N° 227
SÉNAT
SESSION ORDINAIRE DE 2009-2010
Enregistré à la Présidence du Sénat le 27 janvier 2010 |
AVIS
PRÉSENTÉ
au nom de la commission des affaires sociales (1) sur le projet de loi , ADOPTÉ PAR L'ASSEMBLÉE NATIONALE , relatif à l' ouverture à la concurrence et à la régulation du secteur des jeux d' argent et de hasard en ligne ,
Par M. Nicolas ABOUT,
Sénateur
(1) Cette commission est composée de : Mme Muguette Dini , présidente ; Mme Isabelle Debré, M. Gilbert Barbier, Mme Annie David, M. Gérard Dériot, Mmes Annie Jarraud-Vergnolle, Raymonde Le Texier, Catherine Procaccia, M. Jean-Marie Vanlerenberghe , vice-présidents ; MM. Nicolas About, François Autain, Paul Blanc, Jean-Marc Juilhard, Mmes Gisèle Printz, Patricia Schillinger , secrétaires ; M. Alain Vasselle, rapporteur général ; Mmes Jacqueline Alquier, Brigitte Bout, Claire-Lise Campion, MM. Jean-Pierre Cantegrit, Bernard Cazeau, Mme Jacqueline Chevé, M. Yves Daudigny, Mme Christiane Demontès, M. Jean Desessard, Mme Sylvie Desmarescaux, M. Guy Fischer, Mme Samia Ghali, MM. Bruno Gilles, Jacques Gillot, Adrien Giraud, Mme Colette Giudicelli, MM. Jean-Pierre Godefroy, Alain Gournac, Mmes Sylvie Goy-Chavent, Françoise Henneron, Marie-Thérèse Hermange, Gélita Hoarau, M. Claude Jeannerot, Mme Christiane Kammermann, MM. Marc Laménie, Serge Larcher, André Lardeux, Dominique Leclerc, Jacky Le Menn, Jean-François Mayet, Alain Milon, Mmes Isabelle Pasquet, Anne-Marie Payet, M. Louis Pinton, Mmes Janine Rozier, Michèle San Vicente-Baudrin, MM. René Teulade, François Vendasi, René Vestri, André Villiers. |
Voir le(s) numéro(s) :
Assemblée nationale ( 13 ème législ.) : |
1549 , 1837 , 1838 , 1860 et T.A. 348 |
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Sénat : |
29 , 209 et 210 (2009-2010) |
AVANT-PROPOS
Mesdames, Messieurs,
La régulation des jeux de hasard et d'argent est un enjeu social et une nécessité de santé publique. Là où il n'est pas contrôlé, le jeu est une dépense improductive qui sert uniquement à l'augmentation des gains, à la rémunération de quelques opérateurs et au développement de l'économie parallèle. L'exemple du « jogo do bicho », le « jeu de l'animal », loterie illégale brésilienne dont l'enracinement centenaire n'a fait qu'aggraver les effets destructeurs tant sociaux 1 ( * ) que sanitaires 2 ( * ) , démontre que, sans intervention régulatrice et efficace des pouvoirs publics, le jeu, livré à lui-même, ne peut ni s'autolimiter, ni se moraliser mais tend au contraire à protéger toujours plus les intérêts d'un petit nombre d'organisateurs au détriment de l'intérêt général.
Reconnaître la nécessité de l'intervention de l'Etat paraît d'autant plus important aujourd'hui que le développement des jeux de hasard et d'argent ne cesse de s'accélérer. L'action des pouvoirs publics est en effet, en matière de jeu, marquée par une forte cyclicité et oscille au fil du temps entre prohibition et libéralisme. Pendant cent ans, de 1832 à 1933, la France a ainsi interdit toute loterie nationale permanente, réservant l'accès aux jeux d'argent et de hasard à la population fortunée susceptible de fréquenter les casinos. Les inquiétudes liées à la crise économique ont cependant amené la création d'un monopole d'Etat deux ans à peine après que l'Etat du Nevada eut, pour les mêmes raisons, autorisé l'implantation de casinos sur son territoire. Le développement du jeu a d'abord été lent : aux Etats-Unis, la première loterie publique pérenne n'a été organisée qu'en 1964, mais le jeu privé a pris son essor à partir des années soixante-dix avec l'ouverture de casinos dans la plupart des Etats fédérés. Une tendance analogue se manifeste depuis cette époque dans de nombreux autres pays, notamment le Royaume-Uni qui connaît depuis 1968 un engouement pour le jeu de loto ( bingo ) commercial.
A l'assouplissement récent des contraintes réglementaires permettant le développement du jeu privé s'ajoute la diffusion des nouvelles technologies qui, depuis vingt ans, prennent une dimension à la fois ludique et commerciale de plus en plus importante. Le jeu en ligne est une industrie en pleine expansion à laquelle il s'avère particulièrement difficile d'imposer des contraintes nationales. On peut même estimer que le marché français est de fait ouvert au jeu en ligne. Cela signifie que la population dans son ensemble, y compris les plus fragiles, est déjà exposée aujourd'hui aux risques sociaux et sanitaires liés au jeu et accentués par le jeu en ligne. La nécessité de légiférer en la matière ne saurait donc faire de doute : le projet de loi soumis à l'examen du Sénat doit réguler des activités qui sont actuellement illégales, mais existent déjà dans les faits.
Comme l'indique l'expertise collective conduite par l'Inserm : « les jeux de hasard et d'argent sont des jeux où le sujet mise de façon irréversible un bien (argent ou objet) et où l'issue du jeu aboutit à une perte ou un gain, en fonction partiellement ou totalement du hasard » . Les opérateurs s'attachent parfois à masquer les éléments constitutifs de cette définition, c'est-à-dire l'existence de règles préétablies, d'une mise et d'un aléa. Ainsi les jeux télévisés proposant au public de répondre par téléphone à une question sont en fait des jeux de hasard : la question posée est d'une simplicité telle que les « bonnes réponses » sont très largement majoritaires ; dès lors, le jeu se résume à un tirage au sort, auquel le public participe en contrepartie d'une mise constituée par le fait d'avoir composé un numéro d'appel surtaxé. La définition légale doit donc être particulièrement rigoureuse et les pouvoirs publics attentifs dans leur surveillance de ces activités.
Le projet de loi soumis à l'examen du Sénat relève au fond de la commission des finances. La multiplicité des domaines touchés par le jeu a néanmoins conduit la commission des affaires culturelles et votre commission des affaires sociales, à se saisir pour avis . Seront donc examinés, dans le cadre de ce rapport et conformément à son champ de compétences, les articles 1 er (missions générales de l'Etat, champ de l'ouverture à la concurrence et création d'un comité consultatif des jeux), 4 bis (encadrement de la publicité en faveur d'un opérateur de jeux d'argent et de hasard), 12 (obligations d'information sur les modalités d'accès et d'inscription au site Internet et les moyens d'identification des joueurs), 20 (obligations imposées aux opérateurs de jeux en matière de protection des populations vulnérables et de prévention de l'addiction), 21 (transmission à l'autorité de régulation des jeux en ligne de rapports sur le jeu responsable, la lutte contre la fraude et le blanchiment, et les actions publicitaires et commerciales des opérateurs), 21 bis (procédure d'agrément des organismes proposant un service d'information et d'assistance aux joueurs excessifs), 21 ter (missions de l'autorité de régulation des jeux en ligne), 21 quater (interdiction du jeu à crédit), 40 (nouveaux prélèvements sociaux créés au profit de la sécurité sociale), 41 (mesures de cohérence relatives à la CSG) et 42 (mesures de cohérence relatives à la CRDS).
*
Les jeux de hasard et d'argent progressent sur support physique aussi bien qu'électronique et les risques de contournement de la loi, si les définitions se révèlent imprécises, sont réels. Les problèmes posés par le jeu en ligne ne sont pas spécifiques : ils doivent être traités dans le cadre global des conséquences sanitaires et sociales des jeux de hasard ou d'argent. Dans cette perspective, il importe de définir les mesures de prévention et les modalités de prise en charge des personnes victimes des effets du jeu. C'est à quoi s'est attachée votre commission.
I. LE JEU EN LIGNE AGGRAVE LE RISQUE SANITAIRE ET SOCIAL LIÉ AU JEU
L'addiction au jeu est le degré extrême d'un phénomène qui va du simple délassement et du rêve à la pathologie. Le jeu est donc associé à un dégradé de situations qui vont du rapport sain au jeu à la souffrance, voire à la désocialisation et à la ruine. Malgré la difficulté à déterminer un seuil, il est donc particulièrement important d'identifier les situations problématiques et de diagnostiquer les cas pathologiques. Le retard pris dans ce domaine est aggravé par l'impact du développement du jeu en ligne.
A. UNE PRISE DE CONSCIENCE TARDIVE
Le vertige lié au jeu et ses conséquences dramatiques sont connus de la plupart des cultures depuis des temps très anciens. Pour ne prendre qu'un exemple, l'un des épisodes centraux de l'épopée indienne du Mahâbhârata raconte comment un roi perd aux dés l'ensemble de ses biens, puis son royaume, puis son épouse, puis sa personne même. Les dangers du jeu sont donc perçus depuis longtemps. L'identification du caractère pathologique de certains comportements est cependant plus récente et la question de la mesure exacte du phénomène de jeu problématique reste ouverte.
1. Le problème du diagnostic
C'est la psychologie naissante qui s'est la première penchée sur le jeu pathologique. La question a été abordée par tous ses fondateurs. En France, Théodule Ribot aborde ce problème dès 1896 dans sa Psychologie des sentiments , puis plus en détail en 1906 3 ( * ) en décrivant le phénomène du « jeu passion » à partir notamment des travaux de l'Italien Antonio Marro. Aux Etats-Unis, Stanley Hall confie comme sujet de thèse « L'impulsion au jeu de hasard » à Clemens J. France, ce qui aboutit en 1902 à la première étude systématique du sujet 4 ( * ) , commentée dès sa parution par Alfred Binet qui catégorise la manie du jeu de hasard comme un « instinct » et note la déréalisation qui l'accompagne 5 ( * ) . Freud revient en 1928 sur la question du jeu pathologique dans un article analysant Le joueur de Dostoïevski 6 ( * ) et Vingt-quatre heures de la vie d'une femme de Zweig.
Malgré ces études ou peut-être en raison de l'association trop étroite de l'analyse du jeu pathologique à la psychologie, l'addiction au jeu ne sera reconnue en tant que telle dans les outils de classification psychiatriques qu'en 1980 7 ( * ) , et c'est seulement en 1987 qu'une grille de diagnostic clinique a été élaborée.
Les critères diagnostiques ont été progressivement affinés pour aboutir à une description du jeu pathologique dans la dixième version de la classification internationale des maladies établie par l'Organisation mondiale de la santé, que complète la dernière version en date du manuel des troubles mentaux établis par l'association américaine de psychiatrie (DSM IV-TR) 8 ( * ) .
Jeu pathologique
Trouble consistant en des épisodes répétés et fréquents de jeu qui dominent la vie du sujet au détriment des valeurs et des obligations sociales, professionnelles, matérielles et familiales. Ces personnes peuvent mettre leur travail en péril, contracter des dettes importantes, mentir ou transgresser la loi pour obtenir de l'argent ou tenter d'échapper au paiement de leurs dettes. Le sujet décrit un besoin urgent de jouer, difficile à contrôler, s'accompagnant d'idées et d'images représentant l'acte de jouer et les circonstances qui l'entourent. Ces préoccupations et envies sont souvent plus importantes dans les périodes de tension accrue. Ce trouble est également appelé « jeu compulsif » ; mais ce terme semble moins approprié car, d'une part, le comportement n'est pas compulsif à proprement parler, d'autre part, ce trouble n'a aucun rapport avec le trouble obsessionnel-compulsif.
Directives pour le diagnostic
La caractéristique essentielle est le jeu répété de façon persistante qui continue et prend souvent de l'ampleur malgré des répercussions sociales défavorables comme la ruine matérielle, la détérioration des relations familiales et la perturbation de la vie personnelle.
Inclure : jeu compulsif
Diagnostic différentiel . Le jeu pathologique doit être distingué :
a) de l'habitude jouer et de faire des paris (ces personnes jouent fréquemment par passion ou pour tenter de gagner de l'argent et peuvent réfréner leur habitude en cas de grosses pertes ou d'autres désagréments) ;
b) du jeu excessif chez les patients maniaques ;
c) du jeu chez les personnalités dyssociales (ces personnes font preuve de perturbations plus générales et durables du comportement social, à en juger par leurs actes agressifs ou d'autres manifestations de leur indifférence évidente à l'égard du bien-être et des sentiments d'autrui).
Critères diagnostiques - Jeu pathologique
Pratique inadaptée, persistante et répétée du jeu, comme en témoignent au moins cinq des manifestations suivantes :
1) préoccupation par le jeu (par exemple, préoccupation par la remémoration d'expériences de jeu passées ou par la prévision de tentatives prochaines, ou par les moyens de se procurer de l'argent pour jouer) ;
2) besoin de jouer avec des sommes d'argent croissantes pour atteindre l'état d'excitation désiré ;
3) efforts répétés mais infructueux pour contrôler, réduire ou arrêter la pratique du jeu ;
4) agitation ou irritabilité lors des tentatives de réduction ou d'arrêt de la pratique du jeu ;
5) joue pour échapper aux difficultés ou pour soulager une humeur dysphorique (par exemple, des sentiments d'impuissance, de culpabilité, d'anxiété, de dépression) ;
6) après avoir perdu de l'argent au jeu, retourne souvent jouer un autre jour pour recouvrer ses pertes (pour se « refaire ») ;
7) ment à sa famille, à son thérapeute ou à d'autres personnes pour dissimuler l'ampleur réelle de ses habitudes de jeu ;
8) commet des actes illégaux, tels que falsifications, fraudes, vols ou détournement d'argent pour financer la pratique du jeu ;
9) met en danger ou perd une relation affective importante, un emploi ou des possibilités d'études ou de carrière à cause du jeu ;
10) compte sur les autres pour obtenir de l'argent et se sortir de situations financières désespérées dues au jeu. La pratique du jeu n'est pas mieux expliquée par un épisode maniaque.
Source : Expertise collective Inserm : Jeux de hasard et d'argent. Contextes et addictions, 2008
Depuis une quinzaine d'années, les progrès de la recherche ont permis d'ajouter à ces critères comportementaux traditionnels des données physiologiques, biochimiques et génétiques. Cette conjonction permet une approche clinique complète et la mise en place de traitements utilisant tout le spectre de la thérapeutique 9 ( * ) .
2. Le problème de la mesure
Malgré les demandes formulées depuis 2002 par le sénateur François Trucy dans deux rapports sur l'organisation des jeux de hasard et d'argent en France 10 ( * ) , il n'existe pas d'étude épidémiologique permettant de connaître l'ampleur réelle de l'addiction au jeu en France. La seule estimation possible à l'heure actuelle se fonde sur des comparaisons internationales qui établissent la part des joueurs pathologiques entre 1 % et 2 % de la population générale 11 ( * ) . Dans l'attente des résultats de l'étude confiée à l'observatoire français des drogues et toxicomanie en juin 2008 et qui devrait aboutir en 2011, le document de référence est l'étude collective de l'Inserm, prévue dans le cadre du plan addictions 2007-2011 à la suite du second rapport du sénateur François Trucy sur le jeu 12 ( * ) . Outre un panorama complet des études épidémiologiques parues à ce jour 13 ( * ) , l'expertise collective souligne que, même une fois le jeu pathologique reconnu médicalement, il est important que ce phénomène n'occulte pas la réalité plus vaste du jeu excessif.
Comme le souligne le professeur Marc Valleur, si la pathologie mentale avérée ne touche qu'une part restreinte des joueurs, les pouvoirs publics doivent également prendre en compte les cas beaucoup plus nombreux d'excès temporaires dont les conséquences sont parfois irrémédiables. En effet, malgré le retour à une attitude normale à l'égard du jeu, le poids des dettes contractées et la mise en péril des liens familiaux et sociaux peuvent conduire à un endettement, voire à une désocialisation, durable.
Niveaux d'exposition au risque et dépendance au
jeu
(Blaszynski et coll., 2004)
Source : Expertise collective Inserm : Jeux de
hasard et d'argent.
Contextes et addictions, 2008
Une approche du jeu responsable ne peut donc se concentrer exclusivement sur le jeu pathologique au sens étroit mais doit s'intéresser au moyen de prévenir toutes les formes de jeu excessif. L'action régulatrice des pouvoirs publics est toutefois rendue particulièrement complexe par le développement du jeu en ligne.
B. L'IMPACT DU DÉVELOPPEMENT DU JEU EN LIGNE
La pratique du jeu sur Internet est relativement récente - le premier jeu commercial à joueurs multiples a été diffusé en 1991 -, mais elle a connu une croissance exponentielle. Aucune estimation fiable du chiffre d'affaires annuel mondial de l'industrie du jeu en ligne n'existe, puisque les estimations oscillent entre 20 et 50 milliards de dollars pour 2008. Il est néanmoins certain que le chiffre d'affaires aux Etats-Unis a quadruplé entre 2003 et 2009 pour atteindre 10 milliards de dollars. La diffusion de l'Internet à haut débit, qui permet un accès direct et une participation instantanée, est une raison puissante de ce développement. Or, l'arrivée des jeux de hasard et d'argent en ligne ne peut être considérée isolément : elle a des conséquences sur le rôle du jeu dans la société et participe de la plus grande place accordée aux jeux les plus addictifs.
1. L'effacement de la frontière entre jeu public et jeu privé
Dans le domaine du jeu à l'instar d'autres domaines, Internet brouille les frontières entre le public et le privé. Ceci a des conséquences directes sur la place du jeu dans la société. En effet, en France comme dans la plupart des Etats, la place reconnue au jeu reposait sur l'idée que l'argent du jeu public, financé par le public, devait financer des actions d'intérêt général : le sport, la culture ou l'action sociale. Ceci impliquait, en France, un monopole de l'Etat sur ces activités. Le jeu public, de fait, n'était toléré que comme une forme d'impôt. A l'inverse, le jeu privé pratiqué dans des casinos et destiné à une population restreinte voire sélectionnée pouvait être confié à l'entreprise privée.
Mais, dès lors que les jeux privés, jeux de cartes ou machines à sous sont accessibles à tous, la frontière entre jeu public et jeu privé s'efface, et la place du jeu s'en trouve transformée. L'offre de jeu en ligne à l'ensemble de la population est une activité très lucrative qui appelle une grande vigilance des pouvoirs publics. Il est en effet nécessaire de protéger les populations les plus fragiles, c'est-à-dire les mineurs bien sûr, mais aussi les foyers à ressources modestes pour lesquels la part consacrée au jeu dans le revenu a tendance à croître plus que proportionnellement 14 ( * ) dans un contexte général d'augmentation des mises au cours des dernières années 15 ( * ) .
2. Le triomphe du jeu « sensation »
Comme le professeur Marc Valleur l'a indiqué à votre rapporteur, tous les jeux ne sont pas également dangereux pour la santé et la vie sociale. Dans cette optique, on peut distinguer les jeux de rêve, les jeux refuge et les jeux de sensation. Les jeux de masse français, au premier rang desquels figure le Loto, sont des jeux de rêve qui permettent, selon l'analyse de Roger Caillois, d'offrir une compensation symbolique aux inégalités sociales. Les jeux vidéo sont, pour la plupart d'entre eux, des jeux refuges qui permettent à l'âge de l'adolescence de traverser une phase de construction de la personnalité avant de passer à des activités sociales adultes 16 ( * ) . Les jeux de hasard ou d'argent en ligne appartiennent majoritairement à la troisième catégorie, destinée à produire des émotions violentes sur le modèle des machines à sous. Or, c'est aux jeux « sensation » qu'est associé le plus fort risque d'addiction.
On comprend bien, en effet, que l'absence de temps de réflexion est par nature plus propre à déstabiliser le psychisme en même temps qu'elle produit les revenus les plus importants. Cette configuration des jeux en ligne appelle donc une régulation forte de la part des pouvoirs publics.
Les jeux de hasard et d'argent sont des activités dangereuses tant sur le plan social que sanitaire. Dès lors que les évolutions technologiques imposent une ouverture de ce secteur, il est illusoire de penser que les conséquences pourront être limitées. L'augmentation des dépenses liées au jeu et des comportements à risque rejaillira sur l'ensemble des pratiques de jeu et plus largement sur la société elle-même. Des mesures de régulation s'imposent donc.
* 1 Roger Caillois, « L'usage des richesses : économie quotidienne et jeux de hasard en Amérique latine » in Quatre essais de sociologie contemporaine, 1951 et Les jeux et les hommes , 1967.
* 2 « Pathological gambling and its consequences for public health », Maria Paula Magalhaes Tavares de Oliviera, Dartiu Xavier da Silvera, Maria Teresa Araujo Silva, Revisao de Saude Publica, 2008 ; 42(3), pp. 1-7.
* 3 Essai sur les passions, pp. 75-81.
* 4 « The gambling impulse », American journal of psychology, juillet 1902, XIII, n° 3, p. 364-408.
* 5 L'année psychologique, Année 1902, Volume 9, n° 1, p. 435-436.
* 6 « Dostoïevski et le parricide », 1928.
* 7 Diagnostic and Statistical Manual of Mental Disorders, Third edition (DSM III), publié par l'association américaine de psychiatrie.
* 8 Diagnostic and Statistical Manual of Mental Disorders, Fourth revised edition (DSM IV-TR), publié par l'association américaine de psychiatrie.
* 9 Cf. L'analyse des approches cliniques dans l'expertise collective Inserm, Jeux de hasard et d'argent. Contextes et addictions, 2008 pp. 155-220.
* 10 Les jeux de hasard et d'argent en France : l'Etat croupier, le Parlement croupion ?, rapport d'information n° 223 (2001-2002) du 13 février 2002 ; L'évolution des jeux de hasard et d'argent : le modèle français à l'épreuve, rapport d'information n° 58 (2006-2007), du 7 novembre 2006, établis au nom de la commission des finances.
* 11 Robert Ladouceur, « Evaluation des approches de prévention » in Expertise collective Inserm, précité, p. 437.
* 12 L'évolution des jeux de hasard et d'argent : le modèle français à l'épreuve, rapport d'information n° 58 (2006-2007), du 7 novembre 2006.
* 13 « Prévalence du jeu excessif et pathologique » in Expertise collective Inserm précité, pp. 223-240.
* 14 Expertise collective Inserm, précité, p. 32.
* 15 « En 25 ans, les Français ont doublé leur mise », Danielle Besson, division Synthèse des biens et services, Insee Première, n° 1016, mai 2005.
* 16 Le phénomène addictif : mieux le connaître pour mieux le combattre, Rapport d'information d'Anne-Marie Payet, au nom de la commission des affaires sociales, n° 487 (2007-2008), 23 juillet 2008.