B. LA FUSION AFSSA-AFSSET
L'article 115 de la loi HPST a habilité le Gouvernement à prendre par ordonnance les mesures permettant la création d'un nouvel établissement public à partir de la fusion de l'Afssa et de l'Afsset. Votre rapporteur, qui était aussi celui de ce texte, avait alors souligné à la fois son désaccord avec le recours aux ordonnances et sa satisfaction quant au rapprochement entre ces deux agences 3 ( * ) . Il est regrettable que les engagements pris alors par la ministre de la santé d'associer le Parlement au processus d'élaboration des ordonnances n'aient pas été suivis d'effet. La rationalisation du système d'agences, que le Parlement a appelé plusieurs fois de ses voeux, met en jeu des principes trop importants pour se dérouler sans qu'il y soit étroitement associé. L'habilitation prenant fin le 21 janvier 2010, il est nécessaire de préciser les enjeux de cette fusion, qui présente des avantages importants mais impose des choix qui, au-delà des deux organismes directement en cause, sont porteurs d'effets sur la crédibilité de l'ensemble du système d'agences sanitaires.
1. Des avantages importants
La fusion de l'Afssa et de l'Afsset répond au besoin d'assurer la cohérence et l'efficacité des agences sanitaires au niveau européen.
Créée par la loi du 1 er juillet 1998, complétée par la loi du 5 janvier 2006 et organisée par un décret du 26 mars 1999, l'Afssa a pour mission de contribuer à la protection et à l'amélioration de la santé publique, ainsi que de la santé et du bien-être des animaux, de la santé des végétaux et de la qualité sanitaire de l'environnement.
L'Afsset, instituée par la loi du 9 mai 2001, est placée sous la tutelle des ministres chargés de la santé, de l'écologie et du travail avec pour mission de contribuer à assurer la sécurité sanitaire dans le milieu du travail et de l'environnement.
On constate donc d'emblée que les deux domaines de compétences se recoupent sur la question de l'environnement. Deux questions plus précisément voient l'action des deux agences s'entrecroiser : l'eau et les questions phytosanitaires. L'Afssa est ainsi compétente pour les eaux consommables et l'Afsset pour les eaux de baignade, tandis que les deux agences utilisent la même base de données pour l'étude des produits phytosanitaires et des médicaments vétérinaires. L'interpénétration des compétences fait que de nombreux travaux sont déjà conduits en commun, sur les pesticides par exemple. A l'inverse, ne pas unifier les travaux conduirait à étudier un même problème de manière partielle et sous plusieurs angles différents. De plus, l'Afssa et l'Afsset font souvent appel aux mêmes chercheurs sur des questions analogues, ce qui pose un problème de gestion matérielle des compétences disponibles.
Ces éléments sont importants pour comprendre l'utilité d'un rapprochement, mais ils ne sont pas déterminants. En effet, le rapprochement de l'Afsset a été envisagé, avec des gains de cohérence analogues, tant avec l'InVS qu'avec l'institut de radioprotection et de sûreté nucléaire (IRSN) tant le domaine de l'expertise en matière de santé environnementale est vaste et imbriqué. On peut penser que seule une agence unique de l'expertise scientifique, dont la création a été préconisée par de nombreux sénateurs lors des débats sur le Grenelle de l'environnement, permettrait d'éviter tout chevauchement de compétences, mais elle présenterait le risque de noyer les domaines de recherche dans une masse difficile à hiérarchiser et d'interdire à nouveau de faire avancer de manière pérenne les connaissances sur des domaines précis comme la santé au travail.
Les considérations budgétaires ne sont pas non plus déterminantes pour le rapprochement de l'Afssa et de l'Afsset. Il n'y a guère d'économies d'échelle à attendre de la fusion de deux entités de taille aussi inégale que l'Afssa, qui emploie mille deux cents salariés, et l'Afsset qui en compte cent cinquante. La fusion sera même plutôt productrice de coûts, car il faudra trouver un siège commun au nouvel établissement public.
C'est une question plus fondamentale qui sous-tend le rapprochement entre l'Afssa et l'Afsset : quelle doit être la taille critique des agences sanitaires chargées de l'expertise scientifique ? Dans son dernier rapport budgétaire, votre rapporteur a déjà eu l'occasion de souligner l'importance de l'insertion des agences françaises dans le mécanisme des agences européennes. La capacité à être reconnu comme une référence parmi les agences nationales, et la capacité humaine et technique à répondre aux appels d'offres, déterminent la place de l'expertise scientifique et donc des normes sanitaires françaises en Europe. De ce point de vue, tout rapprochement cohérent, et celui entre l'Afssa et l'Afsset en est un, renforce le système d'agence français. L'existence d'une volonté politique en ce domaine emporte la décision et offre la garantie que la fusion sera menée à son terme opérationnel.
Il convient cependant de veiller à ce que les choix faits à l'occasion de cette fusion n'entachent pas la crédibilité du système d'agences sanitaires.
2. Les enjeux du débat parlementaire
L'Afssa et l'Afsset, bien qu'étant des agences d'expertise intervenant dans le même domaine, correspondent à deux modèles très différents. L'Afssa, appuyée sur ses laboratoires qui regroupent quelque huit cents chercheurs, est d'abord tournée vers ses compétences internes qui doivent fournir l'expertise et s'imposer comme référence. L'Afsset, à l'inverse, tire sa légitimité de son ouverture tant vers les acteurs de la société civile, qui sont représentés au sein de son conseil d'administration, que vers des experts extérieurs à l'agence. Pour cent cinquante salariés, l'Afsset emploie quatre cents experts correspondants.
La première difficulté est celle de la gouvernance. Avec quatre ministères de tutelle (agriculture, environnement, santé et travail), la nouvelle entité risque fort, si elle doit également intégrer des représentants des organisations non gouvernementales et des partenaires sociaux, d'avoir un conseil d'administration pléthorique et peu efficace. A supposer même qu'il soit possible de regrouper les tutelles pour qu'elles s'expriment de manière concertée, il ne pourra en être de même pour les acteurs de la société civile, sauf à imaginer encore un système de collèges avec une pondération complexe des voix.
La deuxième difficulté est celle de la perte de la spécificité et donc de l'intérêt de la mission confiée à l'Afsset en matière de santé au travail. L'Afsset, qui fonctionne uniquement au travers d'appels d'offres, est à l'heure actuelle l'unique financeur de travaux indépendants en ce domaine. Le risque est celui d'un regroupement de la santé au travail avec d'autres thématiques sanitaires, sous la forme d'un pôle de compétences au sein de l'établissement issu de la fusion. Dès lors, les crédits alloués à la recherche en matière de santé au travail sont susceptibles d'être captés par l'important besoin de financement des laboratoires de l'Afssa, qui s'occupent principalement de sécurité alimentaire ou environnementale.
Mais le risque principal réside dans la confusion entre les compétences d'expertise et celles de gestion. La crédibilité de la future entité, comme de toutes les agences, repose sur l'indépendance de l'expertise fournie, ce qui suppose qu'il n'y ait aucune interférence avec la gestion d'un domaine sanitaire. Or, l'Afssa compte non seulement des laboratoires, mais aussi une agence en charge de la régulation du médicament vétérinaire. Les exigences déontologiques supposent a minima que les compétences issues de l'Afsset et sa pratique d'appels d'offres en matière de recherche soient conservées et clairement distinguées tant de l'agence du médicament vétérinaire que des laboratoires de l'Afssa, dont les responsables sont d'ailleurs nommés directement par le ministère de l'agriculture.
La solution la plus simple, la plus cohérente et celle qui est susceptible d'offrir les meilleures garanties d'indépendance pour la future entité serait de confier à l'Afssaps les compétences en matière de médicament vétérinaire, et de passer à un système unique d'appel d'offres pour l'entité fusionnée, ce qui suppose de réintégrer les laboratoires de l'Afssa au sein de l'institut national de la recherche agronomique (Inra). Cette solution permettra de bien distinguer expertise et gestion, deux notions auxquelles le législateur se trouvera à nouveau confronté lorsqu'il devra envisager l'évolution des agences dans le cadre de la future loi de bioéthique.
* 3 Compte rendu des débats de la séance du 5 juin 2009.