EXAMEN EN COMMISSION
__________
Réunie le mercredi 25 novembre 2015, sous la présidence de M. Alain Milon, président, la commission procède à l'examen du rapport de M. Michel Forissier sur la mission « Travail et emploi » du projet de loi de finances pour 2016.
M. Michel Forissier, rapporteur pour avis . - Selon les estimations du consensus des économistes en septembre, notre PIB devrait augmenter de 1,5 % en 2016, contre 1,2 % en 2015 et 0,2 % en 2014. Ce faible regain de croissance ferait enfin reculer le chômage au sens du Bureau international du travail de 10 % à 9,7 %. Cette baisse du chômage, d'ampleur limitée, est conditionnée, selon l'Unédic, à « l'accélération des créations d'emploi marchand compensant le ralentissement des contrats aidés dans le non marchand », ralentissement qui s'explique par la baisse des dotations de l'Etat. Les perspectives sont moins optimistes si l'on considère les personnes inscrites à Pôle emploi dans les catégories A, B et C, ainsi que celles dispensées de recherche d'emploi, puisque la baisse ne serait que de 7 000 personnes, après une hausse de 286 000 en 2014 et de 203 000 en 2015.
Les conséquences de ce chômage élevé sur la dette de l'Unedic sont importantes. De 21,3 milliards en 2014, elle passera à 25,7 milliards à la fin de l'année et pourrait atteindre 29,3 milliards en 2016, soit 84 % de ses recettes annuelles - j'ai eu l'impression au cours de mes auditions à être le seul à m'en inquiéter. Je suis bien conscient du rôle essentiel d'amortisseur économique et social que joue l'assurance chômage en période de crise, mais les partenaires sociaux auront à veiller, lors de la prochaine négociation de la convention début 2016, à ne pas mettre en danger la soutenabilité du système. Le Gouvernement devra d'ailleurs prendre position sur cette question avant la fin de l'année, comme l'y oblige la loi de programmation des finances publiques pour les années 2014 à 2019.
Dans ce contexte, les crédits de la mission « Travail et emploi » ont été globalement préservés en 2016. Les autorisations d'engagement (11,3 milliards) sont en baisse de 664 millions par rapport à 2015, soit un repli de 5,9 %. Mais les crédits de paiement atteindront 11,4 milliards l'an prochain, soit une augmentation de l'ordre de 0,6 % (environ 75 millions). Hors mesure de périmètre, les crédits des programmes 102 « accès et retour à l'emploi » et 103 « accompagnement des mutations économiques et développement de l'emploi », qui constituent le coeur de la mission, sont réduits de 1 %, en raison de la rebudgétisation de la réduction forfaitaire de cotisations sociales pour les particuliers employeurs à hauteur de 224 millions.
En premier lieu, les opérateurs des politiques de l'emploi voient leurs crédits globalement préservés. Ainsi, la subvention pour charge de service public versée à Pôle emploi s'élèvera à 1,5 milliard, conformément à la convention tripartite 2015-2018, soit le même niveau que la subvention effectivement versée cette année après application d'une réserve de précaution.
Cette mission prévoyait initialement 189 millions pour les missions locales et les permanences d'accueil, d'information et d'orientation. Avec l'adoption de deux amendements de la députée Chaynesse Khirouni, rapporteure pour avis, 10 millions supplémentaires sont prévus pour accompagner les jeunes dont les contrats d'avenir signés il y a trois ans arrivent à échéance, tandis que les crédits de fonctionnement sont majorés de 2 millions.
La subvention versée à l'Afpa, toujours en grande difficulté financière, et dont la transformation en Epic devra faire l'objet de négociations avec Bruxelles, est renforcée de 10 millions pour s'élever à 95 millions.
En outre, les crédits alloués aux maisons de l'emploi, dont les crédits devaient initialement être divisés par deux l'année prochaine (de 26 à 13 millions), ont été majorés de 8 millions par un amendement à l'Assemblée : au final, elles bénéficieront de la même dotation que celle versée cette année. Afin d'éviter un coup de rabot uniforme et d'encourager les structures efficaces, la ministre du travail a indiqué que l'aide de l'Etat sera accordée au cas par cas selon une logique de projet, conformément à des critères nationaux qui privilégieront les formations prioritaires, le soutien à la création et au développement d'entreprises, la gestion prévisionnelle des emplois et des compétences territoriale, ou encore le développement des clauses d'insertion. Nous avons besoin d'évaluation externe, car l'évaluation interne a montré ses limites : certaines maisons de l'emploi sont très efficaces et doivent être préservées tandis que d'autres le sont beaucoup moins.
En deuxième lieu, la politique du Gouvernement en faveur de l'emploi des jeunes se concentre sur la Garantie jeunes. Destinée aux jeunes de 18 à 25 ans en situation de grande précarité qui ne sont ni étudiants, ni en emploi, ni en formation, ce dispositif propose un parcours intensif individuel et sur mesure en contrepartie d'une allocation dégressive et plafonnée au niveau du revenu de solidarité active, soit 452 euros par mois. L'an prochain, 60 000 jeunes supplémentaires devraient en bénéficier dans les départements volontaires, d'où un coût pour l'Etat de 300 millions en autorisations d'engagement, le double de cette année. A 17 millions, le cofinancement européen diminue de moitié.
Compte tenu de sa montée en charge, l'allocation aux bénéficiaires d'un contrat d'insertion dans la vie sociale (Civis) voit ses crédits passer de 40 à 10 millions, ce qui pose la question de sa suppression à moyen terme.
La participation de l'Etat au financement des écoles de la deuxième chance reste stable à 24 millions. Grâce à 43 écoles, 14 500 jeunes sortis sans diplôme ni qualification du système scolaire ont pu prendre un nouveau départ en 2014. Parallèlement, une subvention de 51 millions sera versée à l'établissement public d'insertion de la défense : 3 200 jeunes volontaires supplémentaires ont été accueillis en 2014 dans 18 centres, dont un sur le territoire de ma commune de Meyzieu. Je me félicite du taux de réussite de ces écoles : la quasi-totalité des jeunes qui en sortent acquièrent une réelle formation professionnelle. En revanche, les crédits du fonds d'insertion professionnelle des jeunes seront divisés par trois pour s'élever à 8 millions.
En troisième lieu, les crédits consacrés aux contrats aidés au sens large (contrats uniques d'insertion, emplois d'avenir, contrats outre-mer), malgré une diminution sensible, demeurent à un niveau important : ils s'élèveront à 2,4 milliards en crédits de paiement (en baisse de 536 millions) et 2,1 milliards en autorisations d'engagement (en baisse de 837 millions).
La mission prévoit 260 000 nouveaux contrats uniques d'insertion (CUI), contre 350 000 dans la loi de finances pour 2015. Cette forte diminution s'explique par l'anticipation de la reprise de la croissance et par les nouvelles aides aux postes (589,5 millions en autorisations d'engagement) qui remplacent les contrats aidés dans les ateliers et chantiers d'insertion, suite à la réforme du financement des structures de l'insertion par l'activité économique. Je déplore le maintien de la prééminence des contrats aidés dans la sphère non marchande (200 000) au détriment du secteur marchand (60 000), bien que les publics de ces deux types de contrat soient différents.
Une étude de la Dares avait souligné l'an dernier que six mois après la fin de leur contrat, 66 % des personnes sorties d'un contrat unique dans le secteur marchand (CIE) avaient un emploi, contre seulement 36 % des personnes sorties d'un contrat aidé du secteur non marchand (CAE). En juillet, une étude du même organisme, se référant à un panel de demandeurs d'emploi entre 2005 et 2007, a montré « un effet négatif ou nul du passage en contrat aidé dans le secteur non-marchand ». Ainsi, deux ans et demi après l'entrée en contrat aidé, seulement 33 % des bénéficiaires d'un CAE ont une probabilité d'obtenir un emploi non aidé (CDD, CDI, intérim, création d'entreprise), contre 38 % des personnes de même profil n'ayant pas bénéficié de CAE. C'est pourquoi la commission des finances a adopté, sur proposition de son rapporteur général, un amendement supprimant les 200 000 CAE prévus en 2016 tout en augmentant de 40 000 les CIE, soit une économie pour les finances publiques d'un milliard en autorisations d'engagement et de plus de 450 millions en crédits de paiement.
Quant aux emplois d'avenir, l'objectif du Gouvernement est presque trois fois moins élevé que pour cette année (35 000 nouveaux contrats contre 95 000 cette année), d'où une chute des autorisations d'engagement de 334 millions.
En outre, ces chiffres voient leur portée atténuée car le Gouvernement annonce souvent en cours d'année la création de nouveaux contrats. Pour 2015, 70 000 CAE et 30 000 emplois d'avenir ont ainsi été ajoutés.
En quatrième lieu, les contrats de génération n'ont toujours pas donné les résultats escomptés, alors que les aides financières correspondantes devaient bénéficier aux TPE et aux PME.
Le Gouvernement a présenté le 9 juin le programme « Tout pour l'emploi » qui prévoit une aide à l'embauche d'un premier salarié dans les TPE et les PME. D'un montant de 500 euros par trimestre pendant deux ans, elle devrait concerner 60 000 embauches en 2016, soit une enveloppe de 80 millions en autorisations d'engagement. Cette mesure, qui entraînera sans doute des effets d'aubaine, soutiendra les PME et les TPE, qui n'ont que peu bénéficié du contrat de génération.
De fait, si le Gouvernement nourrissait de fortes ambitions en 2013 lors de l'examen du projet de loi portant création de ces contrats, en se fixant comme objectif 500 000 binômes sur le quinquennat, seulement 14 825 nouvelles aides ont été versées aux entreprises employant moins de 300 salariés en 2013, 18 109 en 2014, 20 000 étant attendues en 2015 tout comme l'an prochain. C'est pourquoi les autorisations d'engagement chutent de moitié pour s'établir à 240 millions. La transmission des compétences entre générations dans l'entreprise est certes nécessaire, mais le contrat de génération sert depuis deux ans de variable d'ajustement budgétaire et, malgré quelques assouplissements, sa complexité l'empêche d'être le dispositif tant attendu de destruction massive du chômage.
L'apprentissage est un contrat de génération qui a fait ses preuves depuis longtemps. Or, malgré la volonté du Gouvernement de le promouvoir grâce à une nouvelle prime, le nombre d'apprentis demeure bien trop faible. Ainsi, le nombre d'entrées en apprentissage a chuté de 8 % en 2013 et de 2,9 % en 2014, ce qui relativise la récente hausse de 2,5 %. Le Gouvernement vient d'instaurer une prime pour encourager l'embauche d'apprentis dans les TPE, pour un coût de 308 millions. Une aide forfaitaire de 4 400 euros sera versée à toute entreprise employant moins de onze salariés qui embauche un jeune mineur en première année d'apprentissage : le Gouvernement table sur 50 000 aides en 2015 et 70 000 en 2016.
Je ne m'oppose pas à cette nouvelle aide, mais je déplore l'inconstance du Gouvernement qui, après avoir réformé les indemnités compensatrices forfaitaires en loi de finances pour 2014, s'est empressé l'année suivante de créer une prime de 1 000 euros pour les entreprises qui embauchent des apprentis. De plus, les motivations financières, comme le prouve l'exemple allemand, ne sont pas premières en matière d'apprentissage. Même si nous sortons du domaine de compétence de notre commission, reconnaissons que l'éducation nationale a une grande part de responsabilité dans cet échec de l'apprentissage. Il nous faudra en parler à la ministre de l'éducation nationale.
Les ressources du compte d'affectation spéciale « apprentissage », sont stables à 1,5 milliard, mais là n'est pas l'essentiel. Le système français souffre de deux maux : un manque de pilotage au niveau national - cette politique étant désormais totalement dévolue aux régions - et une trop faible implication des partenaires sociaux dans l'élaboration des référentiels de formation, cette compétence étant accaparée par des services ministériels bien éloignés des réalités.
En outre, il est malaisé de retracer avec précision les dépenses publiques en faveur de l'apprentissage, en raison des compensations de l'Etat aux régions sous forme d'affectation de fractions du produit de la taxe intérieure de consommation sur les produits énergétiques (TICPE), énumérées à l'article 12 du projet de loi de finances. C'est pourquoi je souhaiterais que le Gouvernement nous présente l'an prochain un jaune budgétaire consacré à l'effort de la Nation en matière d'emploi et d'apprentissage, à l'exemple de celui qui existe pour la formation professionnelle, et qui d'ailleurs devrait être refondu en 2016.
L'Assemblée a adopté huit amendements sur la mission. Outre ceux que j'ai évoqués sur les missions locales, un amendement du Gouvernement prend acte de la suppression de l'article 10 qui supprimait les exonérations de cotisations patronales applicables aux zones de revitalisation de la défense, aux bassins d'emploi à redynamiser et aux zones de revitalisation rurale, et abonde en conséquence le budget de 38 millions.
Je souhaitais initialement vous présenter trois amendements. J'envisageais tout d'abord de permettre à Pôle emploi d'acheter directement des formations d'intérêt national sans l'obligation d'obtenir au préalable l'accord des régions, afin de sauvegarder les centres de formation de l'Afpa à rayonnement national, qui proposent par exemple des formations dans les métiers de l'éolien. Le Sénat avait adopté l'automne dernier une disposition similaire à l'invitation de René-Paul Savary lors de l'examen de la loi NOTRe, mais un tel amendement aurait été déclaré irrecevable, sa nature financière n'étant pas établie. Nous rouvrirons ce débat lorsqu'un véhicule législatif approprié se présentera.
Convaincu de la nécessité de changer en profondeur les mentalités et de lutter contre les préjugés, je souhaitais aussi renforcer les moyens alloués aux campagnes de communication en faveur de l'apprentissage. Cependant la maquette budgétaire du compte d'affectation spéciale ne l'autorise plus, l'intégralité de la compétence apprentissage ayant été transférée aux régions par la loi du 5 mars 2014 sur la formation professionnelle. La délégation sénatoriale aux entreprises travaille actuellement à une réforme d'envergure de l'apprentissage sous la houlette de sa présidente Elisabeth Lamure. Prenons le temps de la réflexion pour présenter un projet qui fasse l'unanimité. Enfin, je pensais présenter un amendement pour réduire l'enveloppe consacrée aux CUI, mais celui de la commission des finances me convient.
J'émets donc un avis favorable à l'adoption des crédits de cette mission sous réserve de l'adoption de l'amendement de la commission des finances. En revanche, faute d'une réforme globale et ambitieuse de l'apprentissage, je propose un avis défavorable à l'adoption des crédits du compte d'affectation spéciale.
Mme Elisabeth Doineau . - Notre rapporteur, que je remercie de son éclairage, pourra-t-il nous préciser l'intérêt de disposer d'un jaune budgétaire pour cette mission ?
Tant que la croissance ne sera pas de retour, il sera difficile de proposer des emplois pérennes à celles et ceux, jeunes et moins jeunes, qui en sont éloignés. Quoi qu'on fasse, quoi qu'on dise, en dépit des nombreux dispositifs proposés, le retour à la prospérité économique est un préalable. En outre, je me désole du fait que nous n'ayons jamais réussi à trouver de solution pour endiguer le chômage de longue durée des plus de 50 ans.
Les salariés des associations qui aident les personnes en difficulté sont eux-mêmes en grande difficulté : leur emploi est précaire et ils peuvent se retrouver au chômage du jour au lendemain, si leur association met la clé sous le paillasson.
Je regrette la valse-hésitation du Gouvernement en matière d'apprentissage. De surcroît, les entreprises qui ont déjà du mal à remplir leurs carnets de commande, se retrouvent face à des cathédrales administratives quand elles veulent embaucher un apprenti.
M. Philippe Mouiller . - Notre rapporteur qui dit tout haut ce que beaucoup pensent tout bas, connaît-il l'ampleur du déficit de l'Afpa ?
Les crédits sont reconduits pour les maisons de l'emploi, mais chacune fera l'objet d'un examen attentif du ministère du travail. A-t-on une idée de la façon dont l'évaluation va se dérouler ? Chez moi, ces maisons fonctionnent bien et elles s'inquiètent pour leur avenir.
Les moyens consacrés aux écoles de la deuxième chance sont stables : seront-elles également évaluées et peut-on espérer voir leurs dotations augmenter dans la mesure où elles apportent d'excellentes réponses aux personnes qu'elles forment ?
La réforme du financement des ateliers et chantiers d'insertion est en cours mais certains se retrouvent en grande difficulté de trésorerie et, si des collectivités ne les aident pas, ils seront obligés de fermer malgré leur dynamisme.
Vous avez beaucoup travaillé sur l'apprentissage, monsieur le rapporteur, et j'ai participé avec vous à la mission en Allemagne et en Autriche : la question financière est importante mais bien d'autres problèmes se posent. C'est pourquoi j'attends avec impatience les conclusions de la délégation sénatoriale aux entreprises.
M. Eric Jeansannetas . - Notre rapporteur avait bien commencé en disant que l'économie et l'emploi s'amélioraient doucement. Mme la ministre nous avait d'ailleurs dit que tel était le cas, mais qu'il fallait rester modeste. Pour cette raison, elle avait obtenu la sanctuarisation de ses crédits mais le rapporteur général de la commission des finances veut y mettre un terme en supprimant 200 000 contrats aidés. Certes, il faut cibler ces contrats sur les personnes les plus éloignées de l'emploi et certains peuvent considérer que les résultats ne sont parfois pas à la hauteur des espérances, mais un tiers des personnes ayant conclu un CUI retrouvent quand même un emploi dans le secteur marchand ; ce sont autant de petites victoires qui incitent à l'optimisme.
Le budget a été sanctuarisé ; la Garantie jeunes sera généralisée après une expérimentation dans dix départements. Je me félicite du maintien des crédits pour les maisons de l'emploi. L'évaluation externe pourrait être un poste à approfondir. Nous connaissons tous des maisons de l'emploi qui fonctionnent bien, et d'autres présentant des faiblesses.
L'apprentissage est très important pour mobiliser les jeunes en faveur de métiers parfois mal connus. Communiquons plus sur les métiers. Comme en Allemagne, élargissons le panel des métiers accessibles par l'apprentissage. Nous avons encore du travail, les familles françaises et allemandes préférant que leurs enfants suivent des formations pour devenir « col blanc » plutôt que « col bleu ».
Mme Annie David . - En ces temps d'augmentation du chômage, je regrette la réduction des crédits de cette mission, même si elle est limitée. Si l'emploi est une priorité, ne réduisons pas les dotations ! Des dispositifs se créent, sans recul ni évaluation des précédents. On met les gens dans des cases, sans chercher à les amener à un emploi concret. Ce n'est pas la bonne méthode !
Peu de mesures sont prévues sur la formation, qui constitue pourtant le passage obligé pour l'emploi. Je regrette les réductions importantes des crédits liés à la gestion prévisionnelle des emplois et des compétences (GPEC) et aux engagements de développement des emplois et des compétences (EDEC) : avec ces structures, on peut mieux gérer l'emploi et les compétences nécessaires, et orienter les demandeurs d'emploi. Au total, je déplore la stabilité voire la réduction des crédits des opérateurs de la politique de l'emploi.
En tant qu'ancienne rapporteure pour avis de la commission des affaires culturelles sur l'enseignement scolaire et la formation technique, je suis particulièrement sensible à l'apprentissage, et ne peux que me féliciter de la volonté du Gouvernement de le soutenir. Mais pourquoi n'accorde-t-on que des aides aux entreprises, sans améliorer la vie des apprentis - plus de tuteurs, aides au logement, appui aux mineurs... On réduit les cotisations patronales mais on ne fait rien pour les salaires. Nous ne voterons pas les crédits de la mission.
Mme Catherine Procaccia . - Voyez l'inconstance du Gouvernement ! Depuis trois ans, les incessants changements de la loi ont sapé la confiance des fédérations professionnelles : elles craignent que les aides disparaissent au bout de trois mois. L'apprentissage a besoin de stabilité. Il ne concerne pas seulement des jeunes ; avez-vous des chiffres sur l'âge moyen des apprentis alors que le Gouvernement souhaite promouvoir l'apprentissage auprès des personnes âgées de plus de dix-huit ans ?
En tant que rapporteure en 2007 sur le projet de loi relatif à la fusion de l'ANPE et des Assedic pour créer Pôle emploi, je constatais déjà l'inefficacité de certaines maisons de l'emploi. Huit ans après, rien n'a changé, mais, malgré les surcoûts, des élus refusent de changer un iota.
M. Jean-Marc Gabouty . - L'amendement du rapporteur général de la commission des finances sur les contrats aidés fait preuve de réalisme. Les collectivités ont consenti beaucoup d'efforts pour embaucher des emplois aidés : ce n'est pas seulement une main d'oeuvre bon marché, il faut aussi les encadrer. Les contraintes budgétaires proposées aux collectivités limiteront les recrutements dans les prochaines années. Les structures publiques acceptent plus facilement de prendre des profils plus difficiles que le secteur privé, ce qui relativise les chiffres donnés par le rapporteur.
On ne fait pas boire un âne qui n'a pas soif : les entreprises n'embauchent pas si l'économie n'est pas bonne. Au moment où nous observons quelques signes de reprise de l'économie, avec des dispositifs intéressants d'accompagnement comme le crédit d'impôt pour la compétitivité et l'emploi (CICE) ou le suramortissement, ce budget manque d'anticipation. Le nombre des contrats de génération ne décolle pas en 2016 et les crédits des missions locales et des maisons de l'emploi sont globalement stables. Alors que ce dispositif est intéressant et devrait être encouragé, le Gouvernement reste au milieu du gué sur ce sujet.
M. Jean-Marie Vanlerenberghe, rapporteur général . - Merci pour l'excellence de ce rapport nourri par une expérience de terrain, primordiale pour se repérer dans le maquis des dispositifs de la politique de l'emploi. La dette de l'Unédic a une incidence très forte sur les comptes sociaux : après 21 milliards en 2014, 25 milliards en 2015, elle atteindra 29 milliards d'euros en 2016. Quand s'arrêtera-t-on ?
Je me félicite du maintien des crédits des maisons de l'emploi, je regrette toutefois l'absence d'une politique plus volontariste. Contrairement à ce qu'ont prétendu certains ministres, elles ont un rôle éminent à jouer. Avec l'Alliance Villes Emploi, elles ont défini des priorités validées par les ministres successifs. Mais les crédits ont été réduits faute d'une politique claire. Une coordination entre les maisons de l'emploi, les missions locales, Pôle emploi et les Plans locaux pluriannuels pour l'insertion et l'emploi (PLIE) est indispensable. Pour l'avoir réalisée malgré les réticences sur le terrain, je peux témoigner qu'un plan d'action commun fait gagner un temps considérable dans la mise en place des dispositifs, encore trop nombreux.
Je me réjouis de l'aide au recrutement d'un premier salarié dans les TPE pour lesquelles le pas est souvent difficile à franchir. Avec un million d'entreprises sans salarié, le gisement d'emploi est énorme.
Les référentiels de formation sont le véritable problème de l'apprentissage, davantage que les primes ou les aides. L'éducation nationale en fait trop, les professionnels pas assez.
Très bon dispositif ciblé, la Garantie jeunes s'ajoute à une dizaine d'autres, alors que trois suffiraient : un pour les jeunes directement employables, un pour ceux qui ne le sont pas, et un pour ceux qui ont besoin d'une qualification. Comme je le disais à la ministre du travail, il faut simplifier les dispositifs ! Et je ne connais pas encore le ministre qui osera le faire...
Mme Hermeline Malherbe . - Je remercie le rapporteur, qui est un homme de terrain. Je crois que les considérations générales à l'échelle nationale ne doivent pas occulter les différences qui existent dans nos territoires. En Languedoc-Roussillon et notamment dans les Pyrénées-Orientales, la situation évolue grâce aux dispositifs de la politique de l'emploi en faveur des jeunes. Ces dispositifs, qui devraient être nationalisés suite au déploiement de la garantie jeunes, évoluent grâce à l'évaluation réalisée dans les territoires, souvent menée par les missions locales.
Dans mon département, il n'y a plus de maisons de l'emploi et on n'a pas vu la différence. C'est une triste nouvelle, car parfois elles apportent une valeur ajoutée. Evaluons ces structures pour permettre à Pôle emploi de reprendre leurs missions à un moindre coût.
Ce n'est pas dans une loi de finances que l'on réformera l'apprentissage, lequel ne concerne pas d'ailleurs que les « cols bleus ». Les nouveaux apprentis sont des cols blancs, en bac plus deux ou en études d'ingénieurs : les collectivités commencent à les recruter ; tant mieux, car le BTP est le secteur le plus touché par la baisse d'activité. Dans le Languedoc-Roussillon, cette politique a porté ses fruits. Je me réjouis que nous ayons bientôt un texte sur l'apprentissage.
M. René-Paul Savary . - Le rapporteur a su donner un peu de lustre à une mission qui manque singulièrement de conviction. Les contrats aidés ne fonctionnent pas s'il n'y a pas d'emploi. Maintenant que la reprise est là, il faut mettre le paquet ! Dommage que la région n'ait pas obtenu la coordination régionale de l'emploi dans la loi NOTRe, cela aurait été plus cohérent. Je regrette aussi que les formations d'intérêt national dispensées par l'Afpa n'aient toujours pas trouvé de financement. Vous qualifiez les allocations chômage d'amortisseur social, mais vous ne parlez pas du RSA, qui joue le même rôle. Je ne constate malheureusement aucune inflexion du Gouvernement pour mieux traiter ses bénéficiaires et trouver le financement nécessaire.
M. Jean-Marie Morisset . - Les maisons de l'emploi ont toute leur place dans les départements, sous certaines conditions. Dans les Deux-Sèvres, nous les avons obligées à se rassembler avec les autres acteurs du service public de l'emploi pour ne leur verser qu'une seule subvention de fonctionnement. Le Fonds social européen (FSE) finance des projets mais parfois, les sommes ne sont toujours pas versées deux ans après l'appel à projet. La gestion du FSE a été confiée aux régions : que faut-il attendre de la création des grandes régions ?
Mme Nicole Bricq . - Certes, il y a eu un retard à l'allumage sur l'apprentissage, malgré un rattrapage depuis. Les premières dispositions du Gouvernement n'ont pas eu un bon effet, nous avons perdu deux ans, je le reconnais.
Toutes les mesures sectorielles pour résorber le chômage ont des effets pervers : on réduit le chômage des jeunes, mais on augmente le chômage de longue durée, le plus difficile à résorber. Nous n'avons pas tout essayé en matière de lutte contre le chômage, attaquons-nous vraiment à ce problème. J'espère que le Sénat votera en janvier, lors de la niche parlementaire du groupe socialiste, la proposition de loi d'expérimentation territoriale visant à faire disparaître le chômage de longue durée, qui a été adoptée à l'unanimité à la commission des affaires sociales de l'Assemblée nationale avant son passage en séance le 9 décembre. Elle part d'expérimentations locales pour préparer les chômeurs à l'emploi : une dizaine ont été réalisées sur des bassins d'emplois réduits, avec des porteurs de projets, des entreprises qui embauchent, des collectivités partenaires et un fonds d'amorçage. Je crois beaucoup à ce dispositif.
Hier, la majorité sénatoriale a détruit l'équilibre budgétaire sur le volet des recettes : il faudra, pour trouver en compensation 4 milliards en taillant dans les dépenses, d'où la proposition de la commission des finances de supprimer 200 000 emplois aidés ; une proposition bête, au moment où la croissance connait un petit sursaut. Regardons le budget dans sa logique ; d'autres coupes suivront, mais je suis sûre que vous ne les ferez pas si jamais vous reveniez aux responsabilités en 2017. Nous en prenons date.
Mme Françoise Gatel . - La mauvaise adéquation entre l'offre et la demande est un problème essentiel : mettons l'accent sur la formation des jeunes et des adultes pour leur permettre de changer de métier et favoriser la mobilité professionnelle. Attention à l'impact de la réduction des dotations budgétaires sur les contrats aidés. Si les collectivités locales doivent jouer leur rôle, les restrictions des dotations en ces temps d'augmentation des charges obèrent leur capacité à pérenniser des emplois.
C'est vrai, on n'a jamais inventé un meilleur contrat de génération que l'apprentissage. Les incantations ne suffisent pas. Si l'on souhaite relancer l'apprentissage, il faut une stabilité du cadre juridique, une meilleure orientation des jeunes, un meilleur accompagnement des jeunes apprentis, notamment en termes de logement, et une bonne santé économique de nos entreprises.
M. Daniel Chasseing . - Renforçons l'école de la deuxième chance qui obtient de bons résultats alors que 150 000 jeunes sortent de l'école sans formation. Si le Gouvernement a raison de vouloir développer l'apprentissage, il doit être plus pédagogue envers les entreprises et mieux valoriser cette voie de formation. Certes, les emplois aidés sont un amortisseur social, mais renforçons d'abord la formation professionnelle. En vérité, la véritable école de la deuxième chance, c'est l'apprentissage.
M. Yves Daudigny . - La majorité sénatoriale défend une organisation régionalisée du service public de l'emploi, or vous déplorez le manque de pilotage national en matière d'apprentissage. N'est-ce pas contradictoire ? Pour plus d'efficacité et de proximité, les services de Pôle emploi ont été réorganisés avec différents objectifs : le conseiller ne passera plus son temps à des tâches administratives ou à calculer des indemnités ; le demandeur d'emploi gardera le même interlocuteur - il en va de même pour les conseillers en relation avec les entreprises. La rivalité entre l'éducation nationale et les professionnels sur l'apprentissage est désormais dépassée, du moins au niveau des principes. La ministre du travail croit dans le dispositif. Le modèle allemand ne peut pas être importé tel quel en France en raison de traditions et de modes de fonctionnement très différents.
M. Michel Forissier, rapporteur pour avis . - L'apprentissage vous passionne, je m'en réjouis ! Le jaune budgétaire donne une vision transversale d'une politique publique en présentant les crédits de plusieurs missions budgétaires. La moitié des apprentis ont plus de 18 ans, je vous renvoie aux statistiques de la Dares pour plus de détails. Avec 405 000 apprentis en 2015 contre 408 000 en 2014, l'objectif de 500 000 apprentis semble difficile à atteindre.
À la suite de notre déplacement en Autriche et en Allemagne, nous n'avons jamais proposé une duplication du modèle allemand ; celui-ci connaît des problèmes de sous-qualification, avec l'augmentation du nombre de jeunes issus de l'immigration, parce qu'il est plus difficile de former des apprentis qui ne maîtrisent pas la langue du pays d'accueil.
Je n'ai pas évoqué le RSA parce qu'il ne relève pas de cette mission. Plus qu'un amortisseur social, c'est un traitement social. Ancien président d'une commission locale d'insertion dans un bassin de 200 000 habitants, je peux témoigner que nous versons le RSA à certaines personnes qui ne remplissent pas les critères d'attribution mais dont c'est le seul revenu.
N'opposons pas la compétence des régions et la responsabilité de l'Etat en matière d'apprentissage. En Allemagne, Etat fédéral - ce qui devrait être plus difficile - l'Etat arrive à se coordonner avec les régions et les partenaires sociaux au sein de l'institut fédéral pour la formation professionnelle (Bibb). En France, cette coordination pourrait être réalisée au sein du Conseil national, de l'emploi, de la formation et de l'orientation professionnelle (Cnefop).
Pendant, les représentants du monde l'entreprise et l'éducation nationale ne se parlaient pas : ils avaient un vocabulaire et des objectifs différents. Les choses sont en train de changer : nous avons tous intérêt à ce que l'apprentissage devienne une filière d'excellence.
Nous pouvons nous retrouver, au-delà des clivages partisans, sur une réforme de l'apprentissage. Nous travaillons avec Mme Lamure, présidente de la délégation sénatoriale aux entreprises, à une proposition de loi sur ce sujet. Conservons le rôle de l'éducation nationale pour la reconnaissance des diplômes, mais renforçons les liens avec les branches professionnelles pour disposer de formations adéquates. Nous devrons tôt ou tard débattre également du collège unique... Donnons aux apprentis des connaissances générales adaptées aux spécificités des métiers préparés, quitte à les approfondir ensuite. Ce qui compte, c'est donner un emploi aux jeunes pour qu'ils trouvent leur place dans la société. Une volonté forte est nécessaire, et nous ferons des propositions.
Il revient à Pôle emploi, et non au tissu associatif, de coordonner les opérateurs du service public de l'emploi.
On peut soutenir certains contrats aidés comme le CIE-Starter créé par le Comité interministériel à l'égalité et à la citoyenneté de 2015, puis mis en place par une circulaire interministérielle du 25 mars 2015. Applicable à la sphère marchande, ils sont subventionnés à hauteur de 45 % du SMIC - et non 30 % - pour les jeunes de moins de trente ans en difficulté d'insertion, notamment ceux qui résident dans les quartiers prioritaires de la politique de la ville. Vivant souvent en marge de la société et s'éloignant des valeurs républicaines, les bénéficiaires peuvent avoir suivi un dispositif de la deuxième chance ou avoir bénéficié d'un emploi d'avenir dans un secteur non marchand.
Je regrette que le ministère de la défense ne soit plus partie prenante des Epide, parce qu'il maintenait l'esprit du service militaire: le lever des couleurs chaque matin, le rassemblement collectif, l'assistance aux cérémonies patriotiques et la vie en commun dans les valeurs de la République. Cela participait d'une éducation citoyenne. La réforme de l'Epide devra être suivie de près.
Pensez-vous réellement qu'une mission locale ou une mission de l'emploi qui s'autoévalue puisse avouer qu'elle ne fonctionne pas bien ? Disons-le tout net : nous n'avons plus les moyens de financer des dispositifs inefficaces.
Mme Pascale Gruny . - Très bien !
Mme Françoise Gatel . - Bravo !
M. Michel Forissier, rapporteur pour avis . - Mais on peut redistribuer les financements publics car faire de la politique, c'est choisir. On pourrait revoir les missions locales avec le nouveau périmètre des régions. On ne sait jamais quand les fonds européens seront versés et si les aides prévues ne vont pas être supprimées. Les métropoles entrent parfois en concurrence avec les régions : la loi NOTRe n'a pas réglé tous les conflits de compétences ; la notion de chef de file ne me convient pas.
Le Gouvernement a manqué de continuité en matière de formation professionnelle et l'apprentissage. On ne créera pas des emplois sans un sursaut de l'économie. Mais nous pourrions proposer au Gouvernement de moduler la dotation globale de fonctionnement en fonction du nombre d'apprentis dans les collectivités - sur 500 agents, j'ai 12 apprentis - ou d'aider les collectivités à les recruter, comme je l'avais fait dans le département du Rhône pour les collectivités qui recouraient à des sapeurs-pompiers volontaires.
J'ai été très surpris que tout le monde, y compris le directeur général de l'Unedic, m'ait affirmé que nous avions les moyens de rembourser sa dette. Mais si la croissance reprend, les taux d'intérêts s'envoleront, comment ferons-nous avec une dette de 30 milliards d'euros ? Le Gouvernement doit alerter les partenaires sociaux sur les dangers de la dette. Il faut pouvoir respecter ses engagements et préserver l'avenir. Je ne doute pas que vous approuviez mes propositions.
La commission émet un avis favorable à l'adoption des crédits de la mission «Travail et emploi», sous réserve de l'adoption de l'amendement précité de la commission des finances, et un avis défavorable à l'adoption des crédits du compte d'affectation spéciale « financement national du développement et de la modernisation de l'apprentissage ».