B. LE FINANCEMENT DES COLLECTIVITÉS TERRITORIALES MENACÉ
Les collectivités territoriales rencontrent de plus en plus souvent des difficultés à obtenir la totalité des prêts dont elles ont besoin pour assurer leurs projets d'investissements locaux. Ainsi, les demandes de financement de la communauté urbaine de Marseille, qui s'élèvent à 200 millions d'euros, n'ont, à ce jour, reçu de réponses favorables des banques que pour un montant de 100 millions d'euros.
Selon une enquête conduite par des associations nationales d'élus dans le cadre des réflexions conduites par l'Association d'Études pour l'Agence de Financement des Collectivités Locales (AEAFCL) 22 ( * ) , les communes de plus de 50.000 habitants semblent les plus touchées : les grandes banques du secteur local n'ont répondu, en 2011, que dans 30 % des cas à la totalité du volume demandé par ces collectivités. Pour des demandes entre 5 et 9 millions d'euros et pouvant aller jusqu'à 20 millions d'euros, le volume moyen proposé par les banques est de 28 % de la somme demandée, obligeant ainsi les communes à cumuler plusieurs prêts pour couvrir leur besoin . En revanche, pour les communes de moins de 10 000 habitants, les difficultés de financement semblent plus limitées : en moyenne, sur trois banques sollicitées, moins d'une banque oppose un refus.
Plusieurs facteurs peuvent expliquer le risque de raréfaction de l'offre de crédits. Outre la crise de liquidités à laquelle a été exposée l'économie mondiale à l'automne 2008, l'anticipation, par les établissements de crédits actifs sur le marché local, des règles émises dans le cadre du Comité de Bâle, rend moins favorable le contexte d'offre de crédits bancaires.
Votre rapporteur souligne que la prolongation de cette situation pourrait retarder la mise en oeuvre de nombreux investissements et ralentir , de fait, l'économie française dans son ensemble , d'où l'urgence de rechercher des solutions pérennes de financement pour les collectivités.
1. L'anticipation des règles de « Bâle 3 »
La raréfaction de l'offre de crédit et la forte augmentation des marges pratiquées qui s'ensuit sont liées au nouveau cadre réglementaire du secteur bancaire, appelé « Bâle 3 », qui donne lieu à la rédaction d'une directive européenne qui devrait entrer en application partielle en 2013 et totale en 2019.
Ces nouvelles règles prudentielles sont destinées à renforcer la solidité des banques en leur imposant des contraintes plus renforcées pour des prêts à long terme. Concrètement, les banques devront progressivement relever , entre 2013 et 2019, leurs fonds propres en quantité et en qualité pour leur permettre de mieux absorber les pertes en cas de crise. Le ratio minimum de liquidités passerait de 2 % à 7 % en 2019 et s'accompagnerait de la mise en oeuvre de ratios de levier.
Pour parvenir à respecter ces règles, les banques pourraient privilégier les marchés des entreprises et des ménages, au détriment du secteur public local. En effet, le cadre réglementaire défini par « Bâle 3 » pénalise les financements longs non adossés à des ressources stables comme les dépôts bancaires et donc, de fait, les personnes publiques ne disposant pas d'épargne bancaire, ce qui est le cas des collectivités territoriales.
C'est pourquoi certaines banques, qui répondaient encore en 2010 aux demandes des collectivités territoriales, se sont aujourd'hui désengagées de ce secteur, telles que le Crédit Agricole. Par ailleurs, la banque franco-belge Dexia, leader historique du financement des collectivités territoriales, vient de faire l'objet d'un démantèlement 23 ( * ) .
Par ailleurs, non seulement le crédit est devenu plus rare, mais il est également devenu plus cher, car soumis à une hausse des taux d'intérêt et des marges (commissions, frais de dossier).
Votre rapporteur constate que les collectivités territoriales sont les victimes d'un cadre réglementaire prudentiel qui leur est totalement inadapté. Pourtant, les règles budgétaires locales actuelles apportent des garanties particulières de solvabilité aux établissements bancaires : les collectivités ont l'obligation d'adopter leur budget en équilibre, doivent affecter en priorité l'excédent de la fonction de fonctionnement au remboursement de la dette, ne peuvent recourir à l'emprunt que pour financer un nouvel investissement. C'est pourquoi, face aux conséquences systémiques que pourrait entraîner la diminution des volumes bancaires mis à disposition des collectivités, des solutions audacieuses et pérennes doivent être rapidement définies.
2. Des solutions innovantes
a) Une enveloppe de trois milliards d'euros
Le besoin de financement des collectivités territoriales pour 2011 est estimé entre 18 et 20 milliards d'euros. Les établissements bancaires ne fourniraient, a priori , que 16 à 17 milliards d'euros, d'où un besoin de financement évalué à environ 3 milliards d'euros d'ici la fin de l'année.
C'est pourquoi le Premier ministre a annoncé, le 7 octobre 2011, la mise en place d'une enveloppe de trois milliards d'euros, issue du fonds d'épargne de la Caisse des Dépôts et Consignations, disponible depuis le 8 novembre 2011, afin de compenser l'insuffisance des financements ouverts par les banques aux collectivités territoriales.
Toutefois, cette solution nécessaire mais de court terme ne règle pas la question de la pérennité du financement des collectivités territoriales. Par ailleurs, le Gouvernement vient de décider d'affecter 500 millions d'euros de cette enveloppe aux établissements hospitaliers, qui connaissent également des difficultés de financement. Ainsi, les collectivités territoriales devraient bénéficier d'une enveloppe de 2,5 milliards d'euros.
D'après les informations fournies par M. Michel Bouvard, président de la commission de surveillance de la caisse des dépôts et consignations, la moitié de cette enveloppe sera directement distribuée par la Caisse des Dépôts et Consignations tandis que la seconde moitié prendra la forme de prêts de refinancement accordés aux établissements de crédit par le biais d'une adjudication qui a eu lieu le vendredi 4 novembre 2011.
Le Premier ministre a toutefois annoncé, lors du Congrès des Maires le 22 novembre 2011, une hausse de l'aide aux collectivités, portant ainsi l'enveloppe de trois à cinq milliards d'euros afin d'assurer le financement des dépenses de la fin de l'année 2011 et du début de l'année 2012.
Les prêts consentis aux collectivités
territoriales
Les prêts proposés aux collectivités territoriales et aux établissements publics de santé auront une durée maximale de quinze ans. Ces prêts financeront les opérations d'investissement inscrites au budget 2011 et, sous certaines conditions, celles inscrites au budget 2012, à condition que le prêt correspondant soit engagé avant le 31 mars 2012 et dans la limite de 20 % de l'enveloppe globale. Quatre types d'emprunts seront proposés aux collectivités territoriales : des emprunts à taux variables indexés soit sur le taux du livret épargne populaire, soit sur l'Euribor, soit sur l'inflation, et des emprunts à taux fixes. Les banques se sont engagées, dans le cadre de cette enveloppe, à affecter ces liquidités au seul refinancement des prêts signés avec les collectivités territoriales et les établissements publics de santé, d'une part, et à transmettre un reporting précis sur les prêts octroyés afin de permettre le contrôle de l'État, d'autre part. |
b) L'agence de financement des collectivités locales
La crise de liquidités de l'automne 2008 et l'anticipation, par les banques, des règles prudentielles imposées par Bâle 3, ont conduit les associations nationales d'élus à réfléchir à la mise en place d'un outil permettant de diversifier l'offre de financement des collectivités territoriales.
Ainsi, le 21 avril 2010, l'Association des Maires de France (AMF), l'Association des Communautés Urbaines de France (ACUF) et l'Association des Maires des Grandes Villes de France (AMGVF) 24 ( * ) ont créé une Association d'Étude pour l'Agence de Financement des Collectivités Locales (AEAFCL) afin de réfléchir aux modalités de création et de fonctionnement d'une nouvelle agence de financement pour les collectivités territoriales . L'objectif est de permettre à celles-ci de diversifier leurs sources de financement afin de sécuriser leur accès à la liquidité, y compris en temps de crise.
L'assemblée générale de l'AEAFCL du 20 septembre 2011 a officiellement adopté les principes de gestion et de fonctionnement définis en mai 2011. La future agence devrait être opérationnelle en 2012 et lancerait sa première émission avant la fin de l'année prochaine.
L'Agence procèdera à ses propres émissions obligataires sur les marchés internationaux pour octroyer directement des prêts aux collectivités. En d'autres termes, elle accordera des prêts aux collectivités sans passer par l'intermédiaire des banques, ce qui permettra de réduire les coûts de financement des investissements des collectivités et d'ouvrir un accès pérenne des collectivités à la liquidité.
La gouvernance de l'AFCL comportera deux niveaux :
- en amont sera constitué un établissement public industriel et commercial (EPIC) local , rassemblant les élus de différents niveaux de collectivités, qui serait présidé par l'un d'entre eux. Le conseil d'administration de cet EPIC fixerait les orientations stratégiques de l'Agence ;
- en aval, une société anonyme (SA), établissement financier chargé de la gestion opérationnelle de l'Agence qui emploierait des professionnels chargés de la gestion opérationnelle. La SA sera elle-même dotée d'un directoire composé de professionnels du monde bancaire et d'un conseil de surveillance , présidé par le président de l'EPIC, réunissant des membres du conseil d'administration et de personnalités qualifiées en capacité de contrôler l'activité de la SA. La SA, qui prendrait le statut d'une institution financière spécifique 25 ( * ) , c'est-à-dire d'un établissement de crédit auquel l'État confierait une mission permanente d'intérêt public, devrait obtenir l'agrément de l'Autorité de Contrôle Prudentiel (ACP).
Selon les associations d'élus à l'origine du projet, le statut juridique choisi devrait permettre à l'agence de disposer d'un triple A, et donc de pouvoir lancer des émissions obligataires dans des conditions financières proches de celles de l'État.
Les collectivités territoriales assureront le financement de l'Agence, leur versement étant une « condition d'octroi d'un crédit ». Le montant de ce ticket d'entrée dépendra de volume d'emprunt moyen d'une collectivité effectué au cours des dernières années. Cette avance au capital permet de faire jouer la solidarité entre collectivités de taille différente puisque, par définition, les plus importantes s'acquitteront d'une mise de fonds supérieure aux plus petites.
Toutefois, l'apport en capital, synonyme d'adhésion, n'équivaudra pas à un droit de tirage automatique : en effet, l'Agence s'astreindra à établir, suivant des ratios et des critères connus de tous et validés par l'Autorité des Contrôles Prudentiels (ACP), une analyse financière préalable, puis périodique, de chaque collectivité. Les promoteurs du projet se fixent comme objectif de pouvoir lever, à terme, 25 % des flux annuels d'emprunt du secteur local soit, pour un marché de 20 milliards d'euros, de l'ordre de 5 milliards d'euros. Les collectivités pourront, au maximum, recourir à l'agence pour la moitié de leurs besoins en crédits annuels, avec deux types de produits : emprunts à taux fixe ou emprunts à taux variable simple, indexé sur l'Euribor.
Dans son rapport précité, la Cour des comptes a émis un avis positif à cette démarche, assortissant toutefois son succès au respect de certaines conditions de réussite :
- limitation de la clientèle aux collectivités territoriales françaises ;
- proposition de produits simples et sécurisés ;
- obtention de l'agrément délivré par l'Autorité des contrôles prudentiels ;
- mise en place de garanties des collectivités territoriales permettant l'obtention d'une note optimale ;
- capitalisation en fonds propres ;
- respect a minima des normes prudentielles de Bâle 3.
Ces conditions semblent être remplies par la future agence, au vu des déclarations des présidents des associations nationales d'élus à l'origine de cette démarche. En effet, d'après les principes adoptés lors de l'assemblée générale du 20 septembre 2011, la future agence n'offrira que des produits simples et sécurisés et s'interdit par avance de proposer à ses adhérents des produits structurés. Elle se conformera également aux exigences de Bâle 3, se dotera de règles en matière de responsabilité sociale et environnementale et procèdera à une évaluation des comptes de chaque collectivité territoriale candidate.
L'AEAFCL a décidé d'engager le processus législatif qui donnera naissance à ce nouvel outil, qui complètera l'offre bancaire traditionnelle. Ainsi, deux amendements similaires 26 ( * ) ont été adoptés par l'Assemblée nationale selon lesquels le Gouvernement déposera au Parlement, avant le 15 février 2012, un rapport sur les conséquences pour le budget de l'État et des collectivités locales de la création d'une Agence publique de financement des investissements des collectivités locales.
c) Le pôle de financement des territoires
Un partenariat est actuellement à l'étude entre la Caisse des Dépôts et Consignations et La Banque Postale pour financer les investissements des collectivités territoriales avec la constitution d'un pôle public de financement des territoir es, confirmée par le Premier ministre le 5 novembre 2011. Ce projet apparaît d'autant plus d'actualité dans un contexte où la banque franco-belge Dexia vient d'être démantelée et où se pose toujours la question du devenir de l'activité de prêt de cet établissement en faveur des collectivités territoriales, qui représente un montant de 70 milliards d'euros.
Cette nouvelle banque publique des collectivités territoriales pourrait prendre la forme d'une « filiale commune », détenue majoritairement par La Banque postale qui se chargerait de commercialiser de nouveaux crédits. Cette nouvelle structure serait opérationnelle début 2012, d'après les indications fournies par M. Philippe Richert, ministre chargé des collectivités territoriales, lors de son audition devant votre commission. Les trois avantages d'un tel partenariat sont, selon l'AMF :
- la solidité financière, grâce à l'adossement de cette structure à la Caisse des Dépôts et Consignations ;
- la proximité, grâce au réseau de La Banque postale ;
- la démarche éthique, la nouvelle entité s'interdisant tout prêt toxique aux collectivités.
* 22 285 réponses reçues mais seules 130 collectivités ont emprunté à long terme en 2011. Par conséquent, les constats portant sur le volume, la durée des prêts et les marges pratiquées reposent sur l'analyse des réponses de ces 130 collectivités territoriales.
* 23 Loi n° 2011-1416 du 2 novembre 2011 de finances rectificative pour 2011.
* 24 Ces trois associations ont rapidement été rejointes par l'Association des Régions de France (ARF), l'Assemblée des Départements de France (ADF), l'Assemblée des Communautés de France (AdCF), l' A ssociation FI nances GES tion É valuation des collectivités territoriales (AFIGESE) et par 50 collectivités.
* 25 Article L. 516-1 du code monétaire et financier.
* 26 L'un était notamment cosigné par MM. Jacques Pélissard, Christian Estrosi, Martial Saddier et Charles de Courson, l'autre signé par M. Michel Destot.