B. LA PRISE EN COMPTE RENFORCÉE DES INTÉRÊTS LOCAUX DANS LA CONDUITE DE L'ACTIVITÉ NORMATIVE DE L'ÉTAT

L'activité normative de l'État est également génératrice de coûts non-compensés pour les collectivités territoriales. Si des progrès importants ont été faits avec la création de la Commission consultative d'évaluation des normes, à la fin de l'année 2007, d'autres avancées restent nécessaires pour garantir la pleine association des acteurs locaux à l'élaboration des normes qui ont un impact sur l'exercice des compétences décentralisées.

1. L'activité de la commission consultative d'évaluation des normes
(1) La commission consultative d'évaluation des normes : une entité originale qui exerce ses compétences avec rigueur

Créée par l'article 97 de la loi de finances rectificative pour 2007, la Commission consultative d'évaluation des normes (CCEN) est une émanation directe du CFL, dont elle constitue une formation restreinte ; sa composition et ses règles de fonctionnement ont été précisées par un décret du 22 septembre 2008.

Ainsi, aux termes de l'article L. 1211-4-2 du code général des collectivités territoriales, la CCEN est composée de vingt-deux membres désignés parmi les membres titulaires du CFL, et parmi lesquels on dénombre quinze représentants des collectivités territoriales .

Des experts peuvent également être conviés par la Commission en fonction de l'ordre du jour (il s'agit, dans la plupart des cas, de représentants du Secrétariat général du gouvernement ou des associations d'élus locaux), afin de renforcer la qualité technique et la pertinence de ses avis. Ces experts assistent aux séances, mais ne disposent pas d'une voix délibérative.

La CCEN reçoit communication de tous les projets ou propositions de réglementation et de législation nationale ou communautaire créant ou modifiant des normes imposées aux collectivités et à leurs établissements publics. Le décret relatif à la commission prévoit que ces textes sont accompagnés d'un rapport de présentation et, surtout, d'une fiche d'impact financier qui fait « apparaître les incidences financières directes ou indirectes des mesures proposées pour les collectivités territoriales ». Elle dispose alors d'un délai de cinq semaines, pouvant exceptionnellement être ramené à 72 heures sur demande du Premier ministre, pour rendre son avis sur le texte dont elle est saisie.

En outre, la commission peut être consultée sur tout projet de loi ou d'amendement du gouvernement concernant les collectivités territoriales ; cette consultation est laissée à la discrétion du pouvoir exécutif.

Ses avis, bien qu'obligatoires, ne sont pas des avis conformes : le gouvernement peut donc s'abstenir d'en tenir compte.

Au total, depuis sa création et jusqu'en juillet 2010, la CCEN s'est réunie à vingt-sept reprises et a examiné 337 textes réglementaires, dont 108 pour la seule année 2010 . Ceux-ci représentent :

- un coût d'environ 1,431 milliard d'euros en année pleine pour les collectivités. Pour le premier semestre 2010, 43 % de ces coûts résultent de la réglementation prise dans le domaine de la fonction publique ;

- une économie de 456 millions d'euros par rapport aux normes en vigueur au moment de la saisine de la CCEN ;

- des recettes potentielles d'environ 528,2 millions d'euros ; toutefois, ces recettes résultent principalement du projet de décret relatif à la taxe pour la collecte, le transport, le stockage et le traitement des eaux pluviales, dont l'institution est facultative.

Au total, les mesures soumises à la Commission ont donc généré un coût net de 447 millions d'euros .

En outre, votre rapporteur souligne que 107 des 108 projets de texte soumis à la Commission en 2010 ont reçu un avis favorable ; seul a reçu un avis défavorable, le projet de décret relatif au fonds national de financement de la protection de l'enfance.

Cette proportion très élevée d'avis favorables n'implique pas que la Commission n'exerce pas sa compétence de manière pleine et entière : en effet, non seulement de nombreux textes (11 %) ont reçu un avis favorable assorti de recommandations , mais surtout, le président de la CCEN a fait usage, dès lors qu'il estimait nécessaire d'obtenir des éléments d'information supplémentaires, de son pouvoir de report de l'examen d'un texte à la séance suivante : cette faculté de report a été utilisée trois fois en 2010.

La commission a donc réussi à faire valoir son point de vue, tout en privilégiant une culture de dialogue et de concertation .

Votre rapporteur considère que, au vu des excellents résultats obtenus par la Commission, qui a réussi à modifier en profondeur le comportement des administrations centrales et à apaiser leur « réflexe prescriptif », la portée de ses avis devrait être renforcée : il propose donc que la CCEN puisse, dans certains domaines particulièrement générateurs de coûts pour les collectivités territoriales, rendre des avis conformes sur les projets de décrets.

(2) La nécessité d'une meilleure prise en compte des normes facultatives

Comme l'année passée, votre rapporteur observe que les normes techniques professionnelles facultatives de type AFNOR ou ISO 38 ( * ) ont un fort impact sur les collectivités territoriales, que ce soit à travers les ouvrages et services publics qu'elles gèrent (déchets, voirie, équipements sportifs...) ou dans la mise en oeuvre de leurs compétences.

Bien que facultatives, ces normes sont souvent vécues comme de facto obligatoires par les collectivités, voire rendues obligatoires par contrat (notamment dans le cadre des contrats d'assurance souscrits par les acteurs locaux) ; or, elles sont exclues du champ de la saisine de la CCEN , dont la compétence se borne aux textes normatifs d'application obligatoire, si bien qu'elles ne font l'objet d'aucune évaluation financière préalable.

Dès lors, et même s'il note avec satisfaction que des mécanismes plus ou moins formels ont été mis en place afin de garantir la participation des collectivités à l'élaboration des normes techniques 39 ( * ) , votre rapporteur estime opportun que des outils permettant d'estimer précisément le coût de ces normes soient mis à la disposition des élus locaux, et que la CCEN puisse, dans des conditions qui restent à définir, être consultée sur certaines normes facultatives .

(3) Vers une réévaluation du « stock » de normes

Enfin, comme votre rapporteur l'avait annoncé lors de son avis sur le PLF pour 2010, la CCEN sera prochainement amenée à se prononcer non seulement sur les flux de textes, c'est-à-dire sur les projets de textes nouveaux, mais aussi sur les quelques 400 000 textes anciens qui forment le stock des normes opposables aux collectivités territoriales. Étant dans l'incapacité matérielle de connaître de l'ensemble de ces textes, elle procéderait par échantillonnage, selon des critères fixés conjointement par la DGCL et les associations d'élus locaux.

À ce stade, votre rapporteur note avec satisfaction que, dès le mois de juillet 2010, les associations d'élus ont été saisies par le Premier ministre afin qu'elles communiquent au gouvernement la liste des domaines dans lesquels une « révision générale des normes » devrait être engagée en priorité. Après une phase d'expertise technique effectuée par les services des ministères compétents, les normes identifiées comme problématiques seront examinées par la CCEN, qui pourra préconiser le maintien, l'aménagement ou la suppression des normes en cause.

Selon les informations communiquées par le gouvernement, les trois associations d'élus saisies (Association des maires de France, Assemblée des départements de France et Association des régions de France) ont mis en évidence les problèmes posés par les normes relatives aux services d'incendie et de secours et au secteur social et médico-social , ainsi que par les règles émanant des fédérations sportives ; celles-ci devraient donc être rapidement soumises à l'examen de la CCEN.

Votre rapporteur soutient sans réserve cette initiative, qui répond à une revendication constante de la CCEN et des élus locaux.

2. La mise en place d'un « moratoire » sur les normes nouvelles concernant les collectivités territoriales

En outre, à l'issue de la deuxième conférence sur les déficits de mai 2010 et afin de favoriser la réduction des déficits des collectivités territoriales, le gouvernement a décidé la mise en place d'un moratoire sur l'adoption de mesures réglementaires applicables aux acteurs locaux .

Ce moratoire a été concrétisé par une circulaire du 6 juillet , aux termes de laquelle :

- le moratoire s'applique à toutes les mesures réglementaires qui ont vocation à s'appliquer aux collectivités territoriales, à leurs groupements et à leurs établissements publics, dès lors que ces mesures ne sont pas rendues obligatoires par la mise en oeuvre d'engagements internationaux de la France (et notamment de ses engagements communautaires) ou par l'application des lois ;

- la consultation de la CCEN sur les projets de loi ayant un impact financier sur les collectivités territoriales, qui est aujourd'hui facultative, sera plus fréquemment mise en oeuvre ;

- le président de la CCEN, lorsqu'il fera usage de sa faculté de reporter l'examen d'un texte réglementaire, pourra charger un représentant des collectivités territoriales siégeant au sein de la Commission de procéder à un « contre-rapport » ; pour ce faire, il pourra faire appel à des experts « issus de l'encadrement des collectivités territoriales ».

Votre rapporteur s'associe pleinement à ce « moratoire », qui est, en outre, pleinement cohérent avec la « révision générale des normes » qui sera prochainement mise en chantier ; il gage, à cet égard, que cette participation accrue des collectivités territoriales au processus normatif contribuera à accroître la confiance des élus locaux en l'État et leur démontrera la volonté des pouvoirs publics de mieux prendre en compte les problèmes concrets auxquels ils sont confrontés, jour après jour, sur le « terrain ».

*

* *

Sous le bénéfice de ces observations, votre commission a donné un avis favorable à l'adoption des crédits de la mission « Relations avec les collectivités territoriales » et du compte de concours financiers « Avances aux collectivités territoriales » figurant dans le projet de loi de finances pour 2011.


* 38 Les normes techniques issues des processus de normalisation sont en effet, le plus souvent, d'application volontaire : ainsi, sur les 30 000 normes françaises homologuées, moins de 400 ont été rendues obligatoires par un texte réglementaire ou législatif.

* 39 Les collectivités territoriales sont en effet représentées au sein du conseil d'administration de l'AFNOR ; en outre, un comité de concertation « Normalisation et collectivités territoriales » a été mis en place en décembre 2000, et intervient à titre consultatif dans le processus de normalisation piloté par l'AFNOR.

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