EXPOSÉ GÉNÉRAL
Mesdames, Messieurs,
Consommer davantage n'est pas une fin en soi, pour notre société comme pour chacun d'entre nous. Consommer mieux doit être la priorité. Pour cela, il faut être bien informé et protégé des comportements abusifs.
Le consommateur, qui n'est en réalité qu'une des figures du citoyen, mérite la protection de la puissance publique, car il est structurellement dans une position d'infériorité et de faiblesse dans ses relations contractuelles avec les professionnels avec lesquels il a affaire, de sorte que laisser les relations de consommation à l'entière liberté contractuelle ne serait pas juste. Comme le dit le professeur Jean Calais-Auloy, un des pères fondateurs du droit français de la consommation, « cette protection, le droit civil classique est impuissant à l'assurer » 1 ( * ) .
En outre, en cette période de grave crise économique, qui menace le pouvoir d'achat, il est encore plus urgent de protéger les consommateurs, en renforçant leur information et en sécurisant l'acte d'achat. Il appartient au législateur de mettre en place les règles d'information et de protection pour sécuriser l'acte de consommation et il revient à l'administration de contrôler le respect de ces règles par les professionnels.
Certains prétendent que l'on peut trop protéger les consommateurs, que l'on peut laisser trop de place au droit de la consommation, au risque de fragiliser les entreprises, de porter atteinte à la liberté constitutionnelle du commerce et de l'industrie, voire dans certains cas de saper les bases mêmes de notre système économique.
Pourtant, le principe fondateur de l'économie de marché n'est-il pas la confiance ? Il n'y a pas d'échanges économiques sans un degré suffisant de confiance entre l'acheteur et le vendeur. Le droit de la consommation, par les obligations qu'il impose au professionnel, par les règles protectrices du consommateur qu'il met en place, contribue justement à établir la confiance, dissuadant les comportements déviants qui peuvent naître et prospérer dans toute société où la liberté des plus forts ou des plus rusés n'est pas tempérée par la loi. En ce sens, le droit de la consommation est en réalité indispensable à toute économie de marché. Il en est même aujourd'hui un pilier nécessaire et reconnu, de sorte que son approfondissement comme son adaptation à l'évolution des conditions économiques et technologiques sont une nécessité pour la vitalité même de notre économie et le développement équilibré du commerce.
Le projet de loi renforçant les droits, la protection et l'information des consommateurs a été déposé sur le bureau de l'Assemblée nationale le 1 er juin 2011 puis adopté en première lecture le 11 octobre 2011. Inscrit à l'ordre du jour gouvernemental du Sénat à compter du 20 décembre 2011, soit deux mois seulement après sa transmission, ce projet de loi doit être examiné dans des conditions qui contraignent le Sénat, comme vos commissions de l'économie, saisie au fond, et des lois, saisie pour avis, à un travail particulièrement hâtif et précipité. Votre rapporteur pour avis n'aura disposé que de quelques semaines pour organiser ses travaux et ses auditions. Pourtant, ce projet de loi, dont le texte initial ne comportait que 11 articles, est passé à 56 articles à l'issue de son examen par l'Assemblée nationale et mériterait, par la grande diversité des sujets qu'il aborde, même pour les seuls articles concernés par l'avis de votre commission des lois, un examen bien plus approfondi.
Votre commission des lois tient à rappeler que la première condition qui garantit la qualité de la loi votée par le Parlement est de disposer du temps suffisant pour l'étudier. Ce projet de loi soulève d'ailleurs de nombreuses questions d'ordre juridique, complexes, qui exigeraient davantage de temps.
Pour autant, malgré cette précipitation à organiser la première lecture dans les deux assemblées de ce projet de loi présenté comme prioritaire au nom de la défense des consommateurs, le Gouvernement n'a pas souhaité engager, avant le début de l'examen par l'Assemblée nationale, la procédure accélérée. Votre commission ne déplore évidemment pas que le Gouvernement laisse la navette parlementaire se dérouler dans des conditions normales, mais, sans préjuger de l'issue d'une éventuelle commission mixte paritaire après deux lectures dans chaque assemblée, elle doute sérieusement que l'examen de ce texte puisse s'achever définitivement avant la suspension, à la fin du mois de février, des travaux parlementaires, suspension imposée par la campagne de l'élection présidentielle puis celle des élections législatives. Votre commission s'interroge sur l'utilité d'un travail aussi dense et précipité, sans perspective réelle d'aboutissement. Au moins aura-t-elle pu marquer son attachement et affirmer sa position sur quelques aspects majeurs du droit de la consommation.
Ce texte s'apparente à un projet de loi portant diverses dispositions relatives aux consommateurs. De nombreux secteurs d'activité sont visés, de la téléphonie mobile à l'énergie, de l'accès à internet aux assurances, sans oublier les relations entre bailleur et locataire, au détriment de la lisibilité de la cohérence d'ensemble du texte. Sont modifiées une multitude de dispositions et seule l'évolution du régime des sanctions en droit de la consommation est le trait commun à la plupart d'entre elles.
M. Frédéric Lefebvre, secrétaire d'État chargé de la consommation, a indiqué que ce texte avait été bâti à partir des réclamations des consommateurs recensées par la DGCCRF, ceci expliquant sans doute son caractère composite et très varié. Il a également indiqué que la ligne directrice en était le souci de réduire les dépenses contraintes des ménages pour leur redonner du pouvoir d'achat. Si votre commission partage cet objectif louable, elle reste fermement attachée au principe de protection qui doit irriguer l'ensemble du droit de la consommation. Peut-on imaginer de réduire cette protection, au motif qu'il faudrait réduire les coûts, pour les entreprises, résultant de leurs obligations à l'égard des consommateurs, afin de pouvoir faire baisser les prix ?
La saisine pour avis de votre commission des lois résulte du suivi de ses compétences traditionnelles dans le domaine du droit de la consommation et du droit immobilier. À cet égard, votre rapporteur relève que la commission des lois de l'Assemblée nationale ne dispose pas, aux termes de son règlement, d'une compétence en droit de la consommation, celui-ci relevant uniquement de la commission des affaires économiques. Pourtant, un droit caractérisé par des sanctions spécifiques, des procédures particulières devant le juge civil ou répressif, en somme des particularités juridiques qu'il est nécessaire de bien ordonnancer et coordonner avec le reste de notre système juridique, mérite l'attention de votre commission des lois.
En outre, la commission de l'économie a délégué à votre commission des lois l'examen au fond de neuf articles, considérant qu'ils relevaient de la seule compétence de votre commission. Il s'agit des articles 1 er bis , 1 er ter , 2 bis A, 7 ter , 8 bis A, 8 ter , 10 bis E, 10 bis M et 10 quater . Au titre de son avis, votre commission a également examiné une vingtaine d'autres articles.
La ligne de conduite que s'est donnée votre rapporteur pour avis est ainsi de conserver dans le texte ce qui accroît véritablement l'information et la protection des consommateurs, d'en supprimer ce qui les affaiblit ou ce qui y déroge, et d'y ajouter ce qui les renforce davantage, à commencer par l'action de groupe, grande absente du texte du Gouvernement. Votre rapporteur s'est ainsi placé dans la position du consommateur, sans négliger évidemment les contraintes et les nécessités du droit, notamment communautaire, auxquelles votre commission est naturellement toujours attentive.
I. LE CONTEXTE DE LA POLITIQUE FRANÇAISE DE PROTECTION DES CONSOMMATEURS
Le droit de la consommation est un droit récent, qui s'est dégagé peu à peu du droit général des contrats pour former une branche autonome du droit, dotée de ses principes propres, de ses règles, de son régime répressif et de ses institutions. Son émergence et son développement accompagnent l'entrée dans la société de consommation. Il repose sur le constat de la nécessité de protéger le consommateur, économiquement plus faible et moins informé, des éventuels comportements abusifs de professionnels, plus avertis et plus compétents, et vise à préserver un certain équilibre dans la relation contractuelle entre un consommateur et un professionnel, que celui-ci soit vendeur de biens ou prestataire de services, équilibre que le droit des contrats ne saurait à lui seul garantir.
De nombreux textes protecteurs des consommateurs sont intervenus à partir des années 1970, mais le code de la consommation ne date que de 1993. Néanmoins, le droit français de la consommation est réputé parmi les plus protecteurs de l'Union européenne.
A. LE DROIT COMMUNAUTAIRE EN RETRAIT SUR LE DROIT FRANÇAIS
Le droit communautaire de la consommation s'est particulièrement développé depuis les années 1980, en parallèle du droit français, notamment par des directives successives destinées à faire converger et à harmoniser au sein du marché européen le niveau de protection des consommateurs.
Or, les directives les plus récentes ont tendance à poser le principe de l'harmonisation complète ou maximale pour leur transposition, qui interdit de facto aux États membres de conserver un niveau de protection plus élevé. Ce principe d'harmonisation maximale est relativement préoccupant pour les consommateurs français, qui bénéficient d'un niveau de protection parmi les plus élevés de l'Union européenne.
À cet égard, notre collègue Bernard Saugey, dans son rapport sur la proposition de loi de simplification et d'amélioration de la qualité du droit, en deuxième lecture 2 ( * ) , en 2011, déplorait que la mise en conformité du droit français relatif aux pratiques commerciales déloyales avec le droit communautaire, en matière de ventes liées, à la suite d'une mise en demeure adressée à la France par la Commission européenne et de décisions de la Cour de justice de l'Union européenne, constituait « une régression de la protection des consommateurs français ».
Ainsi, trop souvent, la transposition de directives communautaires a pour conséquence de fragiliser et parfois d'affaiblir le niveau de protection des consommateurs français ou, à l'inverse, d'empêcher de mettre en place des règles plus protectrices alors qu'elles seraient nécessaires. Sans doute ce phénomène découle-t-il indirectement du fait que la construction européenne a d'abord été économique, par la constitution d'un vaste marché intérieur unifié devant bénéficier autant que possible de règles communes. Ainsi, le droit communautaire de la consommation vise-t-il d'abord à ériger un droit commun plutôt qu'à relever le niveau de protection des consommateurs.
Ainsi, l'article 4 de la directive 2011/83/UE du 25 octobre 2011 relative aux droits des consommateurs, dernière directive en date en matière de consommation et dont certains articles du projet de loi transposent une partie des dispositions, respectant le délai de transposition fixé à décembre 2013, prévoit un niveau d'harmonisation maximale :
« Les États membres s'abstiennent de maintenir ou d'introduire, dans leur droit national, des dispositions s'écartant de celles fixées par la présente directive, notamment des dispositions plus strictes ou plus souples visant à assurer un niveau différent de protection des consommateurs, sauf si la présente directive en dispose autrement. »
L'objectif de cette directive est en effet d'aboutir, dans l'ensemble du marché européen, à un niveau uniforme de protection des consommateurs, certes jugé élevé par la Commission, quitte à réduire le niveau de protection dans certains droits nationaux ou à empêcher de le relever. À titre d'exemple, votre rapporteur a été alertée par le grand nombre de réclamations à propos de contrats conclus dans les foires et salons, au point que la plupart des associations de défense des consommateurs réclament l'instauration d'un droit de rétractation pour ces contrats qui peuvent être conclus dans des conditions parfois de pression psychologique de la part du vendeur : comme certains consommateurs pensent disposer de ce droit de rétractation, puisqu'une foire n'est pas un magasin traditionnel, ils cèdent aux instances du vendeur, pensant ensuite se rétracter puis découvrant qu'en réalité ils ne le peuvent pas. Or, pour ce type de vente, le droit communautaire ne semble pas permettre d'instituer au bénéfice du consommateur un droit de rétractation.
C'est pourquoi votre commission invite instamment le Gouvernement à être vigilant et à toujours s'assurer que les futures directives en matière de protection des consommateurs relèvent davantage du principe d'harmonisation minimale et, à tout le moins, prévoient les dérogations nécessaires et ménagent la possibilité de maintenir les dispositifs protecteurs du droit français. De plus, le principe d'harmonisation maximale pourrait être réservé à un nombre limité de notions juridiques, pour en imposer une définition commune, ou de règles de protection, tout en laissant dans les autres matières une faculté plus large d'édicter des règles plus strictes, selon le principe d'harmonisation minimale.
En matière d'obligations d'information incombant au professionnel, votre rapporteur relève néanmoins que l'article 6 de la directive du 25 octobre 2011 dispose que « les exigences en matière d'information prévues par la présente directive (...) n'empêchent pas les États membres d'imposer des exigences supplémentaires en matière d'information ». Il existe ainsi quelques dérogations ponctuelles au strict principe d'harmonisation maximale, qu'il appartient au législateur national de pleinement utiliser pour développer un droit de la consommation plus protecteur.
* 1 Jean Calais-Auloy et Henri Temple, Droit de la consommation , 8 ème édition, 2010, p. 22.
* 2 Ce rapport est consultable à l'adresse suivante :