III. LES COLLECTIVITÉS TERRITORIALES FACE À LA CRISE
Le PLF pour 2010 ne saurait être pleinement compris s'il était détaché du contexte de crise qui caractérise actuellement l'économie nationale. Dans ce cadre, les collectivités territoriales apparaissent à la fois comme des victimes de la crise, comme les piliers de la future reprise, et comme les moteurs d'une croissance durable.
La situation reste toutefois périlleuse dans la mesure où, comme le rappelle un rapport de la Cour des comptes rendu public en juin 2009 22 ( * ) , « Les collectivités locales entrent dans la crise sans qu'aient été conduites les réformes de leurs structures et de leur financement permettant une meilleure maîtrise de leurs dépenses ».
A. BIEN QUE FRAGILISÉES PAR LA CRISE, LES COLLECTIVITÉS SONT ASSOCIÉES À L'EFFORT NATIONAL DE RELANCE DE L'ÉCONOMIE
1. Les conséquences directes de la crise sur les finances locales
(a) Une augmentation tendancielle du déficit des APUL
La fragilisation des finances locales est tout d'abord démontrée par l'augmentation de la dette des administrations publiques locales (APUL).
Ainsi, leur déficit est en nette augmentation : il se porte à 8,6 milliards d'euros en 2008, soit une augmentation de près de 12 % par rapport à 2007. Si ce déficit reste limité dans l'absolu (il ne représente que 0,4 % du PIB et 11 % de la dette publique totale), il s'inscrit toutefois dans une tendance haussière depuis 2004, après un cycle de désendettement entre 1996 et 2003.
Corrélativement, l'autofinancement des collectivités, qui équivaut à leur épargne brute 23 ( * ) , est en baisse : il a reculé de 5,5 % en 2008.
(b) Des pertes de recettes pouvant donner naissance à un « effet de ciseaux » et mettant en danger la viabilité des finances départementales
La crise économique a un impact très net sur les finances locales et provoque d'importantes pertes de recettes .
Certes, les impôts directs sont, à l'exception notable de la taxe professionnelle, préservés des effets immédiats de la crise : ils sont en général assis sur la valeur des biens immeubles, celle-ci étant révisée forfaitairement et par définition insensible à court terme à la baisse de l'activité économique.
Néanmoins, certains impôts pâtissent tout particulièrement de la conjoncture économique : tel est notamment le cas des droits de mutation (DMTO).
Sous l'effet du retournement du marché immobilier, l'été 2008 a marqué une rupture brutale dans leur rythme d'évolution : après avoir très fortement progressé entre 2000 et 2006 (+ 104 %), le rendement des DMTO a chuté de 8,5 % en 2008. Le gouvernement prévoit, en 2009, une nouvelle baisse de 12 à 15 % et estime qu'elle pourrait se prolonger en 2010.
De plus, cette chute des DMTO s'accompagne d'une forte diminution des recettes de la TIPP attribuées aux départements : celles-ci ont fortement reculé en 2008 (- 5,9 %).
Cette tendance est particulièrement inquiétante pour les départements, puisqu'ils sont, dans le même temps, confrontés à une hausse soudaine de leurs dépenses sociales du fait de la montée du chômage 24 ( * ) , de la mise en place du RSA en remplacement du RMI.
Les départements subissent donc un « effet de ciseaux » (c'est-à-dire une augmentation des dépenses simultanée à une diminution des recettes) très fort. Selon le rapport précité de la Cour des comptes :
- l'écart des taux de croissance entre recettes et dépenses de fonctionnement a augmenté de 2,1 points en 2007 et de 3 points en 2008 ;
- le produit des impôts indirects perçus par les départements ne s'accroît que de 3,9% en 2008, alors qu'il avait presque triplé entre 2002 et 2007.
En conséquence, les départements ont dû avoir recours à l'endettement pour faire face à leurs frais de fonctionnement : le montant de leurs emprunts a augmenté de 37,3 % sur l'exercice 2008, contre une progression de 16,3 % dans les régions et une baisse d'environ 5 % pour les communes.
Votre rapporteur souligne que le contexte de crise révèle les difficultés des départements, sans toutefois les créer ex nihilo. Il insiste donc pour que cette situation soit rapidement prise en compte par le Parlement et pour que les recettes des départements soient repensées et renforcées.
(c) L'emprunt est devenu plus dangereux pour les collectivités territoriales
La crise a aussi eu des conséquences notables sur l'endettement des collectivités territoriales en dévoilant les dangers des emprunts « toxiques » (c'est-à-dire des emprunts bancaires classiques en apparence, mais reposant sur une clause sous-jacente opaque construite à partir de produits dérivés, si bien que le taux d'intérêt n'est pas connu à l'avance et peut s'avérer extrêmement volatil) que certaines collectivités ont pu contracter.
Sur un plan global, aucune statistique officielle n'est disponible sur la proportion de ces emprunts risqués dans l'encours total de la dette locale. Le gouvernement estime néanmoins que les emprunts à taux fixe constituent 45 à 60% de la dette des collectivités, et les produits structurés (c'est-à-dire les emprunts « à risque »), 10 %.
Cette problématique a été développée dans le rapport public annuel de la Cour des comptes de février 2009 25 ( * ) ; synthétisant les travaux effectués par les chambres régionales des comptes, la Cour indique que les emprunts structurés se sont banalisés, donnant parfois lieu à des prises de risques excessives qui sont susceptibles, à plus ou moins long terme, de faire exploser la dette des collectivités concernées, puisque « un lien entre les difficultés financières rencontrées et le recours à ce type d'emprunt est souvent relevé ».
Ces emprunts structurés pèsent d'autant fortement sur les budgets locaux que, comme le souligne la Cour, leur utilité est « discutable » : d'une part, ils génèrent des coûts administratifs et de conseil importants, et de l'autre, les collectivités territoriales n'ont aucun intérêt rationnel à indexer leur taux d'intérêt sur des variables complexes et exclusivement financières.
En réponse à ces craintes, le gouvernement a annoncé la mise en place d'une « charte de bonne conduite » entre établissements bancaires et collectivités territoriales ; celle-ci prévoit notamment que les banques devront renoncer à proposer aux collectivités territoriales « tout produit exposant à des risques sur le capital et des produits reposant sur certains indices à risques élevés » et que, en contrepartie, les collectivités s'engageront à « développer la transparence des décisions concernant leur politique d'emprunts et de gestion de dette ».
(d) Une décélération des dépenses d'investissement en 2008
Ce contexte de tensions se traduit par une décélération des dépenses d'investissement des collectivités territoriales.
Alors qu'il progressait de près de 9 % en moyenne entre 2002 et 2007, l'investissement des collectivités territoriales a ainsi diminué de 3,2 % en 2008. Ce constat ne peut qu'être inquiétant dans la mesure où les collectivités territoriales réalisent 73 % de l'investissement public civil.
Dépenses des administrations publiques locales
Montant 2008
|
Répartition en % |
Évolution 2009/2008 |
Évolution 2010/2009 * |
Évolution 2010/2009 ** |
|
Total dépenses dont dépenses hors plan de relance |
220,6 220,6 |
100,0 |
4,0 % 2,7 % |
2,6 % 3,8 % |
2,1 % 3,2 % |
Dépenses de fonctionnement (hors intérêts) dont consommations intermédiaires dont masse salariale dont prestations sociales |
162,6 43,5 63,9 18,4 |
73,7 19,7 29,0 8,3 |
4,1 % 2,6 % 5,1 % 6,7 % |
3,2 % 2,0 % 4,3 % 6,6 % |
2,4 % 2,0 % 4,3 % 6,6 % |
Dépenses d'investissement dont FBCF |
52,9 45,6 |
24,0 20,7 |
3,9 % 4,2 % |
0,3 % 0,1 % |
0,3 % 0,1 % |
Intérêts |
5,2 |
2,3 |
0,6 % |
8,1 % |
8,1 % |
* Hors réforme de la taxe professionnelle (fin des frais d'assiette et de recouvrement de la taxe professionnelle, soit 1,3 Md€).
**Y compris réforme de la taxe professionnelle.
Source : rapport économique, social et financier pour 2010.
Si cette tendance a été combattue par les « conventions FCTVA » instaurées en 2009 (v. infra ), le PLF pour 2010 pourrait être à l'origine d'une nouvelle réduction de l'investissement. Comme le note, à juste titre, la Cour des comptes, les collectivités territoriales sont dans une situation de grande incertitude en ce qui concerne les caractéristiques et le dynamisme des ressources appelés à se substituer à la taxe professionnelle dès 2011, ce qui devrait logiquement les inciter à la prudence dans leurs décisions d'investissement au cours des prochains mois.
Toujours selon la Cour, l'enveloppe normée pourrait avoir le même effet : elle estime ainsi que la réalisation de l'objectif de croissance des dépenses des collectivités inscrit dans la LPFP est « hypothétique » et « supposerait un faible niveau d'investissement, une modification des comportements et une mise en oeuvre de réformes structurelles assez rapide pour produire des effets avant le début de 2012 ».
Elle indique, en outre, que le principal levier de réduction des dépenses des collectivités territoriales semble être, plutôt que la diminution des dotations qui leur sont attribuées, « la concertation entre représentants des collectivités et de l'Etat [intervenant] sur un même territoire » et la « remise en cause » des interventions des collectivités hors de leur champ de compétences propres.
Ainsi, si votre rapporteur adhère à l'objectif premier de l'enveloppe normée (à savoir, inciter les collectivités territoriales à accroître l'efficience de leurs dépenses et les associer aux efforts d'assainissement des finances publiques), il s'interroge en revanche sur les conséquences possibles des mécanismes prévus par le PLF pour 2010 sur l'investissement local. Dans ce cadre, il est en effet à craindre que les collectivités territoriales ne soient contraintes ou bien de diminuer leurs dépenses d'investissement, ou bien d'augmenter très nettement les impôts locaux pour faire face à la limitation de leurs ressources , ou bien d'utiliser simultanément ces deux leviers.
(e) L'augmentation des taux d'imposition locaux
Car, en effet, les collectivités territoriales, après avoir diminué leurs dépenses d'investissement, semblent avoir pris le parti d'augmenter le taux des impôts locaux. Une étude du Forum pour la gestion des villes et des collectivités territoriales relève ainsi que :
- deux tiers des communes ont augmenté leurs taux de taxe foncière et de taxe d'habitation ;
- les départements ont, en moyenne, accru leurs taux de 6,2 % en métropole et de 9,1 % outre-mer ;
- le taux d'imposition des régions augmente, quant à lui, de manière modérée (0,7 %), notamment en raison de la proximité des élections régionales de mars 2010.
Évolution du taux de fiscalité en 2009 dans chaque département
(taxe d'habitation, taxe foncière et taxe professionnelle)
Départements |
Global |
Ain |
+ 15,0 % |
Aisne |
0,0 % |
Allier |
+ 9,0 % |
Alpes-de-Haute-Provence |
0,0 % |
Hautes-Alpes |
+ 30,0 % |
Alpes-Maritimes |
+ 14,9 % |
Ardèche |
+ 5,0 % |
Ardennes |
+ 4,0 % |
Ariège |
+ 2,0 % |
Aube |
+ 2,0 % |
Aude |
+ 6,1 % |
Aveyron |
+ 4,5 % |
Bouches-du-Rhône |
+ 0,0 % |
Calvados |
+ 2,5 % |
Cantal |
+ 6,0 % |
Charente |
+ 0,0 % |
Charente-Maritime |
+ 5,5 % |
Cher |
+ 16,9 % |
Corrèze |
+ 0,0 % |
Corse-du-Sud |
+ 0,0 % |
Haute-Corse |
+ 0,0 % |
Côte-d'Or |
+ 1,8 % |
Côtes-d'Armor |
+ 10,5 % |
Creuse |
+ 2,0 % |
Dordogne |
+ 4,0 % |
Doubs |
+ 6,5 % |
Drôme |
+ 0,0 % |
Eure |
+ 2,5 % |
Eure-et-Loir |
+ 4,7 % |
Finistère |
+ 3,0 % |
Gard |
+ 3,5 % |
Haute-Garonne |
+ 4,9 % |
Gers |
+ 4,5 % |
Gironde |
+ 1,2 % |
Hérault |
+ 5,0 % |
Ille-et-Vilaine |
+ 11,9 % |
Indre |
+ 0,0 % |
Indes-et-Loire |
+ 12,0 % |
Isère |
+ 0,0 % |
Jura |
+ 1,2 % |
Landes |
+ 0,0 % |
Loir-et-Cher |
+ 0,0 % |
Loire |
+ 3,5 % |
Haute-Loire |
+ 9,0 % |
Loire-Atlantique |
+ 6,0 % |
Loiret |
+ 0,0 % |
Lo |
+ 1,5 % |
Lot-et-Garonne |
+ 14,8 % |
Lozère |
+ 0,0 % |
Maine-et-Loire |
+ 8,5 % |
Manche |
+ 3,4 % |
Marne |
+ 0,0 % |
Haute-Marne |
+ 0,0 % |
Mayenne |
+ 3,2 % |
Meurthe-et-Moselle |
+ 2,8 % |
Meuse |
+ 3,6 % |
Morbihan |
+ 3,5 % |
Moselle |
+ 3,5 % |
Nièvre |
+ 9,5 % |
Nord |
+ 17,6 % |
Oise |
+ 5,3 % |
Orne |
+ 1,9 % |
Pas-de-Calais |
+ 5,5 % |
Puy-de-Dôme |
+ 6,7 % |
Pyrénées-Atlantiques |
+ 5,5 % |
Hautes-Pyrénées |
+ 3,0 % |
Pyrénées-Orientales |
+ 8,0 % |
Bas-Rhin |
+ 2,8 % |
Haut-Rhin |
+ 2,7 % |
Rhône |
0,0 % |
Haute-Saône |
+ 1,6 % |
Saône-et-Loire |
+ 4,9 % |
Sarthe |
+ 7,5 % |
Savoie |
0,0 % |
Haute-Savoie |
0,0 % |
Paris |
+ 192,3 % |
Seine-Maritime |
+ 14,7 % |
Seine-et-Marne |
+ 11,5 % |
Yvelines |
0,0 % |
Deux-Sèvres |
+ 9,0 % |
Somme |
+ 12,8 % |
Tarn |
+ 6,9 % |
Tarn-et-Garonne |
+ 2,5 % |
Var |
+ 0,0 % |
Vaucluse |
+ 2,9 % |
Vendée |
+ 5,0 % |
Vienne |
+ 2,4 % |
Haute-Vienne |
+ 2,6 % |
Vosges |
+ 5,6 % |
Yonne |
+ 4,5 % |
Territoire de Belfort |
+ 6,0 % |
Essonne |
+ 4,2 % |
Hauts-de-Seine |
+ 4,1 % |
Seine-Saint-Denis |
+ 7,0 % |
Val-de-Marne |
+ 7,8 % |
Val-d'Oise |
0,0 % |
Source : Rapport du Forum pour la gestion des villes et des collectivités territoriales, paru en avril 2009.
2. Les conventions FCTVA : un succès indéniable, mais des résultats incertains
Pour inciter les collectivités territoriales à maintenir, voire à augmenter leurs dépenses d'investissement malgré le contexte économique, l'article 1 er de la loi n° 2009-122 du 4 février 2009 de finances rectificative pour 2009 leur a permis de bénéficier d'attributions anticipées du FCTVA dès lors qu'elles s'engagent à faire progresser leurs dépenses réelles d'équipement par rapport à la moyenne constatée dans leurs comptes pour les exercices 2004 à 2007 26 ( * ) .
Les collectivités territoriales qui se sont engagées, avant le 15 mai 2009, à participer au plan de relance ont bénéficié en 2009 des attributions du FCTVA au titre des dépenses d'investissement réalisées en 2007 et correspondant aux dispositions de droit commun, mais aussi de celles réalisées en 2008. Ce système d'attribution anticipé sera pérennisé pour les collectivités qui auront effectivement réalisé le montant de dépenses d'investissement auquel elles s'étaient préalablement engagées.
Ainsi, en 2009, les remboursements au titre du FCTVA se sont élevés à 9,6 milliards d'euros (5,8 milliards étant consacrés aux remboursements pour 2007, et 3,8 milliards, au plan de relance).
Selon les chiffres communiqués par le gouvernement, près de 20 000 conventions ont été signées pour un montant prévisionnel de dépenses d'environ 55,5 milliards d'euros.
Bénéficiaire |
Nombre de conventions |
DRI (M€) |
% par rapport à la référence moyenne |
Communes |
17 156 |
25 154 |
+ 78,4 % |
Départements |
90 |
14 010 |
+ 28,5 % |
Régions |
23 |
9 241 |
+ 30,3 % |
SM |
315 |
853 |
+ 171,6 % |
SI |
1 409 |
1 831 |
+ 168,3 % |
SAN |
2 |
102 |
+ 124,3 % |
CU |
9 |
2 181 |
+ 30,1 % |
CCAS |
342 |
193,8 |
+ 366,7 % |
CIAS |
22 |
10,9 |
+ 892,4 % |
Centres de gestion |
21 |
25,2 |
+ 1 105,6 % |
SDIS |
62 |
763 |
+ 93 % |
Caisses des Ecoles |
50 |
4,56 |
+ 119,1 % |
Autres |
14 |
114,1 |
+ 82,8 % |
Total |
19 515 |
54 488 |
+ 54,2 % |
Source : Réponse ministérielle au questionnaire du rapporteur.
Les conséquences des conventions FCTVA sur le terrain demeurent toutefois incertaines , dans la mesure où l'Etat n'a pas fixé de critère qualitatif (par exemple, en termes de nature des investissements ou de retour sur investissement escompté) pour l'attribution d'un remboursement anticipé.
* 22 Rapport sur la situation et les perspectives des finances publiques de l'Etat.
* 23 L'épargne brute est égale à la différence entre les recettes des collectivités territoriales et leurs dépenses de fonctionnement.
* 24 Selon le rapport de l'Observatoire des finances locales, les dépenses sociales des départements ont augmenté de 6,6 % en 2007 et de 3,4 % en 2008.
* 25 http://www.ccomptes.fr/fr/CC/Sommaire-21.html
* 26 Ce qui équivaut, en moyenne, à un montant inférieur de 10% aux investissements réalisés en 2008 par les collectivités.