B. UNE RÉFLEXION ENGAGÉE DEPUIS PLUSIEURS ANNÉES
1. Des projets de réforme déjà anciens
Une réflexion est menée depuis 2009, conjointement par la DPJJ et la direction des affaires criminelles et des grâces du ministère de la justice, sur l'élaboration d'un projet de loi portant réforme de l'ordonnance du 2 février 1945 relative à l'enfance délinquante.
Une commission présidée par M. André Varinard, chargée de formuler des propositions pour réformer en profondeur l'ordonnance du 2 février 1945 et procéder à une véritable refondation de la justice pénale des mineurs, avait remis son rapport dès décembre 2008. Elle avait formulé soixante-dix propositions, essentiellement autour de trois thèmes :
- l'élaboration d'un code de la justice pénale des mineurs . Il s'agirait de rassembler l'ensemble des textes relatifs au droit pénal des mineurs au sein d'un code dédié. Les principes fondamentaux de ce droit, ainsi clairement distingué du droit pénal des majeurs (primauté de l'éducatif, atténuation de la responsabilité en fonction de l'âge, caractère exceptionnel de l'emprisonnement), figureraient dans les articles liminaires de ce nouveau code ;
- une modification du droit pénal applicable aux mineurs. S'agissant des seuils de responsabilité, la commission avait ainsi proposé de fixer à 12 ans l'âge de la responsabilité pénale 7 ( * ) . A partir de cet âge, les mineurs pourraient encourir indifféremment des sanctions éducatives et des peines. Néanmoins, elle avait également proposé de ne fixer qu'à 14 ans l'âge à partir duquel une peine d'emprisonnement serait encourue, sauf en matière criminelle. S'agissant des mesures encourues, la commission, dans un souci de clarté, avait proposé d'unifier les mesures et les sanctions éducatives au sein d'une seule catégorie dénommée sanctions éducatives ;
- une réforme des règles de procédure. La commission s'était prononcée en faveur du maintien de la double compétence (au civil et au pénal) du juge des enfants, qui deviendrait le juge des mineurs. Elle s'était déclarée favorable à une déjudiciarisation de la première infraction et avait préconisé de soumettre, sur renvoi du juge des mineurs ou du juge d'instruction, à un tribunal correctionnel spécialement composé les mineurs devenus majeurs au moment du jugement, les mineurs poursuivis avec des majeurs et les mineurs âgés de 16 à 18 ans en état de nouvelle récidive.
Si la réforme d'ensemble attendue à la suite du rapport Varinard n'a pas eu lieu, plusieurs des propositions de ce rapport ont été reprises dans des projets de loi. En particulier, la loi du 10 août 2011 précitée sur la participation des citoyens au fonctionnement de la justice pénale et le jugement des mineurs s'est appuyée sur le rapport pour introduire des dispositions accélérant le traitement judiciaire des affaires les plus graves, créant le tribunal correctionnel pour mineurs ou encore instaurant le dossier unique de personnalité.
2. Le texte en préparation
Le présent Gouvernement a repris à son compte ce projet de réforme d'ensemble du droit des mineurs. La garde des sceaux a, en particulier, indiqué, lors de l'examen de la loi du 15 juillet 2014 sur la prévention de la récidive, que la suppression des tribunaux correctionnels pour mineurs serait parfaitement cohérente avec l'objectif de renforcement de la spécialisation de la justice des mineurs.
La réforme s'orienterait vers une abrogation de l'ordonnance du 2 février 1945 pour y substituer un texte plus cohérent tout en réaffirmant ses principes fondateurs en conformité avec la jurisprudence constitutionnelle et les standards internationaux : spécificité de la justice des mineurs avec une procédure adaptée et une spécialisation de tous les intervenants et priorité aux mesures éducatives et à la réinsertion.
Les grands axes qui se dessinent seraient les suivants :
- fin de l'instruction systématique menée par le juge des enfants, maintien d'une procédure d'information judiciaire devant le juge d'instruction uniquement pour les affaires graves ou complexes ;
- restructuration de la procédure devant le juge des enfants autour de la césure du procès , permettant au juge de statuer dans des délais rapides sur la culpabilité et les intérêts civils, puis de décider de la mesure éducative ou de la peine la plus adéquate après une phase d'observation, d'action éducative et de mise à l'épreuve. Si la césure du procès est déjà possible aujourd'hui, ses modalités d'application font qu'elle n'est presque jamais mise en oeuvre ;
- prise en compte plus rapide des victimes du fait de cette nouvelle procédure ;
- amélioration des délais de jugement et de l'efficacité de la réponse judiciaire par la création de délais maximum entre le jugement sur la culpabilité et la décision sur la mesure éducative ou la peine, et l'aménagement de procédures d'urgence sous conditions ;
- reconfiguration des réponses éducatives dans le sens de la simplification et de la cohérence et en renforçant la dimension restaurative, la personnalisation et la modularité ;
- restructuration des mesures de sûreté et des peines pour plus de clarté.
Votre rapporteure approuve l'ensemble des modifications ainsi envisagées. En particulier, elle estime, à titre personnel, que la suppression des tribunaux correctionnels pour mineurs, qui ont fait la preuve de leur inutilité et dont l'existence même va à l'encontre des principes de la justice des mineurs, devra impérativement figurer dans le texte qui sera présenté au Parlement. De même, les dispositions déjà existantes relatives à la césure du procès pénal, qui ont inspiré certaines dispositions de la loi du 17 juillet 2014 relative à la prévention de la récidive, semblent être restées quasiment lettre morte et devront donc être améliorées et renforcées.
Plus généralement, alors qu'il est souvent question de traiter plus sévèrement une délinquance des mineurs qui serait plus dure et plus précoce, il semble nécessaire de rappeler la nécessité de faire vivre les grands principes de la justice des mineurs , principes auxquels le législateur, faut-il le rappeler, ne saurait déroger, dans la mesure où ils sont garantis tant par la norme constitutionnelle que par les traités ratifiés par la France :
- en 2002, le Conseil constitutionnel a clairement délimité les spécificités obligatoires de la justice des mineurs : atténuation de la responsabilité, juridictions et procédures spécialisées. Il a en effet indiqué à l'occasion de l'examen de la loi Perben I du 9 septembre 2002, dans le considérant n° 26, que « Considérant que l'atténuation de la responsabilité pénale des mineurs en fonction de l'âge, comme la nécessité de rechercher le relèvement éducatif et moral des enfants délinquants par des mesures adaptées à leur âge et à leur personnalité, prononcées par une juridiction spécialisée ou selon des procédures appropriées, ont été constamment reconnu par les lois de la République du début du XX e siècle ; que ces principes trouvent notamment leur expression dans la loi du 12 avril 1906 sur la majorité pénale des mineurs, la loi du 22 juillet 1912 sur les tribunaux pour enfants et l'ordonnance du 2 février 1945 sur l'enfance délinquante ».
Parallèlement, il a indiqué la limite de ces spécificités en faisant valoir que « toutefois, la législation républicaine antérieure à l'entrée en vigueur de la Constitution de 1946 ne consacre pas de règles selon lesquelles les mesures contraignantes ou les sanctions devraient toujours être évitées au profit de mesures purement éducatives ; qu' en particulier, les dispositions originelles de l'ordonnance du 2 février 1945 n'écartaient pas la responsabilité pénale des mineurs et n'excluaient pas, en cas de nécessité, que fussent prononcées à leur égard des mesures telles que le placement, la surveillance, la retenue ou, pour les mineurs de plus de 13 ans, la détention ; que telle est la portée du principe fondamental reconnu par les lois de la République en matière de justice des mineurs » ;
- en matière d'engagements internationaux, la France est liée d'abord par les règles minima des Nations unies sur l'administration de la justice des mineurs (règles de Beijing de 1985, principes de Ryad et règles minima des Nations unies pour la protection des mineurs privés de liberté de 1990, celles-ci prévoyant par exemple nettement que la privation de liberté des mineurs, quelle que soit sa forme, ne doit être qu'exceptionnelle).
La convention internationale des droits de l'enfant , adoptée le 20 novembre 1989 par l'assemblée générale des Nations unies, signée par la France le 26 janvier 1990 et entrée en vigueur dans notre pays le 6 septembre 1990, comporte également des garde-fous relatifs à la justice des mineurs (notamment dans son article 40) et la Cour de cassation a reconnu son applicabilité directe en droit interne.
Enfin, d'une part les garanties du procès équitable consacrées par la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme s'appliquent aux mineurs, d'autre part, la Cour européenne des droits de l'homme a validé, dès le 24 mai 1989 dans l'affaire Hauschildt puis dans l'affaire Nortier/Pays-Bas, la non séparation des fonctions d'instruction et de jugement en droit pénal des mineurs (jurisprudence paradoxalement remise partiellement en cause par le Conseil constitutionnel sur le motif de l'atteinte à l'impartialité dans sa décision n° 2011-147 QPC du 8 juillet 2011 (cf. avis budgétaire année précédente).
* 7 Actuellement, la condition fondamentale de la responsabilité pénale des mineurs est le discernement , que l'on situe généralement aux environs de l'âge de sept ans. A partir de dix ans, ils peuvent encourir des sanctions éducatives. Ils peuvent faire l'objet d'une peine et d'un emprisonnement à partir de l'âge de treize ans.