réseaux de professionnels pour couvrir l'ensemble du territoire.
Plusieurs signes encourageants vont dans ce sens, qu'il sera utile de suivre tout au long de l'année :
- La contractualisation et la labellisation : le ministère de la culture cherche à définir plus précisément les objectifs poursuivis et les missions des structures qu'il soutient, pour une meilleure efficacité de ce soutien. La politique de labellisation est ancienne, elle s'est renouvelée avec les circulaires des 31 août 2010 et 22 février 2013 et va connaître un nouvel essor avec les dispositions que lui consacre le projet de loi « création, architecture et patrimoine ». Les « pactes culturels » que l'État signe avec des collectivités territoriales vont dans le même sens : l'objectif est non seulement de « sanctuariser » les dépenses des cosignataires dans la culture, mais aussi de s'entendre sur des objectifs communs et, progressivement, de coopérer dans le soutien à la création. De même, le renouvellement des contrats État-régions va-t-il être l'occasion d'un examen, sinon d'une évaluation des politiques poursuivies - dans le contexte très particulier de la fusion de certains territoires régionaux et du renouvellement des conseils régionaux. L'année 2016 sera donc particulièrement importante, sur ces points et votre rapporteur pour avis invitera la commission à suivre ces changements de près, en veillant à ce que les professionnels, qui le demandent, soient associés à la définition des objectifs contractuels.
- La recherche de nouvelles formes de soutien à la création, davantage mutualisées et en prise avec la création : d'après les informations recueillies par votre rapporteur pour avis, les DRAC ont reçu instruction de repérer sur leur territoire les lieux et expériences qui peuvent constituer les « fablabs », incubateurs, « tiers-lieux et lieux intermédiaires » que le ministère entend soutenir pour développer la création. Pour être tangible, cette orientation doit se concrétiser rapidement et donner lieu à une doctrine d'usage, avec les fédérations de professionnels (qui se sont réunies autour de la Coordination nationale des lieux intermédiaires et indépendants), faute de quoi elle risque bien d'être éphémère et accessoire.
- L'élaboration de schémas d'orientation et de développement : il est important de poursuivre l'élaboration de schémas d'orientation des lieux de musiques actuelles (SOLIMA), démarche initiée en 2010, et de l'étendre aux arts plastiques, avec des schémas d'orientation et de développement pour les arts visuels (SODAVI) associant l'État, les régions et les représentants des artistes-auteurs et des diffuseurs. Le ministère de la culture peut y aider en cofinançant des outils d'aide à la décision (constitutions d'instances régionales, cartographie des lieux, assises régionales, aide à la contractualisation...)
- L'appui aux associations d'artistes et de créateurs : aux côtés des lieux conventionnés et labellisés, gérés par des professionnels, notre pays compte un très grand nombre d'associations et de collectifs qui, de manière le plus souvent bénévole, accueillent des artistes en résidence, organisent des expositions et des événements. Ces associations jouent un rôle certain de démocratisation culturelle, de professionnalisation des artistes et de développement territorial. À ces titres, il serait tout à fait utile de les associer à l'élaboration des politiques culturelles locales.