LA FRANCOPHONIE AU COEUR
DE L'ACTION CULTURELLE EXTÉRIEURE
I. UNE AMBITION MALMENÉE
A. LA LANGUE FRANÇAISE DANS LE MONDE : UN DÉCLIN PERMANENT
1. Des chiffres en trompe-l'oeil
La promotion de la langue française constitue le fondement de l'action culturelle extérieure de la France depuis la fin de la seconde guerre mondiale. En 2008, le Livre blanc des affaires étrangères en a réaffirmé la priorité. Outre la proximité culturelle que permet la connaissance de la langue, c'est l'ensemble des échanges -universitaires, scientifiques, industriels et commerciaux- avec la France qui se voit bénéficier de la promotion du français à l'étranger.
Selon l'Organisation internationale de la francophonie (OIT), près de 220 millions de personnes utiliseraient quotidiennement la langue française, dont près de la moitié en Afrique. Ce chiffre pourrait atteindre 500 millions de personnes à l'horizon 2050, au regard des prévisions de croissance démographique de ce continent. Votre rapporteur pour avis estime toutefois qu'au regard de l'offensive des langues vernaculaires et de l'anglais en Afrique francophone, ces prévisions semblent à tout le moins très optimistes, si ce n'est irréalistes.
On compterait également 900 000 professeurs de français, dont la moitié sur le territoire national, et 100 millions d'élèves et d'étudiants francophones dans le réseau culturel français, ce qui fait du français la deuxième langue la plus enseignée après l'anglais.
Certes, à première vue, l'attractivité de la langue française semble ne rien avoir perdu de sa superbe . Les chiffres transmis par le ministère dans le cadre des documents budgétaires sont à cet égard éloquents : entre 2008 et 2012, les effectifs des établissements d'enseignement français à l'étranger ont crû de 5 % par an, tandis que le nombre d'inscrits dans les sections scolaires bilingues, avec une augmentation de 17 % sur la période, se rapproche des deux millions.
Le constat est similaire s'agissant des apprenants adultes : la progression des inscrits dans les cours de langue délivrés dans les établissements à autonomie financière (EAF) et les Alliances françaises a crû de 32 % et dépasse le million de personnes, même si, parallèlement, le nombre d'heures de cours dispensées n'a enregistré qu'une hausse de 10 % et a même diminué en 2012. Enfin, le nombre de candidats aux certifications de langue française a augmenté de 44 % pour atteindre près de 500 000 inscrits.
Toutefois, la géographie de l'apprentissage du français est mouvante et dépend de critères extrêmement variés, à l'instar de l'évolution du pouvoir d'achat local, des flux migratoires, du dynamisme du réseau mais également de l'importance donnée au français dans les programmes scolaires et universitaires, ainsi que l'analyse la Cour des comptes dans son rapport de septembre 2013 sur le réseau culturel de la France à l'étranger.
Ainsi, l'impressionnante progression du nombre d'apprenants au Bangladesh s'expliquerait par les efforts de visibilité des deux Alliances présentes sur le territoire, à Dhaka et à Chittagong, tandis que celle enregistrée au Botswana serait la conséquence du développement des perspectives d'émigration économique en Afrique francophone. De même, l'intérêt soudain des Chinois pour le français ne serait pas sans rapport avec les perspectives économiques des gisements de matières premières africains. Votre commission de la culture, de l'éducation et de la communication avait établi un constat similaire, lors de son déplacement au Vietnam au mois de mars 2013, s'agissant de l'intérêt de la jeune génération vietnamienne pour le français 1 ( * ) . En revanche, le durcissement des critères d'accueil au Québec serait à la source de la diminution globale des heures de cours dispensées par les Alliances installées en Afrique, en Asie et en Amérique du sud.
L'attrait du français fluctue également en fonction de la place qui lui est réservée dans les établissements scolaires et universitaires locaux. Ainsi, le nombre d'apprenants plafonne au Brésil en raison du caractère facultatif de l'apprentissage de la langue française dans les programmes. En Corée du Sud et aux Émirats arabes unis, le nombre d'inscrits a brutalement chu lorsque le français a connu le même sort.
Mais ces chiffres encourageants masquent une tout autre réalité : le recul inexorable de la francophonie dans de nombreux pays , comme l'atteste d'ailleurs sa difficulté à s'imposer sur Internet, où le français ne représente que la neuvième langue d'usage, comme dans les médias internationaux. Elle est également malmenée dans les grandes organisations internationales des Nations-Unies et au sein de l'Union européenne, où elle constitue pourtant la deuxième langue de travail.
Dans de nombreux pays en effet, y compris des États membres de l'organisation internationale de la francophonie (OIF), les élites francophones, vieillissantes ou parfois déconsidérées, ont laissé la place à des dirigeants économiques et politiques bien davantage anglophones . C'est notamment le cas en Géorgie, au Vietnam, à Haïti, en Tunisie, au Cambodge, en Russie et dans les pays de sa zone d'influence, mais également dans certains pays d'Afrique francophone comme le Burundi et le Sénégal. Dans ce dernier pays, à rebours des idées reçues, seul un tiers de la population adulte maîtriserait le français, tandis que l'arabe et le peul voient leur bassin linguistique s'élargir. En outre, votre rapporteur pour avis a été frappé, lors d'un récent déplacement en Asie du Sud-Est, de voir combien la maîtrise de l'anglais, pour les jeunes générations, était assimilé à la réussite économique et à l'emploi.
Cette évolution inquiétante s'explique également, dans de nombreux pays, par une crise globale du système scolaire et universitaire , qui n'épargne pas, loin s'en faut, l'enseignement du français : dans certains cas, il apparaît que plus de 90 % des professeurs ne se sont jamais rendus en France et ne maîtrisent pas parfaitement la langue qu'ils enseignent.
2. La nécessaire adaptation des actions de promotion de la langue française à l'étranger
S'il ne s'agit aucunement de renoncer à la promotion du français, conformément à l'objectif traditionnel du réseau culturel extérieur réaffirmé en 2012 avec l'adoption du plan d'action pour la francophonie, force est de constater que les actions de promotion de la langue française ne peuvent être uniformes.
Au regard des évolutions constatées et de la concurrence vive de l'anglais, y compris dans les zones d'influence historiques de la France, il convient désormais d' adapter notre offre à la demande et aux besoins locaux exprimés notamment par les élites françaises non francophones de plus en plus majoritaires.
À cet effet, une réflexion doit être menée par le ministère des affaires étrangères afin de proposer au réseau un cahier des charges adapté aux réalités constatées localement mais également au bénéfice qu'il pourra être envisagé de tirer des actions menées au regard de leur coût. À titre d'exemple, si dans certains pays doit être favorisé le soutien aux établissements français, le développement de classes bilingues devra être préféré à d'autres occasions.
En tout état de cause, les décisions de rationalisation, ou plus exactement de meilleure allocation géographique des moyens , qui pourraient être prises devront s'attacher à maintenir au mieux la poursuite de l'objectif de promotion de la langue et de la culture françaises.
À ce titre, le recours au Centre national d'enseignement à distance (CNED), qui poursuit un plan de modernisation sans précédent de numérisation de ses outils, doit être renforcé en vue d'offrir un enseignement numérique de qualité à l'échelle du globe.
Votre rapporteur pour avis juge également essentiel le soutien au vecteur de la francophonie que représente TV5Monde depuis 1984, avec ses neuf signaux mondiaux et ses 243 millions de foyers raccordés. Avec des émissions cultes comme « Merci professeur », « J'aime les mots » « 64 minutes, le monde en français » ou « Destination francophonie », la chaîne offre un regard francophone sur la culture (cinéma, musique, patrimoine, livre, etc.) et l'information, mais également des outils d'apprentissage de la langue. Apprendre et enseigner le français, de manière ludique, attractive et « branchée » est un objectif de TV5Monde, qui propose en outre une nouvelle version de ses sites Internet à destination des étudiants et des professeurs de français à l'étranger.
La chaîne sait également s'adapter à son public grâce à une programmation propre à chaque zone géographique , à l'instar de la diffusion de séries africaines en Afrique ou de films français des années 50 en Asie. TV5Monde a également élargi sa diffusion en investissant la web-télévision, notamment pour des programmes jeunesse. À l'occasion du sommet de Dakar en 2014, sera ainsi dévoilée une chaîne jeunesse pour l'Afrique sur Internet.
À cet égard, votre rapporteur pour avis s'étonne que, malgré les engagements pris en 2012 au sommet de Kinshasa, la France n'ait toujours pas fait le nécessaire pour diffuser la chaîne sur la TNT . Elle investit donc aujourd'hui, sur fonds publics, dans un outil dont elle ne permet pas la visibilité sur son propre territoire. Or, la francophonie se vit aussi en France, afin de faire connaître à nos concitoyens les autres contrées du français.
* 1 Culture et recherche au coeur des années croisées France-Vietnam, rapport d'information n° 27 (2013-2014).