II. LA SITUATION FINANCIÈRE DE LA DGAC MONTRE ENFIN DES SIGNES D'AMÉLIORATION
Les tensions sur le budget annexe Contrôle et exploitation aériens (BACEA) diminuent avec la reprise du trafic aérien depuis fin 2013. Pour autant, des incertitudes économiques demeurent, notamment en Europe, dans un contexte où la mise en place du Ciel unique entraîne des bouleversements structurels.
A. UN CONTEXTE DÉLICAT DE RÉFORMES DE GRANDE AMPLEUR
1. Le déploiement technique du Ciel unique se précise en dépit du bras de fer avec la Commission
La situation a relativement peu évolué, par rapport à l'année dernière, en ce qui concerne les négociations autour du paquet Ciel unique 2+. En revanche, la Commission européenne a officiellement lancé la phase de déploiement du volet technologique SESAR ( Single European Sky ATM Research ) du Ciel unique.
En effet, à l'issue d'une phase de consultation, elle a adopté le règlement d'exécution (UE) n° 716/2014 du 27 juin 2014 sur la mise en place du projet pilote commun de soutien à la mise en oeuvre du plan directeur européen de gestion du trafic aérien. Son annexe définit le contenu du projet commun pilote, et servira de base pour lancer au second semestre 2014 un appel d'offres pour le rôle de « gestionnaire du déploiement » , en vue d'une désignation début 2015. Un consortium entre prestataires de services (dont la Direction des services de la navigation aérienne de la DGAC pour la France), compagnies aériennes et exploitants d'aéroports pourrait y répondre. Le début du déploiement du projet pilote est prévu en 2015 .
Les débats autour du paquet Ciel unique 2+ (SES2+) La Commission a adopté, le 11 juin 2013, deux projets de règlements du Parlement européen et du Conseil relatifs au « Ciel unique européen » et à l'Agence européenne de la sécurité aérienne, baptisés « paquet Single European Sky 2+ » (SES2+) 1 ( * ) . Celui-ci vise à réviser les paquets de 2004 et 2009 en leur apportant des renforcements importants, dans le but affiché d'accroître la performance des services, de simplifier les textes existants, et d'étendre les pouvoirs transférés au niveau européen. Le projet présenté par la Commission aurait pour conséquence : - la séparation juridique entre autorités de surveillance et prestataires de services de navigation aérienne , ce qui conduirait à un éclatement de la DGAC avec une privatisation de la Direction des services de la navigation aérienne (DSNA) ; - la mise en concurrence des services annexes de la navigation aérienne , c'est-à-dire autres que le contrôle aérien (communication, navigation, surveillance, information et météorologie aéronautique) ; - le renforcement des pouvoirs de la Commission qui fixerait les objectifs de performance européens par acte délégué et non plus par la procédure réglementaire, tout en imposant la conformité des objectifs nationaux (et non plus leur simple compatibilité). Ces propositions affaiblissent considérablement l'administration française. Elles ont suscité des réactions très vives des personnels de l'aviation civile : la grève du 12 juin 2013 a été fortement suivie. Les compagnies aériennes sont quant à elles globalement favorables à ces évolutions, censées conduire à une baisse rapide des coûts des services de navigation aérienne. |
Dans une lettre cosignée avec le ministre allemand des transports, datée du 11 juin 2013, la France a pris position pour la poursuite des efforts de mise en oeuvre du Ciel unique dans le cadre actuel des règlements de 2009 . Elle a rappelé que ce dispositif avait déjà produit des résultats significatifs en permettant de mutualiser le risque économique lié à l'évolution du trafic entre les compagnies aériennes et les services de navigation aérienne. La France a également indiqué que ces nouvelles propositions allaient à l'encontre de la logique d'initiative et de coopération des prestataires de navigation aérienne qui prévaut pour la mise en oeuvre du programme européen de modernisation SESAR. Enfin, les pouvoirs supplémentaires demandés par la Commission remettent en cause l'équilibre convenu avec les États membres en 2009. Le sommet informel de Vilnius du 16 septembre 2013 a laissé apparaître une large convergence des autres États sur cette position . À la suite de cette réunion, la présidence lituanienne a préféré ne pas traiter ce dossier au Conseil. La présidence italienne en a cependant entrepris l'examen détaillé, en vue d'une approche générale du Conseil en décembre 2014 . |
Au cours de l'année écoulée, la Commission a également adopté les objectifs de performance européens pour la période 2015-2019 . Ces objectifs sont très exigeants, notamment en matière de réduction des coûts unitaires des services de navigation aérienne (-8,7 % sur cinq ans) 2 ( * ) . La DGAC estime que ces contraintes sont trop volontaristes, en raison du caractère difficilement compressible de certains coûts du programme SESAR. Des négociations sont actuellement en cours avec Bruxelles sur cette question des coûts , particulièrement sensible du fait que le niveau des redevances en France est significativement inférieur à celui des pays voisins .
Un plan de performance pour le bloc d'espace aérien fonctionnel Europe centrale (FABEC) a parallèlement été soumis à la Commission au mois de juillet 2014, après consultation des usagers et des personnels de la navigation aérienne. La Commission procède actuellement à son évaluation et pourra demander des modifications d'ici décembre 2014 . En pareil cas, après réponse des États concernés, elle pourra, si elle n'est toujours pas satisfaite, demander des actions correctives supplémentaires, à condition de recueillir une majorité au Comité Ciel unique. Ce processus pourrait durer jusqu'au troisième trimestre 2015 .
Le bloc d'espace aérien fonctionnel Europe centrale (FABEC) La création des blocs d'espace aérien fonctionnels est l'une des pierres angulaires du Ciel unique européen. Ces blocs constituent un outil important pour remédier à la fragmentation des espaces aériens : ils permettent de gérer l'espace aérien et le trafic aérien indépendamment des frontières et de parvenir à une intégration progressive des opérateurs pour augmenter la performance, notamment en termes de baisse des coûts des services. En application des règlements européens du Ciel unique, tous les États membres de l'Union européenne devaient former, par accords entre eux, des blocs d'espace aérien fonctionnels et les mettre en oeuvre au plus tard le 4 décembre 2012. La France s'est engagée avec cinq autres États (Allemagne, Belgique, Pays-Bas, Luxembourg et Suisse) dans la réalisation d'un bloc d'espace aérien fonctionnel nommé Functional airspace block Europe Central (FABEC). L'engagement initial des parties s'est d'abord concrétisé par une déclaration d'intention des six États à l'occasion du Sommet européen de l'aviation de Bordeaux, en novembre 2008. Un accord de coopération a également été signé entre les sept prestataires de services concernés (DGAC pour la France, DFS pour l'Allemagne, Belgocontrol pour la Belgique, LVNL pour les Pays-Bas, ANA pour le Luxembourg, Skyguide pour la Suisse et Eurocontrol en tant que gestionnaire du centre de contrôle de Maastricht). Finalement, le traité créant le FABEC a été signé le 2 décembre 2010 par les six États concernés, en marge du Conseil européen des transports. Cet accord instaure une étroite coordination entre autorités civiles et militaires des États, et la prise de décisions conjointes pour ce qui relève des aspects régaliens de la gestion du trafic et de l'espace aériens. Le dossier d'information préalable a été présenté à la Commission européenne en juillet 2010, et transmis aux autres États de l'Union européenne ; ni la Commission ni les autres États membres n'ont émis de commentaires dans le délai de trois mois ouvert à cet effet. Le traité FABEC est ratifié par les six États membres depuis fin avril 2013 3 ( * ) , et il est entré en vigueur le 1 er juin 2013 , avec six mois de retard par rapport au calendrier initial. Par ailleurs, les autorités des six États ont adopté mi-2011 un plan de performance conjoint des services de navigation aérienne pour la période 2012-2014 (RP1) portant sur les domaines de la sécurité, de la capacité, de l'environnement et de l'efficacité des missions militaires. Un projet de plan de performance pour la période 2015-2019 (RP2) a été déposé auprès de la Commission au début du mois de juillet 2014. À l'heure actuelle, les objectifs d'efficacité économique restent cependant fixés par chaque État, puisque la tarification des services de navigation aérienne l'est aussi. La perspective d'un taux unitaire unique de tarification des services en route est envisagée à plus long terme. La réflexion sur un éventuel rapprochement entre les prestataires de services de navigation aérienne se poursuit : elle nécessite un examen approfondi des modalités d'optimisation des routes aériennes et de l'organisation de l'espace aérien. En effet, le FABEC est l'une des zones de trafic les plus denses au monde , et d'une grande complexité : il représente 55 % du trafic aérien européen et 15% du trafic mondial ; quatre des principales plates-formes aéroportuaires européennes y sont incluses (Paris, Francfort, Amsterdam et Munich - tandis que Londres est à proximité) et 5,6 millions d'avions empruntent son espace chaque année. À long terme, il n'en reste pas moins que les gains de performance résultant du FABEC dépendront du degré d'intégration entre les prestataires actuels , civils et militaires, notamment au niveau de leurs systèmes et de leurs activités. Pour leur part, la Commission européenne et les transporteurs aériens appellent de leurs voeux une réduction du nombre de prestataires de services et des infrastructures. Cartographie des blocs d'espace aériens fonctionnels
|
2. Une conflictualité non négligeable mais maîtrisée par un dialogue social soutenu
Les mouvements sociaux affectant la DGAC sont de trois types : grèves générales de la fonction publique, mouvements spécifiques portés par des organisations syndicales pour l'ensemble de la DGAC, grèves locales affectant un nombre restreint de sites. L'impact sur le trafic aérien dépend directement du taux de participation des ingénieurs du contrôle de la navigation aérienne (ICNA). Du point de vue des seules recettes de navigation aérienne (donc sans compter les pertes pour les compagnies aériennes), on estime qu'une journée sans contrôle aérien coûte entre 3 millions d'euros et 4,5 millions d'euros.
La DGAC a connu un apaisement relatif des tensions internes , provenant notamment des contrôleurs aériens, par des mesures progressives depuis les années 1980. En particulier, le dialogue social est organisé depuis 1988 autour de la signature de protocoles d'accord triennaux entre le ministre chargé des transports et les organisations syndicales représentatives des personnels. Cette démarche permet d'évaluer les mesures sociales accordées en contrepartie des efforts consentis par les personnels, et de donner une visibilité pluriannuelle à la DGAC. La Cour des Comptes 4 ( * ) a cependant dénoncé une « politique d'action sociale (...) très généreuse dont le coût se révèle supérieur aux crédits votés et affectés par le Parlement » , en raison notamment de la multiplicité et de l'opacité des structures associatives subventionnées par la DGAC.
Au final, en 2013, la DGAC a connu onze grèves « fonction publique » et onze grèves locales . Ce sont les 6 jours de grève liés au sujet du Ciel unique qui ont mobilisé le plus fortement les agents de la DGAC , et en particulier les contrôleurs aériens, entraînant des perturbations sur le trafic aérien.
Au premier semestre 2014, la DGAC a été affectée par dix mouvements de grève : deux mouvements « fonction publique » d'une journée chacun ; cinq grèves locales d'une durée cumulée de onze jours sur des problématiques d'effectifs ou de tours de services de personnels opérationnels ; trois journées de grève liées à des revendications spécifiques DGAC portées par des organisations syndicales nationales, contre le projet de règlement Ciel unique de la Commission européenne (SES 2+) et les objectifs du futur plan de performance RP2. Seules ces trois dernières journées ont entraîné des perturbations du trafic aérien.
L'année 2014 se caractérise également par la mise en oeuvre des mesures du 9 ème protocole social, prévues au titre des années 2013 et 2014 . En effet, en raison de délais dans la signature du protocole 2013-2015, aucune mesure programmée pour 2013 n'avait pu être exécutée cette année-là.
Le protocole 2013-2015 : un protocole porteur de réformes structurelles L'accord social 2013-2015, conclu entre le Gouvernement et trois organisations syndicales confédérées (CGT, FO et CFDT) comporte des axes majeurs de réformes structurelles : fermeture de bureaux régionaux d'information aéronautique (BRIA) ; transformation des tours de contrôle en services d'information en vol (AFIS) ; suppression des délégations territoriales de la direction de la sécurité de l'aviation civile ; mutualisation de services opérationnels de contrôle aérien ; modernisation des fonctions support adossées à des systèmes d'information reposant sur des technologies matures. Le coût total de ce 9 ème protocole, dont les mesures sont mises en paiement de 2014 à 2016, s'élève à 27 M€ . L'enveloppe catégorielle cumulant les deux années 2013 et 2014 s'élève à 13,4 M€. Le financement de ces mesures sera assuré, en grande partie, par les économies des schémas d'emplois des années précédentes. |
* 1 Deux textes font partie du paquet :
- COM (2013) 410 final / E 2013/0187 (COD) : règlement du Parlement européen et du Conseil relatif à la mise en oeuvre du ciel unique européen (refonte) ;
- COM (2013) 409 final /E 2013/0187 (COD) : règlement du Parlement européen et du Conseil modifiant le règlement n°216/2008 dans les domaines des aérodromes, de la gestion du trafic aérien et des services de navigation aérienne.
* 2 Sa proposition initiale, encore plus contraignante, avait recueilli une minorité de blocage en Comité Ciel unique.
* 3 À cette fin, le Parlement français a adopté la loi n° 2012-1188 du 26 octobre 2012 autorisant la ratification du traité relatif à l'établissement du bloc d'espace aérien fonctionnel « Europe Central » entre la République fédérale d'Allemagne, le Royaume de Belgique, la République française, le Grand-Duché de Luxembourg, le Royaume des Pays-Bas et la Confédération suisse.
* 4 La direction générale de l'aviation civile : une action sociale généreuse et coûteuse - Rapport public annuel de la Cour des Comptes, février 2013 (Tome I, volume 2, chapitre I)