N° 32

SÉNAT

SESSION ORDINAIRE DE 2012-2013

Enregistré à la Présidence du Sénat le 10 octobre 2012

AVIS

PRÉSENTÉ

au nom de la commission des affaires sociales (1) sur la proposition de loi relative à la création de la Haute Autorité de l' expertise scientifique et de l' alerte en matière de santé et d' environnement ,

Par Mme Aline ARCHIMBAUD,

Sénatrice

(1) Cette commission est composée de : Mme Annie David , présidente ; M. Yves Daudigny , rapporteur général ; M. Jacky Le Menn, Mme Catherine Génisson, MM. Jean-Pierre Godefroy, Claude Jeannerot, Alain Milon, Mme Isabelle Debré, MM. Jean-Louis Lorrain, Jean-Marie Vanlerenberghe, Gilbert Barbier , vice-présidents ; Mmes Claire-Lise Campion, Aline Archimbaud, Catherine Deroche, M. Marc Laménie, Mme Chantal Jouanno , secrétaires ; Mme Jacqueline Alquier, M. Jean-Paul Amoudry, Mmes Natacha Bouchart, Marie-Thérèse Bruguière, MM. Jean-Noël Cardoux, Luc Carvounas, Mme Caroline Cayeux, M. Bernard Cazeau, Mmes Karine Claireaux, Laurence Cohen, Christiane Demontès, MM. Gérard Dériot, Jean Desessard, Mme Muguette Dini, MM. Guy Fischer, Michel Fontaine, Mme Samia Ghali, M. Bruno Gilles, Mmes Colette Giudicelli, Christiane Hummel, M. Jean-François Husson, Mme Christiane Kammermann, MM. Ronan Kerdraon, Georges Labazée, Jean-Claude Leroy, Gérard Longuet, Hervé Marseille, Mme Michelle Meunier, M. Alain Néri, Mme Isabelle Pasquet, M. Louis Pinton, Mmes Gisèle Printz, Catherine Procaccia, MM. Henri de Raincourt, Gérard Roche, René-Paul Savary, Mme Patricia Schillinger, MM. René Teulade, François Vendasi, Michel Vergoz, Dominique Watrin .

Voir le(s) numéro(s) :

Sénat :

747 (2011-2012) et 24 (2012-2013)

AVANT-PROPOS

Mesdames, Messieurs,

L'expertise publique française a été structurée par les crises sanitaires du début des années 1990. L'affaire du sang contaminé, celle de l'hormone de croissance, le scandale de l'amiante, l'affaire de la vache folle ont amené la création d'agences d'expertise souvent dotées de pouvoirs de régulation afin de permettre de prendre rapidement les décisions scientifiquement fondées susceptibles de protéger la santé humaine.

Ces agences, quelle que soit la qualité du travail qu'elles ont accompli par ailleurs et le dévouement de leurs agents, n'ont pas empêché la survenance de nouvelles catastrophes comme celle d'AZF ou le scandale du Mediator.

La succession des crises et leurs pendants que sont les surréactions des autorités publiques à des menaces sanitaires ont durablement mis en cause la confiance de nos concitoyens dans les institutions publiques, comme le montrent notamment les craintes autour de la vaccination contre l'hépatite B ou les refus de vaccination lors de la pandémie de grippe H1N1.

Parallèlement la diffusion des alertes sanitaires et environnementales est apparue comme entravée par les pressions auxquelles sont soumis les lanceurs d'alerte potentiels et par le risque d'inertie des institutions publiques.

Or une politique sanitaire et environnementale efficace est indispensable. Elle repose sur la crédibilité de l'action publique et sur l'implication des citoyens. Deux conditions doivent donc être réunies : l'expertise publique doit être irréprochable et ceux qui feront part de leurs doutes raisonnables sur l'impact d'un produit ou d'une activité ne doivent pas subir de pressions ou de rétorsions. Il convient donc de garantir l'indépendance de l'expertise et d'assurer tant la protection des lanceurs d'alerte que la prise en compte de leurs signalements quand ils sont fondés.

La loi du 29 décembre 2011 1 ( * ) relative au renforcement de la sécurité sanitaire du médicament et des produits de santé a déjà eu comme intention d'apporter des améliorations en matière d'indépendance de l'expertise et de protection des lanceurs d'alerte. A plusieurs égards cependant ce texte, dont la portée est limitée au domaine sanitaire, semble imparfait et sa mise en oeuvre insatisfaisante. Il convient donc de lui apporter des compléments.

Tel est l'objectif poursuivi par la proposition de loi déposée par Marie-Christine Blandin et les membres du groupe écologiste dont la commission des affaires sociales s'est saisie pour avis.

I. L'ENCADREMENT DE L'EXPERTISE ET LE RÔLE SANITAIRE ET ENVIRONNEMENTAL DE L'ENTREPRISE

La proposition de loi entend répondre aux insuffisances de la législation en matière d'expertise et d'alerte sanitaire et environnementale. Il convient donc d'examiner la situation actuelle, tant en ce qui concerne les autorités sanitaires que les entreprises.

A. UNE EXPERTISE REMISE EN CAUSE

Les critiques, déjà anciennes, concernant les agences sanitaires ont amené le Sénat à formuler plusieurs propositions qui conservent toute leur actualité malgré la loi du 29 décembre 2011 relative au renforcement de la sécurité sanitaire du médicament et des produits de santé

1. Un panorama sanitaire complexe

Les autorités sanitaires prennent différentes formes et les garanties d'indépendance de leurs recherches paraissent incomplètes.

On distingue deux types d'autorités sanitaires :

- celles en charge d'un pouvoir régalien de contrôle (ministère de la santé, Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé [ANSM], Agence de la biomédecine [ABM], Institut national du cancer [INCa], Etablissement français du sang [EFS]) ;

- celles en charge d'une mission de conseil (Haute Autorité de santé, Institut de veille sanitaire [InVS], Institut national de prévention et d'éducation pour la santé [Inpes]).

Néanmoins, l'enchevêtrement des compétences et les recompositions successives des organismes font que certains acteurs comme l'Agence nationale de sécurité sanitaire de l'alimentation, de l'environnement et du travail (Anses) ont à la fois des compétences de conseil et de contrôle en fonction des secteurs dans lesquels ils interviennent.

Les moyens dont disposent les autorités sanitaires sont divers. Certaines (ANSM, Anses, EFS, InVS) disposent d'une capacité de recherche interne avec des chercheurs recrutés pour travailler au sein de leurs laboratoires. Les autres (HAS, ABM, INCa, Inpes) peuvent avoir en leur sein quelques experts permanents mais s'appuient principalement sur des compétences extérieures.

Ainsi, des équipes de recherche rattachées à des organismes français ou étrangers peuvent être appelées à fournir des études pour les autorités sanitaires par l'intermédiaire d'appels à projets ou d'appels d'offres.

L'indépendance des recherches conduites par les autorités sanitaires s'insère dans le cadre plus large de l'éthique de la recherche. Elle peut être abordée sous deux angles complémentaires :

- ce qu'il est possible de faire dans le cadre d'une recherche ;

- la situation des chercheurs.

La définition de ce qui est acceptable en matière de recherche sanitaire fait l'objet d'une réglementation stricte en ce qui concerne l'animal (nécessité d'une autorisation d'expérimenter attribuée pour cinq ans par le ministère de l'agriculture, de l'agroalimentaire et de la forêt) et en ce qui concerne la recherche sur l'homme. La loi du 5 mars 2012 2 ( * ) relative aux recherches impliquant la personne humaine a renforcé le contrôle éthique des recherches interventionnelles ou observationnelles en augmentant les pouvoirs des comités de protection des personnes chargés d'examiner les protocoles de recherche. La loi française s'inscrit dans le cadre des textes internationaux opposables en France, comme la Convention sur les droits de l'homme et la biomédecine élaborée dans le cadre du Conseil de l'Europe, désormais ratifiée.

S'agissant de la méthodologie de la recherche, celle portant sur l'homme est soumise à un double contrôle, celui des comités de protection des personnes et celui d'un organisme spécialisé, le comité consultatif sur le traitement de l'information en matière de recherche dans le domaine de la santé (CCTIRS).

Les résultats des recherches sont examinés par la communauté scientifique dès lors que leur publication est envisagée puisque les revues les plus importantes transmettent les articles qui leur sont soumis à des experts indépendants qui se prononcent sur leur qualité scientifique. Une fois les résultats publiés, ceux-ci sont repris et discutés par les autres chercheurs.

En ce qui concerne la situation des chercheurs, le contrôle porte essentiellement sur la question de leurs liens d'intérêts et de leurs conflits d'intérêts. La loi du 29 décembre 2011 précitée a imposé la publication par les entreprises de la liste des contrats qu'elles signent avec les chercheurs. Ceux d'entre eux qui sont appelés à participer aux travaux des autorités sanitaires doivent établir des déclarations d'intérêts. Il appartient aux agences de les contrôler et d'en vérifier l'exactitude. La notion de conflit d'intérêts n'est pas définie par la loi.

Celle-ci renvoie l'essentiel de l'encadrement des liens et conflits d'intérêts à une « charte de l'expertise sanitaire, approuvée par décret en Conseil d'Etat, qui s'applique aux expertises réalisées dans les domaines de la santé et de la sécurité sanitaire à la demande du ministre chargé de la santé ou à la demande des autorités et des organismes mentionnés au I de l'article L. 1451-1 du code de la santé publique. Elle précise les modalités de choix des experts, le processus d'expertise et ses rapports avec le pouvoir de décision, la notion de liens d'intérêts, les cas de conflits d'intérêts, les modalités de gestion d'éventuels conflits et les cas exceptionnels dans lesquels il peut être tenu compte des travaux réalisés par des experts présentant un conflit d'intérêts. » Cette charte n'a pas été élaborée.

S'agissant des personnes, experts ou simples citoyens susceptibles de lancer des alertes dans le domaine sanitaire, la loi du 29 décembre 2011 a modifié le régime de pharmacovigilance afin de permettre une meilleure prise en compte des signaux relatifs aux médicaments et aux produits de santé. Un décret en Conseil d'Etat doit définir « ses modalités d'organisation ainsi que les procédures de détection, de recueil et d'analyse des signaux et les procédures de suivi et de retour de l'information ». L'article 43 de la loi, qui insère dans le code de la santé publique un article L. 5312-4-2, interdit toute discrimination contre les lanceurs d'alerte travaillant au sein des entreprises dont les produits entrent dans le champ de contrôle de l'ANSM.

L'Anses a, pour sa part, une mission d'expertise des risques sanitaires dans son domaine de compétences. Elle peut s'autosaisir de toute question en rapport avec ses compétences. Plus fréquemment, elle est saisie par un tiers, qui peut être un ou plusieurs ministères, un autre établissement public ou un organisme représenté à son conseil d'administration.

L'Anses peut également être saisie par plusieurs catégories d'associations agréées :

- associations de défense des consommateurs ;

- associations de protection de l'environnement ;

- associations ayant une activité dans le domaine de la qualité de la santé et de la prise en charge des malades ;

- associations d'aide aux victimes d'accidents du travail ou de maladies professionnelles représentées au conseil d'administration du Fonds d'indemnisation des victimes de l'amiante.

Les associations d'usagers sont désormais représentées au sein du conseil d'administration de l'ANSM et les syndicats le sont depuis l'origine au sein de celui de l'Anses.

2. Des réformes incomplètes

Lors de la discussion du projet de loi relatif au renforcement de la sécurité sanitaire du médicament et des produits de santé, le Sénat avait émis plusieurs critiques quant à l'efficacité des mesures proposées. Le contexte préélectoral et l'opposition entre la majorité sénatoriale et celle de l'Assemblée nationale de l'époque n'ont pas permis d'aboutir à un texte commun.

Pourtant, face à la complexité du système des autorités sanitaires, au faible nombre d'experts disponibles pour assurer des missions d'expertise publique et au poids des industries du secteur qui contribuent à remettre en cause la crédibilité de l'expertise sanitaire en France, plusieurs propositions de réforme ont été formulées dans le cadre de la commission d'enquête sénatoriale sur la grippe A(H1N1)v et de la mission d'information sur le Mediator. Ces propositions ont été adoptées à l'unanimité.


Propositions de la commission d'enquête sur la grippe A(H1N1)v

Gestion des conflits d'intérêts

12. Organiser un fichier national des contrats passés entre l'industrie et les médecins tenu par le Conseil national de l'Ordre.

13. Confier l'ensemble du contrôle ainsi que l'application des sanctions à un organisme indépendant et extérieur à la profession médicale. Cet organisme assurerait également la formation des experts sur les liens d'intérêts et sur leurs responsabilités.

14. Renforcer la collaboration entre le Comité d'animation du système d'agences et la HAS pour la définition de normes communes en matière de transparence que ce soit pour les déclarations d'intérêts, le recrutement des experts ou le fonctionnement des instances d'expertise.

15. Confier la présidence de la commission d'autorisation de mise sur le marché de l'Afssaps et de la commission de la transparence de la HAS, ainsi que des commissions et conseils visés à l'article L. 1451-1 du code de la santé publique, à des personnalités indépendantes sans liens d'intérêts avec l'industrie pharmaceutique.

Valorisation de l'expertise

16. Organiser la place de l'expertise dans une carrière, qu'elle soit publique ou privée.

17. Compenser le temps passé en tant qu'expert, ce qui implique, spécialement pour les experts ayant une activité libérale à plein temps, une augmentation du montant des vacations, voire la mise en place d'une véritable rémunération dans le cas de la participation permanente à un organe.

18. Mettre en place une échelle tarifaire de la participation à l'expertise fondée sur les comparaisons internationales pour assurer l'équité des sommes proposées.

19. Mettre en oeuvre l'obligation d'information systématique des directeurs des établissements publics sur les activités rémunérées effectuées par un médecin hospitalier à temps plein pour l'industrie ou les organismes publics de recherche et d'expertise.

20. Mettre en place, dans chaque CHU, une fondation hospitalo-universitaire de recherche cogérée par l'hôpital et les médecins, afin d'améliorer la transparence des flux financiers entre l'industrie, les établissements et les praticiens.

21. Créer dans chaque service hospitalier un plan d'activité permettant de répartir, pour six mois ou un an, les activités des médecins entre les soins, l'enseignement et la recherche. Ainsi, chaque médecin contribuera de manière équilibrée aux missions de son service.


Propositions de la mission d'information sur le Mediator

Un cadre déontologique renforcé

1. Confier le contrôle de l'expertise de santé publique à l'Autorité de la déontologie de la vie publique.

Cette Autorité de la déontologie de la vie publique est prévue dans le projet de loi relatif à la prévention des conflits d'intérêts.

2. Créer une cellule de veille déontologique auprès de chaque instance d'expertise sanitaire chargée du contrôle des déclarations publiques d'intérêts et de la gestion des conflits d'intérêts dans les réunions.

3. Compléter le cadre déontologique :

- en définissant juridiquement la notion de conflit d'intérêts ;

- en instaurant un modèle unique de formulaire de déclaration d'intérêts ;

- en publiant et en actualisant la charte de déontologie en santé publique.

4. Clarifier les responsabilités au sein des agences sanitaires :

- en excluant les représentants de l'industrie pharmaceutique de toutes les commissions et groupes de travail de l'Afssaps et de la HAS, qui seraient consultés par écrit ou par oral en tant que de besoin ;

- en prévoyant des sanctions pour le non-respect des obligations de déclaration par les entreprises des aides qu'elles versent aux associations de patients ;

- en exigeant que le directeur général de l'Afssaps et de l'ABM, ainsi que le président de la HAS, de l'InCA et de l'Inserm, n'aient pas de liens depuis au moins trois à cinq ans ;

- et en nommant le directeur général de l'Afssaps après publication d'une fiche de poste et appel à candidatures.

5. Veiller à l'application de règles déontologiques par les hauts fonctionnaires et les membres de cabinet :

- en limitant la présence des hauts fonctionnaires, directeurs d'autorité sanitaire ou d'administration centrale aux manifestations financées par l'industrie pharmaceutique ;

- en fixant des règles relatives à l'absence de liens d'intérêts directs ou indirects avec des organismes privés entrant dans le champ de compétence de l'administration à laquelle ils appartiennent ;

- et en confiant l'application de l'article L. 1421-3-1 du code de la santé publique relatif aux DPI à l'Autorité de déontologie de la vie publique.

6. Mettre en place un registre public des avantages consentis par l'industrie du médicament aux professionnels de santé géré par l'Autorité de déontologie de la vie publique :

- en instituant une procédure de déclaration obligatoire par les entreprises du médicament et du matériel médical ;

- en étendant cette obligation déclarative aux avantages consentis aux responsables associatifs, aux responsables politiques, aux membres des cabinets ministériels, aux économistes de la santé, aux sociétés savantes et aux organisations professionnelles ainsi qu'aux conventions liant l'industrie pharmaceutique aux médecins et aux contributions financières qu'elle verse aux associations ;

- et en prévoyant une sanction lorsqu'une déclaration n'aura pas été faite ou s'avèrera incomplète.


* 1 Loi n° 2011-2012.

* 2 Loi n° 2012-300.

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