C. LES TRAVAUX ISSUS DES CONFÉRENCES SUR LES DÉFICITS PUBLICS : LA NÉCESSITÉ DE NOUVEAUX INSTRUMENTS JURIDIQUES
Le 28 janvier 2010, le Président de la République réunissait une conférence sur le déficit. Celle-ci a décidé le lancement d'importants travaux destinés à préparer des décisions en vue de résorber les déficits. La conférence a en particulier confié à Paul Champsaur et Jean-Philippe Cotis l'établissement d'un rapport sur la situation des finances publiques et a institué un groupe de travail présidé par Michel Camdessus, chargé d'avancer des propositions visant à poser les bases pérennes d'une nouvelle gouvernance des finances publiques.
Les conclusions de la seconde session de la conférence sur le déficit, tenue le 20 mai 2010, ont conduit ce groupe de travail à faire porter sa réflexion sur une réforme constitutionnelle qui prévoirait « que chaque Gouvernement issu des urnes s'engage juridiquement, pour cinq ans, sur une trajectoire impérative de solde structurel, ainsi que sur la date à laquelle l'équilibre des finances des administrations publiques doit être atteint. Elle permettrait de soumettre au vote du Parlement les engagements du pays en matière de finances publiques vis-à-vis de ses partenaires européens. Elle confierait enfin à la loi de finances compétence exclusive sur les dispositions fiscales ».
1. Le rapport sur la situation des finances publiques
Le rapport établi en avril 2010 par Paul Champsaur et Jean-Philippe Cotis dresse un constat sans complaisance ni excès de dramatisation sur la situation des finances publiques :
« La France se trouve aujourd'hui confrontée à des déséquilibres budgétaires de grande ampleur. L'intensité de la récession mondiale explique pour une large part l'ampleur de ces déficits. Elle ne laisse augurer qu'un retour très progressif à des conditions économiques plus normales, associé à une certaine atonie des recettes sociales et fiscales.
« Il ne faut donc pas attendre du seul retour à la croissance la restauration de nos finances publiques . Comme l'illustrent, par ailleurs, les graves perturbations qui affectent aujourd'hui les marchés financiers, les déficits publics constituent sans doute aujourd'hui un frein au rétablissement de nos économies. Ils suscitent des réflexes de précaution et des inquiétudes qui risquent de peser durablement sur la demande des ménages et des entreprises, si les premiers signes d'une remise sous contrôle des comptes publics ne sont pas rapidement perceptibles.
« Mais, au-delà de la crise, c'est l'insuffisante maîtrise de nos comptes publics, au cours des trente dernières années qui est en cause. Alors qu'à la fin des années 70, nos finances publiques étaient encore parmi les plus saines, leur situation s'est ensuite dégradée, comme en témoigne la montée ininterrompue du poids de la dette publique dans le PIB.
« La France s'est ainsi présentée dans cette crise avec des finances publiques relativement fragiles, résultat de trente années de déficits accumulés. De manière emblématique, les périodes de haute conjoncture n'ont pas été utilisées, en France, pour réduire sérieusement les déficits publics comme d'autres nations ont su le faire ».
En ce qui concerne spécifiquement les finances sociales, le rapport retrace l'évolution des dépenses de sécurité sociale entre 1981 et 2008. Sur cette période, la part des dépenses de santé dans le PIB est passée de 6,8 % à 8 %. De leur côté, les prestations au titre de la vieillesse-survie constituent le premier poste de dépenses sociales, avec une part dans le PIB de 12,5 % en 2008 contre 9,7 % en 1981.
Face à cette augmentation des dépenses, le besoin de financement additionnel a été en partie comblé par le recours à une fiscalisation progressive de la ressource, marquée notamment par la création de la CSG en 1991. Les efforts engagés pour redresser la situation des comptes sociaux ont été insuffisants avant même la survenance de la crise malgré une amélioration nette du solde structurel entre 2004 et 2008.
La crise économique et financière est venue creuser considérablement le déficit de la sécurité sociale et, en conséquence, la dette sociale. Or, le vieillissement de la population va peser sur les finances publiques au cours des décennies à venir.
Le rapport Champsaur-Cotis a le grand mérite de montrer qu'en l'absence d'action résolue en faveur de la maîtrise des déficits, la dérive de la dette publique se poursuivrait. Ainsi, dans l'hypothèse où le terrain perdu en termes de croissance serait intégralement rattrapé en dix ans du fait d'une croissance très vigoureuse (2,6 % par an), la dette publique atteindrait cent dix points de PIB à l'issue de la période .
Un effort conséquent de réduction des déficits est donc indispensable pour simplement stabiliser la dette à l'horizon 2020.
2. Le rapport sur la réalisation de l'objectif constitutionnel d'équilibre des finances publiques
Le groupe de travail présidé par Michel Camdessus a été chargé par le Premier ministre de formuler des propositions pour mieux assurer, dans le cadre de la gouvernance budgétaire et financière, le respect de l'objectif d'équilibre des comptes des administrations publiques inscrit dans la Constitution depuis la révision du 23 juillet 2008.
Le groupe de travail a mis en évidence l'existence de « chaînons manquants » dans l'ordre financier dont s'est doté la France :
- manque d'une règle assurant la primauté de lois pluriannuelles organisant le cheminement vers un objectif d'équilibre sur les lois financières annuelles ;
- absence d'un instrument permettant de soumettre aux délibérations et au vote du Parlement les engagements européens ;
- portée limitée du contrôle du Conseil constitutionnel sur les lois financières ;
- archaïsme des méthodes de prise en compte des fluctuations conjoncturelles ;
- contradiction entre la nécessaire discipline des procédures d'adoption des lois financières et la dispersion des sources d'initiative à leur propos ;
- indétermination de la date à laquelle l'objectif d'équilibre doit être atteint ;
- insuffisance des moyens propres à garantir la sincérité des lois financières ;
- inadaptation des moyens de coordination au service d'une approche globale des finances publiques ; vulnérabilité des décisions fiscales et budgétaire aux initiatives ou innovations tendant à les contourner.
Le groupe de travail a, en conséquence, formulé d'importantes propositions :
- pour assurer le retour à l'équilibre des comptes, il a préconisé la création d'une nouvelle catégorie de normes, les lois-cadres de programmation des finances publiques , dont certaines dispositions s'imposeraient à la loi de finances et à la loi de financement de la sécurité sociale ;
- il a en outre proposé de conférer une compétence exclusive aux lois financières pour l'adoption de toutes les dispositions relatives aux prélèvements obligatoires , afin de remédier à l'insuffisante discipline des processus d'adoption des mesures fiscales et des mesures affectant les recettes de la sécurité sociale ;
- pour rapprocher les projets de loi de finances et les projets de loi de financement de la sécurité sociale, le groupe de travail a suggéré :
de rendre impératif, à l'Assemblée nationale comme au Sénat, le débat sur les prélèvements obligatoires prévu par l'article 52 de la Lolf ;
d'aménager l' organisation des débats parlementaires pour permettre un enchaînement des discussions portant sur les volets recettes du projet de loi de finances et du projet de loi de financement de la sécurité sociale ;
de plafonner dans la Lolfss les autorisations annuelles d'emprunt de trésorerie données par la loi de financement de la sécurité sociale à l'Acoss et à d'autres régimes, afin de créer une contrainte financière plus directe et plus forte en vue du respect des prévisions de solde ;
- le rapport préconise également de protéger les décisions financières contre les initiatives tendant à les contourner en améliorant l'évaluation du coût ou du rendement pluriannuel des mesures de baisse ou de hausse des prélèvements obligatoires et en limitant le recours à l'emprunt des opérateurs bénéficiaires d'une subvention pour charges de service public ;
- enfin, le groupe de travail a proposé d' étendre le champ des interventions de la Cour des comptes en cours d'exercice, afin d'identifier un éventuel écart significatif entre prévisions et exécution en cours d'année.
Deux pistes de travail du groupe n'ont pas recueilli l'unanimité en son sein : la mise en place d'un groupe d'experts de haute compétence pour garantir la qualité et la sincérité de l'information fournie en appui des délibérations budgétaires ; la détermination par la loi organique de la date du retour à l'équilibre des finances publiques.
La réforme aujourd'hui proposée au Sénat tend à mettre en oeuvre les préconisations essentielles du rapport du groupe de travail.