B. RÉTABLIR LA CRÉDIBILITÉ DE LA DÉMARCHE DE SIMPLIFICATION EN S'INSPIRANT DES EXPÉRIENCES RÉUSSIES DANS LES PAYS VOISINS.
? L'inflation récente des normes de simplification a engendré des effets pervers et suscité les doutes des entreprises sur la crédibilité de la démarche.
Après avoir été principalement conduit par voie réglementaire depuis les années 1950, puis par ordonnances en 2003 et 2004, le « chantier de la simplification » a été repris par le Parlement depuis 2007.
Quantitativement, en procédant à une simple comparaison du nombre d'articles du texte initial et du texte définitivement adopté, on constate, pour les trois lois 4 ( * ) visant à simplifier le droit adoptées depuis 2009, une tendance à un doublement voire à un triplement de volume.
L'efficacité de la méthode législative sous-jacente a également été remise en question et on a pu y discerner l'amplification d'un phénomène signalé en 2006 par le Comité d'enquête sur le coût et le rendement des services publics : celui-ci évoquait un « effet d'aubaine » législatif dans lequel bon nombre d'administrations saisissent l'occasion de « sortir de leurs cartons des projets en souffrance, de nature et de portée diverses, dont les liens avec la problématique de la simplification relèvent plus du hasard que de la nécessité. »
Le présent projet de loi tire à cet égard les leçons du passé en redonnant une véritable crédibilité à la simplification qui a donc bien failli devenir elle-même un processus inflationniste et un nid à contentieux dans notre pays. On peut rappeler, à ce sujet, que la dernière loi de simplification du 22 mars 2012 5 ( * ) issue de l'initiative parlementaire a donné lieu à une décision du Conseil constitutionnel n° 2012-649 DC du 15 mars 2012 annulant onze cavaliers législatifs. Plus fondamentalement, « l'intelligibilité » de ce texte juxtaposant des dispositions éparses a été contestée ainsi que l'évaluation de son impact ou la concertation préalable qui ont semblé trop axés sur la consultation de cabinets d'expertise privés.
Au final, selon le rapport de M. Thierry Mandon, le bilan de l'application des trois dernières lois de simplification est mitigé. Et seules 30 % des 350 mesures législatives de simplification adoptées depuis 2009 ont été appliquées.
Pour expliquer ce phénomène, le rapport observe, en premier lieu, que la simplification du droit a souffert d'avoir été intégrée dans un contexte de révision générale des politiques publiques (RGPP) trop exclusivement focalisée sur la réduction immédiate des dépenses publiques. Dans ce contexte, menée sans concertation suffisante et fondée sur des conclusions tirées de rapports de cabinets de consultants extérieurs, la simplification a été perçue comme une marque de défiance à l'égard des agents de l'État.
Il constate ensuite, selon l'évaluation quantitative établie par le Secrétariat général à la modernisation de l'action publique (SGMAP), en mars 2013, que sur 348 mesures de simplification engagées en faveur des entreprises depuis 2009, 12 mesures ont été bloquées, 90 seraient toujours « en cours », 145 font l'objet d'un suivi éparpillé entre plusieurs ministères et 101 seraient réalisées, soit 29 % des mesures envisagées .
Enfin, ce bilan insatisfaisant s'explique par une consultation insuffisante des entreprises, l'insuffisance de pilotage stratégique et interministériel sur la durée, trois ministres différents ayant été successivement en charge de la simplification de l'environnement des entreprises sous la précédente législature et par le défaut de cohérence des programmes de simplification.
? Cohérent et concerté, le présent projet de loi d'habilitation s'inspire des « bonnes pratiques » de nos voisins européens en matière de réduction des charges administratives.
Alors que les Pays-Bas et la Belgique s'étaient attelés à cette tâche dès les années 1990, c'est à partir de novembre 2006 que la Commission européenne a lancé l'action de mise en oeuvre par les Etats membres d'une réduction de 25 % des charges administratives pesant sur les entreprises, ce qui doit s'accompagner d'un gain évalué à 1,4 % du PIB pour l'UE.
A partir de cette orientation, les démarches de simplification les plus notables, suivies par nos voisins européens, sont les suivants.
En Allemagne , la réduction des charges administratives pour les entreprises se base sur la progression de l'administration électronique avec le programme « e-government 2.0 » combiné à des efforts visant à ce que les textes soient rédigés en langage clair. Les associations d'entreprises et les partenaires participent activement au processus.
Parmi les résultats mis en avant par ce pays, la facturation électronique mise en place par la loi de 2011 a permis une réduction de charges de 4,1 milliards d'euros par an pour les entreprises et 400 millions d'euros au titre de la simplification dans le domaine des marchés publics.
Au Royaume-Uni , le développement de la relation avec les entreprises semble nourrir un climat de confiance qui induit à son tour une réduction des contrôles administratifs. A titre d'exemple, pour 3 400 petites entreprises, des contrôles de comptes ont été supprimés, ce qui a permis, pour ces dernières, une économie de 15 millions d'euros par an.
Aux Pays-Bas , une nouvelle stratégie de communication cible les besoins identifiés par les entreprises plutôt que ceux signalés par les ministères. Cette approche a débouché sur la création d'un organisme dont le rôle est d'être le porte-parole des entreprises. Un principe de confiance est établi avec les entreprises « run friendly » et implique de ne contrôler que ce qui est nécessaire.
En Belgique , les TIC constituent un outil essentiel dans le plan d'actions pour la réduction des charges administratives pesant sur les entreprises. Parmi les principales innovations, la « Banque Carrefour des entreprises » qui met en oeuvre le programme « Dites-le nous une fois » , la facture électronique et le test Kafka qui a été qualifié par la Banque Mondiale comme particulièrement novateur. Très concrètement, ce test permet d'évaluer l'impact d'une nouvelle réglementation sur les charges administratives à l'aide d'un questionnaire précis sur le nombre et la périodicité des formalités et obligations induites par les normes envisagées.
Au Danemark , pour faire en sorte que la politique de réduction des charges administratives corresponde aux besoins réels des entreprises, il a été décidé de traiter les « sources d'irritation », avec un objectif de réduction de 25 % de la charge administrative.
La plupart de ces bonnes pratiques ont été incorporées à la démarche prolongeant l'annonce d'un « choc de simplification ».
Par exemple, le programme « Dites-le nous une fois » , visant à réduire la redondance des informations demandées par l'État aux entreprises 5 ( * ) a été intégré en France dans la démarche générale de simplification présentée dans les sept chantiers prioritaires d'ores et déjà lancés par le Gouvernement. Le 8° de l'article 1 er du présent projet de loi, qui vise à alléger les obligations déclaratives des entreprises relatives à la participation à l'effort de construction ou à l'effort de construction agricole, se rattache à cette exigence. Au cours du débat en commission des Affaires économiques, les élus de terrain se sont montrés soucieux d'appliquer ce principe de non-redondance aux opérations de construction pour ne pas entraver le dynamisme des projets dans les territoires.
De plus, sans se limiter aux idées de simplification suggérées par les ministères, la concertation conduite par M. Thierry Mandon a également permis de centrer le projet de loi d'habilitation sur les besoins identifiés par les entreprises.
? Parmi les conditions de réussite du projet de loi, votre rapporteur pour avis souligne l'importance qui s'attache à respecter ou accélérer le rythme des réformes ainsi qu'à associer le parlement à l'élaboration des ordonnances de simplification.
En premier lieu, la commission des affaires économiques a insisté sur la nécessité de respecter le rythme des réformes prévu aux articles 18 et 19 du projet de loi et, si possible de l'accélérer. En effet, si ce rythme ne se révélait pas significativement plus court que celui de la procédure législative de droit commun, la raison d'être de l'habilitation, qui est de répondre à une urgence, en serait fragilisée.
Deuxièmement, il est essentiel d'associer le Parlement à l'élaboration des ordonnances prévues par ce projet de loi. Il ne s'agit pas, bien entendu, de « changer la donne constitutionnelle » mais de perfectionner les pratiques existantes de consultation des commissions parlementaires et de transmission des projets de textes.
Rappel des deux principales exigences découlant de l'application de l'article 38 de la Constitution. Selon l'article 38 de la Constitution, l'habilitation pour légiférer par ordonnances est donnée au Gouvernement « pour l'exécution de son programme ». Les exigences constitutionnelles en matière de précision de l'habilitation. D'après le juge constitutionnel, l'article 38 doit être entendu comme faisant obligation au Gouvernement d'indiquer avec précision au Parlement la finalité des mesures qu'il se propose de prendre par voie d'ordonnances et leur domaine d'intervention (n° 86-208 DC, 1 er et 2 juillet 1986). Le Gouvernement n'est cependant pas tenu de faire connaître la teneur des ordonnances qu'il prendra (n° 99-421 DC du 16 décembre 1999) et il ne lui est pas interdit de faire dépendre cette teneur des résultats de travaux et d'études dont il ne connaîtra que plus tard les conclusions (n° 86-207 DC, 25 et 26 juin 1986). Si l'exigence de précision est stricte, ses modalités de mise en oeuvre sont souples : le Gouvernement peut apporter les justifications nécessaires tant dans l'exposé des motifs du projet de loi d'habilitation que dans le dispositif lui-même ou encore dans les déclarations faites devant chaque assemblée pour présenter le projet de loi. Ainsi, dans sa décision n° 86-207 DC, le Conseil constitutionnel s'est référé non seulement à l'article de la loi définissant le champ de l'habilitation demandée, mais également aux travaux préparatoires et, notamment, aux déclarations du Gouvernement devant le Parlement. L'article 38 prévoit deux délais, tous deux déterminés par la loi d'habilitation : - celui pendant lequel le Gouvernement est autorisé à prendre, par ordonnance, des mesures qui relèvent normalement du domaine de la loi ; - et le délai au cours duquel, les ordonnances ayant été publiées, le Gouvernement doit déposer devant le Parlement un projet de loi de ratification afin d'éviter que celles-ci ne deviennent caduques. |
S'agissant des moyens d'action dont dispose le Parlement dans le droit en vigueur, bien que la voie de l'article 38 puisse être parfois présentée comme une sorte de « dépossession » de ce dernier en matière d'élaboration de la loi, il convient de rappeler que ce dernier peut, soit à l'occasion du vote de la loi de ratification soit, de sa propre initiative, après l'expiration du délai imparti au Gouvernement en vertu du premier alinéa de l'article 38, amender le contenu des ordonnances . De plus, ni l'article 38, ni aucune autre disposition de la Constitution, ne fait obstacle à ce que le Parlement intervienne selon d' autres modalités que celle de l'adoption du projet de loi de ratification. Cette intervention peut résulter d'une manifestation de volonté implicitement mais clairement exprimée par le Parlement. Il n'est donc pas exclu que la modification par le Parlement des dispositions d'une ordonnance puisse résulter d'une loi qui, sans avoir la ratification pour objet direct, l'implique nécessairement. On notera enfin qu'une loi adoptée avant même l'expiration du délai d'habilitation peut régulièrement modifier et ratifier tacitement les dispositions d'une ordonnance, dès lors que le Gouvernement n'a opposé aucune irrecevabilité au cours de la discussion devant le Parlement.
Au plan politique, et comme en témoignent les débats parlementaires, l'urgence et la technicité de certains textes ont constitué, au cours des dernières années, deux critères importants pour apprécier l'opportunité du recours à l'article 38 .
Votre commission estime nécessaire aujourd'hui de franchir un nouveau pas dans l'association du Parlement au processus d'élaboration des ordonnances prévues par le présent projet de loi en faisant observer :
- d'une part, que partout en Europe, où la simplification progresse, le Parlement y est étroitement associé.
- et, d'autre part, que le Gouvernement s'est engagé, lors de l'examen de l'autre volet du « choc de simplification » que constitue le projet de loi de simplification des relations entre l'administration et les citoyens, à mettre en place des groupes de travail associant des élus et des chefs d'entreprise
A tout le moins, votre rapporteur, au cours des auditions, a exploré deux pistes, en ce qui concerne la vingtaine d'ordonnances qui devrait prolonger l'adoption du présent projet de loi :
- soit le projet d'ordonnance fait l'objet d'une consultation publique ouverte à tous, et le Parlement doit s'y voir reconnaître un accès privilégié ;
- soit aucune consultation publique n'est organisée et les commissions parlementaires doivent être destinataires des projets d'ordonnances.
* 4 Les trois dernières lois de simplification du droit sont les suivantes :
- loi n° 2009-526 du 12 mai 2009 de simplification et de clarification du droit et d'allègement des procédures ;
- loi n° 2011-525 du 17 mai 2011 de simplification et d'amélioration de la qualité du droit ;
- loi n° 2012-387 du 22 mars 2012 relative à la simplification du droit et à l'allègement des démarches administratives.
* 5 Le programme « dites-le nous une fois » se rattache à des initiatives lancées il y a plusieurs années sous d'autres appellations comme « armoire numérique sécurisée » ou « coffre-fort électronique ».