Avis n° 147 (2013-2014) de M. André VAIRETTO , fait au nom de la commission du développement durable, déposé le 13 novembre 2013
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AVANT-PROPOS
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EXPOSÉ GÉNÉRAL
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I. UNE LIAISON FERROVIAIRE MIXTE STRUCTURANTE POUR
L'EUROPE
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II. LE CONTENU DE L'ACCORD DU 30 JANVIER 2012 ENTRE
LA FRANCE ET L'ITALIE
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III. LES CONDITIONS DU SUCCÈS DU PROJET
LYON-TURIN
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I. UNE LIAISON FERROVIAIRE MIXTE STRUCTURANTE POUR
L'EUROPE
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EXAMEN DES ARTICLES
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EXAMEN EN COMMISSION
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LISTE DES PERSONNES ENTENDUES
N° 147
SÉNAT
SESSION ORDINAIRE DE 2013-2014
Enregistré à la Présidence du Sénat le 13 novembre 2013 |
AVIS
PRÉSENTÉ
au nom de la commission du développement durable, des infrastructures, de l'équipement et de l'aménagement du territoire (1) sur le projet de loi , ADOPTÉ PAR L'ASSEMBLÉE NATIONALE après engagement de la procédure accélérée, autorisant l'approbation de l' accord entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement de la République italienne pour la réalisation et l' exploitation d'une nouvelle ligne ferroviaire Lyon-Turin ,
Par M. André VAIRETTO,
Sénateur
(1) Cette commission est composée de : M. Raymond Vall , président ; MM. Gérard Cornu, Ronan Dantec, Mme Évelyne Didier, MM. Philippe Esnol, Alain Houpert, Hervé Maurey, Rémy Pointereau, Mmes Laurence Rossignol, Esther Sittler, M. Michel Teston , vice-présidents ; MM. Pierre Camani, Jacques Cornano, Louis Nègre , secrétaires ; MM. Joël Billard, Jean Bizet, Vincent Capo-Canellas, Yves Chastan, Philippe Darniche, Marcel Deneux, Michel Doublet, Jean-Luc Fichet, Jean-Jacques Filleul, Alain Fouché, Mme Marie-Françoise Gaouyer, M. Francis Grignon, Mme Odette Herviaux, MM. Benoît Huré, Daniel Laurent, Mme Hélène Masson-Maret, MM. Jean-François Mayet, Stéphane Mazars, Robert Navarro, Charles Revet, Roland Ries, Yves Rome, Henri Tandonnet, André Vairetto, Paul Vergès . |
Voir le(s) numéro(s) :
Assemblée nationale ( 14 ème législ.) : |
459 , 1475 , 1496 et T.A. 230 |
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Sénat : |
115 , 139 et 140 (2013-2014) |
AVANT-PROPOS
Mesdames, Messieurs,
Votre commission du développement durable, des infrastructures, de l'équipement et de l'aménagement du territoire s'est saisie pour avis du projet de loi autorisant l'approbation de l'accord du 30 janvier 2012 entre la France et l'Italie pour la réalisation et l'exploitation de la nouvelle ligne ferroviaire Lyon-Turin, en raison des implications de cette infrastructure majeure pour la politique de report modal, pour l'aménagement du territoire et pour le développement durable.
La réalisation de cette nouvelle percée à travers le massif alpin er de ses accès, à l'horizon 2030/2035, créera les conditions d'un report modal massif de la route vers le rail et allégera ainsi la pression du trafic routier, qui assure aujourd'hui plus de 90 % du transport de marchandises entre la France et l'Italie.
Cette nouvelle ligne ferroviaire mixte contribuera à soulager les populations riveraines et l'environnement fragile des vallées traversées des pollutions sonores et atmosphériques générées par le flot des poids lourds. Pour les voyageurs, elle mettra Lyon à deux heures de Turin, Paris à un peu plus de quatre heures de Milan.
Toutefois, cette infrastructure n'est pas seulement d'intérêt régional ou national. Elle s'inscrit pleinement dans le réseau transeuropéen de transport et constituera un maillon essentiel du « corridor Méditerranée » orienté d'Est en Ouest, qui reliera par le sud du continent, d'Algésiras à Kiev, la péninsule ibérique à l'Europe orientale.
A ce titre, elle bénéficiera d'un engagement financier exceptionnel de l'Union européenne, qui prendra en charge 40 % des coûts de la section transfrontalière de la nouvelle liaison ferroviaire, soit 3,4 milliards d'euros sur un total estimé de 8,5 milliards.
Cette section transfrontalière correspond, pour l'essentiel, au tunnel de base de 57 kilomètres de long, situé à une altitude deux fois inférieure à celle du tunnel ferroviaire existant du Mont Cenis. Elle sera complétée, en plusieurs phases, par des aménagements des deux côtés, français et italien, qui en constitueront les accès. Les accès français comporteront de nombreux ouvrages d'art, et notamment d'autres tunnels de longueurs également conséquentes.
Le coût total de la ligne ferroviaire Lyon-Turin, incluant celui des accès français et italien à la section internationale, est estimé par la Cour des Comptes à 24 milliards d'euros. Toutefois, ce montant impressionnant de financements sera engagé au fur et à mesure de la réalisation des travaux, échelonnée sur au moins deux décennies, tandis que la rentabilité économique de cet investissement hors normes doit être calculée à l'échelle du siècle.
Il serait intéressant que, face au coût de ce projet, puisse être précisé le coût de sa non-réalisation, en prenant en compte l'insécurité des longs tunnels routiers qui comportent un risque de fermeture en cas d'accident grave, les atteintes à la qualité de l'air et à la biodiversité alpine et, plus encore, le manque de compétitivité de notre commerce extérieur avec l'Italie, si ce pays ne devait disposer d'infrastructures ferroviaires performantes que pour ses liaisons Nord-Sud avec l'Allemagne.
Votre rapporteur pour avis considère que la France et l'Italie du XXI ème siècle, qui bénéficient de l'aide financière de l'Union européenne, ne peuvent pas se montrer plus timorées que le petit Etat de Piémont-Sardaigne au XIX ème siècle, qui avait engagé seul la percée du tunnel ferroviaire historique du Mont Cenis, ou que la Confédération helvétique, qui a financé seule les deux nouveaux tunnels ferroviaires du Lötschberg et du Saint-Gothard.
Il a donc invité la commission du développement durable, qui l'a suivi, à émettre un avis favorable à l'approbation de l'accord bilatéral du 30 janvier 2012, qui constitue une étape intermédiaire mais essentielle vers l'engagement des travaux proprement dit pour la réalisation de la nouvelle ligne Lyon-Turin.
EXPOSÉ GÉNÉRAL
I. UNE LIAISON FERROVIAIRE MIXTE STRUCTURANTE POUR L'EUROPE
A. UNE RÉPONSE À LA PRESSION DU TRAFIC ROUTIER TRANSALPIN
1. L'évolution du trafic de fret sur l'arc alpin : la route prédominante
Entre 1999 et 2011, le trafic transalpin de marchandises a augmenté de 22,7 % pour atteindre 197 millions de tonnes. Cette croissance sur la décennie recouvre la succession de trois périodes distinctes : une augmentation de 30,1 % entre 1999 et 2007 (soit une hausse de 3,3 % par an en moyenne), suivie d'une forte diminution de 16,2 % des tonnages entre 2007 et 2009 résultant de la crise économique, puis une forte reprise de 12,6 % entre 2009 et 2011.
Le mode routier apparaît fortement prédominant à travers les Alpes, avec une part modale de 65,7 % en 2011. Avec 28,2 millions de tonnes, le Brenner est le premier passage transalpin routier, ce qui correspond à une part de 21,8 % des tonnages routiers. Les deux passages suivants, par ordre d'importance, sont celui de Vintimiglia (18 millions de tonnes) et le Schoberpass (15,5 millions de tonnes).
Les deux points de passage ferroviaire les plus importants en 2011 sont le Gothard (14,4 millions de tonnes, soit 21,2 % du total des tonnages ferroviaires) et le Brenner (14,1 millions de tonnes, soit 20,8 % du total).
La part modale du ferroviaire apparaît très variable selon les trois pays concernés. Alors qu'elle est de 34,3 % sur l'ensemble de l'arc alpin, elle s'élève à 63,9 % en Suisse, à 33,5 % en Autriche, mais n'est que de 8,4 % en France.
Les points de passage entre la France et l'Italie sont au nombre de cinq : le tunnel routier du Mont-Blanc, le tunnel ferroviaire du Mont-Cenis, le tunnel routier du Fréjus, le passage routier et le passage ferroviaire côtiers de Vintimiglia. 91,6 % des marchandises transitant entre les deux pays passent par la route.
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Source : Observatoire des trafics marchandises transalpins
2. Les limites des liaisons routières transalpines : pollution et insécurité
En 2011, 2,7 millions de poids lourds ont franchi les passages entre la France et l'Italie, soit une moyenne de 7 400 camions par jour. Le passage de Vintimiglia est le plus important, avec 1,3 million de poids lourds (49,2 % du total), suivi par le tunnel du Fréjus (700 000 poids lourds) et par le tunnel du Mont-Blanc (600 000 poids lourds).
Les nuisances sont importantes pour les populations riveraines, en termes de pollution sonore comme de pollution atmosphérique . Les vallées alpines sont très sensibles à cette dernière, et présentent des taux de pollution parfois supérieurs à ceux des grandes zones urbaines.
Les liaisons routières transalpines présentent également des faiblesses au regard de la sécurité. Les accidents survenus le 24 mars 1999 dans le tunnel du Mont-Blanc, où l'incendie d'un poids lourd a provoqué la mort de 39 personnes, et le 4 juin 2005 dans le tunnel du Fréjus, où l'incendie d'un poids lourd a provoqué la mort de 2 personnes, sont venus rappeler la réalité des risques inhérents à ces infrastructures.
3. Une solution radicale : un nouveau tunnel ferroviaire de base
La Convention pour la protection des Alpes signée en 1991 par les pays de l'arc alpin les engage à « limiter les nuisances environnementales et les risques dus au trafic, principalement routier, en s'abstenant de construire de nouvelles routes à grand débit pour le trafic transalpin » et à prendre les mesures appropriées « en vue de réduire les nuisances et les risques dans le secteur du transport interalpin et transalpin, de telle sorte qu'ils soient supportables pour les hommes, la faune et la flore ainsi que pour leur cadre de vie et leurs habitats, notamment par un transfert sur la voie ferrée d'une partie croissante du trafic, en particulier du trafic de marchandises, notamment par la création des infrastructures appropriées et de mesures incitatives conformes au marché, sans discrimination pour des raisons de nationalité . »
Conformément à ces orientations, la France et l'Italie ont envisagé dès le début des années 1990 le percement d'un nouveau tunnel ferroviaire à travers les Alpes, afin de favoriser un report modal massif de la route vers le chemin de fer.
La modernisation de la ligne ferroviaire actuelle n'apparaît pas comme une alternative à la mesure de l'enjeu. Les infrastructures existantes ont déjà fait l'objet de travaux importants de rénovation, mais demeurent sous-utilisées en raison de leurs caractéristiques techniques inadaptées. Les pentes d'accès au tunnel du Mont-Cenis, qui est situé à 1 296 mètres d'altitude, sont trop fortes. Le tunnel lui-même est monotube, ce qui ne répond plus aux exigences de sécurité actuelles. Enfin, la transformation de la liaison ferroviaire historique, forcément très progressive, se traduirait par une interruption durable du trafic, contraire à l'objectif poursuivi.
La nouvelle ligne ferroviaire Lyon-Turin empruntera donc un tunnel situé à beaucoup plus basse altitude que le tunnel historique, qui permettra la circulation de flux massifs dans des conditions techniques et de sécurité satisfaisantes. Cette solution du tunnel ferroviaire « de plaine » est d'ailleurs celle qui a été retenue par la Suisse avec « l'initiative des Alpes » adoptée par référendum en 1994, qui prévoit les deux nouvelles percées du Lötschberg, en service depuis 2007, et du Saint-Gothard, qui sera en service fin 2016. C'est aussi la solution choisie par l'Italie et l'Autriche pour le nouveau tunnel ferroviaire du Brenner, qui sera en service à l'horizon 2025.
Grâce à son grand gabarit, l'autoroute ferroviaire constituant le coeur de la nouvelle ligne Lyon-Turin pourra capter les trafics routiers de tous gabarits. Les trains de voyageurs pourront y circuler jusqu'à une vitesse de 220 km/h et les trains de fret ou d'autoroute ferroviaire jusqu'à une vitesse de 120 km/h. Il s'agira d'un tunnel ferroviaire de troisième génération, capable de donner une réelle compétitivité au chemin de fer.
B. UNE LIAISON FONDAMENTALE POUR LE SUD DE L'EUROPE
1. Un maillon essentiel du réseau transeuropéen de transport
La politique du « réseau transeuropéen de transport » (RTE-T) a été engagée lors du Conseil européen d'Essen, au mois de décembre 1994, qui a adopté les premiers schémas portant sur les lignes ferroviaires à grande vitesse, le transport combiné, les autoroutes et les voies navigables. Le projet de train à grande vitesse/transport combiné Lyon-Turin figure dans la liste de 14 projets prioritaires établie à l'issue de ce sommet.
À la suite de l'élargissement à l'Est de l'Union européenne en 2004, la liste des projets prioritaires du RTE-T a été actualisée, afin de prendre en compte la nouvelle dimension territoriale de l'Union : 30 projets prioritaires en matière de transports ont alors été définis, dont 80 % de projets ferroviaires ou fluviaux, en cohérence avec les objectifs de transfert modal de l'Union .
Le projet de ligne ferroviaire Lyon-Turin s'inscrit dans l'axe prioritaire n° 6 qui va de Lyon à la frontière ukrainiene , en passant par Turin, Milan, Trieste, Divaca, Ljubljana et Budapest.
Le 19 octobre 2011, la Commission européenne a présenté deux propositions législatives relatives aux réseaux transeuropéens, dont l'objectif est de ne plus faire du RTE-T une simple addition de projets nationaux mais un réseau structurant au niveau de l'UE. Un accord entre les représentants du Parlement européen, du Conseil et de la Commission européenne a été trouvé le 29 mai 2013 sur la nouvelle législation du RTE-T. L'adoption définitive par le Conseil et le Parlement européen devrait avoir lieu avant la fin de cette année.
Cette nouvelle approche intégrée distingue le réseau global, à réaliser progressivement d'ici à 2050, et le réseau central, « colonne vertébrale » comprenant les sections les plus stratégiques, qui devra être réalisé d'ici 2030. Les neuf corridors de ce réseau central vont concentrer la majeure partie des financements disponibles. Chacun de ces corridors traverse au moins trois États membres, et recourt à au moins trois modes de transport différents. Le tracé des neuf corridors a été présenté le 17 octobre 2013. Le projet Lyon-Turin fait partie du corridor dit « Méditerranée », qui s'étendra de l'Espagne à la frontière bulgaro-ukrainienne.
Le rythme de réalisation du RTE-T sur la période s'ouvrant en 2014 dépendra du résultat de la négociation portant sur les enveloppes du cadre budgétaire pluriannuel 2014-2020. Sur la base de l'accord politique conclu le 27 juin 2013 entre le Conseil et le Parlement européen, la Commission européenne a indiqué le 16 juillet dernier que les crédits du budget de l'Union européenne consacrés au secteur des transports dans le cadre du « Mécanisme pour l'Interconnexion en Europe » (MIE) pourraient s'élever à 13,174 milliards d'euros pour la période 2014-2020. Environ 11 milliards d'euros de crédits budgétaires provenant des fonds structurels s'y ajouteront, pour atteindre un montant total d'environ 24 milliards d'euros consacrés sur la période 2014-2020 aux transports.
L'accord du 27 juin porte également sur le projet de règlement définissant les règles d'octroi des crédits dans le cadre du MIE. Il prévoit notamment que le niveau maximal du soutien financier de l'Union européenne aux projets transfrontaliers sera de 50 % pour les études et travaux préparatoires et de 40 % pour les travaux définitifs. La Commission européenne a confirmé cet engagement le 17 octobre dernier, à l'occasion du Conseil des ministres des transports.
2. Un resserrement des relations entre la France et l'Italie
L'intérêt du projet Lyon-Turin est majeur pour l'économie française. Avec 70 milliards d'euros échangés en 2012, l'Italie est le deuxième partenaire commercial de la France. C'est le premier marché extérieur pour les produits agroalimentaires français et un débouché important pour les exportations françaises d'automobiles (12 %) et de produits métallurgiques (10 %). Chaque année, 40 millions de tonnes de marchandises transitent à travers les passages alpins franco-italiens , du Léman à la Méditerranée, avec une domination écrasante du mode routier. La sécurisation de ces flux matériels entre les deux pays apparaît comme étant d'intérêt stratégique.
Loin d'être d'intérêt purement régional, comme pourrait le laisser croire son appellation, la ligne ferroviaire Lyon-Turin permettra en fait de relier le grand bassin parisien , coeur économique de la France, au triangle Turin-Milan-Gênes , coeur économique et industriel de l'Italie.
Il ne faut surtout pas perdre de vue que les nouvelles percées alpines ferroviaires, déjà réalisées ou bien avancées à travers la Suisse et l'Autriche, sont toutes orientées Nord-Sud et relient le Nord de l'Italie aux régions les plus riches d'Allemagne, la Bavière et la Ruhr. En réalisant un saut qualitatif majeur dans sa liaison ferroviaire Est-Ouest avec l'Italie, la France évitera de se retrouver marginalisée dans la recomposition industrielle de l'Europe actuellement en cours.
La nouvelle ligne ferroviaire mixte ne servira pas qu'au transport des marchandises, mais rapprochera aussi les hommes. Pour les voyageurs, Paris sera à un peu plus de 4 heures de Milan. Un tel raccourcissement des temps de trajet contribuera au développement des flux touristiques, dans une perspective de renchérissement inéluctable des coûts du transport routier et aérien, mais aussi à celui des relations industrielles et commerciales entre la France et l'Italie, les échanges entre partenaires économiques ne pouvant pas tous être seulement virtuels.
3. Les bénéfices attendus pour les régions concernées
Le principal bénéfice, pour les régions traversées, de la nouvelle ligne ferroviaire mixte Lyon-Turin résultera du report du trafic marchandises de la route vers le rail, grâce à une capacité supplémentaire offerte pour le fret conventionnel et à un service d'autoroute ferroviaire à grand gabarit et à fréquence élevée. Les nuisances liées à la circulation des poids lourds se trouveront diminuées d'autant. Les gaz à effet de serre émis par les camions pourraient être réduits chaque année, entre Lyon et Turin, de l'équivalent d'une tonne par poids lourd de charge moyenne.
La dimension « voyageurs » du projet est également importante. La réalisation de la nouvelle liaison pourrait permettre d'attirer 4,7 millions de voyageurs sur cet axe en 2035, dont environ 1,3 million par effet du transfert de la route au rail d'une part, et de l'avion au rail, d'autre part, avec les effets positifs qui en résulteront pour l'environnement.
Pour les voyageurs, Lyon et Turin seront reliés en 2 heures, et Paris se trouvera à 2 heures 25 minutes de Chambéry.
Actuellement, le trafic international sur les lignes existantes de la région interfère toujours plus avec le développement du transport de voyageurs, en particulier autour des villes de Lyon, Chambéry et Turin. Du côté français, ajouter aux tronçons encore à voie unique une ligne nouvelle à deux voies permettra, par contrecoup, d'améliorer considérablement les dessertes pour les passagers dans toute la région Rhône-Alpes.
C. UNE PROUESSE TECHNIQUE
1. Une nouvelle ligne mixte de 269 kilomètres en six sections
La longueur totale de la nouvelle ligne entre Lyon et Turin sera d'environ 269 kilomètres, dont 193 kilomètres en tunnels pour les marchandises et 76 kilomètres à l'air libre . Elle sera constituée de six sections distinctes :
1) Une première section entre Lyon et Saint-Didier-de-la-Tour, dont la réalisation est confiée à Réseau Ferré de France (RFF), et qui n'entre pas dans le champ de l'accord intergouvernemental.
À Saint-Didier-de-la-Tour commence la « section internationale » couverte par l'accord franco-italien, qui va jusqu'à Turin et se décompose elle-même en quatre sections :
2) Une section Saint-Didier-de-la-Tour/Montmélian, confié à Réseau Ferré de France.
Puis la « partie commune franco-italienne », entre Montmélian et Chiusa San Michele, se décompose elle-même en trois sections :
3) La section de Montmélian à Saint-Jean-de-Maurienne , confiée à RFF.
4) La section transfrontalière (dans laquelle se situe le tunnel de base de 57 kilomètres qui reliera Saint-Jean-de-Maurienne à Suse), jusqu'à Bussoleno, confiée au « promoteur » Lyon-Turin Ferroviaire (LTF), filiale commune de RFF et de Rete Ferroviara Italiana (RFI) .
Cette section concerne, sur le territoire français, 16 communes. Elle comprend, outre le tunnel de base, les nouvelles gares internationales de Saint-Jean-de-Maurienne et de Suse, et le raccordement à la ligne historique en Italie à Bussoleno.
5) La section de Bussoleno à Chiusa San Michele , confiée à Rete Ferroviara Italiana (RFI).
La délimitation exacte de la « partie commune » (sections 3, 4 et 5) fait l'objet de l'article 4 de l'accord signé le 30 janvier 2012 , qui indique qu'elle sera réalisée par phases successives en commençant par la section transfrontalière composée du tunnel de base, des gares internationales de Saint-Jean-de-Maurienne et de Suse, et des raccordements immédiats à la ligne actuelle.
6) Enfin, vient la partie italienne de la section internationale, de Chiusa San Michele à Turin , confiée à RFI.
Les sections 1, 2, 3 relèvent de la maîtrise d'ouvrage de Réseau Ferré de France et constituent « les accès français » jusqu'au tunnel de base. Le projet de tracé des accès français concerne trois départements - le Rhône, l'Isère et la Savoie - et traverse 71 communes, sur une distance totale de 140 kilomètres.
En plus du tunnel bitubes central de 57 kilomètres (pour comparaison, le tunnel sous la Manche est long de 50 kilomètres), d'autres ouvrages d'art d'envergure seront réalisés tout au long de la ligne ferroviaire mixte. Pour la seule partie française de la ligne, outre 59 ouvrages d'art « ordinaires », 6 viaducs et 8 tunnels devront être réalisés, dont certains d'une longueur significative : tunnel de La Bâtie-Montgascon (7,4 kilomètres), tunnel de Dullin-l'Epine (15,2 kilomètres), tunnel de Chartreuse (24,7 kilomètres), tunnel de Belledonne (19,7 kilomètres) et tunnel du Glandon (9,5 kilomètres).
Source : projet de loi
2. L'état d'avancement des travaux préliminaires
Du côté français, les travaux des trois « descenderies », qui représentent environ 9 kilomètres de tunnel, ont été achevés en 2010 à Modane, La Praz et Saint-Martin-La-Porte. Ces galeries permettent de mener des reconnaissances géologiques et seront également utilisées lors du percement du tunnel. Une fois celui-ci construit, elles serviront en cours d'exploitation à des fins de ventilation et d'évacuation de sécurité.
Du côté italien, les travaux de la galerie de reconnaissance de La Maddalena, d'une longueur de 7,5 kilomètres, ont débuté à la fin de 2012, et devrait durer environ 4 ans.
Le budget du programme des études et travaux préliminaires en France et en Italie, approuvé en décembre 2010 par la conférence intergouvernementale en charge du projet, s'élève à 901 millions d'euros.
D. UN COÛT IMPORTANT MAIS MAÎTRISABLE
1. Des coûts prévisionnels dépendants du périmètre retenu
La Cour des Comptes, dans le référé sur le projet de liaison ferroviaire Lyon-Turin qu'elle a adressé au Premier ministre le 1 er août 2012, relève une augmentation des coûts prévisionnels depuis les premières estimations. S'appuyant sur l'évaluation socio-économique de février 2011, la Cour estime le coût global du projet, y compris les accès, à 24 milliards d'euros.
Toutefois, il s'agit là d'une estimation portant sur la totalité de la ligne Lyon-Turin, y compris les accès français et italien du tunnel principal. L'accord bilatéral qui fait l'objet du présent projet de loi ne porte que sur la section internationale. Le coût prévisionnel de la section transfrontalière, constituant le coeur de celle-ci, est évalué à 8,5 milliards d'euros (valeur 2010). Sur cette section, environ 400 millions d'euros ont déjà été investis entre 2001 et 2012 dans les ouvrages de reconnaissance.
Le coût prévisionnel des accès et aménagements du côté italien est évalué à 6,25 milliards d'euros (valeur 2010).
Le coût prévisionnel des accès et aménagements du côté français est évalué à 7,8 milliards d'euros (valeur 2010), qui se décomposent comme suit :
- 400 millions d'euros pour la partie nord du contournement ferroviaire de l'agglomération lyonnaise, qui permettra le raccordement de la ligne Lyon-Turin à la gare de Saint-Exupéry et à la ligne Lyon-Grenoble ;
- 4,4 milliards d'euros pour les aménagements entre l'agglomération lyonnaise et Chambéry et le sillon alpin ;
- 3 milliards d'euros pour le premier tube du tunnel sous Chartreuse et Belledonne-Glandon.
Les phases ultérieures des accès français, en cours d'étude, n'ont vocation à être réalisées qu'en fonction de la montée en charge observée des trafics. L'évaluation de leur coût est, à ce stade, comprise entre 4 et 4,4 milliards d'euros.
Si l'on exclut pour l'instant les dernières phases des accès français, le coût prévisionnel de la ligne Lyon-Turin s'élève donc, selon les estimations du Gouvernement, à 22,55 milliards d'euros (valeur 2010), dont 8,5 milliards pour la section transfrontalière correspondant principalement au tunnel de 57 kilomètres de long.
Pour apprécier de manière juste les charges de financement auxquelles la France aura réellement à faire face, il faut prendre en compte la dimension internationale du projet, et ne pas imputer à notre pays les dépenses prises en charge par l'Union européenne et par l'Italie (voir infra, le chapitre sur les financements). Il faut aussi considérer qu'une grande partie des travaux d'amélioration des accès français méritent d'être réalisés de toute façon, qu'il s'agisse du contournement ferroviaire de l'agglomération lyonnaise ou du doublement des tronçons à voie unique.
2. Un coût comparable à celui des autres tunnels transalpins
En Suisse, le tunnel ferroviaire du Lötschberg (34 kilomètres) mis en service en 2007 a été réalisé dans les délais et avec des dépassements de coût modérés pour ce type d'ouvrages. Alors que le devis initial était de 3,4 milliards de francs suisses (2,7 milliards d'euros), le coût final s'est élevé à 4,3 milliards de francs suisses (3,5 milliards d'euros), soit un dépassement de l'ordre de 25 %, d'ailleurs partiellement anticipé par une réserve pour les imprévus de 15%.
Le tunnel ferroviaire du Gothard (57 kilomètres), qui entrera en service en 2016, devrait coûter 9,8 milliards de francs suisses (7,9 milliards d'euros), soit 2 milliards (1,6 milliard d'euros) de plus que prévus initialement, ce qui correspond à un dépassement de 25 %, également partiellement couvert par la réserve pour les imprévus.
II. LE CONTENU DE L'ACCORD DU 30 JANVIER 2012 ENTRE LA FRANCE ET L'ITALIE
A. LE TROISIÈME D'UNE SÉRIE D'ACCORDS FRANCO-ITALIENS
1. L'accord du 15 janvier 1996 : création de la commission intergouvernementale
Le premier accord, signé le 15 janvier 1996 entre la France et l'Italie, et publié par le décret n° 96-416 du 13 mai 1996, a créé une commission intergouvernementale (CIG) pour la préparation et la réalisation d'une liaison ferroviaire à grande vitesse entre Lyon et Turin.
Composée de représentants des ministères français et italiens concernés, la CIG a été chargée de « suivre l'ensemble des questions liées à la préparation et à la réalisation de la section internationale Montmélian-Turin de la liaison ferroviaire à grande vitesse entre Lyon et Turin. » Elle devait, en particulier, élaborer un projet d'accord intergouvernemental définissant les caractéristiques générales de la liaison, les modalités de sa réalisation et de son financement, ainsi que les conditions de son exploitation.
2. L'accord du 29 janvier 2001 : création de la société binationale Lyon-Turin Ferroviaire
Elaboré par la CIG, l'accord intergouvernemental du 29 janvier 2001 pour la réalisation d'une nouvelle ligne ferroviaire Lyon-Turin a été approuvé par la loi n° 2002-291 du 28 janvier 2002. Il prévoyait notamment la création d'un promoteur public binational du projet, la société Lyon-Turin Ferroviaire (LTF), chargé de mener les études et les travaux préparatoires.
En décembre 2007, la CIG a été chargée par les deux gouvernements de préparer un nouvel accord portant sur le tracé définitif, le financement, les principes de gouvernance du projet - en particulier du promoteur public appelé à succéder à LTF -, les modalités de réalisation, et la politique de report modal afférente au projet.
C'est ce troisième accord qui a été signé le 30 janvier 2012 et dont l'approbation fait l'objet du présent projet de loi.
3. Un accord encore à venir pour le lancement des travaux
Il convient de souligner que cet accord n'est encore qu'une étape intermédiaire de la réalisation du Lyon-Turin. L'article 4 de l'accord de 2001 prévoit qu'un nouveau traité sera nécessaire pour le lancement effectif des travaux, et donc pour déclencher l'engagement des dépenses afférentes.
Or, l'article 1 er du texte signé le 30 janvier 2012 précise expressément que « le présent accord ne constitue pas l'avenant prévu à l'article 4 de l'accord entre les gouvernements français et italien signé à Turin le 29 janvier 2001. En particulier, il n'a pas pour objet de permettre l'engagement des travaux définitifs de la partie commune franco-italienne, qui nécessitera l'approbation d'un nouvel avenant tenant notamment compte de la participation définitive de l'Union européenne au projet. »
B. LA CRÉATION D'UN NOUVEAU PROMOTEUR PUBLIC DU PROJET
1. Une structure sous le contrôle direct des deux Etats
L'article 3 de l'accord rappelle que le projet est placé sous le contrôle paritaire des Etats français et italien, et en confie la responsabilité opérationnelle à un nouveau promoteur public .
L'article 6 de l'accord institue ce nouveau promoteur public, chargé de la conduite stratégique et opérationnelle de la partie transfrontalière de la nouvelle ligne mixte entre Lyon et Turin, c'est-à-dire la section entre Saint-Jean-de-Maurienne et Suse.
Entité adjudicatrice au sens du droit européen, ce promoteur public sera « seul responsable de la conclusion et du suivi de l'exécution des contrats que nécessitent la conception, la réalisation et l'exploitation de la section transfrontalière de l'ouvrage. »
Le promoteur public actuel, la société par action simplifiée « Lyon Turin Ferroviaire » (LTF) créée par l'accord de 2001, est détenu à parité par les deux gestionnaires d'infrastructures ferroviaires nationaux, RFF et RFI. Les gouvernements français et italien, compte tenu de l'importance des investissements concernés, ont souhaité remplacer cette structure par un nouveau promoteur public qui, tout en disposant d'une autonomie suffisante pour la conduite opérationnelle des travaux, soit directement contrôlé par les Etats.
2. La gouvernance de la nouvelle entité
Le conseil d'administration du nouveau promoteur public est constitué à parité entre les deux Etats. Le directeur général et le directeur administratif et financier sont nommés par la partie italienne, tandis que le président du conseil d'administration, le président de la commission des contrats et le président du service permanent de contrôle sont nommés par la partie française. Des postes d'observateurs sont prévus au sein du conseil d'administration pour un représentant de la Commission européenne et des représentants des régions Rhône-Alpes et Piémont.
Le siège du promoteur public est établi à Chambéry, où au moins la moitié des effectifs est basée, alors que la direction opérationnelle est installée à Turin.
Sous réserve de ces stipulations relatives au choix des dirigeants et à l'implantation des personnels, les moyens humains du promoteur public seront recrutés en dehors de toute considération de nationalité, puisqu'il est expressément précisé que « tous les recrutements sont basés exclusivement sur les compétences des candidats ».
3. Le recentrage de la commission intergouvernementale
Parallèlement au renforcement du promoteur public, l'article 9 de l'accord redéfinit le rôle de la commission intergouvernementale (CIG) pour la recentrer sur les missions régaliennes liées au projet, en particulier celles qui concernent l'établissement des normes techniques et les prescriptions de sécurité. A cette fin, deux comités sont placés auprès d'elle :
- un comité de sécurité , chargé des questions relatives à la sécurité civile et aux secours, ainsi qu'à la sécurité des infrastructures et des circulations ferroviaires ;
- un comité de sûreté , chargé d'émettre des avis ou propositions, d'être l'interlocuteur des différents intervenants dans le domaine de la sûreté, d'établir les documents et d'organiser les contrôles nécessaires.
4. L'application d'une « démarche grand chantier »
L'article 6 de l'accord stipule que le nouveau promoteur public devra appliquer, en France, la « démarche grand chantier » et, en Italie, une procédure équivalente prévue par une loi de la région Piémont.
Cette « démarche grand chantier », déjà appliquée pour d'autres projets d'infrastructures, est un ensemble de dispositifs et d'actions destinés à préparer l'arrivée des chantiers sur un territoire, à accompagner leur déroulement, à valoriser les opportunités offertes pour le développement local et à préparer, à plus long terme, l'après-chantier.
Elle constitue un cadre de rencontre entre les besoins des entreprises et les attentes des collectivités territoriales et des populations concernées. Les questions traitées concernent l'emploi et la formation (prévision des besoins de main-d'oeuvre, évolution du chantier, formation de la main-d'oeuvre locale, reconversion du personnel pour l'après-chantier...), l'hébergement, l'action foncière, l'environnement et l'appui au tissu économique local.
C. LES DISPOSITIONS RELATIVES AU CONTRÔLE, À LA SÉCURITÉ ET AU RÈGLEMENT DES DIFFÉRENDS
1. L'instauration d'une commission des contrats
L'article 7 de l'accord institue une « commission des contrats » composée de douze experts indépendants nommés à parité par les deux Etats pour une durée de cinq années, son président désigné par la France ayant voix prépondérante. La commission est chargée de s'assurer de la régularité et de la transparence des procédures d'attribution des contrats et des marchés par le promoteur.
2. La création d'un service permanent de contrôle
L'article 8 de l'accord créé un « service permanent de contrôle » qui a pour mission de veiller au bon emploi des fonds publics et au bon fonctionnement du promoteur public. Ce service s'inspire d'un dispositif existant au niveau national, celui de la Mission de contrôle économique et financier des transports.
Le service permanent de contrôle sera constitué de douze experts indépendants, nommés à parité par les deux Etats pour un mandat de cinq ans, son président désigné par la France ayant voix prépondérante. Chacun des deux gouvernements pourra désigner des experts issus d'organismes nationaux de contrôle existants, tels que l'ARAF pour la France ou l'URSF pour l'Italie.
Le service permanent de contrôle pourra être saisi par le conseil d'administration du promoteur public, y compris à la demande du représentant de la Commission européenne qui y siège, par l'une des parties signataires de l'accord ou par le président de la commission des contrats.
3. La coordination des autorités nationales de régulation ferroviaire
L'article 9 fixe les règles pour la coordination des autorités nationales de contrôle et de régulation dans le domaine ferroviaire : l'Autorité de régulation des activités ferroviaires (ARAF), pour la France, et le Bureau pour la régulation des services ferroviaires (URSF), pour l'Italie.
Ces deux organismes de contrôle auront pour mission, dans le cadre de l'exploitation de la ligne ferroviaire mixte entre Lyon et Turin, de veiller à éviter toute discrimination entre les candidats souhaitant y accéder, de traiter les recours sur les questions de tarification et d'accès. Ils devront élaborer leurs avis en concertation étroite et, en cas de divergence, constituer un comité de conciliation chargé de produire un avis conforme dans le délai d'un mois.
4. La détermination du droit applicable au projet
La question du droit applicable se pose dans la mesure où la section transfrontalière objet de l'accord se trouvera à cheval sur les territoires de deux Etats souverains. L'article 10 de l'accord reconnaît au droit de l'une des parties, la France, un rôle majeur.
La passation et l'exécution des contrats et marchés du promoteur public sera régie par le droit public français , à l'exception des contrats sans lien direct avec la conception, le réalisation ou l'exploitation des ouvrages de la section transfrontalière et exécutés uniquement sur le territoire italien, qui seront régis par le droit italien.
Les litiges portant sur l'exécution et l'interprétation des contrats passés par le promoteur public ayant directement pour objet la construction, l'installation des équipements ou l'exploitation des ouvrages de la section transfrontalière seront soumis à un tribunal arbitral .
En matière d'urbanisme, d'environnement et d'aménagement foncier, les procédures d'autorisation seront soumises au droit français pour la partie de l'ouvrage située sur le territoire français, et au droit italien pour sa partie située sur le territoire italien.
La responsabilité en cas de dommages résultant de la construction, de l'existence, de l'entretien, de l'exploitation, de la sécurité et de la sûreté des ouvrages de la section transfrontalière sera régie par le droit français.
En matière de droit du travail , l'article 10 prévoit que le droit applicable est celui du territoire concerné, à l'exception de deux hypothèses :
- les travaux de génie réalisés lors du creusement du tunnel seront réputés exécutés entièrement sur le territoire de l'Etat à partir duquel ils ont été engagés, jusqu'au point de jonction avec les travaux réalisés à partir de l'autre Etat ;
- l'exécution des marchés ayant pour objet l'installation des équipements de l'ouvrage avant sa mise en service est régie par le droit français.
Par ailleurs, les corps d'inspection du travail seront autorisés à intervenir sur l'ensemble de la section transfrontalière , avec des missions conjointes lorsque les services d'un Etat interviennent sur le territoire de l'autre Etat.
Enfin, l'article 10 précise que le promoteur public sera soumis à la législation et à la réglementation fiscale applicables en France.
5. L'instauration d'un tribunal arbitral
L'article 27 de l'accord instaure un tribunal arbitral chargé de régler les différends entre les deux Etats, ou entre le promoteur public et l'un des Etats, ou entre les titulaires des contrats ou marchés et le promoteur public.
Pour les différends entre les deux Etats ou entre le promoteur public et l'un des Etat , chaque partie nomme un arbitre dans un délai de deux mois. Ces deux arbitres en désignent un troisième, ressortissant d'un Etat tiers, qui préside le tribunal arbitral. En cas d'absence de nomination de ce président, la désignation est effectuée par le président de la Cour de justice de l'Union européenne ou, s'il est empêché ou ressortissant d'un des pays signataires de l'accord, par le président de chambre de cette Cour par ordre d'ancienneté.
Pour les différends entre le promoteur public et ses cocontractants , chaque cocontractant nomme un arbitre, le promoteur public nommant autant d'arbitres que de cocontractants. Les arbitres ainsi nommés désignent un arbitre supplémentaire qui préside le tribunal. A défaut, le président est nommé par le président de la Cour de justice de l'Union européenne.
Le tribunal doit prendre ses décisions à la majorité des voix, les arbitres ne pouvant s'abstenir et le président ayant voix prépondérante, le cas échéant. Les décisions du tribunal sont définitives et obligatoires.
D. LES DISPOSITIONS RELATIVES AU FINANCEMENT
1. Le financement paritaire des études préliminaires
Dans la continuité de l'accord du 29 janvier 2001, l'article 15 de l'accord prévoit que les études et travaux de reconnaissance sont financés à parts égales par les deux Etats .
Cependant, les surcoûts dérivant du changement de tracé dans le Val de Suse par rapport au projet d'origine seront pris en charge en totalité par la partie italienne.
2. Les principes financiers applicables à la réalisation puis à l'exploitation de la nouvelle ligne
L'article 16 pose deux principes pour le financement de la partie commune franco-italienne :
- la disponibilité du financement sera un préalable au lancement des travaux des différentes phases de la partie commune de la section internationale, et les deux Etats solliciteront l'Union européenne pour obtenir une subvention au taux maximum possible ;
- les principes de tarification de la ligne ferroviaire entre Lyon et Turin tiendront compte, pour chaque section, de son utilité pour les entreprises ferroviaires, afin que les différents ouvrages dégagent une capacité d'autofinancement .
L'article 19 prévoit que chaque Etat s'engage à acquérir les emprises foncières nécessaires au projet et à la remettre au promoteur public.
3. La clé de répartition du financement de la réalisation de la section transfrontalière
L'article 18 fixe la clé de répartition du financement de la réalisation de la section transfrontalière, c'est-à-dire pour l'essentiel du tunnel de 57 kilomètres de long : déduction faite de la contribution de l'Union européenne et des péages versés par les entreprises ferroviaires, la part de la France sera de 42,1 % et celle de l'Italie de 57,9 %, dans la limite du coût estimé au stade du projet, certifié par un tiers extérieur. Au-delà de ce coût certifié, les coûts seront répartis à parts égales entre les deux Etats.
Le prestataire extérieur chargé de la certification des coûts associera des compétences techniques et financières, et sera désigné par LTF sous le contrôle de la conférence intergouvernementale.
Cette clé de répartition non paritaire s'explique par un souci de rééquilibrage des charges effectives de financement. Un mémorandum négocié en 2004, dans le cadre du précédent accord du 29 janvier 2001, a posé le principe que le financement du coût de la section internationale de la ligne Lyon-Turin, qui va de l'ouest du massif de la Chartreuse jusqu'au noeud ferroviaire de Turin, serait partagé par moitié entre la France et l'Italie. Or, la partie de cette section internationale située en France étant d'un coût supérieur à celui de la partie située en Italie, en raison d'un relief plus exigeant et de la multiplicité des ouvrages d'art du côté français, un ajustement est apparu nécessaire sur la clé de financement de la partie transfrontalière, afin de tendre vers la parité globale.
III. LES CONDITIONS DU SUCCÈS DU PROJET LYON-TURIN
A. UN PHASAGE DE LA RÉALISATION BIEN AGENCÉ
1. Un calendrier prévisionnel par étapes
Les dates de mise en service des différentes sections de la ligne ferroviaire Lyon-Turin ne sont pas encore définies précisément à ce jour. Elles dépendront, notamment, du niveau de l'engagement financier de l'Union européenne. Néanmoins, le dossier d'enquête publique pour les accès français a retenu certaines hypothèses :
- le tunnel transfrontalier, ainsi que la nouvelle ligne mixte entre Lyon et Chambéry (qui comporte notamment le percement du tunnel de Dullin-L'Epine) seront réalisés en phase 1, pour une mise en service vers 2025/2027 ;
- le nouvel itinéraire fret à grand gabarit d'Avressieux à Saint-Jean-de-Maurienne (via des tunnels monotubes sous les massifs de Chartreuse, Belledonne et Glandon) sera réalisé en phase 2, en même temps que le contournement ferroviaire de l'agglomération lyonnaise ;
- le doublement des tubes des tunnels sous Chartreuse, Belledonne et Glandon afin d'accueillir voyageurs et marchandises, viendront à la fin, en phase 3. Dans l'attente, les trains de voyageurs continueront d'emprunter la ligne historique entre Chambéry et l'entrée du tunnel transfrontalier, à Saint-Jean-de-Maurienne.
En ce qui concerne les accès italiens , ceux-ci seront réalisés en trois phases :
- la section entre Chiusa San Michele et Orbassano sera réalisée en phase 1, en même temps que le tunnel transfrontalier ;
- la section entre Orbassano et Turin interviendra dans une phase 2 ;
- la section entre Suse et Chiusa San Michele sera réalisée en phase 3.
2. Le point de vue de la commission Mobilité 21
La commission Mobilité 21 chargée de prioriser les différents projets inscrits dans le schéma national des infrastructures de transport (SNIT) a, par principe, exclu du périmètre de son analyse les projets ayant déjà fait l'objet d'une annonce formelle de lancement de la part du gouvernement ou d'un engagement international.
En conséquence, elle n'a pas examiné le projet du tunnel de base de la liaison ferroviaire Lyon-Turin, pour lequel existe un accord intergouvernemental franco-italien et qui a fait l'objet d'une déclaration commune des Chefs d'Etat français et italien le 3 décembre 2012.
Pour autant, la commission Mobilité 21 ne s'est pas désintéressée des accès français de la nouvelle ligne ferroviaire Lyon-Turin, comme le montre l'extrait suivant de son rapport : « La commission confirme l'intérêt à terme de la réalisation des accès prévus, en lien avec la réalisation du projet de liaison binationale. Toutefois, compte tenu des incertitudes sur le calendrier du tunnel de base, la commission n'a pas pu s'assurer que les risques de saturation et de conflits d'usage qui justifient la réalisation du projet interviendraient avant les années 2035 à 2040. En conséquence, elle classe le projet d'accès à la liaison en secondes priorités , quel que soit le scénario financier considéré. Elle recommande un suivi spécifique des conditions de développement du projet global, a minima selon la périodicité de cinq ans qu'elle préconise par ailleurs, afin de vérifier régulièrement l'horizon probable de réalisation des accès français. »
La commission Mobilité 21 n'a donc nullement contesté le bienfondé du projet de tunnel transfrontalier, mais a classé les accès français en deuxièmes priorités, simplement afin de tenir compte des échéances de réalisation probables.
B. DES FINANCEMENTS AU RENDEZ-VOUS
1. Un engagement fort de l'Union européenne
Les règles d'octroi des crédits dans le cadre du « Mécanisme pour l'Interconnexion en Europe » (MIE) prévoient un niveau maximal de soutien financier de l'Union européenne aux projets transfrontaliers de 50 % pour les études et travaux préparatoires et de 40 % pour les travaux définitifs.
La Commission européenne a confirmé que la section transfrontalière de la ligne ferroviaire Lyon-Turin pourra bénéficier de ce taux de cofinancement maximal de 40 %, dès lors que les deux Etats concernés auront présenté des plans de financement précis dans le cadre d'un appel à projets.
Compte tenu de la clef de financement fixée à 42,1 % pour la France et 57,9 % pour l'Italie par l'article 18 de l'accord bilatéral, les contributions au financement de la section transfrontalière seront donc réparties de la manière suivante : 40 % pour l'Union européenne (3,4 milliards d'euros), 35 % pour l'Italie (2,9 milliards d'euros) et 25 % pour la France (2,2 milliards d'euros).
Le financement des accès, qui sera étalé sur au moins deux décennies, pourrait également bénéficier d'une contribution de l'Union européenne, à hauteur de 20 %.
2. Un appel éventuel aux collectivités territoriales et au secteur privé
L'article 17 de l'accord bilatéral franco-italien du 30 janvier 2012 renvoie à l'annexe n° 2 , qui énonce les principes du montage juridique, économique et financier du projet et fait partie intégrante de l'accord.
Cette annexe précise que « le coût élevé de réalisation du projet rend primordial la recherche de toutes les formes d'optimisation des coûts, visant à réduire l'impact financier de long terme sur les budgets des Etats français et italien, et sur les budgets des collectivités publiques locales, éventuellement partenaires du financement. »
Afin de réduire son impact budgétaire, « le montage financier du projet devra rechercher la meilleure façon de mobiliser les capitaux privés . Il est ainsi primordial de stimuler les apports financiers du secteur privé et des organismes de prêt spécialisés, tout en veillant à obtenir les montants et la répartition temporelle optimaux au regard des coûts spécifiques de ce type de financement. »
C. L'ACCOMPAGNEMENT DU REPORT MODAL
1. La nécessité d'une politique tarifaire adaptée
L'article 23 de l'accord bilatéral renvoie à l'annexe n° 3 , relative à la promotion du report modal pour les passages franco-italiens, qui fait également partie intégrante de l'accord.
Cette annexe préconise une évolution tarifaire des tunnels routiers du Mont-Blanc et du Fréjus , liée au financement de la galerie de sécurité du tunnel du Fréjus, de 3,5 % par an en plus de l'inflation pendant cinq années à partir de 2010.
Elle prévoit aussi l'application progressive des dispositions de la directive relative à la taxation des poids lourds pour l'utilisation de certaines infrastructures, dite directive « Eurovignette », aux itinéraires routiers de franchissement des Alpes par les tunnels du Mont-Blanc et du Fréjus, ou par l'axe de Vintimille. Elle précise qu'« en application de la directive précitée, les recettes correspondantes seront, en tout ou partie, affectées au financement de la nouvelle ligne ferroviaire Lyon-Turin. »
2. L'opportunité d'une politique réglementaire plus contraignante
L'annexe envisage également la mise en place de « mesures de régulation du trafic routier de marchandises par phases successives adaptées aux capacités rendues progressivement disponibles dans les modes de transport alternatifs, notamment ferroviaires. » Des modulations tarifaires pourront orienter le trafic vers les classes Euro de poids lourds les moins polluantes.
« En tenant compte de la disponibilité des services de transport ferroviaire alternatif, notamment de ferroutage, des restrictions, voire, si les conditions le permettent, des interdictions du trafic de certains poids lourds pourront également être envisagées aux tunnels du Mont-Blanc et du Fréjus ». Ces restrictions ou interdictions pourront concerner les poids lourds de classe Euro 1, voire Euro 2, ainsi que les transports de marchandises dangereuses.
EXAMEN DES ARTICLES
Article unique - Approbation de l'accord du 30 janvier 2012 entre la France et l'Italie pour la nouvelle ligne ferroviaire Lyon-Turin
Objet : cet article autorise l'approbation de l'accord signé à Rome le 30 janvier 2012 entre le gouvernement de la République française et le gouvernement de la République italienne pour la réalisation et l'exploitation d'une nouvelle ligne ferroviaire Lyon-Turin.
Le texte de cet accord en 28 articles est annexé au présent projet de loi, ensemble avec trois annexes relatives, respectivement, aux plans du tracé de la nouvelle liaison ferroviaire Lyon-Turin et de la section transfrontalière de la partie commune franco-italienne, aux principes du montage juridique, économique et financier, et à la promotion du report modal pour les passages franco-italiens.
Les principales dispositions de cet accord ont été présentées dans la deuxième partie de l'exposé général du rapport.
Votre commission a émis un avis favorable à l'adoption de cet article.
EXAMEN EN COMMISSION
La commission a procédé le mercredi 13 novembre 2013 à l'examen du rapport pour avis sur le projet de loi n° 115 (2013-2014) autorisant l'approbation de l'accord entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement de la République italienne pour la réalisation et l'exploitation d'un nouvelle ligne ferroviaire Lyon-Turin.
M. Michel Teston, vice-président . - Nous examinons aujourd'hui le rapport d'André Vairetto, rapporteur pour avis, et accueillons également Yves Pozzo di Borgo, rapporteur pour la commission des affaires étrangères, sur le projet de loi autorisant l'accord relatif à la ligne Lyon-Turin.
M. André Vairetto, rapporteur pour avis . - Notre commission a décidé de se saisir pour avis, une fois n'est pas coutume, d'une convention internationale : ses enjeux en termes de politique des transports et de développement durable sont tels que nous ne pouvions rester à l'écart du débat. Le Sénat doit se prononcer lundi prochain sur ce texte adopté par l'Assemblée nationale qui comporte, comme tout texte de ratification ou d'approbation, un article unique et bref qui ne peut être amendé, mais seulement adopté ou rejeté. Disons-le d'emblée : je proposerai de donner un avis favorable à son adoption. Il me reste à vous présenter le projet.
Le projet de ligne ferroviaire mixte, fret et voyageurs, entre Lyon et Turin n'est pas d'intérêt purement local, mais sera structurant pour tout le Sud de l'Europe : il sera une réponse à la pression croissante du trafic routier à travers tout l'arc alpin, que traversent chaque année 2,7 millions de poids lourds par le Mont-Blanc, le Fréjus, le Mont-Cenis ou par l'autoroute A8.
M. Louis Nègre . - ...qui voit passer 600 000 poids lourds par an : nous dégustons !
M. André Vairetto, rapporteur pour avis . - Les liaisons routières et ferroviaires actuelles présentent de fortes limites. Les liaisons routières font peser des contraintes d'encombrement et de pollution de moins en moins tolérables sur les vallées traversées et posent de sérieux problèmes de sécurité, comme les accidents du tunnel sous le Mont-Blanc en 1999 et celui du tunnel du Fréjus en 2005 sont venus nous le rappeler. Or la liaison ferroviaire historique, le long de la vallée de la Maurienne, ne constitue pas une alternative crédible. Certes, ses capacités théoriques sont loin d'être saturées, mais ses caractéristiques techniques sont inadaptées au transport moderne : les pentes à l'approche du tunnel du Fréjus, situé à 1 296 mètres d'altitude, sont trop fortes ; une partie des accès entre Lyon et Chambéry est à voie unique ; ceux entre Culoz et Aix-les-Bains posent des problèmes de sécurité dans leur partie longeant le lac du Bourget, où le déraillement d'un convoi de matières dangereuses aurait des conséquences environnementales catastrophiques.
Le projet de liaison Lyon-Turin, à l'étude depuis le début des années 1990, vise à modifier radicalement la donne en perçant un nouveau tunnel de basse altitude, forcément beaucoup plus long (57 km) que le tunnel historique (14 km), qui pourra accueillir des flux massifs dans des conditions techniques et de sécurité satisfaisantes. Cette solution du tunnel ferroviaire de plaine est d'ailleurs celle retenue par la Suisse, avec l'Initiative des Alpes, adoptée par référendum en 1994, qui prévoit les deux nouvelles percées du Lötschberg et du Saint-Gothard. C'est aussi la solution retenue par l'Italie et l'Autriche pour le nouveau tunnel ferroviaire du Brenner. Il fait partie des douze projets prioritaires retenus dès le Conseil d'Essen en 1994, dans le cadre de la politique des réseaux transeuropéens de transport (RTE-T), et a été intégré à l'axe prioritaire n° 6, qui va de Lyon à la frontière ukrainienne, aujourd'hui partie du corridor Méditerranée, du sud de l'Espagne à l'Europe centrale, via le sud de la France et le nord de l'Italie. L'intérêt de cette ligne ferroviaire va donc bien au-delà des régions françaises et italiennes qu'il traverse ; mais elles en retireront des bénéfices immédiats : les gaz à effet de serre émis par les poids lourds pourraient être réduits d'un million de tonnes par an ; la sécurité sera améliorée pour les riverains ; du côté français, le doublement des tronçons encore à voie unique par une nouvelle ligne à deux voies permettra, par contrecoup, d'améliorer considérablement les dessertes pour les passagers dans toute la région Rhône-Alpes.
La ligne ferroviaire depuis Lyon jusqu'à Turin, constituée de six sections distinctes et d'une longueur totale d'environ 269 kilomètres, comportera 193 kilomètres en tunnels pour les marchandises et 76 kilomètres à l'air libre. En effet, de nombreux autres ouvrages d'art sont prévus en plus du tunnel bitube central, long de 57 kilomètres. Pour la seule partie française, six viaducs et huit tunnels devront être réalisés, dont certains d'une longueur également significative, notamment le tunnel de Chartreuse, long de 25 kilomètres, et le tunnel de Belledonne, long de 20 kilomètres. Les coûts de ces travaux sont importants, mais devraient pouvoir être maîtrisés. Dans son référé du mois d'août 2012, la Cour des Comptes s'inquiète de l'augmentation du coût prévisionnel global du projet, depuis les premières estimations jusqu'au prévisionnel actuel de 24 milliards d'euros. Cela correspond au périmètre le plus vaste du projet, alors que la section transfrontalière, qui fait l'objet de l'accord bilatéral, coûtera 8,5 milliards d'euros. Le coût des accès et aménagements est évalué à 6,2 milliards d'euros côté italien et à 7,8 milliards d'euros côté français, dont 400 millions d'euros pour le contournement nord de l'agglomération lyonnaise, 4,4 milliards d'euros pour les aménagements entre Lyon et Chambéry et 3 milliards d'euros pour la première phase des tunnels sous la Chartreuse et sous Belledonne. Les dernières phases n'ont vocation à être réalisées qu'en fonction de la montée en charge observée des trafics et ne sont pas intégrées, à ce stade, dans les estimations de coûts du Gouvernement.
L'accord du 30 janvier 2012 est le troisième accord franco-italien relatif au Lyon Turin, après celui de 1996, qui a instauré la conférence intergouvernementale, et celui de 2001, qui a créé le promoteur public Lyon Turin Ferroviaire. Mais il ne s'agit encore que d'une étape intermédiaire, puisqu'un nouvel accord sera nécessaire pour l'engagement des travaux. La mesure principale est la mise en place d'un nouveau promoteur public chargé de la conduite stratégique et opérationnelle de la partie transfrontalière de la nouvelle ligne. Alors que le promoteur actuel, Lyon Turin Ferroviaire, est détenu à parité par les deux gestionnaires nationaux d'infrastructures ferroviaires, Réseau ferré de France (RFF) et Rete Ferroviaria Italiana (RFI), le nouveau promoteur public sera contrôlé directement par les États, qui constituent à parité son conseil d'administration. Le directeur général et le directeur administratif et financier sont nommés par la partie italienne, tandis que le président du conseil d'administration, le président de la commission des contrats et le président du service permanent de contrôle le sont par la partie française. Des postes d'observateurs sont prévus pour des représentants de la Commission européenne et des régions Rhône-Alpes et Piémont. Son siège est à Chambéry, où au moins la moitié des effectifs sera basée, et la direction opérationnelle est à Turin.
L'article 7 de l'accord institue une commission des contrats composée de douze experts indépendants nommés à parité par les deux États - dont un président ayant voix prépondérante désigné par la France - et chargée de s'assurer de la régularité et de la transparence des procédures d'attribution des contrats et des marchés par le promoteur. L'article 8 de l'accord crée un service permanent de contrôle ayant pour mission de veiller au bon emploi des fonds publics et au bon fonctionnement du promoteur public, constitué de douze experts indépendants, nommés à parité par les deux États - dont un président ayant voix prépondérante désigné par la France. Des dispositions sont également prévues pour les règles de coordination des autorités nationales de contrôle et de régulation dans le domaine ferroviaire. La passation et l'exécution des contrats et marchés par le promoteur public seront régies par le droit français. Les litiges afférents seront soumis à un tribunal arbitral, qui voit ses pouvoirs renforcés pour le règlement des différends. Le droit du travail applicable sera celui du territoire. Les corps d'inspection du travail seront autorisés à intervenir sur l'ensemble de la section transfrontalière, sous réserve de l'obligation de missions conjointes lorsque les services d'un État voudront intervenir sur le territoire de l'autre État. Le promoteur public, ayant son siège en France, sera soumis à la législation et à la réglementation fiscale française.
L'accord comporte également des dispositions relatives au financement : dans la continuité de l'accord précédent de 2001, les études et travaux de reconnaissance sont financés à parts égales par les deux États (article 15) ; la disponibilité du financement sera un préalable au lancement des travaux de la partie commune franco-italienne de la section internationale et le projet devra viser la meilleure capacité d'autofinancement par le biais d'une tarification de l'infrastructure adaptée, dont aucune section ne devra prélever à son seul bénéfice la totalité de la capacité contributive en circulation (article 16) ; la France financera 42,1 % des travaux et l'Italie 57,9 %, dans la limite du coût estimé au stade projet et certifié par un tiers (article 18) - cette répartition, apparemment favorable à notre pays, vise à compenser le coût des accès français, plus élevé que celui des accès italiens.
Le projet bénéficie d'un plan de financement exceptionnel, au moment où des questions se posent sur le rôle de l'Union européenne dans la relance : celle-ci prend à sa charge 3,4 milliards d'euros représentant 40 % du financement de la section transfrontalière, tandis que l'Italie en prend en charge 35 % (2,9 milliards d'euros) et la France 25 % (2,2 milliards). Chaque pays conservera les retombées fiscales et sociales des travaux sur son territoire, soit pour la France 80% du tunnel (45 km sur 57 km). Ces conditions exceptionnellement favorables ne peuvent que nous faire souhaiter que le sommet de Rome du 20 novembre prochain débouche sur l'annonce de la préparation de l'ultime accord, prévu à l'article 4, qui devra, lui aussi, être approuvé.
M. Yves Pozzo di Borgo, rapporteur . - En tant que sénateur de Paris, j'ajouterai un élément : le projet Lyon-Turin, utile pour l'axe Séville-Ukraine, axe Est-Ouest en opposition à la tradition Nord Sud des infrastructures de transport, n'unit pas seulement Rhône-Alpes et le Piémont, mais également le grand Paris et l'ensemble Milan-Turin, qui constitue, avant la Ruhr, la plus importante région industrielle du continent. Les Suisses sont en train de faire deux tunnels. Sans ce projet, nous risquerions d'être excentrés par rapport à l'axe Allemagne-Italie. Depuis la réunion avec le commissaire européen à Tallinn du 17 octobre, nous savons que la Commission est prête à financer le projet ; l'opérateur devra très rapidement en profiter.
M. Louis Nègre . - Oui, nous soutenons cet accord, qui unira le grand Paris avec le Piémont et la Lombardie, ce grand projet européen ! Car il faut faire l'Europe ; sinon, nous ne pèserons plus rien face au bloc américain et au bloc asiatique au sens large. Français et Italiens, nous devons avoir une vision d'avenir. Je ne parlerai pas de l'enjeu de report modal, ni de l'accord signé le 30 janvier 2012 par Thierry Mariani, alors ministre des transports et Mario Ciaccia, vice-ministre italien des infrastructures et des transports, troisième accord et étape importante dans la mise en place de cette ligne mixte, ouverte au fret. Car nous devons soutenir le fret ferroviaire, qui se porte mal. En 2013, 90 % des échanges s'effectuent par la route avec 7 400 poids lourds par jour en moyenne ! La ligne Lyon-Turin est une réponse à l'obsolescence des lignes existantes et à aux problèmes de sécurité : rappelons que le Mont-Cenis a été percé en 1857 ! Autre avantage : pallier la saturation des axes routiers, que je suis bien placé pour connaître : 600 000 poids lourds traversent chaque année les Alpes Maritimes sur l'A8, souvent en transit de pays à pays, causant une pollution majeure. C'est un projet de développement durable autant que d'aménagement du territoire, qui préserve le massif alpin d'émissions de gaz à effet de serre. Pour être allé à Bruxelles, je sais que la Commission a la volonté de nous aider à un niveau exceptionnel ; il ne faut pas laisser passer cette occasion.
M. Alain Fouché . - Pourriez-vous préciser les clés de répartition du plan de financement ? Des villes ou des départements participent-ils au financement de l'opération ?
M. Jean-Jacques Filleul . - Il s'agit effectivement d'un projet décisif. On a connu une période où l'Europe avait du mal à participer à 10% d'un projet ; passer à 40 % est une évolution très importante. C'est un projet rail-route qui libèrera des territoires : j'avais été effrayé, lors de ma visite de la vallée de la Maurienne, de découvrir les conséquences du passage des poids lourds. Ce projet européen n'est pas repris par la commission Duron, puisque ce n'est pas nécessaire. Il est décisif du point de vue économique pour que la France et l'Italie cessent d'être coupées l'une de l'autre, avec leurs liaisons anciennes, tandis que les Suisses et les Autrichiens ont des tunnels modernes : La France en pâtit, puisque nombre d'industriels italiens utilisent le Saint-Gothard, par exemple. Cette liaison sera un atout de première importance pour la France et la région Rhône-Alpes.
Comme l'ensemble du groupe socialiste, je suis très favorable à cet accord.
Mme Évelyne Didier . - Le groupe CRC donne un avis favorable à ce projet structurant pour l'environnement et l'économie, soutenu par l'Union européenne. Espérons que les coûts ne dérapent pas, comme nous le craignons toujours pour ce type de projets. Ce genre d'ouvrage se construit dans le temps : les premières décisions ont été prises il y a très longtemps...
M. Louis Nègre . - Vingt ans !
Mme Évelyne Didier . - Plus on tarde, et plus cela coûte cher. Je salue la mise en place d'un opérateur public, contrôlé par les États, au moment où nous avons des doutes à propos d' Ecomouv' ...
M. Vincent Capo-Canellas . - C'est un sujet d'intérêt général en termes de transport - à travers le report modal et la décongestion routière, point majeur à traiter dans cette région - et en termes économiques et européens - puisqu'il relie de grandes régions entre elles. Il a longtemps eu des allures de serpent de mer ; il y a lieu de se réjouir de le voir aboutir.
M. Michel Teston . - Cette nouvelle ligne mixte est une réponse au défi majeur du trafic qui traverse les Alpes sur des voies routières et ferroviaires inadaptées. Avec elle, la France ne restera pas à l'écart des échanges nord-sud européens par train, actuellement concentrés entre l'Italie et la Suisse, qui a réaménagé le Lötschberg et le Saint-Gothard, et entre l'Italie et l'Autriche qui réaménage le Brenner. Ce tunnel et les aménagements qui l'accompagnent permettront d'assurer des liaisons est-ouest, entre le Portugal et l'Ukraine par exemple, que personne ne peut nous enlever. Enfin, un financement européen à un tel niveau est rare ; j'espère même que dans la logique d'un axe complet, des aménagements tels que les tunnels sous Chartreuse et sous l'Épine pourront également en bénéficier.
M. Roland Ries . - Dans la complexité des choses, il faut avoir des idées simples. Le Lyon-Turin est-il d'utilité publique ? Oui, c'est évident pour tout le monde. Il permettra de mettre sur le rail du fret qui circule actuellement sur la route. J'y suis d'autant plus favorable que le constructeur des Modalohrs est alsacien... Mais j'aimerais, comme Alain Fouché, que le rapporteur nous fasse un résumé de la construction financière globale de ce projet de 24 milliards. Aujourd'hui, beaucoup de projets moins chers sont reportés. Quel sera le solde complet qui restera à la charge de l'État hors Agence de financement des infrastructures de transport de France (Afitf) - heureusement, car sinon il ne lui resterait plus rien à financer ? Selon quelles modalités ? Je ne veux pas mettre ce projet en concurrence avec d'autres ; il est trop lourd, et obérerait les capacités de financement de l'Afitf.
Je suis favorable à ce dossier, mais des précisions me rassureraient.
M. André Vairetto, rapporteur pour avis . - Rappelons que 900 millions d'euros ont déjà été engagés, financés par l'Europe à 50 % pour les études et à 25 % pour les travaux. Parmi les études, un tunnel de 9 km au gabarit du futur ouvrage permettra prochainement de faire un test grandeur nature de la géologie, et devrait être terminé fin 2019. La section transfrontalière, qui fait l'objet du traité, d'un coût de 8,5 milliards à échéance 10-15 ans, sera financée à 40 % par l'Union, à 35 % par l'Italie et à 25 % (soit 2,2 milliards) par la France, alors qu'elle se situe à 80 % sur le territoire national. L'aménagement italien coûtera 6,2 milliards d'euros à l'Italie. Le contournement de Lyon, déjà prévu par la commission Duron, coûtera 400 millions d'euros. La liaison entre Saint-Exupéry et St-Didier-de-la-Tour coûtera à la France 3 milliards. Le tronçon entre St-Didier-de-la-Tour et le tunnel de base devra aussi être financé, avec l'aide - nous l'espérons - de l'Europe. La commission Duron avait suggéré que les accès soient réalisés à partir de 2030. Compte tenu de la durée de réalisation des accès de cinq à six ans, on pourrait dans ces conditions être au rendez-vous en 2035. Mais le point devrait être fait tous les cinq ans, soit pour la première fois en 2018. Entre Saint-Exupéry et le sillon alpin, il s'agit d'une ligne mixte, puis d'une ligne voyageurs avec un tunnel sous l'Épine et, dans une première étape, de tunnels monotube sous Chartreuse, sous Belledonne et sous Glandon pour les marchandises. Sur la partie Saint-Exupéry-sillon alpin, un accord a été signé entre la région Rhône-Alpes, les départements et les grandes villes le 19 mars 2002, et renouvelé le 19 mars 2007, portant sur la répartition des financements.
M. Roland Ries . - Il serait utile d'avoir un tableau de financement.
M. Yves Pozzo di Borgo, rapporteur . - Il est dans mon rapport. On a pu critiquer le phasage ; mais ce dernier devrait être accéléré avec ce projet. Le calendrier n'est pas complétement précisé.
M. Louis Nègre . - Le tunnelier vient d'arriver et il va fonctionner. D'après les Échos , dans notre pays, le BTP perdra 9 000 emplois en 2013 et sa fédération évalue leur perte à 12 000 en 2014. Nous avons besoin de grands travaux, ne serait-ce que pour soutenir ce secteur.
M. André Vairetto, rapporteur pour avis . - Pas seulement : ce n'est pas non plus la stratégie du sapeur Camember...
M. Yves Pozzo di Borgo, rapporteur . - Ce projet créerait pas moins de 2 000 emplois directs.
La Commission émet, à l'unanimité, un avis favorable à l'adoption du projet de loi.
LISTE DES PERSONNES ENTENDUES
Mercredi 30 octobre 2013
- Conférence intergouvernementale : MM. Louis Besson , président pour la partie française, et Thierry Louis , secrétaire général.
- Lyon Turin Ferroviaire : M. Hubert du Mesnil , président.