D. LES ENJEUX DU PATRIMOINE ÉCRIT ET DOCUMENTAIRE

Votre rapporteur tenait à évoquer l'action n° 5 car elle correspond à un enjeu fondamental pour la culture et est au coeur des préoccupations de votre commission de la culture.

1. Les priorités de l'action

En matière de patrimoine écrit, le ministère de la culture et de la communication a pour mission de veiller à la conservation, au signalement et à la mise en valeur des collections patrimoniales des bibliothèques françaises, plus particulièrement à travers l'action de la Bibliothèque nationale de France (BnF), et par une action de conseil, de soutien et de contrôle des bibliothèques territoriales détenant des fonds patrimoniaux, en particulier les bibliothèques municipales classées.

L'action n° 5 « Patrimoine écrit et documentaire » bénéficie de 250,24 millions d'euros en autorisations d'engagement (soit 21 % du programme) et de 216,55 millions d'euros en crédits de paiement (soit 17,34 % des crédits de paiement du programme) . Cette action ne comporte plus de crédits au titre des dépenses de personnel, depuis le transfert de ses emplois à la Bibliothèque nationale de France au 1 er janvier 2007, les agents de la direction du livre et de la lecture ayant été rattachés à l'action 3 du programme Création « Soutien à la création, à la production et à la diffusion du livre et de la lecture ».

Plus de 96% des crédits de paiement de cette action sont des subventions pour charges de service public allouées à la Bibliothèque nationale de France qui est l'opérateur principal du programme 175.

a) Le soutien aux bibliothèques et institutions nationales et aux programmes nationaux

L'action patrimoniale de la BnF s'exerce d'abord sur les collections dont elle a la garde : plus de 12 millions de documents imprimés, 1 million de documents audiovisuels, plusieurs centaines de milliers de manuscrits, 13 millions d'estampes et de photographies, 600 000 cartes et plans, près de 1 million de partitions musicales, 600 000 monnaies, médailles et antiques.

Elle comprend plusieurs volets complémentaires :

- une politique nationale d'acquisition et de conservation , en particulier dans le cadre du dépôt légal (code du patrimoine et décret du 31 décembre 1993 modifié en juin 2006) - qui permet de collecter chaque année plus de 60 000 nouvelles monographies et 62 000 titres de périodiques dans les collections de l'État - mais aussi à travers des programmes spécifiques de conservation préventive, de restauration, de reproduction, de sauvegarde et de numérisation ou encore de sûreté portant sur tout ou partie des collections. Comme suite à la loi du 1 er août 2006 sur le droit d'auteur et les droits voisins dans la société de l'information, les années 2010, 2011 et 2012 verront la poursuite de la mise en place d'un circuit complet de traitement des documents numériques avec la réalisation du système de préservation et d'archivage SPAR et la création d'un dépôt légal du Web, en concertation avec l'Institut national de l'audiovisuel ; une politique de signalement à travers le développement de bases documentaires nationales (catalogue général des imprimés de la BnF, catalogue des manuscrits « Archives et manuscrits ») offrant aujourd'hui près de 9 millions de notices bibliographiques en ligne et constituant pour certaines un réservoir bibliographique à destination des autres bibliothèques françaises ;

- une politique de diffusion avec le développement de la bibliothèque numérique Gallica et le lancement de nouveaux programmes de numérisation (livres rares, documents spécialisés, presse), notamment dans le cadre de marchés de numérisation soutenus par le Centre national du Livre ;

- une politique de communication au public dans le respect des impératifs de la conservation : environ 1,2 million de documents sont communiqués chaque année dans les différentes salles de lecture de l'établissement ;

- une politique de mise en valeur intégrant l'organisation de grandes expositions nationales, y compris virtuelles.

L'action de la BnF passe aussi par une politique de coopération développée depuis plusieurs années en direction des autres bibliothèques françaises, municipales mais également universitaires ou spécialisées. Cette politique de réseau se décline à travers un éventail élargi d'actions de coopération en matière de :

- conservation partagée (exercice conjoint du dépôt légal imprimeur) ;

- signalement (poursuite de la modernisation du Catalogue collectif de France en 2010 et 2011 avec l'intégration de nouvelles bases : portail des manuscrits, portail de la Presse, base RISM-France pour les fonds musicaux, etc.) ;

- numérisation et mise en valeur des fonds avec le développement de portails thématiques de documents numérisés (sciences juridiques, histoire de l'art, histoire coloniale, histoire du monde ouvrier, etc.) ;

- développement de la fonction d'expertise et offre de formation auprès des bibliothèques françaises dans différents domaines : numérisation, conservation et plans d'urgence, catalogage de documents spécialisés, etc.

b) La préservation, la conservation et la promotion du patrimoine écrit en région

L'action patrimoniale du ministère de la culture et de la communication en direction des bibliothèques territoriales s'effectue d'abord dans le cadre du décret du 9 novembre 1988 relatif au contrôle technique de l'État sur les bibliothèques des communes, repris dans le code général des collectivités territoriales. Ce contrôle porte sur « les conditions de constitution, de gestion, de traitement, de conservation et de communication des collections » (article 9).

Plus particulièrement, le ministère de la culture et de la communication :

- veille à promouvoir l'usage des meilleures pratiques en matière de conservation et de nouvelles technologies en rédigeant et en diffusant des notes techniques à l'intention des bibliothèques territoriales ;

- soutient les opérations de restauration des documents patrimoniaux les plus précieux ;

- favorise le signalement des collections des bibliothèques françaises en vue de leur mise à disposition auprès du public par le développement de grandes entreprises catalographiques : achèvement et informatisation des catalogues régionaux des incunables (projet 2010-2012), création d'un Portail national des manuscrits (projet 2009-2012, en partenariat avec le ministère de l'enseignement supérieur, l'Institut de recherche et d'histoire des textes et la Bibliothèque nationale de France).

Il favorise également l'élaboration de normes internationales ou nationales de description diffusées dans toutes les bibliothèques : sur le plan français dans le cadre de l'AFNOR (Association française de normalisation), sur le plan international dans celui de l'ISO (International Organization for standarization). Est ainsi étudiée en 2010-2011 l'homologation ISO du format XML Epub, propre aux livres numériques, développé aux USA et adopté par de nombreux éditeurs européens.

Depuis 2004, ces différentes actions sont pour la plupart regroupées dans un cadre commun, le Plan d'action pour le patrimoine écrit (PAPE) qui a établi en 2007 le constat d'un patrimoine écrit en région d'une richesse exceptionnelle, mais globalement moins bien signalé et moins bien conservé que le patrimoine présent dans les grandes institutions nationales.

Après la mise en place d'un dispositif de financement des projets patrimoniaux des collectivités territoriales (appel à projets Patrimoine écrit, 2007) et la réalisation d'une première version d'un Observatoire du patrimoine écrit en région, les années 2009-2012 verront le développement de cet observatoire : mise à jour, outils de cartographie, liens avec le Catalogue collectif de France, développement d'outils interactifs Web 2.0 permettant aux établissements de saisir directement leurs données.

Enfin, l'action patrimoniale de l'État s'exerce par la mise à disposition d'une centaine de conservateurs de la fonction publique d'État auprès des 54 bibliothèques municipales classées. La redéfinition du rôle de ces personnels d'État en 2007-2008 a remis le patrimoine au centre de leurs missions ; la période 2010-2011 verra la stabilisation du nouveau dispositif avec la signature de conventions précisant les conditions d'emploi de ces personnels.

2. Faire le choix de la numérisation au service de la culture, et non l'inverse : un enjeu fondamental

La question de la numérisation des fonds des bibliothèques mobilise depuis quelques mois la commission de la culture du Sénat qui, à l'issue de l'audition des principaux protagonistes du dossier (actuel et ancien président de la BnF, directeur du projet Livre de Google France, directeur de la bibliothèque municipale de Lyon) a organisé un débat sur le sujet le 21 octobre 2009.

La numérisation du patrimoine littéraire, permettant un accès universel aux contenus culturels, est un projet enthousiasmant dont le principe ne peut qu'emporter l'adhésion . Le projet de création d'une bibliothèque numérique européenne, Europeana, reposait sur une mise en commun des oeuvres libres de droits de toutes les bibliothèques et invitait les musées à numériser leurs archives pour qu'elles y soient intégrées. Mais les déceptions du résultat actuel, tant sur la quantité d'ouvrages accessibles que sur la technique rendant fastidieuse la lecture des oeuvres numérisées, a relancé le débat sur l'importance de l'accompagnement technique de la numérisation, la difficulté majeure étant celle du coût. Aussi l'offre « clé en main » proposée par Google, qui envisage aujourd'hui de numériser 30 millions d'ouvrages sur la base des accords passés avec 29 bibliothèques, met-elle en évidence les enjeux du débat : d'un côté la démocratisation de l'accès à la culture, et de l'autre la crainte d'une confiscation du patrimoine littéraire par une entreprise privée.

LA NUMÉRISATION EN CHIFFRES

Le Centre national du livre consacre 11,5 millions d'euros par an à la numérisation des livres :

- 10 millions pour la BnF;

- 1,5 million pour les projets portés par les éditeurs ou les diffuseurs.

Le ministre de la culture et de la communication a demandé à la commission du Grand Emprunt que 753 millions d'euros soient consacrés à la numérisation des contenus culturels, dont 130 millions d'euros à la seule BnF pour son plan de numérisation étendu sur cinq ans, afin d'enrichir l'offre de Gallica, sa bibliothèque numérique.

Votre rapporteur souhaite reprendre ici les propos de M. Jacques Legendre, président de la commission, qui a ainsi résumé l'enjeu qu'il est souhaitable de rappeler à l'occasion du projet de loi de finances pour 2010 : « les décisions en matière de numérisation des livres, archives et imprimés, doivent relever d'une décision politique transparente et clairement pesée. Le coût de ces opérations doit certes être pris en compte, mais il ne doit pas seul guider notre stratégie ».

Lors de la question orale avec débat de notre collègue Jack Ralite, qui s'est tenue le lundi 16 novembre 2009, le président a notamment rappelé que la réflexion devrait aborder trois thèmes :


• la protection du droit d'auteur, et notamment la question des oeuvres orphelines ;


• la coordination des politiques publiques, tant au niveau européen que national, qui pourrait par exemple prévoir l'élaboration d'une charte commune des bibliothèques ;


• la garantie de la diversité culturelle à travers des ressources techniques propres à faciliter la création, la recherche et l'utilisation de l'information.

La question de l'intérêt général et de l'indépendance nationale, fondamentale en matière de culture, sera en outre abordée dans le cadre de la mission que le ministre de la culture et de la communication a confiée à M. Marc Tessier. Votre rapporteur sera particulièrement attentif à la définition des conditions de partenariats public-privé qui pourrait être proposée et aux orientations de la présidence suédoise de l'Union européenne qui a inscrit un débat sur la numérisation du patrimoine lors du conseil des ministres de la culture de l'Union , le 27 novembre prochain.

La commission de la culture a placé cette question au coeur de ses réflexions et poursuivra ses auditions en 2010.

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