C. UNE QUESTION QUI RESTE SANS RÉPONSE : QUEL MODE DE RÉGULATION POUR INTERNET ?
Le projet de loi soumis au Sénat, pour atteindre un objectif précis - donner un coup d'arrêt au « piratage » massif d'oeuvres culturelles sur internet -, prévoit la création d'une autorité administrative indépendante, chargée de prévenir et de sanctionner le piratage.
La création d'une telle autorité ne peut manquer de susciter des interrogations chez votre rapporteur pour avis, également auteur d'un rapport en 2007 sur la régulation à l'ère numérique 9 ( * ) . Ce rapport mettait l'accent sur le caractère évolutif, trans-national et multi-acteurs de l'internet et sur la difficulté qu'il y aurait à vouloir réguler l'internet selon des modalités régaliennes traditionnelles , reposant classiquement sur le centralisme administratif français. Il faisait aussi valoir la complexité et la diversité des enjeux du monde numérique, qui concernent aussi bien la création culturelle que la protection de l'enfance, par exemple, et qui impliquent la responsabilité conjointe de la puissance publique, des acteurs économiques et des utilisateurs.
Il y a déjà dix ans, le Conseil d'Etat lui-même, dans son rapport sur « Internet et les réseaux numériques », jugeait difficile de mettre en place une structure publique pour réguler les contenus illégaux sur les réseaux 10 ( * ) . Notamment, la perspective d'une nouvelle autorité indépendante compétente pour les services internet lui paraissait devoir être écartée : « la logique d'une telle institution est, en effet, en général de constituer un garant de l'application d'une réglementation, indépendant de l'Etat, lui-même acteur. Telle n'est pas la situation pour l'internet qui ne fait pas l'objet d'une réglementation spécifique pour laquelle l'Etat risquerait d'être juge et partie. »
En outre, votre rapporteur pour avis relève que répondre à chaque question nouvelle posée par le monde numérique par la création d'une autorité revient à fragmenter la régulation de l'internet et à brouiller, aux yeux des internautes, l'identification des règles et de l'autorité chargée de les sanctionner. On observera en outre que, sur l'internet, des sujets au moins aussi importants que la propriété littéraire et artistique, qui ressort d'ailleurs d'intérêts privés, mettent en jeu l'ordre et la sécurité publique (pédopornographie, incitation à la haine raciale) et appellent a fortiori une forme de régulation.
La réflexion sur un mode de gouvernance innovant et adapté au monde numérique n'est pas ouverte par ce projet de loi .
On pourrait ainsi imaginer créer une sorte d'agence du monde numérique capable de rassembler des compétences et de définir, par un dialogue entre toutes les parties prenantes - pouvoirs publics, entreprises et société civile -, un cadre d'usages qui s'applique à tous les contenus et services interactifs. Une concertation multi-acteurs permet en effet d'élaborer une norme pertinente, adossée à une réalité concrète et assure également la responsabilisation des acteurs autour d'objectifs communs. Pour être efficace, cette démarche de concertation devrait être mise en oeuvre dans un lieu neutre, indépendant des pouvoirs publics : ce lieu ne doit pas se comprendre comme un « régulateur » centralisé des contenus et usages numériques, le régulateur naturel de l'internet restant le juge 11 ( * ) . Votre commission pour avis espère que c'est dans cet esprit que sera conçu le Conseil national du numérique , dont M. Eric Besson, secrétaire d'Etat chargé de la prospective, de l'évaluation des politiques publiques et du développement de l'économie numérique, vient d'annoncer 12 ( * ) la prochaine mise en place au 1 er janvier 2009.
En tout état de cause, votre commission pour avis se félicite que la Haute autorité pour la diffusion et la protection des droits sur internet ne vienne pas s'ajouter mais se substituer à l'Autorité de régulation des mesures techniques, créée en 2006 pour veiller à l'interopérabilité des mesures techniques de protection et à ce que l'implantation de ces mesures ne remette pas en cause le bénéfice de l'exception pour copie privée.
* 9 Rapport du Sénat n°350 2006-2007 « Dix ans après, la régulation à l'ère numérique » de M. Bruno Retailleau, au nom de la commission des affaires économiques.
* 10 Etude du Conseil d'Etat « Internet et les réseaux numériques » adoptée par l'Assemblée générale du Conseil d'Etat le 2 juillet 1998, p.211 sq.
* 11 Ibid., p. 125.
* 12 Le 20 octobre 2008.