C. L'ENCELLULEMENT INDIVIDUEL : UN OBJECTIF RÉALISTE AU TERME DE L'ACTUEL PROGRAMME IMMOBILIER
La France disposait au 1 er janvier 2009 de 191 établissements pénitentiaires 19 ( * ) , soit 54.988 places « opérationnelles » (nombre de places de détention disponibles dans les établissements pénitentiaires).
Le parc immobilier présente un contraste fort entre, d'une part, des établissements vétustes du fait de leur ancienneté (tel est le cas des maisons d'arrêt situées dans les centres-villes construites au XIXème siècle) ou du manque d'entretien, et d'autre part, des bâtiments beaucoup plus modernes issus des trois programmes immobiliers qui se sont succédé depuis les années 1980 20 ( * ) . Le dernier d'entre eux, décidé par la loi d'orientation et de programmation pour la justice du 9 septembre 2002, prévoit la création de 13.200 places réparties entre 6 établissements pénitentiaires pour mineurs désormais en service et une quinzaine d'établissements pour majeurs dont les premiers ont ouvert en 2008.
Les investissements immobiliers de l'administration pénitentiaire comportent actuellement trois volets :
- la poursuite du programme 13.200 places ;
- l'accroissement des capacités au sein d'établissements existants ;
- la rénovation des établissements pénitentiaires parmi lesquels les structures les plus importantes (Fleury-Mérogis, Fresnes, Les Baumettes, La Santé).
Dotations PLF pour 2011
Investissements immobiliers en maîtrise d'ouvrage publique |
AE
|
CP
|
Entretien du gros oeuvre et sécurisation des établissements pénitentiaires Programme de construction « 13.200 » |
65,24 M€ 300 M€ |
70,83 M€ 164,2 M€ |
Investissements immobiliers en maîtrise d'ouvrage privée |
AE
|
CP
|
Loyers des établissements construits en partenariat public-privé et AOT-LOA |
0 |
23,4 M€ |
Nouveaux programmes en partenariat public-privé |
504 M€ |
10 M€ |
Au terme du programme « 13.200 » en 2012, la capacité opérationnelle des établissements pénitentiaires devrait atteindre 61.200 places .
Comme l'avait indiqué Mme Rachida Dati, alors garde des Sceaux lors de l'examen du projet de loi de finances pour 2009, 30 % des cellules des maisons d'arrêt du programme « 13.200 » seront des cellules doubles. Cette proportion permet, selon votre rapporteur, de répondre au principe de l'encellulement individuel compte tenu des dérogations prévues par le législateur et dès lors que le nombre de détenus écroués demeure stable. Cette condition n'apparaît pas hors de portée avec le développement des mesures d'aménagement de peine.
Néanmoins, le ministère de la justice a souhaité la mise en oeuvre d'un nouveau programme immobilier non seulement pour remplacer les places les plus vétustes mais aussi pour garantir un nombre de cellules individuelles de 62.000 -soit la création de 5.000 places supplémentaires.
Le programme « 13.200 » en voie d'achèvement
Ce programme est réalisé en quatre lots : un lot en maîtrise d'ouvrage publique, deux lots successifs en AOT-LOA (autorisation d'occupation temporaire-location avec option d'achat) 21 ( * ) , un lot en partenariat public privé 22 ( * ) .
Le financement disponible pour la réalisation du programme de 12.800 places pour majeurs et de 420 places pour mineurs est de 1.130 M€ obtenus au titre de la loi d'orientation et de programmation pour la justice auquel il convient d'ajouter 160 M€ en complément du financement de 1.800 places annoncées antérieurement à la LOPJ.
Le calendrier de ces réalisations s'établit de la manière suivante en métropole 23 ( * ) .
Année de mise en service |
Site* |
2007 |
EPM Quiévrechain (60) EPM Meyzieu (60), EPM Marseille (60), EPM Lavaur (60) |
2008 |
EPM Orvault (60), EPM Porcheville (60), CP Mont de Marsan (690), CP La Réunion (576) |
2009 |
CD Roanne (600), MA Lyon-Corbas (690), CP Nancy (690), CP Poitiers (560), CP Béziers (810) |
2010 |
CP Le Mans (400), CP Le Havre (690), CP de Rennes (690), CP Bourg-en-Bresse (690) |
2011 |
CP Lille-Annoeullin (688), CP Île de France-Réau (798) |
2012 |
MA Nantes (570), MC Vendin-le-Vieil (220) MC Condé sur Sarthe (249) |
Dans les collectivités d' outre-mer , la LOPJ a prévu la création de 1.600 places. Le nouveau centre pénitentiaire de Saint-Denis de la Réunion (574), réalisé en conception réalisation, a été mis en service en décembre 2008.
Les autres projets en cours sont :
- la réhabilitation et l'extension de l'établissement de Majicavo à Mayotte qui permettra ainsi de porter à terme la capacité d'hébergement à 264 places. Le lauréat du marché sera connu début 2011. Le démarrage des travaux est prévu en 2012 pour une livraison en 2014 ;
- en Guadeloupe , la réhabilitation et l'extension de la maison d'arrêt de Basse-Terre pour une capacité d'environ 180 places ainsi que l'extension du centre pénitentiaire de Baie-Mahault dont la capacité sera augmentée au moins de 150 places, voire de 250 places dans le cas de la non-construction d'un établissement sur l'île de Saint-Martin. Ces projets sont au stade des études de faisabilité dont les conclusions sont attendues pour le dernier trimestre 2010 ;
- la réhabilitation du centre pénitentiaire de Faa'a en Polynésie pour une capacité de 135 places ;
- l'extension du centre pénitentiaire de Remire-Montjoly en Guyane pour un gain de 220 places supplémentaires. La livraison de la première tranche (75 places) est prévue en 2012. La seconde tranche de 145 places fait actuellement l'objet d'études de programmation fonctionnelle et technique.
Sur la période 2007-2010, 7.587 places auront été créées et 1.681 places supprimées, soit un solde net de création de 5.906 .
En deux ans (2008-2009), 5.109 places prévues par la LOPJ auront été livrées et mises en service dont 4.146 en 2009. En 2010, s'ajouteront 3.025 places et en 2011, 1.931 places . Parallèlement, entre 2009 et 2011, 2.406 places auront été fermées, soit un solde net de créations de 7.659 au titre du programme « 13.200 ».
La livraison des premiers établissements du programme « 13.200 » n'intervenant qu'à partir de 2008, la direction de l'administration pénitentiaire a mis en place un dispositif d'accroissement des capacités au sein des établissements pénitentiaires destinés à créer 2.732 places supplémentaires (dont 609 places en semi-liberté). Au 31 juillet 2010, 2.256 places avaient été réalisées dans des quantités très variables selon les établissements (de 10 places à la maison d'arrêt d'Angoulême à 200 places au centre de détention de Villenauxe La Grande). 139 places sont prévues pour 2011 dont 60 pour le centre de détention de Châteauroux et 40 pour le quartier de semi-liberté de Bourg-en-Bresse.
Il est sans doute prématuré de dresser un bilan du programme « 13.200 ». Incontestablement, les conditions matérielles de détention se sont améliorées -avec notamment l'installation de douches dans les cellules.
Néanmoins, les nouvelles structures sont apparues surdimensionnées ; l'organisation des déplacements des personnes détenues requiert des délais plus longs interdisant parfois en pratique aux détenus de participer à certaines activités ou de se rendre aux rendez-vous qui peuvent leur être fixés (soins, travailleur social, etc.). Cette situation suscite des frustrations. En outre, les modes de surveillance fondées pour l'essentiel sur les moyens électroniques ont éloigné le détenu du surveillant sans renforcer le sentiment de sécurité. Ce phénomène participe de cette « deshumanisation » qui nourrit un regret paradoxal pour les établissements souvent vétustes auxquels les nouvelles prisons ont succédé.
Le nouveau programme immobilier
Un nouveau programme de construction devrait prendre le relais du « 13.200 » places sur la période 2012-2017 . Il vise la réalisation de 14.000 places nouvelles et la fermeture de 9.000 places vétustes . A l'issue de ce programme, la France sera dotée de 68.000 places de prison dont plus de la moitié ouvertes après 1990.
Fermeture de 23 établissements : maison d'arrêt (MA) Compiègne, MA Nevers, MA Rochefort, MA Saintes, MA Fontenay-le-Comte, MA Caen, MA Lure, MA Sarreguemines, MA Cahors, centre de détention (CD) Ecrouves, MA Montluçon, MA Agen, MC Ensisheim, MA Niort, MA Vannes, MA Aurillac, MA Saint-Malo, MA Digne, MA Privas, MA Châlons-en-Champagne, MA Guéret, MA Béthune, MA Chartres. Fermeture de 22 établissements avec création d'établissements à proximité : MA Colmar, MA Mulhouse, MA Orléans, MA Beauvais, Quartier CD Liancourt (correspondant à l'ancien centre de détention), MA Valence, MA Dunkerque, MA Dijon, MA et CD Riom, MA Clermont-Ferrand, MA Limoges, MA et CD Loos, CD Melun, MA Pau, MA Angers, MA Cherbourg, MA Coutances, CD Oermingen, MA Bordeaux-Gradignan, MC Saint-Martin de Ré, MA Rouen, MA Troyes. Par ailleurs, il est prévu la fermeture de la MA Saint-Pierre avec la reconstruction d'un établissement à proximité. |
Les nouveaux sites
DISP |
Nouvelle construction |
DIJON |
Orléans-Saran |
LYON |
Valence |
LYON |
Riom |
STRASBOURG |
Lutterbach |
BORDEAUX |
Bordeaux |
BORDEAUX |
Limousin |
LILLE |
Lille |
LILLE |
Beauvais |
LILLE |
Dunkerque (lieu sous réserve) |
DIJON |
Dijon |
DIJON |
Aube |
PARIS |
Est Parisien |
BORDEAUX |
La Rochelle |
BORDEAUX |
Pau |
LILLE |
Rouen |
RENNES |
Angers |
RENNES |
Manche |
STRASBOURG |
Oermingen/Bas-Rhin |
Outre mer |
Ducos (Martinique) |
Outre mer |
Saint-Pierre (La Réunion) |
Outre mer |
Nouméa (Nouvelle Calédonie) |
Outre mer |
Papeari (Polynésie) |
PARIS |
Construction d'un établissement Nord Parisien |
PARIS |
Réhabilitation de la MA Paris la Santé |
PARIS |
Construction d'un 3ème établissement Parisien : Nord Est Parisien |
MARSEILLE |
Construction d'un établissement à Marseille (Baumettes III) |
Selon les informations communiquées à votre rapporteur, le choix des établissements à fermer a été dicté par leur vétusté, leur inadaptation fonctionnelle, sauf à engager d'importants travaux de restructuration, et par l'impossibilité de mettre en oeuvre les prescriptions de la loi pénitentiaire et des règles pénitentiaires européennes. La fermeture de 45 sites a été annoncée. Sept établissements (950 places) sont maintenus sous condition soit d'un plan de rénovation à négocier avec les collectivités locales (Clairvaux, Bar le Duc, Poissy), soit dans l'attente d'une expertise complémentaire sur le coût de mise aux normes (Versailles, Château-Thierry, Laval et Vesoul).
La fermeture de la plupart de ces établissements devrait intervenir entre 2015 et 2017. Certaines opérations seront anticipées : fermeture de la MA de Cahors en 2011, de la MA de Chartres et d'Orléans en 2013 (lié à l'ouverture du futur établissement de Orléans-Saran), et de la MA et du CD de Lille-Loos mi-2011 (lié à l'ouverture du CP Annoeullin). La planification de la livraison des nouveaux établissements n'est pas encore arbitrée.
Afin de répondre aux prescriptions de la loi pénitentiaire adoptée en novembre 2009, la réalisation du nouveau programme immobilier s'appuie sur le concept d' « établissement à réinsertion active » élaboré sur la base des retours d'expérience du fonctionnement des établissements des deux derniers programmes de construction et des missions effectuées à l'étranger (Suède, Espagne, Angleterre).
Il s'articule autour de sept axes :
- la création de 5.000 places nettes qui permettra d'assurer un taux d'encellulement individuel de 95% de la population hébergée 24 ( * ) . Par ailleurs, la superficie des cellules, dont l'agencement garantira la fonctionnalité et la présence de douches, sera fixée à 8,5 m² afin de rendre quasiment impossible l'installation de deux détenus.
- la mise en oeuvre des régimes différenciés afin de permettre un mode de détention adapté à la dangerosité et à la personnalité de chaque détenu qui fera l'objet, à son arrivée au sein de l'établissement, d'une évaluation préalable.
Deux régimes de détention seront mis en oeuvre. Le régime de détention mode « ouvert » repose sur l'autonomie et la libre circulation du détenu au sein du quartier dont l'organisation reproduit le plus possible les conditions de vie à l'extérieur afin de faciliter sa resocialisation. Le mode «fermé» prévoit à l'inverse un encadrement renforcé de la population pénale dont les déplacements seront accompagnés par les personnels.
- l'organisation d'un volume d'activité de 5 heures par jour pour tous les détenus, qu'ils soient affectés en mode ouvert ou fermé. En conséquence, le nombre de locaux dédiés à l'insertion sera augmenté de 40 % par rapport au programme « 13.200 ».
- une capacité maximale de 160 places par quartier qui se déclinera en unités de 40 places.
- la construction au sein de chaque établissement d'un nombre suffisant d'unités de vie familiale et de parloirs familiaux afin de permettre aux détenus de rencontrer leur entourage sur des périodes longues.
- la prise en charge des détenus présentant des troubles mentaux améliorée par la création systématique, en accord avec le ministère de la santé, de locaux destinés aux services de psychiatrie au sein des unités de consultations et de soins ambulatoires (UCSA).
- enfin, l'installation systématique des dispositifs de vidéosurveillance dans les coursives des unités d'hébergement et les cours de promenades afin de limiter les phénomènes de violence.
Selon votre rapporteur, le nouveau programme immobilier soulève deux interrogations.
La première porte sur le choix des établissements appelés à fermer. Les critères retenus, particulièrement restrictifs , n'ont tenu compte ni de la qualité de l'infrastructure -comme la maison d'arrêt de Châlons en Champagne-, gage d'une détention plus sereine, ni de la proximité géographique dans des départements enclavés -comme la maison d'arrêt d'Aurillac- ni des expériences remarquables développées par certains établissements tels que Château-Thierry accueillant une majorité de personnes souffrant de graves troubles psychiatriques. S'il est incontestable que des structures de taille réduite sont plus coûteuses pour la collectivité, elles peuvent aussi présenter davantage d'efficacité en matière de réinsertion et de lutte contre la récidive.
Votre rapporteur a attiré l'attention du Gouvernement sur le nécessaire maintien de la maison d'arrêt de Château-Thierry dans l'attente du moins de la construction d'un établissement -ou, comme cela serait souhaitable, de plusieurs structures remplissant les mêmes fonctions.
Il souhaite que la liste des fermetures puisse être revue dans le cadre d'une réflexion plus large intégrant les objectifs d'une politique pénitentiaire ambitieuse, sur la base d'une réelle concertation avec tous les acteurs concernés -certaines fermetures ont été annoncées sans même qu'un représentant de l'administration centrale ne se rende sur place pour examiner la situation de l'établissement.
Le principal argument avancé pour justifier les fermetures tient à l'impossibilité de garantir dans les structures concernées l'encellulement individuel. Il justifie aussi la création des 5.000 places supplémentaires afin de garantir à l'horizon 2017 un encellulement individuel de 95 % à 100 %.
Ces créations sont-elles justifiées ?
Il est paradoxal que le Gouvernement, opposé lors de l'examen de la loi pénitentiaire au maintien du principe de l'encellulement individuel, défende désormais un objectif aussi radical que le législateur lui-même n'a pas envisagé.
A l'initiative du Sénat, la loi pénitentiaire a rappelé le principe de l'encellulement individuel (article 87) tout en permettant qu'il y soit dérogé dans trois hypothèses :
- lorsque les intéressés en font la demande ;
- lorsque leur personnalité justifie, dans leur intérêt, qu'ils ne soient pas laissés seuls ;
- lorsqu'ils ont été autorisés à travailler ou à suivre une formation professionnelle ou scolaire et que les nécessités d'organisation l'imposent.
Ces conditions permettent de penser que 30 % des places en maisons d'arrêt pourraient être en cellule double.
Les commissions d'enquête parlementaire du Sénat et de l'Assemblée nationale avaient souhaité « rompre le cercle vicieux entre l'accroissement du nombre de détenus et l'augmentation des capacités d'accueil en prison » 25 ( * ) . La création de 5.000 places supplémentaires alors que la population pénale écrouée se stabilise et que se développent les aménagements de peine risque de reconduire ce cercle vicieux. Elle concentrera de nouveau les moyens sur la création d'emplois de personnels de surveillance au détriment des emplois de conseillers d'insertion et de probation et, partant, des mesures d'aménagement de peine, encourageant ainsi l'incarcération. Aussi les orientations du nouveau programme immobilier doivent, selon votre rapporteur, faire l'objet d'un réexamen approfondi.
* 19 106 maisons d'arrêt, 79 établissements pour peine -dont 6 maisons centrales-, 12 centres de semi-liberté, 4 quartiers centre pour peines aménagées, 6 établissements pénitentiaires pour mineurs, un établissement public de santé national à Fresnes.
* 20 Le programme « Chalandon » (1987) de 13.000 places avec la construction de 25 établissements et le programme « Méhaignerie » (1994) de 4.000 places avec la construction de 6 établissements.
* 21 Alors que dans la conception réalisation l'Etat est propriétaire du bâtiment dès sa livraison, il doit dans le cadre de la procédure AOT-LOA s'acquitter des loyers pendant une période de 27 ans avant d'en devenir propriétaire.
* 22 Le partenariat public-privé comprend non seulement les prestations comprises dans le cadre du contrat AOT-LOA mais aussi les services correspondant aux marchés actuels de gestion déléguée (les services à la personne étant remis en concurrence tous les 8 ans).
* 23 Les caractères de couleur noire signalent les établissements réalisés en maîtrise d'ouvrage publique, les caractères de couleur marron les établissements réalisés selon la procédure de conception-réalisation, les caractères de couleur bleue le premier lot de construction en AOT-LOA, les caractères de couleur rouge le second lot de construction en AOT-LOA, les caractères de couleur verte le troisième lot en partenariat public-privé .
* 24 C'est à dire 95% des détenus seuls en cellule.
* 25 La France face à ses prisons, commission d'enquête sur les prisons françaises, MM. Louis Mermaz et Jacques Floch, rapporteurs, rapport de l'Assemblée nationale, p. 25.