B. QUEL SOUTIEN POUR UNE INDUSTRIE EN CRISE ?
1. Un dispositif insuffisamment ambitieux au regard de la concurrence
Pays de consommation de jeux vidéo, la France est aussi historiquement un territoire de production . Elle a même figuré parmi les pays précurseurs sur ce marché, dans les années 70 , durant lesquelles elle a commercialisé ses premiers jeux vidéo, avant que cette industrie ne connaisse un « âge d'or » dans les années 90 , avec des studios comme Infogrames et Ubisoft, dont les productions concurrencent les succès américains et japonais.
Pourtant, dix ans plus tard, le secteur, victime de la crise de la nouvelle économie, est à l'agonie et de grands noms font faillite. Après une embellie de quelques années, la crise de 2008 replonge l'industrie française du jeu vidéo, et notamment les studios de moindre envergure, dans d'immenses difficultés . L'aval de la filière souffre tout autant que l'amont. Au tout début de l'année 2013, le distributeur de jeux vidéo Game, qui emploie 750 salariés et totalise 200 boutiques, dépose le bilan. De 15 000 emplois à son apogée dans les années 90, le secteur ne compte plus que 5 000 personnes. Avec un chiffre d'affaires de trois milliards d'euros, Il représente désormais environ 6 % de la production mondiale .
Aux abois, l'industrie du jeu vidéo n'en dispose pas moins, en France, d' atouts considérables qui justifient que les pouvoirs publics se penchent à son chevet.
Les professionnels du jeu vidéo de toutes nationalités s'accordent ainsi à reconnaître unanimement la qualité des formations françaises (Supinfogames à Valenciennes ou Les Gobelins à Paris, parmi d'autres), dont est issue en grande partie l'élite mondiale des programmateurs et des designers de jeux. Les Français auraient, dans ce domaine, une marque de fabrique, équilibre efficace entre créativité artistique et maîtrise technologique , tout en faisant état d'un niveau de culture générale rare dans ce milieu et fort apprécié en matière de narration.
La reconnaissance internationale du talent des salariés français conduit les studios étrangers à rechercher activement à les recruter. De fait, l'industrie française du jeu vidéo est aujourd'hui directement menacée par une « fuite des cerveaux », attirés par des politiques fiscales particulièrement incitatives en faveur des studios comme des salariés des entreprises vidéoludiques mises en oeuvre notamment par le Canada, mais également certains pays d'Asie du Sud-Est.
Les régimes d'imposition et de subvention proposés par les pouvoirs publics sont déterminants dans la décision des acteurs de demeurer sur le sol français ou de se délocaliser. En l'absence quasi totale d'une offre de capital risque en France, les entreprises du secteur du jeu vidéo, comme plus généralement celles du numérique, souffrent d'une sous-capitalisation chronique. Elles se développent donc avec des fonds propres réduits, quand leurs concurrentes étrangères mobilisent des millions d'euros.
Pour répondre en partie à ses besoins de financement, le secteur du jeu vidéo bénéficie de deux types d'aides qui lui sont spécifiquement destinées : le fonds d'aide au jeu vidéo (FAJV) et un soutien à la production via le crédit d'impôt pour les dépenses de création de jeux vidéo (CIJV).
Les aides publiques à l'industrie du jeu vidéo 1/ Le fonds d'aide au jeu vidéo Cofinancé par le ministère du redressement productif et le centre national du cinéma et de l'image animée (CNC) et doté de 2,7 millions d'euros en 2013, le FAJV, géré par le CNC, a pour objectif de soutenir la recherche et le développement, l'innovation et la création dans le secteur du jeu vidéo, à travers trois dispositifs d'aides : l'aide à la pré-production, l'aide à la création de propriétés intellectuelles et l'aide aux opérations à caractère collectif. En 2012, la commission a examiné 101 projets, dont 50 ont été retenus pour un montant total d'aides de 2,8 millions d'euros. 80 % des aides attribuées concernent la création de propriété intellectuelle. L'aide à la pré-production Créée en 2003, cette aide apporte aux studios de jeux vidéo un accompagnement financier à l'innovation dans la phase de pré-production, en vue de la réalisation d'un prototype non commercialisable. Le montant de l'aide est plafonné à 35 % des dépenses de pré-production. L'aide est attribuée sous forme d'avance remboursable pour 50 % de son montant, le reste étant attribué en subvention. L'aide à la création de propriétés intellectuelles Il s'agit d'une aide sélective à la production mise en place en 2010. Dans le contexte d'une évolution des modes de distribution dématérialisée, ce dispositif favorise de nouvelles créations et incite les entreprises à créer une valeur patrimoniale autour des jeux vidéo qu'elles produisent en les engageant à conserver les droits de propriété intellectuelle. L'aide à la création de propriétés intellectuelles, attribuée sous forme de subvention, est plafonnée à 50 % du coût du projet et ne peut dépasser 200 000 euros sur trois ans conformément à la réglementation européenne. L'aide aux opérations à caractère collectif Cette aide est destinée, par des subventions, à l'accompagnement de colloques, journées d'études, journées professionnelles, festivals de portée nationale ou internationale et qui relèvent de la promotion de l'ensemble de la profession du jeu vidéo. L'aide est plafonnée à 50 % du budget de l'opération envisagée. 2/ Le crédit d'impôt pour les dépenses de création de jeux vidéo Ce dispositif vise, depuis 2008, les jeux vidéo contribuant à la diversité de la création par la qualité et l'originalité de leur concept et l'innovation qu'ils véhiculent. En sont exclus les jeux interdits aux mineurs. Le crédit d'impôt correspond à 20 % des dépenses de création. Ces dépenses comprennent la rémunération des auteurs et les dépenses de personnels, les dotations aux amortissements des immobilisations, les dépenses de fonctionnement directement affectées à la création de jeu vidéo, ainsi que les dépenses de sous-traitance européenne, ces dernières étant plafonnées à un million d'euros par jeu. Le montant du crédit d'impôt est plafonné par entreprise à trois millions par exercice fiscal. Pour bénéficier du crédit d'impôt, les jeux doivent être agréés par le CNC. Trois projets ont obtenu un agrément provisoire en 2012 pour un montant de dépenses éligibles prévisionnelles de 29,8 millions d'euros, occasionnant une dépense fiscale prévisionnelle de 2 millions d'euros sur plusieurs exercices compte tenu des temps de fabrication des jeux vidéo. |
Votre rapporteur pour avis estime que si les aides au bénéfice des entreprises du jeu vidéo ont le mérite d'exister , leur montant et leurs conditions d'octroi limitent leur efficacité.
Ainsi, les trois millions d'euros du FAJV semblent bien peu au regard des besoins, d'autant que la subvention accordée ne peut couvrir les dépenses, pourtant essentielles au succès des productions, de publicité et de communication. Le CIJV, pour sa part, est régulièrement critiqué pour la limitation et la complexité de ses critères de sélection. De plus, il ne finance que des jeux ayant un coût de développement supérieur ou égal à 150 000 euros, ce qui conduit, paradoxalement, à une sous-consommation de l'enveloppe dédiée.
Outre les aides publiques, une charte export du jeu vidéo entre le syndicat national du jeu vidéo (SNJV) et l'État a été signée en 2012. Elle vise à soutenir la vente à l'international de la production française, sous l'action concertée et coordonnée des différentes administrations intéressées -ministères des affaires étrangères, de la culture et de la communication, de l'industrie et du commerce extérieur-, des opérateurs publics -Institut français, CNC, Ubifrance, OSÉO, Coface, etc.- et des entreprises. Les actions menées sous cette bannière ont été fédérées sous une nouvelle marque baptisée Le Game.
Par ailleurs, le groupe de travail interministériel précité proposera prochainement des mesures en vue de garantir l'innovation et la compétitivité des entreprises de jeu et de rendre le territoire français attractif pour les acteurs étrangers . Il est d'ores et déjà question de renforcer la compétitivité du CIJV et d'améliorer le financement du haut de bilan des studios de petite taille en mobilisant des fonds de la banque publique d'investissement.
2. Les propositions du groupe de travail sénatorial : des pistes intéressantes
Le groupe de travail des commissions de la culture et des affaires économiques a, à l'issue de ses travaux, proposé une série de mesures en faveur de l'industrie vidéoludique, dont le Gouvernement pourrait utilement s'inspirer.
Il s'agit notamment de :
- la création d'une plateforme de valorisation et de distribution de la production française
Sur le modèle de la plateforme américaine Steam , cet instrument, ouvert à l'ensemble des studios, aurait pour vocation de faire connaître et de commercialiser, sans commissionnement prohibitif, la production française de jeux vidéo, mais également d'assurer aux consommateurs la qualité de la production proposée grâce à une sélection exigeante et originale ;
- la mise en place d'un fonds participatif
Il s'agit ici de permettre aux studios de renforcer leurs fonds propres nécessaires aux investissements mais également au maintien de leur indépendance vis-à-vis des éditeurs. À cet effet, pourrait être créé un fonds d'octroi de prêts participatifs financé par la BPI, sur le modèle du prêt participatif innovation. Cet outil pourrait être logé au sein de l'Institut pour le financement du cinéma et des industries culturelles (IFCIC) ;
- la création d'un guichet unique au sein du CNC pour l'ensemble des demandes de soutien ;
- un renforcement du FAJV et une simplification des critères d'octroi du CIJV ;
- la création d'une nouvelle ressource sous la forme d'une taxe sur la vente de jeux sur supports physiques
Sur le modèle du financement des productions audiovisuelles et cinématographiques françaises grâce à la perception d'une taxe sur les entrées en salles, une telle ressource, de quelques centimes d'euros par jeu, alimenterait un fonds géré par le CNC à destination des productions vidéoludiques françaises ;
- enfin, une meilleure articulation entre formations et création d'entreprises
Cet objectif passerait notamment par l'introduction d'une formation à la gestion dans les écoles de jeu vidéo, tant il est vrai que la faiblesse managériale des professionnels du jeu est source de nombreux échecs de création de studios. Afin d'aider les jeunes diplômés à développer leur propre projet et de renforcer l'ancrage territorial de l'industrie du jeu vidéo, il serait également judicieux de développer localement des pépinières d'entreprises dans le sillon des écoles.