SIXIÈME PARTIE - UNE POLITIQUE D'AIDE AU DÉVELOPPEMENT AU PILOTAGE ET À L'ÉVALUATION ENCORE INCERTAINE

Qu'il s'agisse de la tutelle de l'AFD, de l'équilibre entre l'aide multilatérale et l'aide bilatérale ou même d'une stratégie à l'égard d'un pays ou d'une zone géographique comme le Sahel, la politique d'aide au développement exige un pilotage politique fort.

Elle exige également un effort de transparence et de redevabilité des opérateurs vers le pouvoir politique et de l'ensemble des acteurs à l'égard de la représentation nationale. Cette politique a enfin besoin d'un effort d'évaluation de ces résultats.

Dans une période de restrictions budgétaires, la politique d'aide au développement doit plus que jamais faire la preuve de son utilité en témoignant des résultats concrets obtenus sur le terrain.

Pilotage, transparence, évaluation : trois thèmes que vos rapporteurs ont souhaité aborder à l'issue de l'examen des crédits pour 2012.

I. UN ÉCLATEMENT INSTITUTIONNEL QUI REND LE PILOTAGE DE CETTE POLITIQUE INCERTAIN

La responsabilité de la politique de coopération française est aujourd'hui partagée, au niveau politique, entre le Président de la République, son Premier ministre, le ministre de la coopération, le ministre des affaires étrangères et le ministre de l'économie et des finances, et au niveau administratif, entre la direction de la mondialisation (DGM) du MAEE, les directions du Trésor du MINEFI et l'Agence française de développement (AFD), principal opérateur français de l'aide au développement. Cet éclatement des centres de décision se traduit, au quotidien, par la nécessité d'une étroite collaboration entre tous les acteurs.

A. L'ÉCLATEMENT DU DISPOSITIF DE COOPÉRATION ENTRE LES AFFAIRES ÉTRANGÈRES, LES FINANCES ET L'AFD SE TRADUIT PAR DES ARBITRAGES FRÉQUENTS DE MATIGNON ET DE L'ELYSÉE, LAISSANT PEU DE MARGES DE MANOEUVRE AU MINISTRE DE LA COOPÉRATION

La répartition du budget de l'APD dans les différents programmes 209, 110 et 301 reflète l'organisation institutionnelle de la coopération française.

A la double tutelle du ministère des affaires étrangères et européennes et du ministère des finances qu'illustre la présence des programmes 110 et 209, s'ajoutent le secrétariat d'Etat à la coopération et surtout l'Agence française de développement qui gère une partie importante des crédits des trois programmes.

Si la réforme de 1998 a conduit à la rationalisation administrative de l'aide autour de deux grands pôles, l'un diplomatique, issu de l'absorption du secrétariat d'Etat à la coopération par le ministère des affaires étrangères et européennes (MAEE), et l'autre, financier, centré sur le ministère des finances (MINEFE), elle a surtout conforté le rôle de l'AFD qui est devenue l'« opérateur pivot » de l'aide française.

Depuis lors, les transferts successifs de compétences ont conduit l'AFD à prendre en charge la gestion de plus de 60  % des moyens de l'aide programmable mise en oeuvre par les canaux bilatéraux.

En dépit des réformes, le dispositif institutionnel est encore composé de nombreuses structures qui appellent nécessairement de multiples mécanismes de coordination.

L'AFD, édifiée sur sa culture et son expérience de banque de développement, contrôle plusieurs types d'instruments (projets, aide budgétaire, prêts, subventions) et bénéficie d'une relative autonomie dans le cadre de la triple tutelle des ministères des finances, des affaires étrangères et européennes et de l'immigration et du développement solidaire, d'un conseil d'orientation stratégique et d'un contrat d'objectifs et de moyens sur lequel vos rapporteurs reviendront.

Dans les pays partenaires, les Services de coopération et d'action culturelle (SCAC), dirigés par un conseiller de coopération et d'action culturelle (COCAC), à la fois conseiller de l'ambassadeur sur le pilotage du dispositif de l'aide française au plan local et chef de service, sont les interlocuteurs privilégiés de la direction générale de la mondialisation.

Cette direction gère les actions et programmes de coopération technique dans les domaines de la gouvernance. Le Fonds de solidarité prioritaire (FSP), dont le ministère des affaires étrangères et européennes a la maîtrise, lui permet d'intervenir dans différents secteurs.

Au ministère de l'économie, des finances et de l'emploi, la direction générale du Trésor est responsable de la gestion des contributions françaises auprès de la Banque mondiale, du FMI et des banques régionales de développement (BafD, BAsD, BID) et est en relation directe avec les administrateurs représentant la France auprès de ces institutions.

Les contributions françaises auprès des institutions de l'Union européenne et du système des Nations unies sont gérées par les services du MAEE.

Le MINEFE gère également les financements d'appuis budgétaires (leur instruction est toutefois menée de manière conjointe par la DGTPE, la DGM et avec l'appui de l'AFD), les remises et allègements de dettes (Club de Paris) ainsi que l'instruction et la mise en oeuvre des Contrats de développement et de désendettement.

Toutes ces actions sont menées de manière conjointe entre la DGTPE et la DGM avec l'appui technique de l'AFD.

Sur ces différents points, au sein de la DGTPE, les conseillers financiers régionaux entretiennent des relations très suivies avec les SCAC et les agences de l'AFD.

Sur place, les missions économiques, au sein des ambassades, sont peu impliquées dans les problématiques de coopération au développement. Elles le sont davantage dans les pays dits « émergents » en raison de leur fonction de mise en oeuvre des instruments spécifiques du MINEFE dans ces pays (instruments financiers FASEP et réserve pays émergents).

D'un point de vue budgétaire, l'éclatement de l'action de l'Etat en matière de coopération se traduit par une multiplication des programmes et des lignes budgétaires dont l'architecture ne répond pas toujours à une logique facilement accessible.

D'un point de vue opérationnel, la complexité du pilotage de la politique de coopération française implique cependant des délais de concertation qui peuvent être importants. Cette concertation ne permet pas toujours de surmonter les divergences et impose donc le recours fréquent à des arbitrages du Premier ministre et du Président de la République. Ainsi, à titre d'exemple, on peut constater que l'AFD a adopté un budget pour l'année 2011 avant le mois de mai de cette même année. De même, les travaux d'objectifs et de moyens initiés à l'été 2010 n'ont toujours pas été soumis à la signature par les ministres compétents au mois de novembre 2011.

Le dispositif de pilotage et de tutelle de la politique de coopération
Des instances multiples, des procédures nombreuses

Chaque réforme, même minime, donne lieu à des négociations complexes au sein du ministère des affaires étrangères puis entre le ministère des affaires étrangères et le ministère des finances. Ainsi, la modification du document de politique transversale consécutive à l'amendement proposé par votre commission a été adoptée par le Parlement en décembre dernier et a donné lieu à des discussions fournies sur l'interprétation qu'il convenait de donner aux exigences du Parlement. Ces discussions et la volonté de ne publier ce document qu'après les conclusions du G20 ont participé au retard considérable avec lequel ce document a été publié.

Ainsi, malgré des réformes successives, le dispositif institutionnel reste marqué par certains héritages de l'histoire : l'importance des ex-colonies du « pré carré », le rôle hypertrophié de la Présidence de la République, et une certaine concurrence entre les deux ministères les plus concernés par cette politique, ceux de l'Économie et des affaires étrangères.

Le dispositif institutionnel ne permet pas de porter cette politique de manière globale et cohérente : le secrétaire d'Etat ou ministre délégué chargé de la coopération, placé auprès du ministre des affaires étrangères, a bien du mal, par construction, à jouer le rôle d'animation et de coordination interministérielle qui lui est en théorie assigné, coincé entre un ministre de plein exercice qui exerce les arbitrages internes au Quai d'Orsay, et le ministre de l'économie. Deux ministres puissants qui, de par leurs missions, répondent à des fonctions d'objectifs différentes de celles de la Coopération : un prisme essentiellement monétaire et financier ou commercial à Bercy, un prisme avant tout diplomatique et d'influence au Quai d'Orsay.

Quelles que soient la majorité et la bonne volonté du ministre en charge du dossier, la priorité gouvernementale semble ailleurs. Cela se traduit concrètement aussi bien dans les agendas des ministres, souvent accaparés par d'autres missions, que dans les arbitrages budgétaires. Depuis que la Coopération lui a été rattachée en 1998, le MAEE a ainsi globalement démontré une grande difficulté à défendre les moyens de l'APD, en particulier dans le contexte d'arbitrages avec d'autres moyens du Quai, de son réseau ou de ses politiques.

Pour sa part, le ministère de l'économie est, par construction, plus mobilisé par les moyens nécessaires pour les activités dont il a la charge directe en faveur des banques de développement et, au plan bilatéral, par les activités de prêt qui figurent à son budget que par ceux des dons pour les projets dans les pays les plus pauvres ou pour l'assistance technique qui figurent au budget du MAEE. Le choix des instruments n'est dès lors plus guidé par les objectifs visés ou les besoins de nos partenaires, mais par le poids respectifs de chaque ministre de part et d'autre de la Seine.

Ce déséquilibre institutionnel conduit à une absence de vision globale et réduit la cohérence des choix et des arbitrages. C'est particulièrement vrai pour ce qui concerne le partage des moyens entre les canaux bi et multilatéraux et, au sein de l'aide multilatérale, entre banques multilatérales, organismes des Nations unies et instruments communautaires.

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