III. UN DROIT D'ASILE DE PLUS EN PLUS DIFFICILE À EXERCER
Au-delà du recours excessif à la procédure prioritaire, qui prive de droit au séjour et à un recours suspensif une part importante des demandeurs d'asile , votre rapporteur pour avis a été alerté par plusieurs associations sur les difficultés croissantes rencontrées, sur le terrain, par les demandeurs d'asile pour faire valoir leurs droits. Ces difficultés trouvent leur source dans la saturation des dispositifs d'accueil et d'hébergement, contraignant une part croissante des demandeurs à résider sur le territoire dans des conditions de plus en plus précaires en attendant qu'une décision ait été prise quant à leur demande de protection.
A. UNE SATURATION DES CENTRES D'ACCUEIL POUR DEMANDEURS D'ASILE (CADA)
Les demandeurs d'asile en procédure « normale » dépourvus de ressources suffisantes et de logement sont en principe accueillis pendant le temps de l'instruction de leur demande, et le cas échéant, de leur recours, dans un centre d'accueil pour demandeurs d'asile (CADA) .
Aux termes de l'article L. 348-2 du code de l'action sociale et des familles, ces centres « ont pour mission d'assurer l'accueil, l'hébergement ainsi que l'accompagnement social et administratif des demandeurs d'asile en possession de l'un des documents de séjour mentionnés à l'article L. 742-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, pendant la durée d'instruction de leur demande d'asile ».
En dépit de progrès notables réalisés au cours des dix dernières années - le nombre de places de CADA a été multiplié par quatre en dix ans, passant de 5 282 places en 2001 à 21 410 places fin 2010 - , le dispositif d'accueil en CADA est aujourd'hui totalement saturé .
Au 30 septembre 2011, il comportait 21 410 places réparties sur 272 CADA situés dans l'ensemble des régions du territoire métropolitain (à l'exception de la Corse), auxquelles s'ajoutent 246 places réparties dans deux centres de transit et les 33 places du centre d'accueil et d'orientation des mineurs isolés demandeurs d'asile (CAOMIDA) - soit un total de 21 689 places , alors que le nombre de demandeurs d'asile en cours de procédure sur le territoire français à la même date s'élevait à 53 918 personnes .
Occupés à 97,8% au 30 septembre 2011, les CADA ne sont ainsi en réalité en mesure d'accueillir que 38,8% des demandeurs d'asile éligibles 9 ( * ) .
Or il est unanimement reconnu qu'un demandeur d'asile accueilli en CADA a une probabilité plus forte de voir sa demande prospérer que les autres, en raison d'un accompagnement social, administratif et juridique plus adapté. Comme l'indique le rapport de la mission d'appui sur les coûts des CADA, établi conjointement en novembre 2010 par l'Inspection générale des affaires sociales (IGAS) et le Contrôle général économique et financier (CGEFI) : « [la] diversité de traitement en matière d'hébergement des demandeurs d'asile n'assure pas l'égalité des chances d'obtenir le statut de réfugié. Une étude de FTDA a pu cerner statistiquement ce phénomène et tous les opérateurs rencontrés au cours de cette mission ont confirmé que les taux d'obtention du statut, ceteris paribus, sont clairement discriminants en défaveur des demandeurs d'asile qui ne sont pas hébergés en CADA . Les hébergés en CADA y bénéficient d'un important accompagnement administratif et social leur permettant de mieux se préparer au parcours difficile que constitue pour eux la procédure de demande du statut de réfugié » 10 ( * ) .
En l'absence de nouveau programme tendant à accroître la capacité d'hébergement en CADA, le Gouvernement s'est engagé dans une démarche de rationalisation de la gestion de ces centres. Ceux-ci se caractérisent en effet par une grande hétérogénéité, dépendant du public accueilli (personnes isolées, familles, etc.), de leur structure (hébergement collectif, ensemble d'appartements), de leur capacité d'hébergement (de 12 à 210 places) et de charges de personnel différentes d'un centre à l'autre (diversité des conventions collectives, du taux d'encadrement, des frais d'interprétariat, etc.). Quatre partenaires (Adoma, AFTAM, France Terre d'asile et Forum Réfugiés) gèrent environ 50% des places.
Depuis la fin de l'année 2010, le Gouvernement s'efforce d'élaborer un référentiel de coût destiné à harmoniser les prestations offertes par ces centres et à diminuer les « présences indues » (étrangers reconnus réfugiés ou déboutés du droit d'asile, qui ne sont de ce fait plus éligibles au dispositif), dans un contexte de diminution constante depuis 2010 des crédits alloués aux CADA : seuls 194 millions d'euros leur sont consacrés par le projet de loi de finances initiale pour 2012, alors que la loi de finances initiale pour 2010 leur allouait 202,63 millions d'euros et celle pour 2011 199 millions d'euros. Le prix moyen de journée d'une place de CADA, de 26,20 euros en 2010, s'établirait en 2012 à 24,44 euros. Il est permis de se demander, eu égard à l'ensemble de l'évolution des coûts, comme il apparaît possible de diminuer ce prix de journée de 6,7% en deux ans et quelles sont les prestations qui sont affectées - ou en quoi la qualité de certaines prestations est affectée par cette diminution.
Lors de son audition par votre rapporteur pour avis, M. Pierre Henry, directeur général de France Terre d'Asile, s'est alarmé de cette situation qui tend à harmoniser à la baisse les prestations fournies par les CADA tout en plaçant ces derniers devant de graves difficultés ; il évalue notamment entre 300 à 400 le nombre d'emplois supprimés par les gestionnaires de CADA du fait de ces restrictions.
Inquiète des conséquences de cette politique malthusienne de gestion de l'hébergement des demandeurs d'asile, votre commission des lois s'associe pleinement à la préconisation , formulée il y a quelques mois par nos collègues Pierre Bernard-Reymond et Philippe Dallier dans un rapport d'information consacré à l'hébergement des demandeurs d'asile, tendant à accroître le nombre de places en CADA . Comme l'indiquent nos collègues dans ce rapport, « seules ces nouvelles capacités permettront d'offrir à chaque demandeur d'asile les prestations d'accompagnement dont il a besoin » 11 ( * ) .
Deux arguments supplémentaires plaident en faveur d'un tel accroissement :
- d'une part, si le Gouvernement met en avant l'évolution erratique de la demande d'asile pour expliquer cette sous-adaptation de notre dispositif d'accueil aux flux de demandes, il y a lieu d'observer que le volume de la demande d'asile formulée en France depuis 2008 n'est en rien exceptionnel et qu'il demeure en tout état de cause inférieur aux volumes constatés entre 2003 et 2005 (où le nombre de demandes s'est élevé successivement à 61 993, 65 614 et 59 221, mineurs accompagnants inclus). En outre, comme le relèvent nos collègues dans leur rapport précité, si « le caractère nécessairement fluctuant du nombre de demandeurs d'asile en attente de traitement de leur dossier rend impossible un ajustement précis de la capacité des CADA aux besoins effectifs », « la situation actuelle, où moins d'un tiers des demandeurs d'asile éligibles à un hébergement en CADA y sont accueillis, rend peu probable la perspective d'une surcapacité globale des offres de places en CADA par rapport aux besoins » 12 ( * ) ;
- d'autre part, votre commission observe qu'un accroissement du nombre de places en CADA ne constituerait pas nécessairement une charge budgétaire élevée. En effet, le coût moyen d'une place en CADA - fixé à 24,44 euros par jour et par personne en 2012 - est légèrement inférieur au coût total de l'allocation temporaire d'attente (10,99 euros par jour en 2012) associée à une place d'hébergement d'urgence (15 euros par jour en 2012 s'agissant du dispositif à gestion déconcentrée). Au total, les associations entendues par votre rapporteur pour avis ont souligné que l'ensemble des crédits consacrés à l'ATA et à l'hébergement d'urgence permettraient , s'ils étaient redéployés à cette fin, de financer plus de 20 000 places en CADA .
En outre, s'il n'est pas illégitime de rechercher une harmonisation des prestations des CADA, par l'élaboration d'un référentiel de coûts qui permettra d'ajuster les enveloppes financières aux prestations effectivement fournies, cette démarche devrait être motivée par le seul souci d'assurer une meilleure égalité de traitement des demandeurs d'asile sur l'ensemble du territoire, dans le respect des prescriptions posées par les directives communautaires.
* 9 Il convient en outre de tenir compte de la présence dans ces centres d'un certain nombre de personnes ne relevant plus du dispositif. Selon les informations communiquées par le ministère de l'Intérieur, au 30 septembre 2011, seules 80,2% des personnes accueillies en CADA étaient des demandeurs d'asile stricto sensu ; 9,4% d'entre elles avaient été reconnues réfugiées (2,3% étaient en présence indue) et 10,4% avaient été déboutées de leur demande d'asile (7,1% étaient en présence indue). Rappelons qu'au terme de l'article R. 348-3 du code de l'action sociale et des familles, la durée de maintien dans les centres après la notification de la décision définitive sur la demande d'asile est limitée à trois mois, renouvelables une fois avec l'accord du préfet, s'agissant des réfugiés et bénéficiaires de la protection subsidiaire, et à un mois s'agissant des personnes dont la demande d'asile a fait l'objet d'une décision définitive défavorable.
* 10 Rapport de la mission d'appui sur les coûts des CADA, établi conjointement en novembre 2010 par l'Inspection générale des affaires sociales (IGAS) et le Contrôle général économique et financier (CGEFI), page 11.
*
11
« L'hébergement des demandeurs d'asile entre approximations
statistiques et dérapages budgétaires », rapport
d'information n°584 (2010-2011) fait au nom de la commission des finances
du Sénat par Pierre Bernard-Reymond et Philippe Dallier, juin 2011, page
22. Ce rapport est consultable à l'adresse suivante :
http://www.senat.fr/notice-rapport/2010/r10-584-notice.html
* 12 Rapport précité, page 22.