INTRODUCTION

Mesdames, Messieurs,

Le projet de loi portant engagement national pour l'environnement, dit « Grenelle II », soumis à l'examen du Sénat en première lecture, tend à décliner, de façon « opérationnelle », les objectifs et orientations dont le Parlement a débattu ces derniers mois à l'occasion de l'examen du projet de loi de programmation relatif à la mise en oeuvre du Grenelle de l'environnement.

Ce texte ambitieux, qui compte plus de cent articles, engage une large refonte de notre action publique dans les domaines de l'urbanisme, des transports, des énergies renouvelables, de la protection de la biodiversité, des ressources maritimes et des ressources en eau, de la santé, du traitement des déchets, etc., autour d'un objectif central : répondre au défi de l'« urgence écologique » par des politiques coordonnées et cohérentes, plus responsables et plus économes en termes de consommation d'espace ou d'énergie.

En effet, l'ensemble des responsables nationaux, territoriaux ou associatifs, des professionnels et des représentants de la société civile, se sont largement mobilisés à l'occasion des consultations lancées en juillet 2007 par le Président de la République dans le cadre du « Grenelle de l'environnement » ; tous ont pris des engagements forts dans le sens d'une évaluation environnementale plus systématique des actions et des politiques menées. Ce texte s'inscrit dans la continuité de cette prise de conscience partagée.

Votre commission de la culture, de l'éducation et de la communication a décidé de s'en saisir pour avis sur un aspect ponctuel et presque marginal. Toutefois, cette saisine se justifie à un double titre et répond à un double objectif.

D'une part, l'environnement figure au rang des attributions de votre commission puisque celle-ci y consacre, au moment de l'examen du projet de loi de finances, un avis budgétaire qui est confié depuis plusieurs années à votre rapporteur pour avis. Son approche se distingue de celle de la commission de l'économie, du développement durable et de l'aménagement du territoire en ce qu'elle est avant tout ciblée sur la qualité des paysages et la protection de leur valeur patrimoniale.

D'autre part, le projet de loi comportait, dans sa rédaction initiale, une disposition qui suscite de nombreuses inquiétudes chez les acteurs du patrimoine : votre commission s'est ainsi saisie pour avis pour examiner l'article 14 de ce texte, prévoyant de supprimer l'avis conforme de l'architecte des Bâtiments de France (ABF) pour les autorisations de travaux dans les zones de protection du patrimoine architectural, urbain et paysager (ZPPAUP).

Votre commission a souhaité intervenir dans le débat pour rappeler sa vigilance à l'égard de la préservation du patrimoine et pour souligner que cet impératif ne doit pas apparaître comme un obstacle à la réalisation des objectifs du Grenelle en faveur du développement durable. Ces deux logiques sont au contraire à concilier, dans le respect des spécificités du bâti ancien et des exigences architecturales et esthétiques qui s'y appliquent : telle est notre responsabilité en vue d'assurer la protection durable de cet héritage commun, de garantir son intégrité et de le transmettre aux générations futures.

Par ailleurs, ce rapport pour avis est une occasion de traduire dans la loi certaines des propositions formulées par votre rapporteur pour avis dans le cadre d'un rapport sur l'affichage publicitaire extérieur qu'il a remis en juin 2009 à Mme Chantal Jouanno, secrétaire d'État à l'écologie, et à M. Hubert Falco, alors secrétaire d'État à l'aménagement du territoire, à la suite de la mission que lui avait confiée le Gouvernement en janvier 2009.

Il avait déjà abordé cette question dans le cadre de l'avis budgétaire présenté au nom de votre commission à l'automne 2008 : ce thème est en effet au coeur de la problématique des paysages et du cadre de vie . D'ailleurs, la loi du 29 décembre 1979 sur la publicité, les enseignes et préenseignes avait alors été renvoyée à la commission des affaires culturelles, ce qui justifie que celle-ci se saisisse, de nouveau, de cette question.

Les amendements adoptés par votre commission sur ce thème s'inscrivent dans la continuité de la préoccupation, encore très actuelle, qu'exprimait en 1979 M. Michel d'Ornano, alors ministre de l'environnement et du cadre de vie : « la publicité ne sera définitivement accueillie même si elle n'est qu'éphémère, qu'à partir du moment où elle sera intégrée à la ville. Elle doit donc être attrayante et organisée au lieu d'être agressive et omniprésente » .

I. L'IMPÉRATIF DE PROTECTION DU PATRIMOINE ET LES OBJECTIFS DU DÉVELOPPEMENT DURABLE : DES LOGIQUES À CONCILIER

Le projet de loi , dans sa rédaction issue des travaux de la commission de l'économie, prend en compte, à bien des égards, les spécificités de notre patrimoine protégé bâti ou non bâti et la nécessité de préserver les paysages et les perspectives monumentales et urbaines. Tel est le cas, par exemple, s'agissant des règles générales fixées en vue d'améliorer la performance énergétique des bâtiments ou de favoriser l'installation de dispositifs de production d'énergie renouvelable ( article 4 ), ou en matière de densité d'occupation des sols ( article 11 ), puisque des dérogations sont explicitement prévues pour les zones protégées. Ce premier point avait mobilisé les associations de défense du bâti ancien au moment des débats engagés dans le cadre du « Grenelle » : un groupe de travail a été mis en place, depuis, au sein du ministère en charge du développement durable.

Cependant, ce projet de loi comportait, dans sa rédaction initiale, une disposition qui suscite de vives inquiétudes chez les acteurs du patrimoine et dont on peut d'ailleurs s'interroger sur le lien avec l'objet général du texte : ainsi, l'article 14 du projet de loi transmis par le Gouvernement prévoyait de substituer un avis simple à l'avis conforme rendu par l'architecte des Bâtiments de France (ABF) en matière d'autorisation de travaux intervenant dans le périmètre des ZPPAUP.


• Le Parlement a déjà eu à débattre à plusieurs reprises de cette disposition ces derniers mois :

- d'abord, dans le cadre du projet de loi portant accélération des programmes de construction et d'investissement publics et privés , second volet du « plan de relance » examiné par le Parlement en janvier 2009 ; alors que le présent projet de loi venait d'être adopté en Conseil des ministres et transmis au Sénat, la disposition prévue par son article 14 a été introduite, dans des termes quasi identiques, à l'article 5 quater de ce texte, à l'initiative du député Nicolas Perruchot et des membres du groupe Nouveau Centre de l'Assemblée nationale ; confirmée en commission mixte paritaire, cette disposition a été censurée par le Conseil constitutionnel , qui l'a considérée comme un « cavalier législatif » dans sa décision du 12 février 2009 1 ( * ) ;

- ensuite, dans le cadre du projet de loi de programme relatif à la mise en oeuvre du Grenelle de l'environnement, dit « Grenelle I » ; en première lecture, l'Assemblée nationale a rejeté un amendement ayant le même objet, présenté par le rapporteur du projet de loi, M. Christian Jacob ; cependant, elle a adopté une disposition identique du même auteur en deuxième lecture, le 10 juin 2009, malgré les oppositions formulées en séance publique par MM. Michel Bouvard et Jacques Pélissard notamment, ainsi que par des députés de l'opposition ; toutefois, le Sénat a ensuite supprimé cette disposition à l'initiative du rapporteur de ce texte au nom de la commission des affaires économiques, notre collègue Bruno Sido, observant notamment que ces dispositions normatives n'avaient pas leur place dans une loi de programmation ; la commission mixte paritaire doit se réunir le 22 juillet.

Ces nombreux « rebondissements » n'ont pas servi la clarté et la sérénité des débats. Mais à deux reprises, ces derniers mois, les associations de défense du patrimoine , entendues par votre rapporteur pour avis, ont exprimé leur émotion et leur vive opposition à l'égard de cette mesure, ressentie comme un signal très négatif , et notamment comme l'abandon par l'État d'un « garde-fou » .

De même, les associations d'élus , notamment l'Association des Maires de France, présidée par M. Jacques Pélissard, et l'Association nationale des villes et pays d'art et d'histoire et des villes à secteurs sauvegardés et protégés, présidée par M. Martin Malvy, ont marqué leur attachement au maintien de l'avis conforme de l'ABF dans les ZPPAUP .

Certes, comme l'avait d'ailleurs reconnu dans un premier temps Mme Christine Albanel, alors ministre en charge de la culture, dans un communiqué en date du 30 janvier 2009, la création d'une ZPPAUP résulte d'une démarche contractuelle entre les communes, à l'origine de la création de la zone, et l'État (en particulier les ABF) : un règlement de zone, qui a force juridique, est élaboré conjointement et définit les modalités de protection du patrimoine applicables à la zone ; aussi, « compte tenu de ce mode d'élaboration partenarial, il est apparu possible aux parlementaires comme à l'administration d'alléger le contrôle des ABF sur les permis de construire à l'intérieur de la zone » , dans le sens d'une modernisation des procédures.


• Toutefois, cette analyse strictement juridique ne résiste pas à une approche plus pragmatique et plus approfondie. D'ailleurs, lors de leur audition par votre rapporteur pour avis, les représentants du ministère de la culture ont explicitement partagé les réserves et les craintes exprimées par les maires, les ABF et les associations de défense du patrimoine :

- en matière de patrimoine, tout ne peut être planifié : l'ABF ne se borne pas à appliquer « à la lettre » le règlement de la ZPPAUP ; par ailleurs, les règlements les plus anciens sont souvent lacunaires et ne recouvrent pas toutes les questions qui sont susceptibles de se poser ;

- même si cela peut parfois laisser un certain sentiment d'arbitraire, l'avis conforme de l'ABF garantit une expertise et une certaine cohérence nationale de la politique patrimoniale sur l'ensemble du territoire ;

- la substitution d'un avis simple à l'avis conforme et la suppression, par voie de conséquence, de la procédure de recours auprès du préfet de région, après avis de la commission régionale du patrimoine et des sites (CRPS), ne conduirait pas à réduire le délai d'instruction des dossiers ; elle pourrait même ouvrir un risque de contentieux a posteriori auprès du tribunal administratif, en cas d'avis divergents du maire et de l'ABF ; par ailleurs, les maires seraient sans doute exposés à de plus forte pressions au niveau local, pour des projets sensibles, alors que l'avis conforme de l'ABF permet actuellement de les en prémunir ;

- la suppression de l'avis conforme dans les ZPPAUP pourrait conduire les ABF à se détourner de cet « outil » pourtant souple et moderne de protection du patrimoine ;

- la question du maintien du bénéfice du régime « Malraux » pourrait se poser, dans la mesure où ce dispositif fiscal est notamment fondé sur l'autorisation des travaux par l'ABF, gage de la qualité patrimoniale des travaux engagés et du respect des exigences architecturales propres à ces zones protégées ;

- se poserait également la question de la protection des abords des monuments historiques situés dans le périmètre des ZPPAUP , puisque les règles encadrant ces zones protégées se substituent à celles issues de la loi de 1913 sur les monuments classés et inscrits ;

- enfin, l'insertion de cette disposition dans la cadre du présent projet de loi est fort contestable en elle-même en ce qu'elle peut laisser à penser que la protection du patrimoine historique dont les ABF sont les garants au nom de l'État serait inconciliable avec les objectifs de développement durable fixés par le Grenelle de l'environnement , et serait même un obstacle à leur réalisation : or, il s'agit d'un présupposé erroné .

Pour l'ensemble de ces motifs, il est plus sage de maintenir l'avis conforme de l'ABF dans les ZPPAUP, comme l'a proposé la commission de l'économie. Votre commission se réjouit d'ailleurs de cette convergence de vues .


• En revanche, elle est plus réservée sur la proposition de la commission de l'économie, en contrepartie, de réformer la procédure d'appel contre les décisions de l'ABF pour placer ce recours auprès du préfet de département seul, et non plus du préfet de région après avis de la commission régionale du patrimoine et des sites (CRPS). Elle proposera, pour des raisons de cohérence et de garantie d'expertise de la décision, de revenir au régime initial, tout en encadrant les délais de réponse pour renforcer la fluidité de la procédure.


• En outre, elle proposera de faciliter l'intégration, dans les règlements de ZPPAUP, de prescriptions environnementales liées à la performance énergétique des bâtiments ou à la promotion des énergies renouvelables (article additionnel avant l'article 14) . En effet, les associations, les ABF et les services du ministère de la culture ont tous souligné la nécessité de mieux concilier l'exigence de protection du patrimoine avec les objectifs du Grenelle et de confier en ce sens un rôle plus positif « d'intégrateur » aux ABF . Ils oeuvrent d'ailleurs déjà en ce sens et ces efforts doivent être encore poursuivis et intensifiés. En parallèle, des améliorations technologiques sont attendues pour faciliter l'intégration architecturale de ces dispositifs : c'est aussi un défi à relever pour les professionnels du secteur.


• Au-delà, le débat suscité par la disposition prévue initialement par le projet de loi et les débats qui ont déjà eu lieu à ce sujet ces derniers mois renvoient à des questions qui ne doivent pas être esquivées.

Force est de reconnaître, en effet, qu'il est à bien des égards indispensable d' améliorer le dialogue entre les ABF et les élus , de moderniser l'image des ABF et de revaloriser leurs missions .

Votre rapporteur pour avis souligne que tant les représentants de l'association nationale des ABF qu'il a auditionnés que les responsables du ministère de la culture ont pris conscience de ces enjeux. Certes, le dialogue et la médiation prévalent dans bien des cas, si bien que les recours contre des décisions des ABF, aussi bien administratifs que juridiques, restent rares . Toutefois, l'image des ABF n'en demeure pas moins sérieusement entachée par des tensions et des crispations sur des sujets parfois mineurs. Une meilleure compréhension mutuelle est à rechercher : les ABF ont une responsabilité majeure en ce sens , pour justifier et mieux expliquer leurs décisions, et ainsi ne pas laisser s'installer un sentiment d'arbitraire qui est d'autant plus difficile à accepter par les élus que les positions - parfois les plus tranchées - peuvent évoluer au fil du temps au d'un ABF à l'autre...

De l'avis général, une réflexion mérite d'être conduite pour accompagner les évolutions en cours, déjà sensibles au sein de la « nouvelle génération » des ABF : cela passe à la fois au niveau de la formation de ces professionnels, par une évolution vers un exercice plus collégial du métier et le développement de voies de médiation, notamment au niveau des DRAC. La nouvelle organisation déconcentrée du ministère de la culture devrait être une opportunité d'avancer dans ce sens.

* 1 Décision du Conseil constitutionnel n° 2009-575 DC du 12 février 2009.

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