B. L'ABSENCE DE PERSPECTIVES CLAIRES CONCERNANT LA RÉFORME DU REVENU DE SOLIDARITÉ ACTIVE

1. Les limites du dispositif actuel
a) L'articulation entre RSA « socle » et RSA « activité »

Généralisé par la loi du 1 er décembre 2008 1 ( * ) à la suite d'expérimentations menées dans 34 départements, le RSA poursuit un objectif de lutte contre la pauvreté grâce au RSA « socle », issu de la fusion du revenu minimum d'insertion (RMI) et de l'allocation parent isolé (API), et de soutien au retour à l'emploi, via le RSA « activité » et la mise en oeuvre d'un parcours d'insertion.

Au mois de mars 2014, 2 344 054 personnes touchent le RSA en France métropolitaine et outre-mer . Le nombre de ces bénéficiaires, inégalement répartis sur le territoire français 2 ( * ) , connaît une hausse continue depuis plusieurs années en raison de la dégradation de la conjoncture économique et de la situation défavorable du marché du travail.

Figure n° 3 : Nombre d'allocataires du RSA en mars 2014

Métropole

Socle

Activité

Socle + Activité

Total

RSA

1 376 469

487 260

240 372

2 104 101

Dont RSA majoré

181 011

42 684

21 189

244 884

Dont RSA non majoré

1 195 458

444 576

219 183

1 859 217

RSA jeunes

2 260

4 888

613

7 761

TOTAL

1 378 729

492 148

240 985

2 111 862

Départements d'outre-mer

Socle

Activité

Socle + Activité

Total

RSA

185 991

30 099

15 981

232 071

Dont RSA majoré

32 493

2 767

1 505

36 765

Dont RSA non majoré

153 498

27 332

14 476

195 306

RSA jeunes

43

69

9

121

TOTAL

186 034

30 168

15 990

232 192

Métropole + Départements d'outre-mer

Socle

Activité

Socle + Activité

Total

RSA

1 562 460

517 359

256 353

2 336 172

Dont RSA majoré

213 504

45 451

22 694

281 649

Dont RSA non majoré

1 348 956

471 908

233 659

2 054 523

RSA jeunes

2 303

4 957

622

7 882

TOTAL

1 564 763

522 316

256 975

2 344 054

Source : DGCS - réponses aux questionnaires budgétaires

Le rapport publié en juillet 2013 par Christophe Sirugue a clairement mis en évidence les limites actuelles du RSA « activité » 3 ( * ) . Comme l'a indiqué votre rapporteur précédemment, le taux de non-recours à la prestation - 68 % en 2011 - est particulièrement élevé.

Plusieurs éléments peuvent expliquer ce phénomène : la complexité du dispositif, notamment des modalités de calcul des ressources, le manque d'informations des bénéficiaires potentiels, la crainte de ces derniers de se sentir stigmatisés en touchant une aide qui continue de s'ancrer dans une logique de minimum social. La Cour des comptes a par ailleurs constaté en 2013 le manque de lisibilité et le faible caractère incitatif d'une prestation soumise à des logiques différentes, difficilement conciliables - une logique individuelle d'encouragement au retour ainsi qu'au maintien dans l'emploi en même temps qu'une logique familiale de soutien aux bas revenus 4 ( * ) .

La coexistence du RSA « activité » avec la prime pour l'emploi (PPE), créée en 2001 5 ( * ) , fait par ailleurs l'objet de critiques. Celle-ci est saupoudrée entre 6,3 millions de foyers fiscaux. Son versement en une fois et avec une année de décalage - elle est attribuée sur la base des revenus déclarés l'année précédente - ne lui permet pas de jouer le rôle de levier vers le retour à l'emploi qui devrait être le sien. En outre, le gel de son barème depuis 2008, limite encore cet effet levier. Comme le souligne Christophe Sirugue dans son rapport, « il résulte de cette situation qu'aucun des deux dispositifs existant n'atteint ses buts : l'impact redistributif et la contribution à la réduction de la pauvreté sont limités ; les effets sur le soutien à la (re)-prise d'activité ou au maintien dans l'emploi sont faibles » .

La prime pour l'emploi

La prime pour l'emploi (PPE) est un crédit d'impôt versé, sous conditions de revenus, aux foyers fiscaux dont au moins l'un des membres exerce une activité professionnelle. Elle se traduit par une diminution de l'impôt sur le revenu ou par un versement de la part du Trésor public lorsque son montant est supérieur au niveau de l'impôt dû.

Pour bénéficier de la PPE en 2014, le revenu fiscal de référence du foyer pour l'année 2013 devait s'élever à 16 251 euros maximum pour une personne seule ou à 32 498 euros pour un couple. Ces montants sont augmentés de 4 490 euros par demi-part supplémentaire.

En 2014, les revenus d'activité pour l'année 2013 du bénéficiaire potentiel doivent être compris entre 3 743 euros et un plafond qui varie selon la situation familiale. Il est compris entre 17 451 euros pour une personne seule et 26 572 euros pour un couple dont seul l'un des deux membres exerce une activité professionnelle.

Le montant du « RSA activité » éventuellement perçu est déduit du montant de la PPE.

b) L'échec du RSA « jeunes »

La situation est encore plus critique s'agissant du RSA « jeunes », dont le nombre d'allocataires connaît une diminution continue depuis plusieurs années - la baisse est de 23 % entre le mois de juin 2011 et celui de mars 2013. En 2010, la direction de la recherche, des études, de l'évaluation et des statistiques (Drees) évaluait le nombre de bénéficiaires potentiels du RSA « jeunes » à 130 000 foyers environ dont 110 000 foyers en emploi, pour un coût global en année pleine de 230 millions d'euros. Pour l'année 2015, la DGCS estime que le nombre de bénéficiaires devrait s'approcher de 7 000.

Figure n° 4 : Evolution du nombre de bénéficiaires du RSA « jeunes » entre mars 2011 et mars 2014 (France métropolitaine
et départements d'outre-mer)

Nombre

de bénéficiaire s

mars-11

juin-11

sept-11

déc-11

mars-12

juin-12

sept-12

9 604

10 246

9 628

9 498

9 421

9 303

8 545

déc-12

mars-13

juin-13

sept-13

déc-13

mars-14

8 409

8 483

8 451

7 291

7 845

7 882

Source : DGCS - réponses aux questionnaires budgétaires

L'échec du dispositif s'explique en grande partie par la rigidité des critères d'accès à la prestation. En effet, compte tenu des difficultés structurelles que rencontrent les jeunes sur le marché du travail, la condition d'avoir exercé une activité professionnelle pendant deux ans au cours des trois années précédant la demande de RSA « jeunes » conduit, en pratique, à exclure un grand nombre de bénéficiaires potentiels du versement de la prestation. Ces critères avaient pu trouver une justification dans la volonté d'éviter tout effet désincitatif à la recherche d'emploi sur ce public. Or les réponses aux questionnaires budgétaires fournies par le Gouvernement à votre rapporteur montrent qu'aucun effet désincitatif n'a jusqu'à présent été démontré.

Si le plan pluriannuel de lutte contre la pauvreté et pour l'inclusion sociale a conduit à la mise en oeuvre de la « garantie jeunes », ce dispositif concerne un type de public très particulier qui n'est pas celui, plus large, visé par le dispositif du RSA « jeunes ». La question de la mise en place d'un dispositif de soutien financier et d'accompagnement vers l'emploi des jeunes qui auraient normalement dû bénéficier du RSA « jeunes » demeure par conséquent entière.

La « garantie jeunes »

La « garantie jeunes » s'adresse aux personnes âgées de 18 à 25 ans qui ne sont ni en emploi, ni en études, ni en formation et font face à une situation de grande précarité.

Le titulaire du contrat d'engagement bénéficie d'une allocation forfaitaire d'un montant mensuel maximal équivalent de celui du RSA, après abattement du forfait logement. L'allocation peut être intégralement cumulée avec les ressources d'activité du jeune tant que celles-ci ne dépassent pas un montant mensuel net de 300 euros.

10 territoires pilotes ont été désignés à compter du 1 er octobre 2013, permettant ainsi à 10 000 jeunes d'entrer dans le dispositif.

Lors de la conférence sociale de juillet 2014, le Premier ministre a annoncé la généralisation de la « garantie jeunes » à l'ensemble du territoire. Le dispositif devrait être proposé à 50 000 jeunes en 2015 et 100 000 jeunes en 2017.

Source : DGCS - Réponses aux questionnaires budgétaires

2. Les enjeux d'une future réforme
a) Vers la création d'une prime d'activité

Concomitamment à la création du RSA « activité » a été décidé le gel de la prime pour l'emploi (PPE). Comme l'a souligné le rapport de Christophe Sirugue, ce gel s'est traduit par la diminution des dépenses de PPE, accentuant l'effet saupoudrage de la prime et conduisant, progressivement, à lui faire perdre de son efficacité et à son extinction.

Dans ce cadre, la suppression de la PPE à l'horizon du 1 er janvier 2016, prévue par le projet de loi de finances rectificative pour 2014, constitue la suite logique de l'absence de décision claire au cours des dernières années sur le devenir de cette prime.

Une semaine après la présentation en conseil des ministres du projet de loi de finances rectificative, le Gouvernement a annoncé, le 18 novembre 2014, la création d'une prime d'activité qui résulterait de la fusion de la PPE et du RSA « activité ». La mise en place d'une telle prime était recommandée par le rapport Sirugue et avait été annoncée par le Président de la République le 20 août 2014, dans un entretien au journal le Monde.

Les contours de la réforme, qui doit faire l'objet d'un projet de loi présenté au Parlement dans le courant de l'année 2015, sont les suivants :

- elle serait versée mensuellement aux bénéficiaires ne gagnant pas plus de 1,2 Smic et les revenus du ménage dans son ensemble ne devraient pas dépasser un certain plafond ;

- la prime pourrait être perçue dès l'âge de 18 ans, les montants pouvant malgré tout varier pour les jeunes ;

- le coût du nouveau dispositif s'élèverait à environ 4 milliards d'euros, ce qui signifie que la réforme serait réalisée à coûts constants.

Cette annonce laisse un grand nombre de questions irrésolues. La réforme créera nécessairement des perdants, notamment chez les bénéficiaires de la PPE. Cet impact devrait être évalué précisément. Moins que la coexistence de deux dispositifs, c'est l'incapacité du RSA « activité » et de la PPE à remplir leurs objectifs qui est aujourd'hui préjudiciable. Au-delà de la simplification attendue, la fusion doit donc permettre la mise en place d'un mécanisme capable d'encourager efficacement le retour et le maintien dans l'emploi. Or les deux dispositifs reposent sur des logiques divergentes, la PPE étant un crédit d'impôt versé à titre individuel tandis que le RSA « activité », s'il poursuit un objectif de retour à l'emploi, constitue également un mécanisme de soutien aux revenus les plus modestes. Le faible taux de recours au RSA « activité » et l'échec du RSA « jeunes » ont été soulignés précédemment. La nouvelle prime d'activité devrait, pour être efficace, toucher un public plus large. Dès lors, la réforme peut-elle être véritablement envisagée à coûts constants ?

Votre rapporteur s'interroge sur l'ensemble de ces points dont l'éclaircissement conditionne le jugement positif qu'il pourrait porter sur une fusion longtemps attendue mais systématiquement repoussée en raison, justement, des difficultés qu'elle soulevait.

La réforme proposée par le rapport Sirugue

Le rapport Sirugue recommande la création d'une prime d'activité individualisée, ouverte à l'ensemble des travailleurs dès l'âge de 18 ans. Les revenus de ces derniers devraient être compris entre 0 et 1,2 Smic, le montant de la prime étant maximal à 0,7 Smic. Elle serait versée mensuellement sur la base des revenus déclarés tous les trois mois.

Le rapport recommande d'accompagner la mise en place de la prime de mesures complémentaires destinées aux publics les plus fragiles (familles monoparentales, familles monoactives). S'il indique que la réforme pourrait être envisagée à moyens constants, il souligne que « l'affectation de moyens supplémentaires, notamment pour financer les mesures complémentaires, serait cependant souhaitable et bienvenue » .

Source : Rapport Sirugue

b) L'opportunité du transfert à l'Etat de la gestion du RSA « socle »

Le 6 novembre 2014, à l'occasion du congrès de l'Assemblée des départements de France (ADF), le Premier ministre a annoncé la création d'un groupe de travail chargé de réfléchir à une réforme du RSA « socle », de son mode de gestion et de son articulation avec les autres allocations.

L'une des questions centrales qui devra être abordée par le groupe de travail sera celle d'un transfert à l'Etat de la compétence de gestion du RSA « socle » dont disposent actuellement les départements.

Les dépenses liées au RSA « socle » représentent un poids grandissant sur les finances départementales. En 2012, les conseils généraux ont dépensé 7,2 milliards d'euros au titre du RSA « socle », soit 31,4 % de plus qu'en 2008. Or, contrairement aux deux autres allocations individuelles de solidarité que sont l'allocation personnalisée pour l'autonomie (APA) et prestation de compensation du handicap (PCH), la gestion du RSA ne nécessite pas la mobilisation d'une équipe sociale ou médico-sociale chargée de déterminer le niveau de la prestation en fonction des besoins des bénéficiaires. En d'autres termes, les départements n'apportent qu'une plus-value limitée dans l'exercice de cette compétence et ne disposent d'aucune marge de manoeuvre sur la gestion et le versement de la prestation, celui-ci étant par ailleurs effectué par les Caf.

Votre rapporteur estime par conséquent souhaitable une réforme du RSA « socle » qui conduirait au transfert à l'Etat de la gestion de celui-ci. Devrait cependant être éclaircie rapidement la question des modalités financières selon lesquelles s'effectuerait un tel transfert.

Votre rapporteur considère par ailleurs que les conseils généraux doivent pouvoir continuer d'exercer les compétences qu'ils ont développées en matière d'insertion sociale et d'accompagnement vers l'emploi. Celles-ci devraient s'exercer dans un cadre clair et sous la forme d'un partenariat rénové, notamment avec Pôle emploi et les services de l'Etat concernés. La suppression de l'aide personnalisée pour le retour à l'emploi (Apre), prévue par la présente loi de finances, pourrait être l'occasion d'une remise à plat de ces questions. C'est également l'un des objectifs que se fixe le projet « Agille » (améliorer la gouvernance et développer l'initiative locale pour mieux lutter contre l'exclusion), qui a notamment donné lieu en avril 2014 à la signature d'une convention entre l'ADF, Pôle emploi et la direction générale à l'emploi et à la formation professionnelle (DGEFP), pour une approche globale des politiques d'accompagnement.


* 1 Loi n° 2008-1249 du 1 er décembre 2008 généralisant le revenu de solidarité active et réformant les politiques d'insertion.

* 2 Selon les informations fournies à votre rapporteur par le Gouvernement, la part de la population couverte par le RSA (en comptant les bénéficiaires, les conjoints et les enfants à charge) est plus importante dans les départements du nord de la France (12 % dans le Nord et le Pas-de-Calais), du pourtour méditerranéen (11 % dans les Pyrénées-Orientales, dans l'Aude et dans le Gard, 10 % dans les Bouches-du-Rhône) ainsi qu'en Seine-Saint-Denis (13 %, soit la part la plus importante de la métropole). Près du quart de la population des départements d'outre-mer est couverte par le RSA, la proportion s'élevant à 32 % à La Réunion.

* 3 Christophe Sirugue, député de Saône-et-Loire, Rapport au Premier ministre sur la réforme des dispositifs de soutien aux revenus d'activité modestes, juillet 2013.

* 4 Cour des comptes, insertion au rapport public annuel 2013 : « le RSA activité : une prestation peu sollicitée : un impact restreint », février 2013.

* 5 Loi n° 2001-458 du 30 mai 2001 portant création d'une prime pour l'emploi.

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