II. LES MUTATIONS DU MARCHÉ DES COMMUNICATIONS ÉLECTRONIQUES
L'arrivée d'un quatrième opérateur sur le marché de la téléphonie mobile - Iliad-Free - a pu être perçue comme étant à l'origine d'un véritable bouleversement remettant en cause le positionnement des trois autres opérateurs et favorisant les intérêts du consommateur. Selon le nouvel entrant, cet évènement aurait agi davantage comme le révélateur de tendances de long terme qu'il est venu amplifier, et aurait de surcroît des conséquences positives.
La « crise » du marché des communications électroniques, qui trouve donc son origine dans une pluralité de facteurs d'inégale importance, affecte de façon très différenciée ses multiples acteurs. Si son impact économique et social n'est pas à négliger, n'en demeurent pas moins des motifs d'espoir, laissant présager un rebond de ce marché à moyen et long termes.
A. DES ÉVOLUTIONS CONTRASTÉES SELON LES ACTEURS
1. Des consommateurs grands gagnants d'une baisse des prix généralisée
a) Une croissance continue du nombre d'abonnements
Au 31 juin 2012, le nombre d'abonnements internet à haut et très haut débit sur réseaux fixes a atteint 23,3 millions en France, soit une croissance nette de 250 000 abonnements en un trimestre. Sur un an, l'accroissement net s'est élevé à 1,3 million (+ 6 %).
Le nombre d'abonnements haut débit est de 22,6 millions , soit une progression de 210 000 abonnements en un trimestre. La totalité de la croissance nette provient de l'augmentation du nombre d'abonnements xDSL.
Si le marché du très haut débit est encore marginal, sa croissance reste toutefois très forte. Le nombre d'abonnements très haut débit a atteint 760 000 à la fin du deuxième trimestre 2012, en augmentation de 45 000 environ sur un trimestre, dont :
- 245 000 abonnements très haut débit en fibre optique jusqu'aux abonnés. Leur nombre a augmenté de 25 000 au cours du trimestre et de 60 % sur un an ;
- 515 000 autres abonnements très haut débit, dont les accès en fibre optique avec terminaison en câble coaxial. Leur nombre s'est accru de 20 000 sur le trimestre et de 30 % sur un an.
Sur le marché du mobile , le nombre de clients en France était de 70,4 millions en juin 2012, en hausse de 6,7 % par rapport à juin 2011. Cela représente un taux de progression relativement soutenu, qui se maintient depuis huit ans entre 5 % et 8 % de progression annuelle.
La croissance nette trimestrielle a quasiment doublé par rapport à l'année 2011, avec quelques 900 000 clients supplémentaires au cours du deuxième trimestre 2012, contre 500 000 un an auparavant. Au premier trimestre, la croissance avait déjà été exceptionnelle avec également 900 000 cartes supplémentaires. Plus de la moitié des clients actifs utilisent les services multimédias.
Si l'équipement des individus marque le pas (75,8 % des personnes déclarent être équipées personnellement d'un téléphone mobile en juin 2012), avec une croissance de un à deux points en moyenne annuelle au cours des dernières années, le nombre de cartes SIM ne cesse lui de progresser.
b) Des volumes de données consommées en augmentation constante
Depuis l'émergence de la voix sur large bande en 2005, le trafic au départ des réseaux fixes n'a cessé de s'accroître. La consommation de minutes en large bande (« voix sur IP », ou VoIP) progresse continument et fait plus que compenser le reflux du volume de communications sur le réseau commuté (réseau cuivre).
L'année 2011 a été marquée par l'extension aux communications fixes vers les mobiles des forfaits multiservices haut débit incluant des communications en abondance. Le trafic des fixes vers les mobiles a aussitôt décollé (+ 53,6 % en un an), alors qu'il était stable autour de 11 milliards de minutes depuis huit années.
Pour la deuxième année consécutive, le volume de trafic de téléphonie mobile augmente de près de 3 %. Cette croissance ne se fait pas au détriment de celle du volume de SMS (+ 42,1 % en 1 an), ni de l'utilisation des services de données, dont la consommation a pratiquement doublé en un an.
c) Une baisse des prix réamorcée
Si les situations sont distinctes selon les marchés, fixe ou mobile, les prix n'en demeurent pas moins orientés à la baisse, relative ou absolue.
Sur le fixe, les prix ont certes légèrement remonté du fait de la hausse de la TVA sur le triple play . Mais la qualité a été considérablement accrue, avec des offres fibre au même tarif que l'ADSL, et de nouveaux services.
Sur le mobile, les prix ne cessent de baisser : - 2,9 % entre 2006 et 2010, - 1 % en 2011, et beaucoup plus encore en 2012 du fait de l'impact de l'arrivée d'un nouvel entrant à la stratégie commerciale agressive sur le marché.
2. Un marché sous tension pour les opérateurs et la filière aval
a) Une baisse marquée des revenus
Après plus de dix années de croissance ininterrompue, le revenu des opérateurs de communications électroniques sur le marché des clients finals représente 44,1 milliards d'euros en 2011, dont 40,8 milliards pour les seuls services de communications électroniques, soit une baisse de 2,3 % en un an.
Le revenu des services haut et très haut débit fixes continue à croitre (+ 5,6 % en 2011) et atteint près de 10 milliards d'euros, mais ne compense pas cependant le reflux accru du revenu des services bas débit (- 14 % en 2011 contre - 9,8 % en 2010). Au final, le montant du revenu des services offerts sur réseaux fixes (16 milliards d'euros) recule de 3,1 % par rapport à l'année 2010 .
Le revenu des services offerts sur les réseaux mobiles représente 19 milliards d'euros, en baisse de 2,5 % en un an . Ce reflux s'explique en particulier par la modification du taux de TVA réduit pour les services d'accès audiovisuels à compter du 1 er février 2011, que les opérateurs mobiles ont décidé de ne pas répercuter sur les factures de leurs clients. Les tarifs toutes charges comprises des offres existantes étant restés inchangés, la hausse de TVA s'est traduite par une baisse des revenus hors taxes des opérateurs de plusieurs centaines de millions d'euros.
b) Des emplois menacés
En 2010 et 2011, le nombre de salariés des opérateurs de communications électroniques avait progressé sur un rythme légèrement supérieur à 1,5 % par an. Cette évolution rompait avec la baisse tendancielle observée pendant un peu plus de dix ans et jusqu'en 2009. Les opérateurs employaient ainsi 127 500 personnes à la fin de l'année 2011, soit un niveau équivalent à celui du milieu de l'année 2008.
En 2012 cependant, l'arrivée de Free Mobile a été présentée par certains opérateurs comme un facteur de destruction d'emplois dans le secteur. Si France Telecom-Orange se « contente » de ne pas remplacer l'intégralité des départs à la retraite, SFR et Bouygues Telecom sont plus directement menacés. 500 à 2 000 employés pourraient être touchés chez le premier, tandis que 556 suppressions d'emploi sont d'ores et déjà prévues chez le second.
Les chiffres dont font état d'autres sources sont plus alarmants encore. L'autorité de régulation du secteur, l'ARCEP, a évoqué la suppression potentielle de 10 000 postes. Le syndicat Force ouvrière parle quant à lui de 30 000 postes en moins, tandis que l'économiste Bruno Deffains va jusqu'à 55 000 emplois.
c) Des investissements restant nécessairement élevés
Les difficultés que rencontrent la plupart des opérateurs de communications électroniques surviennent à un moment où ils doivent faire face à un « mur d'investissement » conditionnant leur redressement futur . Le déploiement du réseau très haut débit en fibre optique, mais aussi en téléphonie mobile de quatrième génération, pour lesquels ils ont payé des licences à des prix élevés, les contraignent en effet à maintenir un haut niveau d'investissement, au risque de se faire distancer par leurs concurrents.
Après une année 2010 déjà marquée par un fort accroissement des investissements, la tendance s'est ainsi poursuivie en 2011. L'ensemble des investissements a atteint 7,9 milliards d'euros, soit un niveau record , à l'exception d'une année, depuis 1998. Les investissements liés au déploiement dans les réseaux haut et très haut débit se sont accrus d'un peu plus de 10 %, aussi bien dans le fixe que dans le mobile. Les opérateurs ont notamment consacré deux milliards d'euros au déploiement des réseaux mobiles de 3 ème génération ainsi qu'à l'achat de licences dans la bande 2,6 GHz (4G), et 700 millions d'euros pour le déploiement de la fibre.
Ce rythme soutenu d'investissement devrait être conservé dans les années à venir. Selon la Fédération française des télécoms (FFT) en effet, près de 100 milliards d'euros seraient à investir dans les réseaux numériques en France pour assurer l'accès au très haut débit fixe et mobile.
d) Une concurrence grandissante des opérateurs alternatifs
Les opérateurs mobiles virtuels (MVNOs), qui ont fait leur apparition sur le marché mobile en 2005, n'ont cessé depuis de se développer. Ne possédant pas d'infrastructures propres, ils contractent des accords avec les opérateurs mobiles traditionnels pour utiliser leurs réseaux. Ils sont aujourd'hui une vingtaine et se partageaient 11 % de parts de marché en juin 2012, soit environ 8 millions de lignes, quasiment toutes grand public.
Depuis le début de l'année 2011 et avant l'arrivée de Free Mobile, les opérateurs de réseaux connaissent une érosion de leur parc de clients sur le segment de marché résidentiel au bénéfice de ces opérateurs virtuels. Au cours du troisième trimestre 2011, les MVNOs ont d'ailleurs été à l'origine de 90 % des recrutements nets.
En parallèle, l'arrivée en milieu d'année 2010 d'opérateurs spécialisés dans les appels à destination de l'international, a dynamisé le marché mobile. En 2011, près de la moitié des nouveaux clients des MVNOs ont acheté une carte chez l'un de ces opérateurs, résultat d'une politique commerciale très offensive.
3. Un nouvel entrant sur le secteur du mobile reconfigurant les positions
a) Un partage du marché du fixe entre cinq opérateurs
Sur les marchés de la téléphonie fixe, du haut débit et du très haut débit, l'ouverture à la concurrence, au cours des années 90, s'est traduite dans un premier temps par l'émergence de très nombreux acteurs venus concurrencer le monopole historique de France Télécom sur les communications téléphoniques, sur la fourniture d'accès à internet (grâce notamment à l'introduction des prestations de dégroupage), puis sur la fourniture de l'accès au réseau téléphonique commuté (vente en gros de l'abonnement téléphonique).
Après un important mouvement de concentration capitalistique durant les années 2000 qui s'est achevé - provisoirement sans doute - avec l'acquisition au mois de mai de l'activité de Darty par Bouygues Telecom, les marchés du fixe se sont recomposés autour de quelques acteurs de grande taille. Le segment du haut et du très haut débit est ainsi partagé entre cinq acteurs principaux : France Télécom, SFR, Iliad-Free, Bouygues Telecom et Numericable, dont les parts de marché, en nombre de clients, sont respectivement de 42 %, 22 %, 22 %, 6 % et 5 %.
La typologie des acteurs présents dans la chaîne de valeur a ainsi évolué vers des opérateurs disposant d'un réseau d'infrastructure. Le tournant majeur s'est opéré depuis l'année 2007, avec l'arrivée sur le marché du haut débit des opérateurs mobiles en vue de fournir des offres convergentes fixe-mobile.
b) L'arrivée d'un quatrième opérateur sur le marché du mobile
Le lancement commercial de Free Mobile en janvier 2012 a bouleversé le marché mobile, qui jusque là était partagé entre trois opérateurs possédant chacun leur propre réseau : Orange, SFR et Bouygues Telecom. Il a conclu une démarche engagée par le précédent Gouvernement et l'ARCEP en 2009 afin d'attribuer à un nouvel entrant des fréquences 3G encore disponibles. Ce choix résultait du constat qu'un renforcement du jeu concurrentiel était nécessaire sur un marché de la téléphonie mobile dont la structure oligopolistique générait une rente et était défavorable au consommateur.
L'ARCEP a attribué à Free Mobile la quatrième licence 3G en janvier 2010, et a confirmé en décembre 2011 que le nouvel opérateur avait respecté son obligation de couvrir 27 % de la population en 2G/3G, vérification qui constituait un préalable à l'ouverture commerciale de ses services. En mars de la même année, un accord d'itinérance mobile avait été passé entre Free et Orange afin de permettre au premier d'offrir à ses futurs abonnés une couverture nationale, non restreinte à son propre réseau, encore embryonnaire. Et le groupe s'est engagé, en acquérant la licence, à couvrir 90 % de la population d'ici 2018.
c) Une restructuration des rapports de force
Par la simplicité de ses offres (seulement deux niveaux de tarif), par ailleurs très compétitives, et le découplage des abonnements et du terminal, qui étaient synonymes d'engagements contractuels sur plusieurs années, Free Mobile a réalisé une percée spectaculaire sur le marché de la téléphonie mobile lui permettant de regagner sa position de premier opérateur alternatif sur le segment du haut débit.
Depuis le 10 janvier, l'opérateur a ainsi conquis 4,4 millions d'abonnés mobile et s'est arrogé 6,4 % de parts de marché, ce qui constitue un record sans précédent en Europe. Sa base de clientèle, si l'on y rajoute les 5,2 millions de clients qu'il possède dans le fixe, va ainsi doubler en une année seulement. Le chiffre d'affaires du groupe, qui était de 2 milliards d'euros en 2011, va dépasser les 3 milliards cette année.
Le marché mobile avait déjà anticipé la venue de Free par des évolutions tarifaires tranchant avec les pratiques précédentes. Dès 2010, les premières offres sans terminal dites « éco », c'est-à-dire dont le tarif est inférieur à l'offre commercialisée avec un terminal subventionné, sont apparues sur le marché. L'innovation tarifaire s'est poursuivie en 2011, les opérateurs ayant tour à tour lancé des offres sans engagement uniquement accessibles sur internet.