G. HARMONISATION DES PEINES PÉNALES ENCOURUES EN MATIÈRE D'ACCÈS ILLICITE À DES INFORMATIONS PRIVILÉGIÉES (ARTICLE 93 TER)

1. Le droit existant

a) La répression des délits et manquements boursiers

Le droit pénal boursier sanctionne trois délits sur le fondement de l'atteinte à la transparence des marchés, dont le régime est codifié aux articles L. 465-1 à L. 465-3 du code monétaire et financier : le délit d'initié et, par extension, la communication d'informations privilégiées 10 ( * ) , la diffusion d'informations fausses ou trompeuses et la manipulation de cours .

En application de l'article L. 621-15 du même code et depuis la loi du 2 août 1989 relative à la sécurité et à la transparence du marché financier 11 ( * ) , ces abus de marché sont également susceptibles de faire l'objet de sanctions administratives prononcées par la commission des sanctions de l'Autorité des marchés financiers (AMF), et sont alors qualifiés de « manquements ». Leur définition diffère quelque peu de celle des délits, notamment en ce que l'AMF sanctionne également la tentative.

Deux types de sanctions administratives peuvent être prononcés par l'AMF à l'encontre des personnes physiques et morales, en distinguant les professionnels placés sous le contrôle de l'AMF et les autres personnes physiques ou morales :

- à titre disciplinaire , l'avertissement, le blâme, le retrait temporaire ou permanent de la carte professionnelle (pour les personnes physiques), l'interdiction à titre temporaire ou définitif de l'exercice de tout ou partie des activités ou services fournis ;

- en sus ou à la place de ces sanctions, une sanction pécuniaire dont les plafonds ont été décuplés par la loi de régulation bancaire et financière du 22 octobre 2010. Le montant de la sanction est, s'agissant des prestataires et professions réglementés et contrôlés par l'AMF et de toute autre personne physique ou morale qui s'est livrée ou a tenté de se livrer à un abus de marché sur le territoire français, plafonné à 100 millions d'euros ou au décuple du montant des profits éventuellement réalisés. Pour les personnes physiques placées sous l'autorité ou agissant pour le compte d'un professionnel contrôlé par l'AMF, ce montant est plafonné à 15 millions d'euros ou au décuple du montant des profits éventuellement réalisés en cas d'abus de marché.

Dans le respect des dispositions et de la jurisprudence communautaires, ces sanctions doivent respecter un principe de proportionnalité de la peine puisque le montant de la sanction doit être fixé « en fonction de la gravité des manquements commis et en relation avec les avantages ou les profits éventuellement tirés de ces manquements » ( c du III de l'article L. 621-15 du code monétaire et financier).

Cette double répression pénale et administrative des infractions boursières constitue une entorse mesurée à la règle « non bis in idem » . En effet, elle est rare dans la pratique, a été admise par la jurisprudence du Conseil constitutionnel et des juridictions judiciaires, et est consacrée par la directive sur les opérations d'initiés et les manipulations de marché du 28 janvier 2003, dite directive « abus de marché ». En outre, la sanction pécuniaire prononcée par l'AMF peut s'imputer sur l'éventuelle amende pénale , conformément aux exigences de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales.

b) Le régime pénal du délit d'initié

Le délit d'initié, qui a été introduit en 1967, repose sur la notion centrale d'information privilégiée et distingue les initiés « primaires » et « secondaires ». Le délit est constitué lors de l'utilisation en bourse, par diverses personnes, d'informations confidentielles dont elles ont eu connaissance à titre professionnel ou non et qui leur confèrent la qualité d'initié. Ce n'est donc pas le fait d'être initié qui est en soi poursuivi, mais l'utilisation précoce et illicite des informations détenues .

L'article L. 465-1 du code précité prévoit des sanctions différentes selon les catégories de personnes qui commettent le délit d'initié, en distinguant les initiés « primaires » et « secondaires » .

Il est défini par le premier alinéa de l'article L. 465-1 du code précité comme « le fait, pour les dirigeants d'une société [...] , et pour les personnes disposant, à l'occasion de l'exercice de leur profession ou de leurs fonctions, d'informations privilégiées sur les perspectives ou la situation d'un émetteur dont les titres sont négociés sur un marché réglementé ou sur les perspectives d'évolution d'un instrument financier ou d'un actif [...] admis sur un marché réglementé, de réaliser ou de permettre de réaliser , soit directement, soit par personne interposée, une ou plusieurs opérations avant que le public ait connaissance de ces informations ».

Les sanctions encourues sont une peine de deux ans d'emprisonnement et une amende d'1,5 million d'euros , et dont le montant peut être porté au-delà de ce chiffre, jusqu'au décuple du montant du profit éventuellement réalisé , sans que l'amende puisse être inférieure à ce même profit.

Le troisième alinéa du même article étend la qualification du délit aux initiés secondaires , c'est-à-dire à toute autre personne que celles mentionnées dans le premier alinéa (donc sans lien avec l'exercice de la profession ou des fonctions), qui possède « en connaissance de cause des informations privilégiées », et réalise ou permet de réaliser directement ou indirectement une opération, ou communique à un tiers ces informations, avant que le public en ait connaissance. Les peines encourues sont une peine d'un an d'emprisonnement et une amende de 150 000 euros, dont le montant peut être porté au décuple de celui du profit éventuellement réalisé .

Lorsque les informations en cause concernent la commission d'un crime ou d'un délit, les peines sont portées à sept ans d'emprisonnement et à 1,5 million d'euros si le montant des profits réalisés est inférieur à ce chiffre.

Enfin, le deuxième alinéa du même article définit le délit de communication d'informations privilégiées comme « le fait, pour toute personne disposant dans l'exercice de sa profession ou de ses fonctions d'une information privilégiée sur les perspectives ou la situation d'un émetteur dont les titres sont négociés sur un marché réglementé ou sur les perspectives d'évolution d'un instrument financier [...] admis sur un marché réglementé, de la communiquer à un tiers en dehors du cadre normal de sa profession ou de ses fonctions ». Ce délit est puni d'un an d'emprisonnement et d'une amende de 150 000 euros, sans possibilité de la porter au décuple du montant du profit éventuellement réalisé , à la différence de ce qui est prévu pour les initiés primaires et secondaires.

Depuis la loi du 15 novembre 2001 sur la sécurité quotidienne, l'ensemble des délits d'initié sont, en application du 7° de l'article 421-1 du code pénal, susceptibles d'être qualifiés d' « actes de terrorisme », ce qui tend à conforter la perception de la gravité de ces infractions. Pour être qualifié de tel acte, le délit d'initié doit toutefois s'inscrire dans une stratégie plus globale , c'est-à-dire être « intentionnellement en relation avec une entreprise individuelle ou collective ayant pour but de troubler gravement l'ordre public par l'intimidation ou la terreur ».

2. Le dispositif adopté par l'Assemblée nationale

L'article 93 ter de la présente proposition de loi, adopté par l'Assemblée nationale à l'initiative de Jean-Luc Warsmann, président de la commission des lois, propose de clarifier et d'harmoniser le régime pénal du délit d'initié .

Cet article étend ainsi au régime de sanction des dirigeants sociaux et personnes qui disposent d'informations privilégiées à l'occasion de l'exercice de leur profession ou de leurs fonctions et qui communiquent ces informations à un tiers, la possibilité de porter l'amende jusqu'au décuple du montant du profit éventuellement réalisé , sans pour autant que l'amende puisse être inférieure à ce même profit.

Il procède ainsi à un alignement avec le régime des initiés primaires , les personnes visées - dirigeants sociaux et professionnels financiers - étant les mêmes. Le plafond de l'amende et la peine d'emprisonnement demeurent toutefois distincts, compte tenu du niveau différent de gravité des infractions.

En revanche, un amendement, adopté en séance à l'initiative de notre collègue député Etienne Blanc, avec l'avis favorable du Gouvernement, a conduit à maintenir la circonstance aggravante du délit d'initié qui prévoit l'augmentation de la peine à 7 ans et 1,5 million d'euros d'amende « lorsque les informations en cause concernent la commission d'un crime ou d'un délit », dont la commission des lois avait initialement adopté la suppression.


* 10 Couramment désigné comme « délit de dîner en ville ».

* 11 Intervenue en particulier à la suite de l'affaire Pechiney c/ Triangle qui avait révélé la difficulté de poursuivre pénalement les auteurs de certains délits.

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