C. UNE MESURE DE LA PERFORMANCE DÉFAILLANTE, QUI REND L'APPRÉCIATION DE LA SITUATION RÉELLE DES JURIDICTIONS ET LE PILOTAGE BUDGÉTAIRE INCERTAINS
Votre rapporteur observe que, dans le contexte de fort bouleversement que traverse l'institution judiciaire, il est important que les conséquences des réformes engagées sur la performance et le fonctionnement des juridictions soient correctement mesurées.
Les indicateurs de performance retenus dans le cadre de la LOLF devraient jouer, à cet égard, un rôle critique de diagnostic, puisqu'ils doivent en principe permettre de mesurer la qualité de la gestion des responsables de programme et la pertinence de la répartition des crédits décidée en loi de finances. S'ils servent à évaluer la performance de la gestion budgétaire, ils peuvent aussi alerter sur ses défaillances.
Or, en dépit des réserves exprimées par votre précédent rapporteur pour avis, M. Yves Détraigne, les problèmes de renseignement et de définition des indicateurs de performance ne semblent pas encore avoir été réglés. Votre rapporteur constate que les difficultés évoquées se sont aggravées sous l'effet conjugué des lourdes réformes qui ont affecté le fonctionnement et l'organisation des juridictions et du déploiement de nouvelles applications informatiques transformant les outils statistiques du ministère.
1. Des indicateurs mal renseignés qui altèrent la perception correcte de la situation des juridictions
a) La performance des programmes « Accès au droit et à la justice » et « Conduite et pilotage de la politique de la justice »
Les indicateurs de performance des deux programmes 101 et 310 ne présentent pas de difficultés particulières.
Ceux du programme « Accès au droit et à la justice » ne connaissent pas de changements notables.
Toutefois l'indicateur mesurant la satisfaction des victimes d'infractions sur l'aide qui leur a été apportée devrait enfin pouvoir être renseigné en 2012, après trois années pendant lesquelles il n'a pas été mesuré. En effet, un questionnaire mesurant cette satisfaction sera joint à l'enquête « cadre de vie et sécurité » de l'observatoire national de la délinquance et des réponses pénales. Il remplacera ainsi l'enquête de la SOFRES utilisée de 2006 à 2008 qui n'a plus été reconduite depuis.
Conformément aux orientations arrêtées au niveau gouvernemental, le programme « Conduite et pilotage de la politique de la justice » présente des indicateurs de performance ministériels sur les ratios d'efficience bureautique, les ressources humaines et sur le respect de l'obligation d'emploi des personnes handicapées. Ces indicateurs reflètent la performance de l'ensemble des programmes du ministère.
Les indicateurs de performance du programme en matière informatique ont été revus pour permettre la mise en place d'un nouvel indicateur sur l'efficience des applications nationales qui assurent notamment le bon fonctionnement de la chaîne pénale.
b) La performance incertaine du programme « Justice judiciaire »
Les difficultés évoquées dans le précédent rapport pour avis ont conduit à la suppression d'un sous-indicateur et d'un indicateur car les systèmes d'information utilisés ne permettaient ni pour l'un ni pour l'autre d'obtenir des résultats fiables. Il s'agit du sous-indicateur mesurant le délai moyen de traitement des appels formés contre les décisions du juge des enfants en assistance éducative, et de l'indicateur portant sur le délai moyen de délivrance de la copie revêtue de la formule exécutoire.
En ce qui concerne les autres indicateurs, les difficultés signalées l'an passé perdurent tandis que s'y ajoutent deux nouvelles sources d'inquiétude : l'impact de la chaîne pénale Cassiopée sur la mesure statistique de l'activité de juridiction pénale, et les conséquences des différentes réformes engagées sur la mesure de la performance des juridictions.
• Le calendrier de recueil des statistiques des tribunaux d'instance est plus long que celui des autres juridictions, et il n'est pas compatible avec le calendrier d'élaboration budgétaire
Les données des tribunaux d'instance ne sont jamais consolidées avant le mois de juin de l'année N+1 et elles ne portent alors que sur environ 80 % de leur activité. Les données définitives, portant sur 100 % des activités, ne sont quant à elles disponibles qu'au mois de septembre de cette même année N+1, alors que les données définitives des autres juridictions, en dehors de la Cour de cassation, sont disponibles dès la fin du mois d'avril de l'année N+1, ce qui est plus conforme au calendrier d'élaboration des rapports annuels de performance et du projet de loi de finances initial.
Ces difficultés trouvent principalement leur origine dans le nombre de tribunaux d'instance - qui doit cependant diminuer après la réforme de la carte judiciaire - ainsi que dans la relative disparité des outils informatiques utilisées par les différentes juridictions.
Les services de la Chancellerie espèrent pouvoir remédier, dans les deux ans, à ces difficultés en étendant le périmètre de leur outil de recueil de données, le Répertoire Général Civil.
• L'obtention des données de certaines activités judiciaires s'effectue dans des délais peu compatibles avec le calendrier du projet de loi de finances
Pour les indicateurs de délais et de taux d'exécution des peines, les données sont elles aussi disponibles tardivement, au mois de septembre de l'année N+1, s'agissant des délais, et au mois de septembre de l'année N+2, s'agissant du taux d'exécution des peines prononcées en année N.
En effet le taux d'exécution des peines prononcées dans le cadre de jugements contradictoires à signifier n'est mesurable qu'après une période d'au moins 18 mois. Ainsi, à titre d'exemple, le taux d'exécution des peines proposées pour l'année 2008 concerne les peines prononcées en 2006.
En outre, les données recueillies sont partielles, puisque les chiffres publiés pour l'application des peines sont uniquement ceux des juridictions d'Île-de-France, car seule leur chaîne pénale spécifique (NCP) permet l'extraction de ces données. Cette restriction devrait pouvoir être prochainement levée, grâce au déploiement général de la nouvelle chaîne pénale Cassiopée : le périmètre couvert devrait alors être exhaustif, sous réserve de la reprise des données antérieures.
• Le calcul des ETPT pris en compte dans les indicateurs d'efficience des magistrats et des fonctionnaires est faussé à cause des limites des outils statistiques disponibles
Les ETPT utilisés pour renseigner les indicateurs du rapport annuel de performance au mois de février de l'année N+1, comme ceux disponibles pour le projet annuel de performance, au mois de juin de cette même année N+1 sont issus de l'infocentre Irhis, seule source compatible avec les exigences des indicateurs (distinction entre les juridictions civiles ou pénales). Cependant cet infocentre connaît certaines limites, puisqu'il ne distingue pas les affectations de juges spécialisés ou non spécialisés et qu'il n'enregistre qu'une seule affectation par juge.
La méthode utilisée pour pallier ces insuffisances et obtenir une information plus fine consiste à s'en remettre aux données déclaratives adressées par les juridictions, mais ce dispositif est lourd, et il nécessite un temps de traitement long.
Ainsi, en 2009 et en 2010, si toutes les cours d'appel ont répondu à la demande de la cellule de contrôle de gestion formulée dans la perspective des dialogues annuels de gestion, les données n'ont été disponibles qu'en juillet, ce qui n'est pas compatible avec le calendrier d'élaboration du budget.
Le ministère de la justice souhaite faire évoluer, dans les années à venir, son logiciel de gestion des ressources humaines - le logiciel H@rmonie en le dotant d'un module d'affectation des agents aux actions du programme qui permette d'améliorer la fiabilité des indicateurs relatifs aux personnels.
• Le déploiement de la nouvelle chaîne pénale Cassiopée modifie l'appréhension statistique de l'activité des juridictions pénales
En principe, l'avantage de la nouvelle chaîne pénale « Cassiopée » est d'homogénéiser et d'uniformiser le traitement de la donnée pénale et donc son traitement statistique.
En effet jusqu'à présent, celui-ci différait selon la chaîne pénale utilisée par la juridiction en raison de modes de comptage des affaires différents.
Le mode de comptage retenu pour Cassiopée est plus restrictif, s'agissant notamment de la notion « d'affaires traitées par le Parquet ».
On constate ainsi, dans le RAP pour 2010 et le projet de loi de finances pour 2011, une baisse d'activité des juridictions au regard des années antérieures. Cette baisse est consécutive à la diminution significative du nombre d'affaires traitées par les magistrats du Parquet de près de 15 % (moins 228 000 affaires poursuivables traitées par les magistrats du parquet), sans que l'on puisse discerner s'il s'agit d'une conséquence du nouveau comptage statistique d'une baisse réelle des affaires, ou d'une moindre productivité des personnels.
Ce biais statistique potentiel devrait disparaître une fois que les données recueillies par Cassiopée porteront sur une période suffisamment longue (au moins trois ans) pour permettre des comparaisons par rapport à la première année du déploiement de l'application. Compte tenu du calendrier d'implantation de Cassiopée, l'hypothèque sur la fiabilité des indicateurs relatifs à la chaîne pénale ne devrait pas être levée avant l'année 2016.
Pendant toute la période de transition, l'analyse de la variation des chiffres affichés dans le RAP et PAP, et donc l'examen de la performance des juridictions pénales, seront incertains.
• Les réformes mises en oeuvre perturbent la mesure de l'activité des juridictions
Les nombreuses réformes adoptées en 2011, dans le champ pénal comme dans le champ civil, risquent de modifier la mesure de l'activité des juridictions sans que l'on sache à quoi attribuer cette modification : phénomène de transition, perturbation temporaire de l'outil statistique ou du mode de calcul retenu, amélioration ou dégradation consécutive au changement de procédure effectué...
Ainsi, la réforme de la carte judiciaire, achevée au 1 er janvier 2011 entraîne une dégradation de la performance globale des tribunaux due, d'une part à la nécessaire adaptation des tribunaux absorbant les tribunaux supprimés, et d'autre part, à la disparition de petits tribunaux qui présentaient, en raison de leur faible volume d'affaires, de bons délais de traitement.
De la même manière, si elles ne sont pas compensées à due proportion par une progression des effectifs, la réforme de l'hospitalisation d'office et la réforme de la garde à vue se traduiront respectivement par un accroissement du nombre d'affaires civiles traitées par les tribunaux de grande instance et une dégradation de l'ancienneté moyenne du stock d'affaires enregistrées ; et, leur charge de travail dans le cadre de la garde à vue augmentant, une diminution du nombre d'affaires poursuivables traitées par les magistrats du parquet.
D'ores et déjà, le projet annuel de performance tient compte de ces incertitudes, en alignant les valeurs cibles des objectifs pour 2013 sur les valeurs prévisionnelles pour 2011.
• Le risque d'un pilotage aveugle des réformes
En elles-mêmes, ces difficultés de renseignements des indicateurs ne condamnent pas forcément les réformes qui les causent.
Toutefois, elles conduisent à s'interroger sur le pilotage budgétaire des réformes : si l'activité des juridictions est mal connue ou mal mesurée, comment être sûr que l'allocation des moyens et des effectifs est pertinente ?
Perturbé par les réformes, affaibli par un appareil statistique parfois déficient, le pilotage de la justice est rendu plus incertain, s'effectuant en partie à l'aveugle .
On constate ainsi un décalage très important entre la prévision qui détermine le budget et la réalisation effective de l'exécution de ce budget.
Ainsi, l'analyse comparée des prévisions formées pour l'indicateur 1.2 du programme « justice judiciaire » portant sur le « pourcentage des juridictions civiles dépassant le délai seuil de traitement » avec les réalisations enregistrées manifeste, par les écarts constatés, le caractère parfois erratique de la programmation et de la gestion budgétaire dans un contexte marqué par d'importantes réformes du fonctionnement des juridictions. En 2009 comme en 2010, de 15 à 30 % des juridictions ont vu leurs délais de traitement des contentieux passer au-delà de la norme moyenne, l'indicateur se dégradant durablement : c'est là le signe d'erreurs de pilotage des réformes et d'un mauvais ajustement des moyens aux buts poursuivis qui n'ont pas été corrigés.
Écarts entre les prévisions et
réalisations de l'indicateur 1.2 relatif au
« pourcentage
des juridictions civiles dépassant le délai seuil de
traitement »
2009 |
2010 |
2011 |
2012 |
|||||||
Prév |
Réal. |
Écart |
Prév. |
Réal. |
Écart |
Prév. |
Prév. act. |
Écart |
Prév. |
|
Cours d'appel ayant un délai « seuil » > 14 mois |
28 |
12 |
+16 |
21 |
12 |
+9 |
9 |
12 |
-3 |
9 |
TGI ayant un délai « seuil » > 7,5 mois |
15 |
44 |
-29 |
25 |
38 |
-13 |
32 |
32 |
0 |
30 |
TI ayant un délai « seuil » > 5,5 mois |
17 |
35 |
-18 |
20 |
43 |
-23 |
25 |
35 |
-10 |
25 |
Source : PAP 2012