SEPTIÈME PARTIE - S'IL VEUT MAINTENIR LA CRÉDIBILTÉ DE CETTE POLITIQUE, LE GOUVERNEMENT DOIT S'EFFORCER D'AMÉLIORER L'EFFICACITÉ DE SON PILOTAGE, D'OPTIMISER L'ALLOCATION DES RESSOURCES BUDGÉTAIRES ET DE RENFORCER SON ÉVALUATION
I. LES ÉVALUATIONS RÉCENTES DE LA COOPÉRATION AU DÉVELOPPEMENT SOULIGNENT DES INCOHÉRENCES ET DES INSUFFISANCES QUI PORTENT ATTEINTE À LA CRÉDIBILITÉ DE CETTE POLITIQUE.
Comme l'a souligné Jean Louis Carrère, président de votre commission, à l'ouverture de la Table ronde sur les perspectives de la politique de coopération au développement : « les moyens de notre politique ont fait l'objet d'évaluations sévères de la part de la Cour des comptes comme du cabinet Ernst and Young. Elles nous décrivent une politique marquée par des effets d'annonce et des promesses sans lendemain, un éclatement administratif et un système d'évaluation incertain. Cette situation empêche le déploiement d'une stratégie cohérente de long terme, réalisant la synergie de nos ambitions et des moyens grâce à une structure de pilotage adaptée. Tout n'est pas noir et nous pouvons être fiers de ce que nous faisons. Mais, avec les moyens financiers qui sont les nôtres, nous pouvons sans doute faire mieux ! Puissions-nous donc, au-delà des bilans, tracer les perspectives d'une politique de coopération rénovée et adaptée à l'agenda international du développement. ».
Ces évaluations demandées par le Parlement, pour l'une, et conduite par la Cour de comptes, pour l'autre, devraient constituer, pour le Gouvernement, une puissante incitation à tracer les perspectives d'une politique de coopération rénovée et adaptée à l'agenda international du développement.
A. CES ÉVALUATIONS SOULIGNENT AVANT TOUT LA DIFFICULTÉ DE MESURER LES RÉSULTATS DE LA POLITIQUE FRANÇAISE DE COOPÉRATION AU DÉVELOPPEMENT
1. Des évaluations « stratégiques » qui ont tardé à venir
Comme vos rapporteurs l'ont déjà souligné à maintes reprises, la politique de coopération fait l'objet de peu d'évaluation aussi bien au niveau de la stratégie globale qu'au niveau des projets.
Lors de la rédaction du document-cadre de coopération au développement, votre commission avait regretté que les auteurs du document définissent la stratégie française de coopération pour les années à venir en faisant l'économie d'un retour sur les objectifs que se sont fixés les pouvoirs publics dans ce domaine depuis des années.
Les différents CICID ont adopté de nombreux objectifs que le document-cadre reprend assez largement et dont il aurait été utile de faire le bilan.
Votre commission avait jugé qu'il aurait été de bonne méthode de faire un bilan des stratégies passées, pour vérifier si les objectifs ont été atteints. Un bilan aurait également permis de comprendre les raisons pour lesquelles, le cas échéant, ils ne l'ont pas été et enfin pour réévaluer leur pertinence.
Elle a réitéré les mêmes propos lors de l'adoption du nouveau contrat d'objectifs et de moyens de l'AFD en mai 2011.
Vos rapporteurs avaient constaté, à leur surprise, que le nouveau contrat d'objectifs et de moyens de l'AFD avait été élaboré sans qu'aucun bilan des objectifs fixés par les derniers COM n'ait été établi.
Il existe, certes, sur le bilan statistique, quelques documents techniques, comptables et financiers de l'AFD pour la période 2005-2009 issus du système d'information stratégique de l'agence. Mais ces chiffres n'auraient pris de sens que confrontés aux objectifs fixés par les deux contrats précédents. Quels sont les objectifs atteints ? Lesquels ne le sont pas ? Pour quelles raisons ? Quels sont les objectifs repris dans le nouveau contrat, ceux qui ne le sont pas ? Pour quelles raisons ? Les réponses à ces questions auraient utilement nourri un bilan des précédents contrats et surtout éclairé la rédaction du nouveau contrat.
Aurait-il été de mauvaise méthode que le Conseil d'orientation stratégique, le Parlement, le Conseil d'administration se prononcent à la vue de ce bilan ?
Nous ne trouvons pas non plus de bilan des transferts de compétence à l'Agence française de développement (AFD). Le contrat d'objectifs et de moyens de l'AFD a été adopté sans qu'une évaluation n'ait été effectuée sur ce point comme sur d'autres.
De même, nous attendons toujours une évaluation du partenariat avec le FED ou avec FMLSPT auquel la France contribue chaque année à hauteur de plusieurs centaines de millions d'euros . Ces questions auraient mérité des réponses préalables et un débat de nature à éclairer les choix futurs.
De ce point de vue, on ne peut que se féliciter d'avoir, avec ces deux évaluations dont le calendrier est sans doute un peu trop resserré, une vision globale de la cohérence de l'action de l'Etat dans ce secteur.
2. L'incapacité de cette politique à prouver ses résultats est problématique pour sa crédibilité
Bien que la coopération au développement fasse partie des politiques les plus questionnées et les plus analysées, l'équipe qui a effectué le bilan évaluatif issu du cabinet Ernst and Young a indiqué lors de ses travaux que « la France n'est que très peu en mesure de rendre compte des impacts de sa politique d'aide au développement, et ceci malgré une demande forte de la part des autorités politiques, du Parlement et des citoyens. ».
L'évaluation des impacts de l'aide se heurte à un certain nombre de difficultés spécifiques qui dépassent le seul cadre de la politique de coopération au développement de la France. Elles ont trait à la contribution réelle de l'APD au développement des pays pauvres et aux obstacles méthodologiques pour le démontrer. Les grandes évolutions de la pensée économétrique pour appréhender le rôle de l'APD au développement des pays renvoient à un sujet de débat qui n'est pas conclusif à ce jour, et auquel l'AFD contribue de manière croissante.
Mais, au-delà des difficultés propres à l'évaluation d'impacts de l'aide, partagées par la plupart des bailleurs, la France ne s'est pas dotée d'un cadre d'objectifs et d'indicateurs nécessaires pour pouvoir envisager la mesure des impacts. La coopération française consacre des moyens financiers limités au suivi et à l'évaluation par rapport aux autres bailleurs du CAD de l'OCDE. A cet égard, la question de la complexité de l'aide, souvent mise en avant pour justifier la difficulté à répondre aux demandes des parlementaires et des citoyens, ne suffit pas à expliquer les retards pris par la France dans ce domaine, et de nombreuses avancées pourraient être permises par une meilleure architecture logique et une définition plus précises des impacts recherchés.
Les travaux d'Ernst and Young aboutissent à la conclusion paradoxale qu'il y a « des résultats et des impacts réels, mais dont la France n'est pas en mesure de rendre compte ».
Autrement dit, « on suppose que cela a des effets positifs mais on ne sait pas le prouver ». Pour une politique qui affiche 10 milliards d'APD, la question de l'impact de cette politique dans le contexte actuel de crise des finances publiques reste stratégique. A l'inverse, constater qu'on en sait peu sur l'effet produit par ces deniers publics est problématique.
Comme le souligne la Cour des comptes, « pour préserver la légitimité de l'effort d'aide, il est essentiel de conforter les pratiques d'évaluation et les exercices de mesure de son efficacité et de renforcer le lien entre ces deux dimensions ».
La dernière, revue par les pairs de la France en 2008 observait déjà que la politique de coopération française gagnerait à investir plus avant dans une gestion par les résultats.
Dans une période de restriction budgétaire, les Français ne comprendront pas longtemps que l'on continue à investir dans une politique dont on ignore les résultats.
Certes, asseoir notre stratégie sur une évaluation suppose un travail important et de nombreux défis :
- un défi de capacité tout d'abord. Pour dépasser le simple recensement des politiques et s'engager dans l'analyse des « réalisations » et de leurs « impacts » réels, la production d'une information systématisée sur les résultats implique la mobilisation de moyens importants autour de la collecte de données et de leur analyse, mais aussi le renforcement d'une articulation étroite avec les pays partenaires dans le suivi des projets, des aides programmes et des aides budgétaires ;
- des défis méthodologiques ensuite : les acteurs nationaux peuvent-ils s'attribuer des résultats de développements qui, de fait, sont collectifs, issus de projets et de programmes par nature pluri-acteurs ?
- le défi de l'agrégation des résultats enfin : la présentation de résultats agrégés permet-elle de rendre compte de la diversité des contextes et de donner à voir les facteurs de succès ou d'échec des opérations menées ?
Ces défis sont réels. Ils ne sont pas nouveaux. Ils sont, pour une part, communs à beaucoup de politiques publiques.
Il est difficile d'admettre que la politique d'aide au développement soit la seule politique publique qui, par nature, ne soit pas évaluable. Elle ne semble pas avoir le monopole de la complexité.
Les moyens d'évaluation existent. Ils ont été perfectionnés et doivent être amplifiés et utilisés pour éclairer la conduite du changement et l'amélioration de notre outil de coopération.
Dans le domaine international, le système de Revue par les pairs, initié par le Comité d'aide au développement au sein de l'OCDE, fait un travail important qui doit pour la France débuter cet automne.
Les trois entités administratives, l'AFD, le ministère des finances et le ministère des affaires étrangères effectuent des évaluations de qualité selon des méthodologies qui ont été affinées et formalisées avec le temps.
Sans doute ces organismes d'évaluation devraient être renforcés, plus coordonnés, plus sollicités sur des sujets plus larges et plus stratégiques qui permettent d'avoir des vues plus globales.
Mais il importe qu'ils fassent ensemble un saut quantitatif et qualitatif vers la production d'évaluation d'impacts et de résultats de façon à ce que la prochaine évaluation de la politique de coopération puisse être en mesure d'apporter des éléments de réponses sur l'utilité de cette politique.
Comme l'a souligné l'économiste Esther Duflo dans sa leçon inaugurale au Collège de France sur l'aide au développement : « Les erreurs de diagnostic des économistes, des organisations internationales et des gouvernements sont fréquentes. Elles ne sauraient justifier l'inactivité, mais rendent au contraire les évaluations rigoureuses nécessaires. Celles-ci permettent de tirer des leçons des expériences passées ».
La situation actuelle ressemble en effet beaucoup à celle que décrit cette économiste quand elle constate que « aujourd'hui encore la grande majorité des interventions ne sont pas évaluées, soit que leurs promoteurs craignent la révélation d'effets nuls ou moins importants que ce qu'ils escomptaient, soit que la mise en oeuvre d'évaluations rigoureuses soit perçue comme trop difficile. » 63 ( * ) .
3. Des préconisations qui doivent aujourd'hui s'inscrire dans un plan d'action du Gouvernement des assises au prochain CICID
Malgré ces limites, ces évaluations sont riches d'enseignements sur la cohérence de la stratégie française dans ce domaine et l'adaptation des moyens budgétaires et administratifs aux objectifs poursuivis.
La rareté de ces évaluations constitue une motivation de plus pour se saisir des propositions qui découlent du bilan dressé cette année par ces deux organismes, qui, par bien des aspects, convergent sur le bilan comme dans les préconisations.
Ces deux exercices sont le fruit d'un travail approfondi de plusieurs mois. La Cour des comptes a procédé à des investigations pendant plus d'une année en mobilisant une dizaine de rapporteurs. Le cabinet Ernst and Young a mobilisé une demi-douzaine de collaborateurs pendant plusieurs mois et a rendu un rapport détaillé de plusieurs centaines de pages.
Votre commission se félicite de ce travail très éclairant. Ces travaux de qualité doivent maintenant pouvoir trouver une application concrète. En effet, les préconisations de ces rapports ne doivent pas rester lettre morte.
Les propositions formulées découlent d'une analyse serrée des dysfonctionnements constatés ces dix dernières années.
Ces faiblesses de notre politique de coopération sont importantes et portent atteinte à la crédibilité de cette politique.
Y remédier doit être la priorité du ministre et du prochain CICID.
Ce dernier a choisi conformément aux engagements du Président de la République de convoquer des Assises du développement et de la solidarité internationale qui se tiendront d'octobre à mars et constitueront un moment important d'échanges avec la société civile et avec tous les partenaires : ONG, élus locaux, entreprises, partenaires du Sud, etc.
Cette séquence devra aboutir à des recommandations fortes qui répondent notamment aux questions soulevées par ces travaux.
La méthode des assises présente l'intérêt d'associer toutes les parties prenantes à un exercice de réflexion et d'introspection de sorte que les conclusions des assises puissent obtenir un soutien consensuel de l'ensemble de ces acteurs.
Les assises ne doivent pas se priver de la réflexion issue de ces travaux.
Il ne s'agit pas de repartir à zéro, mais d'intégrer ces travaux dans le cadre des assises.
Le temps et l'argent public investis dans ces exercices d'évaluation doivent être mis à profit pour améliorer l'efficacité de cette politique et, partant, sa crédibilité aux yeux des Français.
B. CES ÉVALUATIONS SOULIGNENT LES FAIBLESSES DE LA POLITIQUE DE COOPÉRATION DANS TROIS DOMAINES : LE PILOTAGE, L'ALLOCATION DES MOYENS ET L'ÉVALUATION
Vos rapporteurs ne souhaitent pas ici reprendre les deux évaluations dans leur ensemble, mais résumer quelques-unes des conclusions pour en souligner certaines et surtout formuler des propositions qui puissent remédier aux dysfonctionnements constatés.
1. Un pilotage politique incertain et un partage des rôles inachevé entre les différents acteurs
Les deux évaluations soulignent que l'action publique dans le domaine de la coopération reste confrontée, malgré la succession des réformes, à un pilotage politique incertain et à un partage des rôles inachevé entre les différents acteurs.
Cette faiblesse du pilotage se traduit de trois façons : une fragmentation des centres de décision, notamment entre les ministères des affaires étrangères et des finances, qui paralyse l'action, un cadre stratégique dont le statut et le périmètre n'ont pas été suffisamment définis, des modalités de concertation insuffisantes.
• un manque de portage politique et une atomisation des centres de décision, dont la coordination reste défaillante
Les travaux lors du bilan évaluatif indiquent que, sur la période 1998-2010 et de manière plus marquée encore en 2012, le dispositif de coopération au développement souffre d'un manque de portage politique et d'une atomisation des centres de décision, dont la coordination reste défaillante. En dépit de progrès récents, le ministère peine encore à s'affirmer dans sa fonction de « stratège ». Le partage des rôles reste inachevé entre les différents acteurs, malgré l'existence d'un opérateur dominant. Enfin, le dispositif actuel présente un déficit de concertation particulièrement prégnant en 2012 .
Le rapport de la Cour des comptes souligne, quant à lui, que « datant de la fin des années 1990 , le modèle français d'organisation de l'aide est confronté depuis des années à une évolution qui lui fait atteindre aujourd'hui ses limites : il est fragmenté et déséquilibré. Contrastant avec la plupart des modèles étrangers, ce modèle est privé d'un centre de gravité . »
Globalement, il est jugé que la fragmentation du dispositif et de son action atténue la lisibilité de la stratégie de coopération de la France et alourdit les processus de décision.
• une stratégie de coopération au développement pas suffisamment bien définie
Les travaux du bilan évaluatif ont souligné, en outre, que la stratégie française n'est pas suffisamment bien définie. Ils estiment que les objectifs français restent encore mal définis et rendent la coopération tributaire des effets d'annonces et des divergences entre acteurs. Le document-cadre (DCCD) de 2010 constitue un progrès salué dans la définition d'une « vision » française partagée de l'aide au développement.
Pourtant, pour le cabinet de consultant chargé du bilan évaluatif, le DCCD représente davantage un cadre de référence général qu'un cadrage opérationnel des priorités. Par ailleurs, son contenu ne s'articule pas avec les autres supports de nature stratégique ou opérationnelle, que ce soient les objectifs proposés dans les Documents de politique transversale (DPT) annuels, ou les priorités mentionnées dans des relevés de décision du CICID antérieurs, dont on ne sait pas si le document-cadre (DCCD) vient les remplacer ou les compléter. C'est le cas par exemple de la liste des pays prioritaires, avec une ZSP qui semble perdurer mais dont le statut n'est pas rappelé dans le document de référence.
Ces travaux soulignent enfin que les objectifs réels de la politique de coopération française ne sont suffisamment clarifiés, notamment pour ce qui est des objectifs d'influence . Ils jugent que si les grandes lignes en matière de solidarité et d'enjeux globaux sont bien identifiées au travers de la lutte contre la pauvreté, le soutien à la croissance et la préservation des BPM, les objectifs « pour la France » (influence, défense des intérêts français, rayonnement culturel, etc.) restent diffus. Le positionnement protéiforme de la politique de développement, entre solidarité et influence, est ainsi insuffisamment partagé, et le document-cadre (DCCD) ne vient pas clarifier les différences de sensibilité, voire de convictions qui influencent la compréhension des objectifs réellement poursuivis par la politique française de coopération.
• la prise en compte du développement dans les autres politiques est promue dans les textes, mais n'est pas garantie par des mécanismes institutionnels solides
La cohérence des politiques pour le développement est largement promue dans le document-cadre (DCCD) de 2010 et dans les Document de politique transversale (DPT) successifs de la politique en faveur du développement. Les deux évaluations soulignent cependant qu'aucun mécanisme institutionnel ne permet d'assurer une prise en compte suffisante et systématique des objectifs de développement dans toutes les politiques.
• cette politique manque d'instances et d'outils de dialogue et de concertation opérant avec les autres parties prenantes
Les deux évaluations soulignent que si des efforts ont été réalisés pour mieux rendre compte au Parlement, à la société civile et aux citoyens des résultats et des impacts de la politique de coopération au développement, les marges de progrès sont encore importantes.
Elles regrettent l'absence ou le non-fonctionnement des organes de consultation de la société civile et la faible association du Parlement dans la définition de la stratégie.
2. Le dispositif de programmation, de suivi et de pilotage ne permet pas d'assurer pleinement l'efficacité d'une politique de coopération au développement large et complexe
Les deux rapports d'évaluation critiquent, d'une part, le décalage croissant entre les moyens disponibles et les priorités affichées et, d'autre part, les instruments et les indicateurs utilisés pour la programmation et le suivi de la politique de coopération.
Le bilan évaluatif, comme nombre d'observateurs, constate que l'effort en matière d'aide publique au développement est généralement mesuré et comparé à l'aune d'un indicateur critiqué et critiquable tant dans sa définition, son périmètre, et son mode de calcul que dans la manière dont la France l'utilise pour piloter son aide et pour valoriser son effort en faveur du développement.
De même, la Cour des comptes souligne, quant à elle, une programmation et un suivi budgétaire opaques et fragmentés, malgré certains progrès de présentation permis par la LOLF.
Ni le suivi de l'APD déclaré, ni la maquette budgétaire sur laquelle vos rapporteurs reviendront ne semblent permettre une vision stratégique des moyens publics utilisés pour mettre en oeuvre la stratégie française de coopération au développement.
Les deux évaluations décrivent une politique de coopération au développement qui pâtît d'un dispositif de pilotage et de suivi fragmenté entre les différentes institutions, qui ne permet pas une vision globale des moyens consacrés à la politique de coopération à un instant donné.
De fait, aucun des acteurs ne dispose actuellement de vision d'ensemble du dispositif, de ses moyens et de ses actions.
Seule la base de remontée de données au CAD permet de fournir une vision globale, mais reconstituée, des moyens consacrés à la politique de coopération, alors même que l'indicateur d'APD est considéré comme peu satisfaisant et ne permet que très partiellement de suivre la réalité de l'effort financier de l'Etat en faveur du développement.
Les travaux du bilan évaluatif soulignent en particulier que les équilibres fixés par le document-cadre (DCCD) en termes d'allocation de l'effort budgétaire de l'Etat ne sont pas en mesure d'être suivis ni vérifiés faute d'une définition claire et partagée, entre les différents ministères, des paramètres à prendre en compte dans la notion d'effort financier.
Au-delà des instruments de suivi, sur le plan budgétaire, il faut souligner une capacité de plus en plus limitée à orienter les crédits vers les axes prioritaires de la politique d'aide française.
L'APD française se caractérise en effet par une part décroissante de l'aide programmable. Cette évolution de la structure de l'aide française est de nature à restreindre la capacité de la France à mettre en oeuvre les objectifs des partenariats différenciés.
En outre, en matière de programmation, les arbitrages budgétaires des deux programmes 110 et 209 semblent largement déconnectés, ils sont négociés séparément par des équipes et des ministres différents, d'un côté le ministre des finances, de l'autre le ministre des affaires étrangères qui ont en commun de ne pas avoir comme première priorité la coopération.
C'est en partie ce qui explique que les deux évaluations considèrent que « le choix des instruments et l'allocation des moyens ont évolué, sans nécessairement refléter les orientations politiques affichées ».
Au-delà de l'effet d'affichage sur l'APD et de l'incidence des prêts accordés sur l'APD future, l'évolution de la part respective des dons et des prêts, par exemple, pose la question de leur adaptation avec les objectifs de la politique de coopération au développement de la France, le prêt ne permettant pas d'interventions dans certains secteurs : santé, éducation, environnement (biodiversité, notamment), ni dans les pays les plus pauvres sortant d'un processus de désendettement ou encore dans les pays en crise ou en sortie de crise - tous affichés comme des priorités de l'aide française.
Une analyse qui conduit les deux évaluations, comme vos rapporteurs, à souligner le « décalage croissant entre les moyens disponibles et les priorités affichées dans le document-cadre (DCCD) ».
3. Un système d'évaluation et d'indicateurs de suivi à renforcer
Les deux évaluations considèrent les instruments actuels de suivi et d'évaluation de la politique d'aide publique au développement insuffisants.
En 2008, les revues par les pairs de l'OCDE soulignaient le retard de la France dans la mise en place d'indicateurs cohérents pour le suivi de l'APD dont la mise en place a débuté uniquement à partir de 2006 dans le cadre de la LOLF.
Le processus de collecte systématique d'information est encore en construction, et il se confronte à des facteurs exogènes de complexification croissante des instruments de l'aide (recours à des instruments financiers de plus en plus sophistiqués...) et de leurs modalités de mise en oeuvre (montée des cofinancements...) qui accentuent la difficulté à rendre compte de manière lisible des moyens et des résultats obtenus par la politique française de coopération au développement.
Outre l'atomisation des acteurs chargés de leur collecte, le système de suivi actuel présente une prépondérance d'indicateurs de moyens, qui ne couvrent que de manière très incomplète les objectifs de la politique de coopération au développement.
Les deux rapports soulignent deux types de difficultés : d'une part, la difficulté à produire des indicateurs de résultats, d'autre part, les insuffisances de la politique d'évaluation. Les deux étant liés, l'un n'allant pas sans l'autre, mais ne se recouvrant pas.
En 2008, la revue par les pairs indiquait déjà, en reprenant des conclusions de 2004, que le « le CAD encourage la France à poursuivre son effort de mise en place d'un système de gestion axé sur les résultats et à améliorer l'apprentissage par l'action en intégrant systématiquement l'analyse des résultats des évaluations dans le processus de programmation ».
Ce constat semble pouvoir être réitéré en 2012.
En 2006, la France s'était dotée d'un plan d'action pour l'efficacité de l'aide, conformément aux engagements de la Déclaration de Paris sur l'efficacité de l'aide de 2005. Ce plan était organisé autour de douze propositions et 41 actions à l'intention des services de l'Etat chargés de la stratégie et des moyens opérationnels de l'aide au développement (MAEE, MINEFI, AFD).
Au cours du premier semestre de 2011, ces derniers ont procédé à un état des lieux conjoint, en vue de contribuer à préparer le 4 ème Forum de Haut Niveau sur l'efficacité de l'aide qui se tiendra à Busan (Corée) à la fin de l'année.
Ce bilan, fondé notamment sur une évaluation externe, montre que la gestion axée sur les résultats est le domaine où les progrès ont été plus modestes. Les raisons de ce retard sont nombreuses et ne se résument pas à la faiblesse de capacités statistiques des pays partenaires.
Il s'agit aussi bien d'une question d'ordre culturel que d'une question de moyens. Lorsque l'on compare avec d'autres pays donateurs, la France est un des pays qui évalue le moins.
Au niveau des organismes chargés de l'évaluation des projets de coopération, de nombreuses initiatives ont été prises pour améliorer la coordination de leurs travaux et renforcer leur production.
Pour la première fois, en 2010, l'ensemble des acteurs de la coopération française (ministère des affaires étrangères et européennes, ministère de l'économie, des finances et de l'industrie, Agence française de développement) ont transmis de manière conjointe les résultats des évaluations des trois structures au Parlement.
Parallèlement, dans le cadre de sa réorganisation, la direction générale de la mondialisation du ministère des Affaires étrangères et européennes a défini un pôle de l'évaluation qui doit notamment renforcer les capacités en évaluation de nos pays partenaires.
De son côté, l'AFD a créé fin 2009 un comité des évaluations chargé d'examiner chaque année le programme d'évaluation de l'AFD, de rapporter sur les travaux d'évaluation de l'AFD, de formuler des avis, le cas échéant, sur le dispositif d'évaluation à l'AFD, la pertinence et la qualité des travaux réalisés et de rendre compte régulièrement des travaux d'évaluation auprès du Conseil d'administration.
La Direction générale du Trésor du ministère de l'Économie, des Finances et de l'Industrie a, quant à elle, renforcé les ressources, le champ d'intervention et le rôle de son unité d'évaluation.
L'ensemble de ces initiatives ne semble toutefois pas avoir pour l'instant radicalement modifié la situation.
Comme le soulignent les deux bilans conduits cette année, les évaluations menées sont encore très procédurales et pas assez centrées sur l'impact des projets évalués et l'utilisation des évaluations à des fins d'amélioration opérationnelle ou stratégique semble encore très limitée .
Enfin, les ressources humaines et budgétaires consacrées par la France à l'évaluation semblent faibles comparées aux autres bailleurs bilatéraux.
Selon les estimations du Comité d'aide au développement (CAD) de l'OCDE, qui a élaboré un indicateur permettant de mesurer le ratio du budget consacré à l'évaluation rapporté à la masse des crédits d'APD exécutés, la France (0,06%) se situe bien en deçà de la moyenne des bailleurs bilatéraux (0,16%) ou de nos principaux partenaires comme l'Allemagne (0,12%) ou le Royaume-Uni (0,09%).
* 63 Expérience, science et lutte contre la pauvreté- Esther Duflo. Leçons inaugurales du Collège de France Paris, Collège de France/Fayard, 2009