C. DES MAGISTRATS ET DES PROFESSIONNELS DE SANTÉ TOUJOURS INSUFFISAMMENT SENSIBILISÉS À LA PROBLÉMATIQUE DES VIOLENCES CONJUGALES
Si la plupart des personnes entendues par votre rapporteur au cours de ses auditions et déplacements ont souligné les progrès réalisés par les forces de police et de gendarmerie pour mieux accueillir les femmes victimes de violences, leur jugement demeure en revanche sévère s'agissant en particulier des professionnels de justice et de santé.
Comme votre commission des lois a maintes fois eu l'occasion de le souligner 15 ( * ) , l'une des lacunes les plus manifestes de notre dispositif de détection et de répression des violences commises contre les femmes a trait à la méconnaissance encore très large, par les professionnels concernés, des ressorts de la violence conjugale, qui se manifeste, avant les violences physiques, par l'imposition à la victime de violences psychologiques souvent désignées sous l'appellation « d'emprise ».
Désormais bien analysé et répondant à un schéma stéréotypé, ce phénomène désigne le processus par lequel un auteur adopte progressivement et de façon insidieuse un ensemble de comportements (contrôle financier de la victime, dénigrement systématique, isolement imposé, menaces, etc.) qui conduisent à isoler la victime et à la priver de son libre-arbitre et de toute vie sociale, professionnelle, amicale ou familiale. Confrontée au quotidien à une multitude d'attitudes apparemment contradictoires, la victime se retrouve en état de sidération, incapable de réagir lorsque, souvent à l'occasion d'une première grossesse, les violences physiques succèdent à ces violences psychologiques. La relation de couple disparaît au profit d'une relation de domination, accompagnée d'un sentiment de toute-puissance de l'auteur.
Cette année encore, votre rapporteur a reçu maints témoignages de femmes peinant à s'extraire de telles situations et à échapper au harcèlement incessant de leur conjoint ou compagnon.
Pourtant, ce phénomène demeure largement méconnu de la plupart des professionnels appelés à intervenir pour prévenir les violences faites aux femmes, et les efforts entrepris à ce jour en matière de formation sont largement en-deçà de l'enjeu posé par la nécessité d'y mettre un terme.
Sur le plan judiciaire, cette méconnaissance se traduit par des réponses inappropriées ainsi que par une insuffisante circulation de l'information entre les magistrats :
- ainsi, la mise en oeuvre de l'ordonnance de protection , créée par la loi du 9 juillet 2010 relative aux violences commises au sein des couples, est toujours très inégale sur l'ensemble du territoire et dépend encore trop largement de l'implication personnelle de certains chefs de juridiction. À l'inverse, certains parquets ont encore recours à la médiation pénale en matière de violences conjugales, à rebours de la volonté exprimée par le législateur dans cette loi du 9 juillet 2010 et des instructions précises détaillées par la circulaire d'application du 3 août 2010 16 ( * ) ;
- il ressort également des témoignages reçus par votre rapporteur que les juges aux affaires familiales ne sont toujours pas suffisamment formés à la détection des violences, alors que leur rôle en matière de signalement au parquet et, le cas échéant, au juge des enfants devrait être essentiel.
Du côté des personnels de santé, le manque de formation est tout aussi criant. Comme l'a relevé Mme Annie Guilberteau, directrice générale du CNIDFF, les violences conjugales demeurent un tabou chez certains professionnels de santé qui ne prennent toujours pas la peine, en présence de signes manifestes de violence, d'interroger la patiente sur l'origine de ces derniers.
Cela est d'autant plus regrettable que le législateur a accordé aux médecins le droit de signaler des faits de violences au procureur de la République sans être contraint par le respect du secret médical (article 226-14 du code pénal).
L'insuffisante formation des professionnels de santé se traduit également par une insuffisante prise en compte du préjudice psychologique subi par la victime, alors même que les violences morales constituent sans doute la part la plus lourde et la plus destructrice des violences conjugales. À cet égard, il est particulièrement regrettable que toutes les unités médico-judiciaires ne soient pas dotées de médecins psychiatres à même de constater de telles violences et que de nombreux médecins omettent toujours d'en tenir compte dans la rédaction de certificats médicaux.
C'est la raison pour laquelle votre rapporteur tient à saluer la mise en place par la MIPROF en 2013 d'un plan de formation destiné à l'ensemble des professionnels et dont la mise en oeuvre en 2014 sera spécifiquement axée sur les professionnels de santé.
Cet effort mérite d'être soutenu et rapidement élargi à l'ensemble des professionnels appelés par leurs fonctions à détecter des faits de violence.
L'annonce par le Gouvernement, dans le cadre du
quatrième plan interministériel présenté le
22 novembre 2013, d'un
protocole national adressé aux
agences régionales de santé
afin de renforcer les liens
entre services de santé, de police et de justice, ne peut que contribuer
à faire
- enfin - de la question de la prise en charge des
victimes de violences conjugales un véritable sujet de santé
publique. Votre commission sera particulièrement vigilante sur les
efforts réels accomplis en la matière.
* 15 Voir notamment récemment le rapport précité de notre collègue Virginie Klès, rapporteur pour votre commission des lois du projet de loi relatif à l'égalité entre les femmes et les hommes en cours d'examen par le Parlement, pages 27-28.
* 16 Cette loi avait notamment posé le principe de non-présomption de la victime à une médiation pénale lorsqu'elle a saisi le juge aux affaires familiales d'une demande d'ordonnance de protection.