B. DE NÉCESSAIRES ÉVOLUTIONS
1. Une insuffisante maîtrise des crédits
Comme en témoignent les sous-budgétisations récurrentes dont elles font l'objet, les dépenses liées à l'AME se caractérisent par une totale absence de fiabilité des prévisions budgétaires. Depuis l'origine, l'enveloppe budgétaire allouée à l'AME (233,5 millions d'euros en loi de finances pour 2003) souffre en effet du grand écart entre un coût prévisionnel sous-estimé, qui détermine les inscriptions de crédits en loi de finances, et la dépense réelle, facturée par la Cnam à l'Etat.
Le tableau ci-dessous retrace les écarts entre les crédits prévisionnels et les crédits exécutés pour les années 2009 à 2013.
Figure n° 7 : Ecart entre les crédits prévisionnels et les dépenses exécutées au titre de l'AME entre 2009 et 2013
(en millions d'euros)
2009 |
2010 |
2011 |
2012 |
2013 |
|
LFI |
490 |
535 |
588 |
588 |
588 |
Exécution |
591 |
635 |
626 |
587,5 |
744 |
Ecart (%) |
+ 20,7 |
+ 18,8 |
+ 6,5 |
- 0,1 |
+ 26,5 |
Source : Rapports annuels de performance (RAP) de la mission « Santé »
Cette sous-évaluation chronique des dépenses d'AME engendre traditionnellement des abondements de crédits dans la loi de finances rectificative en fin d'exercice. Mais ces crédits supplémentaires ne couvrent la plupart du temps qu'une partie des dépenses non anticipées, le reste à payer dû par l'Etat à l'assurance maladie continuant d'augmenter.
Le manque de fiabilité des prévisions budgétaires et le maintien de restes à charge de l'Etat à l'égard de l'assurance maladie ont conduit la Cour des comptes, dans son analyse de l'exécution du budget de la mission « Santé » pour l'exercice 2013, à considérer les dépenses d'AME comme des dépenses « dynamiques qui compromettent la soutenabilité de la mission ».
Les critiques de la Cour des comptes
« Le budget 2013 a été bâti sur une stabilisation des dépenses d'aide médicale d'Etat (AME) à 588 M€. Leur augmentation tendancielle de 3,5 % par an (+ 19 M€), du fait notamment de la suppression par la LFR 2012 du droit de timbre et de la procédure d'agrément pour les soins hospitaliers coûteux programmés instaurés par la LFI 2011, devrait être compensée par la mise en oeuvre en année pleine de la réforme de la tarification des prestations hospitalières des personnes bénéficiant de l'AME de droit commun, estimée à 24 M€. La difficulté à apprécier l'impact sur les flux des demandeurs des réformes intervenues depuis 2011, des prévisions trop imprudentes quant à l'évolution du nombre de bénéficiaires et un report de deux mois de facturation de séjours hospitaliers de 2012 sur 2013 ont imposé une ouverture de crédits supplémentaires à hauteur de 156 M€ en LFR 2013. Ceux-ci ont toutefois été insuffisants pour faire face à l'augmentation de 23 % des dépenses d'AME , de sorte que la dette cumulée de l'Etat à l'égard de la Cnamts est passée de 38,7 M€ fin 2012 à 51,7 M€ en décembre 2013. Ni la LFR 2013, ni la LFI 2014 n'ont cependant prévu de financement pour couvrir cette dette, en méconnaissance du principe de sincérité budgétaire. Une telle irrégularité pourrait entacher la programmation de la LFI 2014 qui n'a procédé qu'à une augmentation limitée des crédits d'AME (604,9 M€), compromettant ainsi de nouveau la soutenabilité du programme 183 . » Source : Cour des comptes, analyse de l'exécution du budget de l'Etat, mission « Santé », mai 2014 |
Pour 2014, le projet de loi de finances rectificative déposée le 12 novembre dernier à l'Assemblée nationale prévoit l'ouverture de 155,1 millions d'euros complémentaires au titre de l'AME. Il indique que cette « hausse de la dépense s'explique principalement par une progression du nombre de bénéficiaires de l'AME, qui n'a pu être que partiellement compensée par une baisse du coût moyen par patient liée à la mise en oeuvre de la réforme de la tarification des soins hospitaliers pris en charge au titre de l'AME. »
Quant au montant actualisé de la dette cumulée de l'Etat vis à vis de la Cnam au titre de l'AME (52 millions d'euros fin 2013), il devrait figurer dans le prochain projet de loi de règlement du budget et des comptes de l'année 2014.
Votre rapporteur relève que les crédits dédiés au financement de l'AME de droit commun dans le projet de loi de finances pour 2015 s'élèvent à 632,6 millions d'euros, soit 82,4 millions d'euros de moins qu'en 2013 et 84,4 millions d'euros de moins que la prévision actualisée pour 2014. Le projet annuel de performance indique lui-même que la dépense tendancielle d'AME de droit commun s'élèverait à 717 millions d'euros l'année prochaine . Cette prévision prend en compte la forte hausse de la dépense constatée en 2013 (715 millions d'euros, soit + 23 % par rapport à 2012) et retient l'hypothèse d'une même évolution tendancielle des effectifs de bénéficiaires de l'AME que celle observée entre 2008 et 2013, soit + 3,9 % en moyenne chaque année, et d'une stabilité des coûts moyens des dépenses de santé prises en charge.
2. De nécessaires ajustements
Compte tenu de ce contexte budgétaire difficile, l'AME a fait l'objet de plusieurs réformes depuis sa création.
Dans la période récente, les modalités de facturation des prestations hospitalières délivrées au titre de l'AME ont tout d'abord fait l'objet d'une réforme progressive, conformément aux recommandations formulées par l'IGF et l'Igas dans leur rapport conjoint de novembre 2010 5 ( * ) . Ce dernier préconisait un passage à une facturation selon le droit commun de la tarification à l'activité (T2A). Le gain pour le budget de l'Etat était estimé à 130 millions d'euros sur une dépense de 540 millions d'euros en 2009. Le manque à gagner pour les hôpitaux devait faire l'objet de mesures de compensation transitoire.
La loi de finances rectificative pour 2011 6 ( * ) a ainsi prévu l'alignement par étapes des modalités de tarification spécifiques à l'AME pour les séjours hospitaliers sur les tarifs nationaux appliqués pour les prestations en médecine, chirurgie et obstétrique (MCO). Alors que ces séjours étaient facturés en fonction du prix de journée propre à chaque hôpital (tarif journalier de prestation), systématiquement plus élevé que les tarifs issus de la tarification à l'activité, ils sont, depuis le 1 er janvier 2012, facturés en partie selon les règles de droit commun (80 % sur la base du tarif T2A et 20 % sur la base du TJP). Une majoration transitoire est prévue jusqu'à la fin de l'année 2014 7 ( * ) . Dans le cadre de la convergence tarifaire, les coefficients de majoration des tarifs liés à l'activité (T2A) disparaîtront à compter du 1 er janvier 2015, ce qui devrait engendrer une réduction de 55 millions d'euros en 2015 sur la dépense tendancielle d'AME de droit commun.
Le Gouvernement a ensuite reprécisé les critères d'éligibilité à l'AME de droit commun et le champ des prestations prises en charge . Un décret en date du 17 octobre 2011 8 ( * ) soumet le bénéfice des prestations à une condition de stabilité de résidence, l'intéressé devant avoir en métropole ou dans un département d'outre-mer son foyer ou son lieu de séjour principal. Il limite en outre le champ de prise en charge aux actes, produits et prestations destinés directement au traitement ou à la prévention d'une maladie et exclut expressément les frais relatifs aux cures thermales et à l'assistance médicale à la procréation.
Enfin, l'article 49 du projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2015 prévoit une réforme, à compter du 1 er janvier 2015, des règles de facturation et de tarification hospitalière applicable pour l'AME « soins urgents » afin de faire rapprocher celle-ci des règles appliquées à l'AME de droit commun . Selon l'étude d'impact annexée au projet de loi, la mesure permettrait de réaliser 46 millions d'euros d'économies pour l'assurance maladie en 2015 et 50 millions d'euros en 2017.
Dans le même esprit, le projet de loi de finances pour 2015 prévoit à son article 59 sexies un alignement des délais de facturation des séjours des bénéficiaires de l'AME en établissement de santé sur ceux du droit commun (cf. infra ).
L'Assemblée nationale a en outre adopté en seconde délibération sur le projet de loi de finances pour 2015 un amendement du Gouvernement par lequel celui-ci s'engage à générer un million d'euros d'économies supplémentaires sur les dépenses d'AME par l'intensification des contrôles et de la lutte contre la fraude.
Votre rapporteur considère que ces réformes, dont les dernières en date constituent des mesures techniques de bonne gestion, représentent un motif de satisfaction. Elles apparaissent cependant insuffisantes. En particulier, si les dépenses hospitalières représentent 70 % des dépenses d'AME, la réforme de la tarification des soins hospitaliers ne permettra pas d'absorber l'évolution future des dépenses d'AME.
Des ajustements complémentaires apparaissent donc nécessaires. Ils devront bien sûr préserver le double objectif humanitaire et sanitaire du dispositif : protéger les personnes concernées en leur permettant l'accès aux soins et éviter que des affections contagieuses non soignées ne s'étendent dans la population. Votre rapporteur propose en particulier d'instituer pour les bénéficiaires de l'AME une contribution forfaitaire annuelle comparable à la participation plafonnée à laquelle sont aujourd'hui soumis les assurés lorsqu'ils recourent à des soins médicaux (soit 50 euros).
* 5 Igas-IGF, « Analyse de l'évolution des dépenses au titre de l'AME », novembre 2010.
* 6 Article 50 de la loi n° 2011-900 du 29 juillet 2011.
* 7 Ce coefficient est passé de 1,3 (30 % de survalorisation des actes) à 1,15 (15 % de survalorisation des actes) au 1 er janvier 2014.
* 8 Décret n° 2011-1314 du 17 octobre 2011 relatif à la prise en charge des frais de santé par l'AME ainsi qu'au droit au service des prestations.