C. LES LOURDES DIFFICULTÉS BUDGÉTAIRES DES COLLECTIVITÉS TERRITORIALES ULTRAMARINES
Les collectivités territoriales des départements d'outre-mer présentent une situation budgétaire structurellement dégradée depuis plusieurs années. A plusieurs reprises, votre commission a dénoncé l'insuffisance des ressources de fonctionnement et les problèmes permanents de trésorerie rencontrés par ces collectivités territoriales. La Cour des comptes 12 ( * ) a également fait état de la préoccupation des chambres régionales des comptes des DOM dans leurs missions de contrôle budgétaire. Un grand nombre de collectivités territoriales ultramarines font l'objet de procédures de redressement de leurs finances. Ainsi, à titre d'exemple, nos collègues Jean-Pierre Sueur, Christian Cointat et Félix Desplan ont relaté les inquiétudes de la chambre régionale des comptes de La Réunion - sous le contrôle de laquelle se trouvent le conseil général de Mayotte, 11 communes sur 17 et 3 syndicats intercommunaux - qui s'est plaint de l'inertie des collectivités en réponse à ses préconisations. En effet, très souvent, les chambres régionales des comptes ne sont plus en capacité de proposer un plan de redressement crédible.
1. Une situation financière préoccupante
L'origine de la situation financière préoccupante des collectivités territoriales ultramarines est multiple.
En premier lieu, la Cour des comptes relève l'absence de sincérité des comptes , qui ne permet pas de donner une image fidèle des flux financiers réels et des patrimoines des collectivités. Afin d'améliorer la présentation de leurs budgets et de leurs comptes, les collectivités ultramarines ignorent les obligations de rattachement à l'exercice des charges et des produits. De même, « l'absence, ou la défaillance, de certaines comptabilités d'engagement conduisent à ne pas enregistrer les dettes de fournisseurs, en laissant certaines factures « dans les tiroirs » ». En d'autres termes, les différents documents budgétaires sont établis à partir de données dont la sincérité et la fiabilité sont discutables. Toutefois, la Cour des comptes s'est félicitée de l'amélioration de la situation globale des collectivités ultramarines, avec la mise en place de plans de restructuration qui impliquent la révélation préalable de toutes les dettes fournisseurs, fiscales et sociales auparavant dissimulées.
En deuxième lieu, les ressources des collectivités territoriales ultramarines reposent souvent sur des recettes douanières , fortement dépendantes de l'activité économique et donc, de ce fait, fortement volatiles. Ainsi, à titre d'exemple, la collectivité départementale de Mayotte a bénéficié de 119,3 millions d'euros de taxes douanières en 2008 et de 103,6 millions d'euros en 2009, après le déclenchement de la crise économique, représentant une baisse de 15,7 millions d'euros, soit 13,2 %. La reprise des recettes douanières depuis 2010 n'a pas permis de compenser cette forte diminution. Nos collègues Bernard Frimat et Christian Cointat avaient également mis en exergue la fragilité budgétaire des communes de Guadeloupe, de Guyane et de Martinique, notamment depuis 2008 avec les crises sociale et économique qui ont pu interrompre les trajectoires engagées de redressement financier 13 ( * ) . Il convient également d'ajouter que les collectivités ultramarines souffrent d'une identification insuffisante de leurs bases fiscales et de difficultés de recouvrement de l'impôt local, comme l'ont souligné les deux dernières missions de votre commission dans les départements d'outre-mer.
En troisième lieu, enfin, les dépenses des collectivités ultramarines sont grevées par la forte croissance de leurs charges de fonctionnement, et plus spécifiquement de leurs dépenses de personnel . Depuis plusieurs années, celles-ci augmentent fortement, ce qui conduit à une rigidité des charges de structure. En effet, afin de faire face aux difficultés économiques et sociales locales, les collectivités territoriales ultramarines ont développé une politique d'équilibre social, par des recrutements massifs, tant de personnels titulaires que de contractuels, qui s'avère aujourd'hui dispendieuse. Nos collègues Jean-Pierre Sueur, Christian Cointat et Félix Desplan, ont expliqué, dans leur rapport consacré à Mayotte, les conséquences budgétaires d'une telle politique pour les collectivités mahoraises : « les minima sociaux n'existant quasiment pas ou étant à un niveau largement inférieur à celui de métropole, le conseil général apparaît comme une soupape sociale d'où un fort recrutement ». Plus largement, la Cour des comptes estime que cette politique de création d'emplois, souvent précaires, « les a conduites à des effectifs pléthoriques et à des coûts salariaux par habitant élevés ».
2. Les difficultés rencontrées par les collectivités ultramarines pour faire face aux enjeux de leurs territoires
Ces éléments posent la question de la soutenabilité des politiques publiques locales et des marges de manoeuvre dont disposent les collectivités territoriales pour assumer la maîtrise d'ouvrage de projets d'investissement nécessaires au développement économique, social et culturel des territoires et des populations dont elles ont la responsabilité.
En effet, les collectivités territoriales ultramarines rencontrent des difficultés pour assumer leurs compétences, ce qui est d'autant plus préjudiciable que les besoins d'équipement dans ces territoires sont supérieurs à ceux des collectivités hexagonales, en raison des contraintes liées à leur environnement géographique particulier (climat, météorologie, exposition aux phénomènes sismiques) et en raison de leur retard, en comparaison avec les collectivités métropolitaines, dans leurs investissement dans certains secteurs majeurs pour la population (santé publique, environnement, logements, eau potable et assainissement, gestion des déchets).
A cela s'ajoute la mise aux normes de leurs installations qu'elles ne sont pas en mesure d'effectuer, afin de respecter les normes communautaires ou les exigences du « Grenelle de l'environnement » ou encore de la loi n° 2005-102 du 11 février 2005 pour l'égalité des droits et des chances, la participation et la citoyenneté des personnes handicapées.
Enfin, le contexte économique et social particulier des départements d'outre-mer soulève des enjeux nécessitant une politique adaptée, mais coûteuse, des collectivités ultramarines, que ces dernières ne peuvent assumer. Une majorité des DOM connaissent une croissance démographique élevée, particulièrement en Guyane, à La Réunion et à Mayotte. Ainsi, à La Réunion, la population actuelle s'élève à 839 480 habitants. D'après les projections de l'INSEE, la population réunionnaise pourrait dépasser le million d'habitants en 2030. L'augmentation rapide de la population va nécessiter la mise en place de services publics et d'infrastructures adaptés, notamment dans le domaine scolaire en raison de la jeunesse de la population.
Par ailleurs, le taux de chômage dans les DOM est particulièrement élevé. Ils sont d'ailleurs parmi les plus élevés des régions de l'Union européenne, avec des taux moyens de 25 %. L'importance du chômage s'explique par un niveau de formation inférieur à celui des actifs de métropole, notamment pour les femmes et les jeunes actifs, et par le ralentissement de la croissance économique qui sévit depuis 2008. Cette situation nécessite la mise en oeuvre de politiques adaptées de cohésion sociale et de réduction des inégalités, ce qui constitue un enjeu majeur pour les collectivités ultramarines qui ne disposent pas des moyens budgétaires suffisants pour y faire face.
* 12 « La situation des communes des départements d'outre-mer », Cour des comptes, rapport public thématique, juillet 2011. Ce rapport est consultable à l'adresse suivante :
http://www.ccomptes.fr/Publications/Publications/Situation-financiere-des-communes-des-departements-outre-mer
* 13 Rapport d'information n° 410 (2010-2011) : « Guyane, Martinique, Guadeloupe : L'évolution institutionnelle, une opportunité, pas une solution miracle ». Ce rapport est consultable à l'adresse suivante : http://www.senat.fr/rap/r10-410/r10-410.html