B. LA GESTION ÉCONOMIQUE DES ALÉAS
1. La fin des protections collectives face aux aléas agricoles
Les marchés agricoles sont marqués par une très grande volatilité des prix. Avec la flambée des cours en 2008, le monde a vu le retour des émeutes de la faim. Depuis la mi-2008, la baisse des prix, a en sens inverse, désespéré les producteurs.
Caractérisées par une forte inélasticité de la demande au prix et par des cycles longs de production, les produits agricoles connaissent des fluctuations croissantes.
Dans son avis sur la formation des prix alimentaires 28 ( * ) , le Conseil économique social et environnemental précisait en avril 2009 que « la volatilité des prix des produits agricoles bruts est la source de dysfonctionnements des marchés (déséquilibres chez les transformateurs, perturbations des attitudes de consommation) ».
La fin des régulations fortes à la fois sur les quantités et sur les prix qu'imposaient à la fois la politique agricole commune (PAC) et les obstacles aux échanges de produits agricoles entre les différentes zones économiques du monde, a permis à cette volatilité, un temps freinée, de reprendre ses droits.
Dans son avis précité, le Conseil économique, social et environnemental relevait que cette volatilité des prix entraînait des difficultés pour tous les acteurs de la chaîne :
« - Les agriculteurs, privés de lisibilité sur les prix de vente de leurs produits et qui doivent simultanément faire face à la hausse régulière de leurs coûts de production ;
- les industriels de l'agro-alimentaire, qui ne peuvent pas toujours répercuter l'intégralité de la hausse des prix des matières premières sur leurs prix de vente aux distributeurs ;
- les distributeurs et pour les commerçants qui veulent respectivement maintenir une masse de marge et leur revenu, et sont confrontés à l'acceptabilité des prix de vente par les consommateurs et, de façon induite, au risque de diminution des volumes de vente ;
- les consommateurs, dont le pouvoir d'achat est amputé par la hausse de certains produits alimentaires, par la flambée du coût de l'énergie et la forte augmentation du coût du logement devenu le premier poste de dépenses pour les 20 % de ménages les plus modestes en moyenne nationale, sachant qu'il existe une grande variabilité entre les régions. »
A l'aléa climatique (grêle, tempête, sécheresse), s'est ajouté l'aléa économique face auquel des outils de régulation sont à réinventer. Cette nouvelle régulation relève de la PAC, mais elle relève aussi de protections individuelles et collectives comme l'assurance récolte ou alors l'encouragement de l'épargne de précaution.
2. Les protections traditionnelles
a) L'indemnisation des victimes de calamités agricoles
Mis en place en 1964, le Fonds national de garantie des calamités agricoles (FNGCA) est le premier étage d'un système de protection des agriculteurs contre les risques.
Le régime des calamités agricoles permet d'indemniser les dommages matériels causés par des calamités, c'est-à-dire les « dommages non assurables d'importance exceptionnelle dus à des variations anormales d'intensité d'un agent naturel, lorsque les moyens techniques de lutte préventive ou curative employés habituellement dans l'agriculture n'ont pu être utilisés ou se sont révélés insuffisants ou inopérants » 29 ( * ) . Il est ouvert à tous les agriculteurs qui disposent d'une assurance professionnelle, par exemple une assurance incendie couvrant les bâtiments de l'exploitation.
Le FNGCA intervient après reconnaissance de la calamité agricole par le ministre chargé de l'agriculture. Les conditions d'indemnisation sont fixées spécifiquement pour chaque calamité reconnue. L'indemnisation ne peut intervenir que si plus de 30 % de la récolte est touchée 30 ( * ) , et ne peut dépasser 75 % des dommages subis 31 ( * ) .
Le projet annuel de performance fixe un indicateur de réactivité en cas de crise : le délai moyen souhaité entre la réunion du comité départemental d'expertise (CDE) réuni en vue de demander la reconnaissance du caractère de calamité agricole et le premier ordre de paiement aux agriculteurs sinistrés s'établit à 150 jours en 2010, avec une cible de 120 jours en 2011. La prévision pour 2009 est de 170 jours. Il est vrai qu'une réponse rapide permet la reprise d'activité, et que plus les jours passent, plus les chances que l'exploitation soit abandonnée s'accroissent.
Financé par une cotisation additionnelle aux primes d'assurance versées par les agriculteurs, dont le produit est estimé à 91 millions d'euros par an, le régime d'indemnisation des calamités agricoles par le FNGCA n'est pas doté par la loi de finances pour 2010. Alors que l'article L. 361-5 du code rural prévoit une dotation de l'État à parité avec les cotisations reçues, le FNGCA est en sous-budgétisation chronique. Des crédits lui sont attribués en cours d'année, soit par redéploiements soit par voie de décrets d'avance, mais, depuis 2003, à l'exception notable du budget pour 2005, aucune dotation pour le FNGCA n'a été inscrite en loi de finances.
b) Davantage diffuser l'assurance récolte
Destinée à couvrir une série de risques définis chaque année par décret (sécheresse, grêle, gel et inondation ou excès d'eau) 32 ( * ) , l'assurance récolte constitue un dispositif de couverture mutualisée de risques récurrents, sur une base volontaire.
La loi n° 2006-11 du 5 janvier 2006 d'orientation agricole, a encouragé l'assurance récolte par la prise en charge partielle des cotisations des agriculteurs. Cette prise en charge est effectuée par le FNGCA, au sein duquel une section particulière a été créée pour l'assurance récolte, distincte du régime des calamités agricoles.
Le projet annuel de performances de la MAPAFAR fixe un objectif de diffusion plus large de l'assurance récolte, avec un taux de couverture de 45 % dans les grandes cultures en 2010, 11 % dans le secteur des cultures fruitières, 25 % dans les vignes et 22 % dans le maraîchage, contre respectivement 35 %, 10 %, 25 % et 10 %.
La méthode suivie par les pouvoirs publics consiste à généraliser ce dispositif de manière progressive, grâce au relèvement des plafonds d'aide, plutôt que de le rendre obligatoire, ce qui se heurterait à de nombreux obstacles, qui avaient conduit votre commission de l'économie à ne pas suivre les préconisations de la proposition de nos collègues MM. Yvon COLLIN et Jean-Michel BAYLET, lors de son examen au Sénat en octobre 2008 33 ( * ) .
Il faut relever, enfin, que la mise en oeuvre du bilan de santé de la PAC en 2010 dégage de nouveaux moyens communautaires pour soutenir l'assurance récolte. L'article 70 du nouveau règlement CE/73/2009 du 19 janvier 2009 porte de 50 % à 65 % le taux de subvention possible. Par ailleurs, en plus des 38,1 millions d'euros de crédits nationaux ciblés sur ce dispositif, 100 millions d'euros de crédits communautaires redéployés au sein du premier pilier seront mis à disposition de l'assurance récolte en 2010, portant le taux de cofinancement communautaire à 75 %.
L'enveloppe pour l'assurance récolte serait ainsi en nette augmentation. Le taux de prise en charge des cotisations d'assurance récolte pourrait de ce fait être porté à 25 % pour les grandes cultures et 40 % pour les autres secteurs, majorés de 5 points pour les jeunes agriculteurs.
3. Vers la couverture du risque économique ?
a) Des produits d'assurance du risque économique.
Le risque climatique n'apparaît plus être le seul facteur d'incertitude pour les agriculteurs. La volatilité des prix entraîne une insécurité croissante des revenus, préjudiciable à l'activité et à l'investissement agricoles, secteur marqué par des cycles longs de production et une intensité capitalistique forte.
L'assurance du risque économique s'est développée aux États-Unis, avec les dispositifs d'assurances de chiffre d'affaires. Mais ces produits restent chers (de l'ordre de 2,6 à 3,6 % de la valeur de la production) 34 ( * ) . Par ailleurs, leur mise à disposition n'est possible qu'à la condition que soit mis en place un système de réassurance disposant d'un soutien public important.
Toutefois, il s'agit là d'une voie intéressante, qui devra être explorée afin de répondre à la préoccupation principale des milieux agricoles aujourd'hui : disposer de perspectives, avoir une visibilité à moyen terme sur les revenus et les prix.
b) L'extension à l'aléa économique de l'utilisation de la déduction pour aléa.
Mise en place en 2002, la déduction pour aléas (DPA) est un soutien fiscal à l'épargne de précaution professionnelle des agriculteurs. Régie par l'article 72 D bis du code général des impôts, elle permet aux exploitants imposés au régime réel d'imposition, à la condition qu'ils aient souscrit une assurance, de déduire du revenu imposable jusqu'à 23 000 euros.
Cette déduction est affectée à un établissement de crédit. Les sommes mises de côté doivent être utilisées dans les dix ans. A défaut, elles sont réintégrées dans le revenu imposable. L'utilisation de ces fonds est limitée à la couverture de risques d'incendie, de dommages aux cultures, de perte de bétail, ou de tout autre aléa non assuré d'origine climatique, naturelle ou sanitaire, reconnu par une autorité administrative compétente.
Afin d'encourager la DPA, son plafond a été déconnecté de celui de la DPI, dans la loi de finances pour 2009 : auparavant, ce plafond commun encourageait les agriculteurs à utiliser la DPI, plutôt que de bloquer une épargne de précaution sur un compte pour une utilisation hypothétique.
Le projet annuel de performances de la MAPAFAR prévoit une montée en charge de la DPA impressionnante en 2010, puisque l'évaluation de la dépense fiscale correspondante passe de 1 million d'euros en 2009 à 100 millions en 2010.
Pour atteindre cette cible, des évolutions du cadre juridique et financier de la DPA sont indispensables.
La discussion du projet de loi de finances pour 2010 à l'Assemblée nationale a ainsi fait évoluer sensiblement la DPA, anticipant de ce fait sur l'examen du futur projet de loi de modernisation agricole. Par amendement, a été inséré un article 46 bis qui permet, outre les cas déjà prévus par l'article 72 D bis du code général des impôts, d'utiliser la DPA en cas de baisse de la marge brute d'exploitation de plus de 10 %, pour cause d'aléa économique. Cette modification bouleverse la philosophie de la DPA, et la transforme en un outil d'amortissement des fluctuations de revenu.
Cette voie, conforme aux orientations du grand débat sur l'avenir de l'agriculture, devra être précisée lors de l'examen au Parlement du projet de loi de modernisation agricole.
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Lors de l'examen des crédits de la MAPAFAR, la commission de l'économie a également adopté trois amendements :
- un amendement majorant les crédits consacrés au plan de modernisation des bâtiments d'élevage de 11,25 millions d'euros, en contrepartie d'une réduction de crédits du programme n° 215 ;
- un amendement majorant les crédits consacrés au soutien aux associations foncières pastorales de 200 000 euros, en contrepartie d'une réduction des crédits du programme n° 215 ;
- un amendement redistribuant le produit des droits perçus par les chambres départementales d'agriculture au profit des chambres régionales, et permettant aux chambres d'agriculture de majorer de 1,5 %, comme en 2009, le plafond de leurs ressources.
Réunie le 24 novembre 2009, la commission de l'économie, du développement durable et de l'aménagement du territoire du Sénat, suivant la proposition de MM. Gérard César et Daniel Soulage, a donné un avis favorable à l'adoption des crédits de la mission « agriculture, pêche, alimentation, forêt et affaires rurales » (MAPAFAR) et à ceux du Compte d'affectation spéciale « Développement agricole et rural » (CASDAR) inscrits dans le projet de loi de finances pour 2010, ainsi modifiés, MM. Jean-Marc Pastor et François Fortassin s'en étant remis à la sagesse du Sénat. |
* 28 La formation des prix alimentaires : du producteur au consommateur - Avis adopté le 8 avril 2009 par le Conseil économique, social et environnemental - Rapport présenté par Mme Christiane Lambert.
* 29 Article L. 361-2 du code rural.
* 30 Article D. 361-30 du code rural.
* 31 Article L. 361-7 du code rural.
* 32 Décret n° 2009-286 du 12 mars 2009 fixant pour l'année 2009 les modalités d'application de l'article L. 361-8 du code rural en vue de favoriser le développement de l'assurance contre certains risques agricoles.
* 33 Voir le rapport de M. Daniel Soulage, fait au nom de la commission des Affaires économiques, le 22 octobre 2008, tendant à généraliser l'assurance récolte obligatoire.
* 34 Voir le rapport susvisé sur l'assurance récolte.