2. De la justice d'exception à la justice spécialisée : le rapprochement progressif de la justice militaire de la justice de droit commun
a) Le code de justice militaire de 1965
La volonté de ménager les contraintes propres au métier des armes en autorisant des procédures pénales spécifiques, tout en consacrant, dans des proportions certes encore modestes, un certain souci d'ouverture, caractérise la réforme du 8 juillet 1965 . Celle-ci mit en place des juridictions spécifiques, les tribunaux permanents des forces armées , et consacra le principe d'un code pénal particulier, le code de justice militaire , fondé sur des procédures dérogatoires, tout en intégrant des magistrats civils , appartenant au corps judiciaire et détachés auprès du ministre de la défense.
La compétence des huit tribunaux permanents des forces armées 5 ( * ) , dont le ressort correspondait aux huit grandes régions militaires, concernait les infractions d'ordre militaire et les infractions de droit commun commises par des militaires, soit dans l'exercice du service, soit à l'intérieur d'un établissement militaire.
Les infractions militaires relèvent de trois catégories : infractions tendant à souscrire leur auteur à ses obligations militaires (mutilation volontaire, désertion, insoumission), infractions contre l'honneur et le devoir (capitulation, trahison, pillage, complot, destruction, outrage au drapeau, etc.), infractions contre la discipline (refus d'obéissance, insubordination, abus d'autorité, voie de fait et outrage envers ses supérieurs ou des subordonnés, etc.).
Le haut tribunal permanent des forces armées avait pour vocation de juger les officiers généraux, les maréchaux de France et les membres des corps militaires de contrôle.
Des tribunaux militaires aux armées pouvaient être créés, en temps de paix , en cas de stationnement de forces en dehors du territoire national . En réalité, un seul tribunal militaire aux armées fut constitué à l'étranger : celui de Landau, en République fédérale d'Allemagne , auprès des Forces Françaises en Allemagne 6 ( * ) . La compétence des tribunaux militaires aux armées concernait les infractions de toute nature commises par des militaires ou par des personnes dites à la suite de l'armée (personnels civils et personnes à charge lorsqu'elles accompagnent le chef de famille hors du territoire).
Enfin, les tribunaux prévôtaux dépendent de la gendarmerie. Ils sont compétents pour juger les auteurs de contraventions de gravité mineure (quatre premières classes). Ils sont constitués, en dehors du territoire de la République, dans la zone de stationnement ou d'intervention des forces dont ils relèvent.
À bien des égards, le droit pénal militaire instauré en 1965 s'appuyait sur des procédures spécifiques dérogatoires au droit commun, comme :
- la faculté de délivrer des ordres d'incarcération provisoire dont la durée pouvait aller jusqu'à 60 jours ;
- la mise en mouvement de l'action publique relevait du seul ministre de la défense ;
- l'impossibilité, pour une personne lésée, de se constituer partie civile (la justice militaire ne se prononçant, en effet, que sur la culpabilité des prévenus, et non sur la réparation du préjudice résultant de l'infraction) ;
- l'inexistence d'un double degré de juridiction, l'appel étant exclu du code de justice militaire (les jugements rendus par les juridictions militaires pouvant cependant être attaqués par la voie du pourvoi en cassation) ;
- l'absence de jury populaire ;
- la faculté reconnue au ministre de la défense de suspendre l'exécution de la peine sans avoir à motiver sa décision ;
- la désignation des juges militaires selon le principe hiérarchique.
La réforme du 8 juillet 1965 a toutefois été marquée par un rapprochement de la justice militaire avec la justice de droit commun par l'instauration de composition mixte au sein des juridictions, grâce à l'intervention de magistrats de l'ordre judiciaire détachés par le ministre de la justice auprès du ministre de la défense pour exercer les fonctions de magistrat militaire.
Les tribunaux permanents des forces armées étaient composés de cinq membres, dont un président et un magistrat assesseur issus du corps judiciaire et trois juges militaires. Les tribunaux militaires aux armées ne comportaient eux que des juges militaires, au nombre de quatre.
La loi du 19 décembre 1966 relative à l'exercice des fonctions judiciaires militaires a fait du corps des magistrats militaires, recrutés au sein des armées, un corps en extinction.
Avant même la réforme de 1982, la justice militaire relevait donc, pour l'essentiel, de magistrats civils issus du corps judiciaire et non de juges militaires.
* 5 Paris, Lyon, Bordeaux, Lille, Rennes, Marseille, Metz, Papeete
* 6 Le siège de ce tribunal fut transféré à partir du 1 er septembre 1995 à Baden-Baden