B. DES INQUIÉTUDES CROISSANTES SUR LA CAPACITÉ À ASSURER DES MISSIONS DE PLUS EN PLUS EN PLUS NOMBREUSES
S'il paraît normal que les agences sanitaires contribuent elles aussi aux efforts d'économies budgétaires, la poursuite des efforts de rationalisation engendre aujourd'hui des tensions croissantes dans la mesure où ils interviennent dans le cadre de la montée en charge de certaines compétences ou de l'attribution de missions nouvelles.
L'« effet ciseau » résultant de la discordance de plus en plus importante entre les ressources allouées aux agences et les missions que celles-ci doivent assumer, impacte tout particulièrement l'activité de l'ANSM. Celle-ci bénéficie d'une large délégation de puissance publique qui lui permet de prendre, au nom de l'Etat, plus de 80 000 décisions par an, en particulier dans le cadre des procédures d'autorisation et d'interdiction des médicaments. Elle possède à ce titre un pouvoir de sanction assorti d'amendes financières. Outre ses activités d'évaluation avant et après la mise sur le marché, de contrôle des produits en laboratoires, d'inspection sur les sites de production, de distribution en gros ou d'essais cliniques, l'agence a pour mission de définir et de diffuser auprès des professionnels de santé et des patients des informations destinées à favoriser le bon usage des produits de santé. Les fortes contraintes budgétaires auxquelles l'opérateur est exposé ne doivent pas remettre en cause sa capacité à réaliser l'ensemble de ses missions, actuelles et nouvelles. Sa force de réactivité pour prévenir et faire face aux urgences sanitaires liées aux produits de santé doit être préservée.
Or l'activité de l'ANSM est en croissance continue : outre la montée en puissance de son activité de pharmaco-épidémiologie, elle devra s'approprier la mise en oeuvre du nouveau règlement européen relatif aux essais cliniques de médicaments à usage humain 1 ( * ) ainsi que l'application de la future réglementation européenne visant à renforcer la sécurité des dispositifs médicaux. A cela s'ajoutent les évolutions qui seront rendues nécessaires par la mise en oeuvre de la future loi de santé, au titre notamment de la sécurisation de la chaîne d'approvisionnement en médicaments (article 36) ou de l'enjeu non moins négligeable de la création d'un accès ouvert aux données de santé (article 47). L'exercice est rendu d'autant plus difficile qu'étant une agence « de guichet », elle ne possède pas la totale maîtrise de son flux d'activité.
Les autres opérateurs du programme 204 sont confrontés à des difficultés comparables. L'Inca, en particulier, fait part de ses inquiétudes grandissantes quant à la poursuite des évolutions budgétaires en cours et ses conséquences sur les politiques de prévention et de sécurité sanitaire. La direction de l'institut considère la situation comme inédite au regard des enjeux soulevés non seulement par l'obligation de faire face à l'ensemble des engagements pluriannuels qui découlent de sa mission de soutien à la recherche mais aussi de la nécessité d'engager dès aujourd'hui la mise en oeuvre du troisième plan cancer, qui couvre la période 2014-2019 et mobilisera 1,5 milliard d'euros au total, afin de se donner les moyens d'atteindre les objectifs impartis à l'échéance fixée. L'institut indique qu'en l'absence de financement complémentaire en provenance de l'Etat, il sera conduit à mobiliser son fonds de roulement pour pouvoir faire face aux dépenses prévues par ce plan, d'autant plus que certaines actions sont nouvelles, en particulier l'extension du financement des centre d'essais cliniques de phase précoce (Clip) ou de la mise en place d'essais sur le séquençage de l'exome tumoral. Or de façon générale, les fonds de roulement des divers opérateurs ont été fortement mis à contribution au cours des derniers exercices et sont aujourd'hui proches de leurs niveaux prudentiels.
De même, l'ABM qui souligne qu'elle a dû s'adapter aux premières restrictions budgétaires au moment où la montée en charge de ses activités n'était pas encore achevée, comme dans le domaine de l'embryologie, devrait se voir confier de nouvelles missions par la future loi de santé, notamment en matière de biovigilance des activités de prélèvement et de greffe d'organes, de tissus et de cellules.
L'Inpes indique également être « confronté à des contraintes contradictoires : faire des campagnes plus puissantes et visibles en appui des plans de santé publique et donc très coûteuses tout en poursuivant ses actions sur l'ensemble des autres thèmes, voir sur des thématiques nouvelles, avec des ressources en diminution ». Quant à l'InVS, « la poursuite de la diminution de la subvention pour charges de service public obligera à réviser très fortement le programme d'activités et les financements apportés aux réseaux de partenaires constituant le réseau national de santé publique (RNSP), pour réduire les dépenses de personnel et d'intervention » 2 ( * ) .
De façon générale, l'ensemble des agences auditionnées par votre rapporteur ont souligné la nécessité de maintenir une taille critique suffisante pour pouvoir disposer d'une expertise de qualité.
Dans ces conditions, il conviendra de se montrer particulièrement attentif aux éclairages que devra apporter le Gouvernement sur les mesures envisagées dans le projet de loi relatif à la santé, s'agissant tout particulièrement de l'articulation des missions des différents opérateurs et des moyens qui leur seront attribués.
Le projet de réforme du système d'agences sanitaires L'article 42 du projet de loi de loi relatif à la santé entend habiliter le Parlement à prendre par ordonnances un grand nombre de mesures relevant du domaine de la loi afin de réformer le système d'agences sanitaires. Ce projet part du constat selon lequel les agences sanitaires ont été mises en place par strates successives en fonction des enseignements tirés des crises sanitaires sans vision d'ensemble, ce qui les rend difficiles à piloter. Cependant, l'étude d'impact reste relativement sibylline sur les aménagements envisagés par le Gouvernement. Elle indique que ceux-ci doivent permettre : - de renforcer la coordination des opérateurs sanitaires afin de « réaffirmer la tutelle de l'Etat sur ses opérateurs ». Cela passe notamment par l'officialisation du « comité d'animation du système d'agences » (Casa) présidée par le directeur général de la santé et par la recherche d'une plus grande cohérence de leurs programmes de travail annuels ; - et de faciliter la mutualisation de fonctions transversales d'appui ou de soutien entre agences sanitaires « dans le cadre de la politique d'optimisation budgétaire de l'Etat ». Le Gouvernement indique qu'il « importe également que les missions et l'organisation des agences sanitaires soient réexaminées et réorganisées, dans un schéma global cohérent. » Mais seuls sont précisément évoquées la création d'un nouvel établissement public dénommé « Institut national de prévention, de veille et d'intervention publique », issu de la fusion de l'INPES, de l'InVS et de l'EPRUS et actuellement en phase de préfiguration sous la coordination du directeur de l'InVs, et plusieurs mesures de simplification qui concernent l'ANSM et l'EFS , notamment par la suppression de procédures administratives devenues obsolètes. Aucune étude détaillée des économies attendues ne figure dans l'étude d'impact qui reste particulièrement vague. Le document indique en effet seulement que les projets « se feront, en cible, dans le respect des plans d'économie du gouvernement, tant en matière d'effectifs que de moyens globaux de l'ensemble des structures publiques concernées. Les aspects sociaux liés à la création du nouvel institut, et concernant les personnels de ces différents établissements (changement de fonctions ou de lieu de travail, départs...) seront évalués et gérés de façon très suivie ». |
* 1 Règlement (UE) n°536/2014 du Parlement européen et du Conseil du 16 avril 2014 relatif aux essais cliniques de médicaments à usage humain et abrogeant la directive 2001/20/CE.
* 2 Réponses au questionnaire de votre rapporteur.