2. L'échec de la mastérisation
S'il est un levier essentiel d'amélioration du système éducatif qu'ont permis de mettre en évidence les enquêtes internationales, c'est bien celui de la formation des enseignants. La mission de la commission de la culture du Sénat en Finlande, à l'automne 2009, avait déjà mis l'accent sur la qualité de la formation initiale et de la préparation pédagogique à l'entrée dans le métier que recevaient dans ce pays les futurs enseignants. Les réformes de structure ou de gestion du système éducatif ne peuvent pas, seules, avoir d'effet positif sur les apprentissages des élèves. Elles relèvent d'une vision trop administrative de l'école alors que c'est dans la classe et dans les rapports entre l'enseignant et ses élèves que tout se joue.
Le centre d'analyse stratégique (CAS) a récemment publié une note analysant l'influence de l'enseignant sur les acquisitions des élèves. Il conclut qu'« à niveau initial et catégorie professionnelle des parents identiques, 10 à 15 % des écarts de résultats constatés en fin d'année entre élève s'expliquent par l'enseignant auquel l'enfant a été confié. » 11 ( * ) À l'inverse, les effets « établissements » qui servent de justification aux projets d'extension de l'autonomie des collèges et des lycées sont beaucoup plus faibles, parfois même inobservables. 12 ( * ) Autre résultat intéressant : les différences d'efficacité des enseignants ne dépendent que faiblement de leur niveau de formation initiale, mais proviennent directement des modalités d'interaction avec les élèves dans les classes. 13 ( * )
Votre rapporteure y voit confirmation de l'importance d'assurer une formation des enseignants, initiale et tout au long de leur carrière, axée sur la pratique de leur métier plutôt que sur leurs connaissances académiques et destinée à sécuriser et à accroître leurs capacités didactiques et pédagogiques. La transmission des connaissances et des compétences, en particulier auprès des plus jeunes et pour les savoirs les plus fondamentaux, nécessite de déployer des stratégies d'enseignement qui ne peuvent pas s'apprendre uniquement sur les bancs de l'université, mais répondent au contact prolongé avec le terrain. À cet égard et de l'aveu général, puisque quatre rapports successifs Filâtre, Marois, Grosperrin et Jolion en ont pointé les défauts, la mastérisation a emprunté la mauvaise voie et demande une refonte complète avant qu'elle ne frappe dramatiquement les résultats des élèves.
Il convient de rappeler que le schéma d'emplois de la mission « Enseignement scolaire » dans la loi de finances initiale pour 2010 était très largement issu de la mastérisation. Celle-ci prévoit en effet l'affectation des lauréats des concours rénovés directement devant les classes et a permis ainsi la suppression d'emplois d'enseignants stagiaires qui devaient auparavant réaliser une année de stage préalable en IUFM. 18 202 emplois au total ont été supprimés à ce titre : 9 182 dans le premier degré public, 7 144 dans le secondaire public, dont 411 conseillers principaux d'éducation stagiaires, et 1 876 dans l'enseignement privé.
Cette réforme ne répondait donc pas au souci souhaitable d'améliorer le recrutement, la formation initiale et l'entrée dans le métier des enseignants, mais constituait simplement un artifice facile pour que le ministère de l'éducation nationale réalise les suppressions de postes qui lui avaient été demandée. Elle pouvait également répondre au souhait du ministère de l'enseignement supérieur de gonfler les chiffres d'étudiants titulaires d'un master et d'arguer ensuite d'une hausse de la qualification des étudiants français, alors même qu'était enclenché un mouvement de déprofessionnalisation des futurs enseignants reçus aux concours.
Les retours après une première année de mise en place sont très mauvais. Le rapport des inspections générales pointe, derrière des formules mesurées, de lourdes carences. Il pointe, en particulier, la très grande variété des ajustements locaux sur le terrain, que l'on retrouve aussi bien entre écoles ou établissements d'accueil des stagiaires, qu'entre universités ou qu'entre rectorats, pour en conclure que : « ce fonctionnement a certes permis d'explorer les avantages et les inconvénients des diverses solutions retenues mais, outre les ruptures d'égalité de traitement que la pérennisation d'un tel fonctionnement ne manquerait pas d'entraîner, il s'est révélé insuffisant pour apporter des réponses durables aux différentes questions soulevées par une réforme de la formation aussi importante qui implique une coordination étroite entre l'institution universitaire et l'appareil scolaire. » 14 ( * )
Votre rapporteure déplore la faiblesse du cadrage national , qui conduit à une disparité préjudiciable des actions des recteurs, des UFR, des chefs d'établissement et enseignants, sans réelle coordination. Le défaut d'articulation entre les politiques autonomes menées par les universités dans l'élaboration des masters d'une part, les besoins de l'éducation nationale et les contraintes du fonctionnement de ses écoles et de ses établissements, d'autre part, montre que les deux univers scolaires et universitaires s'ignorent encore trop alors que leur collaboration étroite est nécessaire. Le cumul de l'obtention du master et de la préparation au concours n'a clairement pas été suffisamment réfléchi et préparé. Les ministres de l'éducation nationale et de l'enseignement supérieur sont coresponsables de cet échec.
LES CONDITIONS D'ACCÈS AUX STAGES EN
RESPONSABILITÉ
a) Les politiques des universités Parmi la grande diversité des politiques autonomes des universités, les inspections générales sont parvenues à distinguer : - celles, nombreuses, qui tendent à limiter l'obligation du stage en responsabilité aux seuls admissibles ; - celles qui font le choix d'inscrire dans leur maquette de M2 des stages en responsabilité et donc de les proposer à tous les étudiants, qu'ils soient admissibles ou pas comme dans les universités des académies de Grenoble, de Lyon et de Nantes, voire qui en font une condition de l'obtention de master ; - celles qui refusent d'inscrire des stages en responsabilité dans leurs maquettes de master comme l'université Bordeaux 3 ou Toulouse 3 ; - celles qui le rendent optionnel parmi d'autres types de stages possibles comme l'université Paris Est-Créteil ; - celles qui au sein d'une même académie valorisent diversement le stage dans le master, par exemple le stage en responsabilité est valorisé par 15 ECTS par l'université de Poitiers et par 6 ECTS par celle de La Rochelle ; - celles qui n'encouragent pas leurs étudiants à faire ces stages en considérant que leur durée, réduite à peau de chagrin, ne correspond pas aux standards de durée des stages dans les masters professionnalisants, comme à Nancy-Metz. La logique universitaire de diplômation l'emporte ici sur la préparation à l'entrée dans le métier ; - celles qui dissuadent les étudiants, y compris les admissibles, de faire un stage en responsabilité sous le prétexte inverse que la préparation des épreuves du concours est beaucoup plus utile que la préparation de cours pour des classes prises en responsabilité. La logique de préparation au concours, sous forme de « bachotage » l'emporte ici encore sur la professionnalisation des futurs enseignants. b) Les politiques académiques Les académies dans lesquelles les choix concertés des universités et du recteur conduisent à offrir les stages en responsabilité à tous les étudiants de M2 sont peu nombreuses : il s'agit des académies de Grenoble, de Lyon et de Montpellier. La consommation des moyens délégués par les recteurs pour faire face aux stages en responsabilité s'annonce plus faible que prévue sous l'effet conjugué de la limitation de stages en responsabilité aux seuls étudiants admissibles, observée dans la plupart des académies, de la réduction des 6 semaines théoriques à 3 ou 4 semaines en responsabilité effective et des pratiques du service partagé par deux étudiants. En revanche, les contraintes pesant sur l'organisation sur le terrain des stages sont fortes. D'après les inspections générales, toutes les académies mettent l'accent sur les réticences très fortes des professeurs à confier leurs classes à des étudiants pendant plusieurs semaines, notamment au cours du second trimestre de l'année scolaire. En outre, les demandes de stages en responsabilité se concentrent sur les établissements des villes possédant des centres universitaires, d'où la saturation des capacités d'accueil et de prise en charge dans les établissements concernés. En outre, l'organisation du suivi des stages connaît un grand flou. Les fonctions spécifiques ainsi que les rôles respectifs du professeur « tuteur ou référent » en établissement et du « maître de stage » de l'université formatrice ne sont pas clairs. Ainsi, pour certains responsables de département, le « maître de stage » supervise mais n'émet pas comme tel d'avis formalisé sur le déroulement du stage ; pour d'autres, en revanche, il doit formuler un avis complémentaire de ceux du chef d'établissement et du professeur « tuteur ou référent ». Cet avis du professeur référent possède une fonction très flottante et, aussi bien du côté de l'IUFM que du côté de l'employeur, la confusion règne. |
Source : IGEN-IGAENR - Commission de la culture
Les inspections générales demandent dès lors à l'ensemble des parties prenantes de « passer de la gestion de l'urgence à l'exigence de la qualité » 15 ( * ) , ce qui résume bien l'impréparation de la réforme, ainsi que l'aggravation des problèmes de remplacement, la désorganisation de l'entrée en fonction et la fragilisation de la professionnalisation des futurs enseignants qu'elle a provoquées.
Dans le second degré , la situation physique et psychologique des stagiaires, mis directement en responsabilité d'une classe et devant perpétuellement faire face à des urgences et à des difficultés que l'on ne leur a pas donné les moyens de convenablement anticiper et régler, est très préoccupante. Dans les académies de Poitiers et de Paris, en particulier, sont signalées des proportions très importantes, respectivement 11,5 % et 18,5 %, de cas lourds de stagiaires en très grande difficulté. 16 ( * )
Pour remettre à plat la réforme de la formation et du recrutement des enseignants, votre rapporteure approuve les orientations critiques du rapport Jolion remis en octobre 2011 aux ministres de l'enseignement supérieur et de l'éducation nationale. 17 ( * ) De simples ajustements seront insuffisants devant l'ampleur des dysfonctionnements. Il conviendra donc d'agir en profondeur en :
- repensant l'articulation dans le temps et dans les contenus entre l'obtention du diplôme de master, la préparation des concours et la professionnalisation pédagogique progressive des futurs enseignants ;
- favorisant une entrée progressive dans le métier sur un an , en s'appuyant sur les IUFM intégrés aux universités pour assurer un accompagnement au plus proche des besoins des stagiaires et sous la responsabilité de professionnels de la formation de formateurs ;
- faisant plus globalement de la formation des enseignants « une vraie priorité partagée par le formateur et le recruteur » 18 ( * ) .
Les difficultés des enseignants stagiaires participent à la dégradation du climat social 19 ( * ) dans les établissements repérée au cours de l'année 2011 par les correspondants académiques et s'ajoutent aux suppressions de postes, aux diminutions de dotations horaires, à la restriction des crédits de formation continue allouée ou encore à la perte de certaines décharges. L'épuisement des personnels soumis à une pression toujours grandissante et à la multiplication des réformes et des expérimentations doit être souligné.
* 11 CAS, Que disent les recherches sur l'effet enseignant ?, note d'analyse n° 232, juillet 2011, p.1.
* 12 Ibid., p. 5.
* 13 Ibid. p. 7.
* 14 IGEN-IGAENR, Mise en oeuvre de la réforme de la formation des enseignants, Rapport n° 2011-045, avril 2011, p. 30.
* 15 Ibid., p. 31.
* 16 Ibid. p. 23.
* 17 J.-M. Jolion, Mastérisation de la formation initiale des enseignants : enjeux et bilan , 10 octobre 2011.
* 18 Ibid., p. 23.
* 19 IGAENR, Suivi trimestriel des académies, Rapport n°2011-033, avril 2011, pp. 15 et s. Les préfets commencent même à s'inquiéter de la situation dans certains départements, comme la Seine-Saint-Denis, la Manche ou en Lorraine.