B. FAUT-IL INTRODUIRE UN OBJECTIF DE PROJECTION DE 40.000 COMBATTANTS 1 AN SANS RELÈVE À L'HORIZON 2020-2025 ?

1. L'impact opérationnel continue de dépendre avant tout des effectifs

a) Selon les spécialistes, le progrès technologique n'a pas bouleversé jusqu'à présent les exigences en matière d'effectifs

Les guerres du Golfe de 1991 et d'Irak de 2003 ont contribué à accréditer l'idée que l'essentiel pour l'emporter dans un conflit serait désormais la technologie. Cependant, les Etats-Unis ont alors projeté respectivement 600.000 et 300.000 combattants (contre dans chaque cas 300.000 combattants irakiens) : leur victoire s'explique avant tout par le niveau élevé de leurs effectifs et par leurs importantes capacités de transport. Cependant, comme on l'a indiqué ci-avant, dans les conflits récents, le ratio attaquants/attaqués a généralement été compris entre 1 et 2, en fonction du différentiel de technologie et d'entraînement : la technologie permet peut-être de diviser par 2 les effectifs nécessaires pour atteindre un effet donné contre un adversaire de niveau technologique « moyen », mais elle ne les divise pas par 10 ou 100. Par ailleurs, on observe que si, dans les conflits récents, ce ratio n'a pas toujours été respecté, il n'a jamais été nettement inférieur à 1 73 ( * ) .

Cette situation suggère une importance somme toute modeste de l'écart technologique.

Certains spécialistes expliquent ce paradoxe par le fait que le progrès technologique en matière militaire a essentiellement consisté, depuis deux siècles, en une augmentation de la puissance de feu. Or, depuis la Première Guerre Mondiale, un élément essentiel de la tactique militaire consiste, précisément, à se protéger du feu adverse, en particulier en exploitant au mieux le terrain 74 ( * ) .

b) Le « C4ISR » pourrait-il changer cette situation à moyen ou long termes ?

Les principales armées cherchent actuellement à se doter de moyens leur permettant de mieux utiliser leur puissance de feu, grâce à une meilleure acquisition et un meilleur partage de l'information, cet ensemble étant habituellement désigné par le sigle C4ISR 75 ( * ) .

Il convient en fait de distinguer deux sujets distincts :

- les techniques tendant à mieux coordonner l'action des forces, par un recours accru aux technologies de l'information et de la communication, ce que l'on désigne souvent par l'expression de « Revolution in Military Affairs » (RMA), apparue aux Etats-Unis à la fin des années 1990, au moment de la « bulle Internet », ou de « guerre réseau-centrée » (en anglais, « Net-Centric Warfare », ou NCW) ;

- les techniques tendant à localiser plus précisément l'adversaire (par exemple avec des satellites et des drones).

(1) La meilleure coordination des forces par l'intranet tactique

La « Revolution in Military Affairs », impulsée par l'amiral américain Arthur K. Cebrowski, directeur de 2001 à 2005 du Bureau de la transformation des forces au ministère américain de la défense, a suscité de grands espoirs, qui ne se sont pour l'instant que partiellement concrétisés.

Ces nouvelles technologies ont été utilisées pour la première fois au combat lors de l'invasion de l'Irak en 2003. Elles ont eu un double impact :

- elles ont permis à chacun, du commandement des opérations au chef de section, de savoir précisément, grâce au GPS, où se trouvaient les autres combattants amis et, dans la mesure où ceux-ci avaient été détectés, ennemis, permettant une plus large autonomie aux commandants tactiques, et une progression dite « en essaim », réduisant l'exposition au feu adverse ;

- elles ont ramené le délai entre l'identification d'une cible et son bombardement par l'aviation de 2 jours à quelques dizaines de minutes 76 ( * ) .

Cependant, ces techniques n'ont été que partiellement utilisées en 2003, et certains observateurs estiment que la victoire écrasante des Etats-Unis s'explique avant tout, comme en 1991, par les erreurs tactiques de l'armée irakienne.

(2) L'amélioration de la localisation de l'adversaire : un enjeu de long terme ?

Une limitation essentielle de la « Revolution in Military Affairs » est que s'il est utile de permettre au combattant sur le terrain de savoir où se trouvent les positions amies, il lui est au moins aussi utile de savoir où se trouvent les positions ennemies 77 ( * ) .

Ainsi, certains analystes 78 ( * ) estiment que la « Revolution in Military Affairs » a été une « fausse révolution », la véritable révolution devant être celle des drones. Selon eux, à long terme l'infanterie pourrait voir son importance considérablement réduite, et les guerres être menées essentiellement par une des frappes à distance effectuées grâce à des moyens d'observation puissants, comme les satellites ou les drones.

Cependant, tel est loin d'être le cas actuellement, faute de capteurs suffisamment performants 79 ( * ) .

(3) Des technologies qui, selon les spécialistes, pourraient être inopérantes contre un adversaire technologiquement avancé

Il faut par ailleurs être conscient du fait que les nouvelles technologies du C4ISR peuvent être contrées par un ennemi technologiquement avancé. Il est en effet techniquement possible de brouiller les GPS ou les communications tactiques, et d'endommager ou de détruire les appareils informatiques et les satellites 80 ( * ) .

Ces technologies seraient donc surtout efficaces contre des adversaires peu avancés technologiquement.

* 73 Il a été légèrement inférieur à 1 dans le cas de la guerre des Six Jours (1967) et de la guerre des Malouines (1982).

* 74 Ainsi, M. Stephen Biddle, membre du Council on Foreign Relations et spécialiste reconnu des questions militaires, affirme dans son ouvrage « Military Power » publié en 2004 que « si les militaires exploitent au mieux les possibilités du système [tactique] moderne pour réduire l'exposition [au feu adverse], alors 80 ans de létalité croissante susciteront seulement de modestes augmentations de la vulnérabilité ». Dans le cas particulier de la guerre du Golfe de 1991, il estime que si le matériel irakien était plus vieux d'environ 10 ans que celui des Etats-Unis, l'armée irakienne aurait eu la possibilité de recourir à divers procédés (harcèlement de l'artillerie adverse, enterrement des chars, meilleure dissimulation des forces...) qui auraient équivalu à la neutralisation de 10 ou 20 ans de progrès technologique.

* 75 « Command, Control, Communications, Computers, Intelligence, Surveillance, Reconnaissance ». La notion succède à celle de « C3I » (« Command, Control, Communications, Intelligence »). Le concept de reconnaissance est parfois remplacé par celui d'acquisition de cible (« target acquisition ») : on parle alors de « C4ISTAR ».

* 76 M. Richard Cheney, alors vice-président des Etats-Unis, entretien au New York Times (9 avril 2003).

* 77 Selon le général britannique Sir Rupert Smith, « On attend aujourd'hui de grands avantages de la numérisation du champ de bataille et de la capacité à faire la « guerre en réseau ». Il faut cependant être prudent en ce domaine et savoir quel avantage nous en attendons et pour quoi faire. Nous courons le risque d'en savoir toujours plus sur nous-mêmes et, proportionnellement, de moins en moins sur l'ennemi. Les technologies de l'information doivent être maîtrisées pour soutenir les opérations de renseignement destinées à comprendre, trouver les adversaires et les séparer de la population puis à mettre en réseau les effets de nos actions de façon à ce qu'elles se complètent mutuellement » (« L'utilité de la force », 2005).

* 78 Cf. P. W. Singer, « Wired for War », The Penguin Press, 2009.

* 79 Selon M. Stephen Biddle (« Military Power », 2004), lors de l'opération ANACONDA contre Al-Qaeda en Afghanistan en 2002 les Américains avaient repéré seulement la moitié des positions ennemies et lors de la guerre du Kosovo en 1999, les bombardements intensifs avaient permis de détruire seulement un tiers du matériel serbe.

* 80 La Chine et les Etats-Unis ont chacun détruit l'un de leurs satellites avec un missile, respectivement en 2007 et en 2008.

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