EXPOSÉ GÉNÉRAL
Mesdames, Messieurs,
Au début de 2009, les départements d'outre-mer s'embrasaient dans un mouvement de protestation des populations contre la vie chère. A la fin de 2011, un mouvement similaire s'est déclenché à Mayotte, puis à La Réunion en 2012. Si ces mouvements ont pesé sur la situation économique des outre-mer, ils ont néanmoins mis en lumière des écarts de niveau de prix entre l'hexagone et les outre-mer en partie injustifiés. Ils ont surtout permis de faire prendre conscience à l'ensemble de l'opinion publique française des inégalités de niveau de vie entre la métropole et l'outre-mer.
Selon une étude de l'INSEE réalisée en 2010, l'écart moyen de niveau de prix entre les quatre départements d'outre-mer et la métropole était de 6 à 13 % selon le département 1 ( * ) . Cet écart passait de 34 à 49 % pour les seuls produits alimentaires. Les coûts liés à l'éloignement et à l'étroitesse des marchés ultramarins ne sauraient à eux seuls expliquer ces écarts.
Dans son avis relatif aux mécanismes d'importation et de distribution des produits de grande consommation dans les départements d'outre-mer 2 ( * ) , rendu le 8 septembre 2009, l'Autorité de la concurrence faisait en effet le constat d'une « insuffisance des mécanismes concurrentiels à plusieurs stades de la chaîne d'approvisionnement », y distinguant la cause première des « prix plus élevés dans ces régions qu'en métropole ».
Ainsi, le niveau élevé des prix outre-mer ne résulte pas uniquement des coûts particuliers d'acheminement et de l'étroitesse des marchés, mais également de la structure particulière de ces marchés, qui freine la concurrence et, par conséquent, limite les effets de la concurrence sur le niveau des prix. Votre rapporteur tient à rappeler qu'une mission de votre commission des lois, composée de nos collègues Jean-Pierre Sueur, président, Christian Cointat et Félix Desplan, s'est rendu à Mayotte puis à La Réunion en mars 2012 afin d'étudier, entre autres, la question de la vie chère, formulant sur cette question plusieurs propositions qui se retrouvent dans le présent projet de loi 3 ( * ) .
Le présent projet de loi relatif à la régulation économique outre-mer et portant diverses dispositions relatives à l'outre-mer contribue à répondre à cette problématique de la vie chère, par la mise en place de nouveaux instruments destinés à lutter contre certains facteurs structurels expliquant le niveau élevé des prix. Certes, il n'a pas vocation à bouleverser radicalement la situation et à résoudre instantanément tous les problèmes. Ses effets sur les économies ultramarines ne pourront se faire sentir que dans le moyen et le long terme. Toutefois, il apporte de bonnes réponses aux caractéristiques de ces économies, marquées par l'insularité, les difficultés d'accès et les coûts d'approvisionnement, l'étroitesse des marchés de consommation et la faiblesse du pouvoir d'achat, entraînant un nombre limité d'opérateurs économiques, de sorte que le jeu de la concurrence ne peut s'y exercer au bénéfice des consommateurs avec la même efficacité que dans l'hexagone. Cette situation, au demeurant, justifie aussi le renforcement de l'intégration économique des départements d'outre-mer dans leur environnement régional.
Votre commission souhaite que ces mesures nouvelles ne se résument pas un simple affichage politique, mais puissent réellement être mises en oeuvre afin d'accroître la concurrence dans les économies ultramarines et, par conséquent, de faire diminuer les prix pour les populations, notamment les plus modestes. Cela supposera, certes, un engagement particulier de la part de l'Autorité de la concurrence - mais votre rapporteur a pu constater qu'elle y était prête, à condition qu'on lui consente les moyens et les capacités de faire face à cette nouvelle mission -, mais également de la part des services déconcentrés de l'État compétents en matière de régulation de la concurrence et de protection économique des consommateurs, sous l'égide des préfets et de l'administration centrale chargée de la concurrence et de la consommation - ce qui suppose également la mise en oeuvre de moyens adaptés à ces missions nouvelles outre-mer.
Le projet de loi ayant été envoyé au fond à la commission des affaires économiques, notre commission s'est saisie pour avis des articles 1 er , 2, 3 et 5 en ce qu'ils élargissent les attributions de l'Autorité de la concurrence et complètent les compétences des collectivités ultramarines en leur permettant de saisir l'Autorité de la concurrence des pratiques anticoncurrentielles.
Outre les dispositions relatives à la régulation économique outre-mer, qui constituent son premier chapitre, le projet de loi comporte dans un second chapitre diverses dispositions relatives à l'outre-mer, pour l'examen de la plupart desquelles votre commission des lois a reçu délégation au fond de la part de la commission des affaires économiques. Cette délégation au fond concerne les articles 8, 9 et 10.
Enfin, le calendrier d'examen de ce projet de loi par le Sénat apparaît particulièrement resserré. Déposé le 5 septembre 2012, il est inscrit à l'ordre du jour dès le 26 septembre, avec engagement de la procédure accélérée. Votre rapporteur regrette qu'il n'ait pas été donné au Sénat davantage de temps pour l'examiner, même si la mission de votre commission à Mayotte et à La Réunion a pu constituer un utile travail préparatoire à l'examen de ce projet de loi. Les collectivités ultramarines, qui devaient être obligatoirement consultées sur le projet de loi, l'ont été aussi dans des conditions d'urgence 4 ( * ) .
Néanmoins, votre rapporteur tient à se féliciter de l'esprit fructueux de collaboration qu'il a entretenu avec le rapporteur de la commission des affaires économiques, notre collègue Serge Larcher, qui a accepté de prendre en compte l'essentiel de ses préoccupations lors de l'établissement du texte de la commission, base de la discussion en séance publique. N'ayant pu se réunir avant la commission des affaires économiques, votre commission des lois a déposé plusieurs amendements. Votre rapporteur a également été convié à assister à la réunion de la commission des affaires économiques au cours de laquelle a été entendu en audition M. Victorin Lurel, ministre des outre-mer, puis ont été adoptés le rapport et le texte de la commission.
I. LES COLLECTIVITÉS TERRITORIALES ULTRAMARINES : ENTRE L'ENCLUME DE LA VIE CHÈRE ET LE MARTEAU DES DIFFICULTÉS BUDGÉTAIRES
Entre 2009 et 2012, la Guadeloupe, la Martinique, la Guyane, La Réunion, Mayotte, la Nouvelle-Calédonie et Wallis-et-Futuna ont connu des périodes de forte contestation sociale autour de la thématique de la vie chère, laissant apparaître un contexte de crise important et des questionnements profonds sur les évolutions des sociétés ultramarines et leur positionnement par rapport à la métropole.
Le phénomène de la vie chère représente un enjeu social majeur dans les collectivités ultramarines. Celui-ci est rendu d'autant plus insupportable que les territoires ultramarins souffrent de problèmes économiques et sociaux importants, liés à un taux de chômage élevé et aux conséquences de la crise économique. Par ailleurs, les collectivités territoriales ultramarines souffrent de difficultés budgétaires structurelles qui les empêchent de mettre en place des projets d'investissement pourtant nécessaires.
A. LA PROBLÉMATIQUE RÉCURRENTE DE LA VIE CHÈRE
1. Malgré la difficile évaluation des prix...
Comme l'ont rappelé nos collègues Jean-Pierre Sueur, Christian Cointat et Félix Desplan dans leurs rapports d'information sur Mayotte et La Réunion, la comparaison des prix pratiqués en métropole et en outre-mer est rendue peu aisée à la fois par le nombre de facteurs intervenant dans la formation des prix et par la variation de leur poids respectif sur ces prix. Par ailleurs, comme l'a noté en 2009 la mission commune d'information du Sénat sur la situation des départements d'outre-mer 5 ( * ) , les prix entre la métropole et les départements d'outre-mer (DOM) peuvent fortement varier selon les produits .
En effet, il convient de rappeler que les habitudes de consommation ne sont pas les mêmes en métropole et outre-mer. Le niveau de vie moyen plus élevé en métropole et la différence des climats impliquent des approches différentes, qui contribuent à remettre en cause le contenu des « paniers-type » (ou « chariots-type ») définis par l'INSEE, l'association UFC-Que choisir ou les observatoires des prix et des revenus domiens. Or, ces « paniers-type » sont le fondement des comparaisons de prix entre DOM et métropole. Comme l'a rappelé l'INSEE dans son enquête de 2010 6 ( * ) , deux approches sont possibles pour apprécier le niveau des prix en outre-mer par rapport à ceux pratiqués en métropole : « La première approche permet de mesurer la variation du budget de consommation d'un ménage métropolitain qui vivrait outre-mer tout en conservant ses habitudes de consommation métropolitaines. La seconde, symétrique, cherche à mesurer de combien augmenterait ou diminuerait le coût du panier de consommation d'un ménage ultra-marin s'il achetait ses produits aux prix pratiqués en France métropolitaine ». Il apparaît ainsi, selon l'INSEE, que « Les écarts de prix entre territoires sont plus forts du point de vue d'un ménage métropolitain que de celui d'un ménage ultra-marin ».
Enfin, le poids respectif de chaque facteur déterminant le prix peut varier, dans des proportions parfois importantes.
En d'autres termes, la situation de chaque DOM, mais aussi de chaque produit, chaque article et chaque étape du circuit d'approvisionnement est différente, à tel point qu'il est difficile d'identifier globalement les responsabilités dans le niveau élevé des prix en outre-mer. Tous ces éléments permettent en tout cas aux différents acteurs économiques de contester les chiffres donnés par leurs interlocuteurs et aboutissent à une situation quasi-inintelligible, peu propice à la prise de décision politique.
2. ... on constate des prix plus élevés outre-mer qu'en métropole
En 2009, l'Autorité de la concurrence 7 ( * ) estimait, selon les relevés effectués sur un échantillon d'environ 75 produits importés de métropole dans les quatre DOM 8 ( * ) , que les écarts de prix en magasin avec la métropole sont supérieurs de 55 % pour plus de 50 % des produits échantillonnés.
Ce constat a été confirmé par l'étude de l'INSEE réalisée en 2010, qui a actualisé ses études précédentes datant de 1985 et 1992 9 ( * ) . Ainsi, l'INSEE a mis en exergue des prix plus élevés dans les départements d'outre-mer qu'en France métropolitaine : en 2010, le niveau général des prix à la consommation était supérieur de 13 % en Guyane, de 9,7 % en Martinique, de 8,3 % en Guadeloupe et de 6,2 % à La Réunion par rapport à ceux pratiqués dans l'hexagone.
Cette différence de prix s'explique principalement par la cherté des produits alimentaires en outre-mer, qui représentent l'un des premiers postes de consommation des ménages : les prix de l'alimentaire sont plus élevés de 34 % à 49 % selon les départements. Ces écarts de prix hors loyers par rapport à la métropole ont peu évolué depuis 1985, sauf pour La Réunion.
* 1 INSEE Première, n° 1304, juillet 2010, « Comparaison des prix entre les DOM et la métropole en 2010 ». Ce document est consultable à l'adresse suivante :
http://www.insee.fr/fr/ffc/ipweb/ip1304/ip1304.pdf
* 2 Avis de l'Autorité de la concurrence n° 09-A-45 du 8 septembre 2009 relatif aux mécanismes d'importation et de distribution des produits de grande consommation dans les départements d'outre-mer. Cet avis est consultable à l'adresse suivante :
http://www.autoritedelaconcurrence.fr/pdf/avis/09a45.pdf
* 3 Rapport d'information n° 675 (2011-2012), « Mayotte : un nouveau département confronté à de lourds défis ». Ce rapport est consultable à l'adresse suivante :
http://www.senat.fr/rap/r11-675/r11-675.html
Rapport d'information n° 676 (2011-2012), « Services publics, vie chère, emploi des jeunes : La Réunion à la croisée des chemins ». Ce rapport est consultable à l'adresse suivante :
http://www.senat.fr/rap/r11-676/r11-676.html
* 4 L'étude d'impact du projet de loi ne fait pas état du résultat de ces consultations obligatoires.
* 5 Rapport d'information n° 519 (2008-2009), « Les DOM, défi pour la République, chance pour la France, 100 propositions pour fonder l'avenir ». Ce rapport est consultable aux adresses suivantes :
http://www.senat.fr/notice-rapport/2008/r08-519-1-notice.html (tome 1)
http://www.senat.fr/notice-rapport/2008/r08-519-2-notice.html (tome 2)
* 6 Voir note 1 page 7.
* 7 Voir note 2 page 7.
* 8 L'étude de l'INSEE de 2010 comme l'avis de l'Autorité de la Concurrence de 2009 n'intègrent pas Mayotte, devenue le cinquième département d'outre-mer le 31 mars 2011, soit quelques mois après la publication de ces travaux.
* 9 Cette enquête statistique devrait être renouvelée par l'INSEE en 2015.