III. LA MISE EN PLACE D'UN NOUVEAU DISPOSITIF DE CONTRÔLE DES NORMES
A. LA PERSISTANCE DU POIDS DES NORMES
Le constat d'un accroissement des normes pesant sur les collectivités territoriales est ancien. Déjà en 1991, le Conseil d'État, dans son rapport public annuel, avait relevé la « surproduction normative » et ses conséquences néfastes en matière de sécurité juridique et d'accès au droit. Il avait d'ailleurs noté que « quand le droit bavarde, le citoyen ne lui prête qu'une oreille distraite ».
En 2007, le groupe de travail portant sur les relations entre l'État et les collectivités territoriales, présidé par notre ancien collègue Alain Lambert, a confirmé les conclusions du Conseil d'État, en dénonçant « l'activité législative et réglementaire de l'État au sens large, excessive et parfois incohérente, notamment dans le domaine des compétences transférées », ce qui « induit souvent des conséquences sur l'action des collectivités locales en termes de coûts, de procédures ou d'organisation ». Les États généraux, organisés sous l'égide du président du Sénat les 4 et 5 octobre 2012, ont confirmé le phénomène d'inflation normative auquel elles doivent faire face.
Pourtant, force est de constater qu'aujourd'hui, la logorrhée législative et réglementaire subie par les collectivités territoriales n'a pas fait l'objet d'un recensement précis, ni d'une évaluation systématique en termes de coûts ou de complexité, comme l'avait relevé le groupe de travail précité. L'Association des Maires de France (AMF) évalue à 400 000 le stock de normes actuellement applicables par l'ensemble des collectivités territoriales, et concernant l'ensemble des secteurs des politiques publiques locales. Comme l'avait relevé notre collègue Claude Belot, « Dans une société inquiète, voire angoissée, à la recherche du « zéro risque absolu », la norme a vite colonisé tous les secteurs de la sphère publique ».
Outre le nombre élevé des normes à appliquer, les élus locaux dénoncent leur instabilité, ce qui contribue à la complexité des procédures auxquelles les collectivités territoriales sont soumises. Par exemple, notre collègue Éric Doligé a évalué que 80 % des articles législatifs et 55 % des articles réglementaires du code général des collectivités territoriales avaient été modifiés au cours des dix dernières années. Or, rappelons que ce code ne couvre pas l'ensemble des normes que doivent appliquer les collectivités territoriales.
La principale critique repose surtout sur le coût engendré pour les collectivités. Là encore, aucune étude n'a évalué le coût de l'application des normes que les collectivités doivent supporter. Selon l'exemple utilisé par notre collègue Claude Belot, « les 163 projets de normes de l'État qui ont donné lieu à une évaluation en 2009 représentaient plus de 580 millions d'euros (soit quasiment l'équivalent de ce qui correspond aujourd'hui à la dotation d'équipement des territoires ruraux) ; pour 2010, le coût des 176 projets évalués représentait 577 millions ».
On peut dès lors s'interroger sur les facteurs contribuant à la multiplication des normes. Un premier facteur est lié à la multitude des prescripteurs, qui conduit, selon notre collègue Claude Belot, à l'« atomisation du pouvoir prescriptif ». Si les administrations centrales de l'État sont souvent dénoncées comme les principales responsables de cette situation, force est de constater la multiplicité des prescripteurs qui, comme l'avait noté votre rapporteur dans son dernier avis budgétaire, « contribue [...] à une complexification croissante des procédures que les collectivités sont amenées à appliquer ». En effet, les décisions prises par les services déconcentrés de l'État, tels que les agences ou les académies, peuvent également alourdir les obligations incombant aux collectivités. Les élus locaux regrettent d'ailleurs, comme votre rapporteur a pu le constater lors des États Généraux, l'absurdité de certaines normes édictées par ces services qui continuent, en méconnaissance totale de la réalité du terrain, à exercer un contrôle sur des compétences transférées aux collectivités. Ce constat a d'ailleurs conduit notre collègue Jacqueline Gourault à estimer que la mission de ces fonctionnaires « se réduit aujourd'hui, en l'absence d'autres missions, à cette préoccupation essentielle qui justifie leur existence même ».
Aux normes édictées par l'État s'ajoutent celles décidées par les autorités communautaires, dont les décisions représentent une part importante du corpus de règles juridiques qui s'imposent aux collectivités. Il convient également de citer les normes - non obligatoires en droit mais qui s'imposent de facto - émanant des fédérations sportives, organismes de droit privé investis d'un pouvoir réglementaire ou encore les normes dites de « bonnes pratiques », telles que celles édictées par l'Association française de normalisation (AFNOR).
Les règles fédérales relatives aux équipements sportifs Les équipements destinés à accueillir des compétitions sportives sont visés par des règles édictées par les fédérations sportives agréées qui ont reçu une délégation du ministère des sports. Face aux difficultés financières des collectivités territoriales induites par les règles édictées par les fédérations sportives ou les ligues professionnelles sur leurs équipements, le ministre chargé des sports a sollicité l'avis du Conseil d'État en 2003, afin que soient précisées l'étendue et les limites de la capacité normative conférées, par l'article 17 de la loi n° 84-610 du 16 juillet 1984 21 ( * ) , aux fédérations sportives délégataires en matière d'équipements sportifs. Dans son avis rendu le 20 novembre 2003 , le Conseil d'État a précisé les compétences respectives de l'État et des fédérations sportives en matière d'équipements sportifs. Il a estimé que, sous réserve des compétences dévolues à l'État par les articles 42-1 et 42-2 de la loi du 16 juillet 1984, les fédérations peuvent définir les normes applicables aux équipements nécessaires au bon déroulement des compétitions sportives, ce qui concerne aussi bien les installations édifiées sur l'aire de jeu ouverte aux sportifs que celles qui, bien qu'étant extérieures à l'aire de jeu, n'en concourent pas moins au déroulement des compétitions dans les conditions d'hygiène, de sécurité et de loyauté satisfaisantes. En d'autres termes, le Conseil d'État a estimé que la spécificité du mode d'organisation sportive française permet de confier à des fédérations sportives des prérogatives de puissance publique au nom de l'État. Ce pouvoir normatif permet à ces fédérations d'imposer à des tiers des règles d'organisation de leurs disciplines et des compétitions ouvertes à leurs licenciés. Cependant, l'exercice d'une telle prérogative de puissance publique doit nécessairement être encadré et ne saurait s'étendre au-delà du domaine des règles techniques sportives. Ainsi, le Conseil d'État a estimé que les exigences exclusivement dictées par des impératifs d'ordre commercial 22 ( * ) excèdent le champ des compétences des fédérations titulaires d'une délégation au titre de l'article 17 de la loi du 16 juillet 1984. Dans ces domaines, les fédérations peuvent uniquement intervenir par voie de recommandations dépourvues de caractère obligatoire. A la suite de cet avis, le dispositif réglementaire existant de concertation entre les fédérations sportives et les collectivités territoriales a été amélioré. Ainsi, le décret n° 2001-252 du 22 mars 2001 23 ( * ) a eu pour objet de consolider, par décret, la commission d'examen des règlements fédéraux relatifs aux normes des équipements sportifs (CERFRES) en rendant son existence réglementairement obligatoire et non plus facultative. Le décret a également modifié sa composition, notamment en l'élargissant aux associations nationales d'élus locaux et de gestionnaires d'installations sportives. Le rôle de la CERFRES a également été précisé, ainsi que ses modalités de fonctionnement. Enfin, en cas d'avis défavorable de la CERFRES, un second niveau d'examen de la demande auprès de la délégation permanente du CNAPS a été institué. Le décret n° 2006-217 du 22 février 2006 24 ( * ) a donné une portée réglementaire à l'avis rendu par le Conseil d'État le 20 novembre 2003. |
* 21 Loi n° 84-610 du 16 juillet 1984 relative à l'organisation et à la promotion des activités physiques et sportives.
* 22 Exemple : contenance minimale des espaces affectés à l'accueil du public pour chaque type de compétition, détermination de dispositifs électriques et d'installations ayant pour seul objet de favoriser la retransmission télévisée ou radiophonique des compétitions.
* 23 Décret n° 2001-252 du 22 mars 2001 relatif à la composition et au fonctionnement du Conseil national des activités physiques et sportives (CNAPS).
* 24 Décret n° 2006-217 du 22 février 2006 relatif aux règles édictées en matière d'équipements sportifs par les fédérations sportives mentionnées à l'article 17 de la loi n° 84-610 du 16 juillet 1984.