DEUXIÈME PARTIE : LA MISSION « IMMIGRATION, ASILE ET INTÉGRATION »

Depuis 2003, notre pays se dote progressivement d'une politique migratoire structurée après avoir longtemps balancé entre le mythe de « l'immigration zéro » et une certaine résignation à subir les bouleversements d'un monde de plus en plus ouvert à la libre circulation des biens et des idées et traversé de mouvements migratoires puissants.

Du chemin reste toutefois à parcourir pour passer d'une politique de maîtrise des flux à une politique de pilotage des flux dans un espace européen ouvert.

La lettre de mission du président de la République à M. Brice Hortefeux, ministre de l'immigration, de l'intégration, de l'identité nationale et du codéveloppement, datée du 9 juillet dernier, inscrit son action dans la continuité en indiquant que le coeur de la mission du ministre sera double : « conforter et approfondir la politique d'immigration choisie, telle qu'elle a commencé de se mettre en oeuvre depuis 2002, et convaincre nos partenaires de s'engager dans la définition d'une politique de gestion des flux migratoires à l'échelon européen et international ».

Elle marque ensuite une rupture à travers précisément la création d'un ministère dédié à la question des flux migratoires réunissant l'ensemble des administrations concernées, autrefois éclatées entre le ministère de l'intérieur, le ministère des affaires étrangères et le ministère des affaires sociales. Cette réforme fondamentale de structure doit garantir la cohérence d'ensemble de la politique migratoire et d'intégration, bien plus que ne pouvait le faire, malgré la qualité de son travail, le comité interministériel de contrôle de l'immigration (CICI) créé en mai 2005. Son champ de compétence est également beaucoup plus large puisqu'il comprend le droit d'asile, le codéveloppement et les relations avec les pays sources des flux migratoires.

La création d'une mission « Immigration, asile et intégration » est la traduction budgétaire logique de cette réforme fondamentale de structure, conforme à l'esprit de la LOLF.

Dotée de 618,3 millions d'euros en autorisations d'engagement et 609,6 millions d'euros en crédits de paiement, la mission « Immigration, asile et intégration » comporte deux programmes dédiés, l'un, à l'immigration et l'asile (programme n° 303), l'autre, à l'intégration et l'accès à la nationalité française (programme n° 104).

Bien qu'il soit moins aisé de retracer exactement l'évolution des crédits par rapport à 2007 en raison du changement de l'architecture budgétaire, les principales orientations et composantes de cette mission témoignent d'une forte continuité de l'action gouvernementale en matière d'asile, d'éloignement et d'intégration. Les crédits en AE et CP sont quasi-stables et sont suffisants pour mener à bien les actions inscrites au projet de loi de finances pour 2008.

Votre rapporteur souhaite profiter de ce premier budget pour inaugurer une nouvelle démarche. Après un tour d'horizon des principaux enjeux pour 2007, le rapport apportera un éclairage particulier sur un aspect de cette politique. Cette année, le thème retenu est celui des mineurs étrangers isolés.

I. UNE NOUVELLE MISSION BUDGÉTAIRE POUR UN NOUVEAU MINISTÈRE

A. LA CRÉATION DU MINISTÈRE DE L'IMMIGRATION, DE L'INTÉGRATION, DE L'IDENTITÉ NATIONALE ET DU CO-DÉVELOPPEMENT : UNE RÉFORME FONDAMENTALE DE STRUCTURE

1. Une administration de mission

a) Un ministère aux compétences très étendues

Le décret n° 2007-999 du 31 mai 2007 détermine les attributions du ministre de l'immigration, de l'intégration, de l'identité nationale et du co-développement. Ce décret donne une compétence très large au ministre, lequel prépare et met en oeuvre les règles relatives aux conditions d'entrée, de séjour et d'exercice d'une activité professionnelle en France des étrangers. Il est également compétent en matière d'asile, de protection subsidiaire et de prise en charge sociale des personnes concernées, ainsi que pour l'accueil et l'intégration des populations immigrées. Il a la charge des naturalisations et de l'enregistrement des déclarations de nationalité à raison du mariage, ainsi que du co-développement.

Enfin, le ministre est associé à la politique menée en faveur du rayonnement de la francophonie et participe à la politique de la mémoire et à la promotion de la citoyenneté.

Cette nouvelle organisation s'inspire de celles retenues par d'autres États, qui se sont également dotés d'un ministère chargé de l'immigration et de l'intégration. C'est le cas notamment au Canada. En revanche, rares sont les pays à y avoir associé également la dimension co-développement. L'« Approche globale des migrations », qui constitue désormais le cadre de référence de la politique de l'Union en matière migratoire, plaide d'ailleurs en ce sens. On remarquera pourtant que la Commission européenne distingue les questions migratoires, sous la responsabilité de M. Franco Frattini, et les questions de co-développement, sous la responsabilité de M. Louis Michel.

b) Le regroupement d'administrations dispersées

Pour l'exercice de ces attributions, le décret précité précise que le ministre de l'immigration a :

- une autorité propre sur le secrétaire général du comité interministériel de contrôle de l'immigration, ainsi que sur l'ambassadeur chargé du co-développement ;

- une autorité conjointe avec ses homologues de l'intérieur, des affaires étrangères ou du travail sur, respectivement, la direction des libertés publiques et des affaires juridiques et la direction générale de la police nationale, la direction des Français à l'étranger et des étrangers en France ainsi que la direction de la population et des migrations ;

Le ministre a également la possibilité de disposer, en tant que de besoin, de différentes administrations relevant de l'autorité d'autres ministres, telles la direction générale de la coopération internationale et du développement, la direction générale de la gendarmerie nationale, la direction générale des douanes et des droits indirects, la délégation générale à l'emploi et à la formation professionnelle, la délégation interministérielle à la lutte contre le travail illégal ou la délégation interministérielle à la ville. Environ quinze directions sont ainsi énumérées.

Toutefois, cette mosaïque administrative ne peut constituer une solution durable. Il s'agit d'une solution provisoire, le transfert en cours d'année des services d'un ministère à un autre n'étant pas chose aisée.

Aussi, le ministère sera doté à compter du 1er janvier 2008 d'une administration centrale composée de tout ou partie de plusieurs des directions précitées. Le projet de loi de finances pour 2008 traduit ce choix budgétairement en rattachant les emplois correspondant à la mission « Immigration, asile et intégration », laquelle est gérée par le ministre de l'immigration.

Au total, 609 équivalents temps plein travaillé (ETPT) seront affectés à la mission « Immigration, asile et intégration », parmi lesquels 100 créations, les autres étant transférés d'autres départements ministériels. Les dépenses de personnels atteindront 31,5 millions d'euros. Les dépenses de fonctionnement de l'administration centrale seront d'un montant de 6,7 millions d'euros.

Répartition des emplois du ministère de l'immigration, de l'intégration, de l'identité nationale et du co-développement

Origine ministérielle

Origine budgétaire
(loi de finances initiale pour 2007)

Nombre,
en ETPT

Mission

Programme

Travail et solidarité (direction de la population et des migrations + Haut conseil à l'intégration)

Solidarité
et intégration

Conduite et soutien
des politiques sanitaires et sociales (n° 124)

239

Affaires étrangères et européennes (service
des étrangers en France)

Action extérieure
de l'Etat

Français à l'étranger
et étrangers en France (n° 151)

140

Intérieur (sous-direction des étrangers et de la circulation transfrontalière + mission Visa)

Administration générale et territoriale de l'Etat

Conduite et pilotage des politiques de l'intérieur (n° 216)

110

Budget

NC

NC

20

Mesures nouvelles

-

-

100

Au total, 489 ETPT sont transférés. Les 100 emplois créés et 20 emplois pris dans le plafond d'emplois du ministère de l'économie et du budget sont destinés à doter les services du cabinet du ministre, d'une part, le secrétariat général du ministère, d'autre part.

Comme l'a indiqué M. Patrick Stefanini, conseiller du ministre et futur secrétaire général du ministère, les personnels des services transférés conserveront leur appartenance statutaire actuelle. Il n'y aura donc pas de création d'un corps propre au ministère de l'immigration. Cela n'aurait pas de sens pour des effectifs aussi réduits. Ces personnels continueront à relever de leur ministère d'origine sur le plan du statut comme de la rémunération, par le biais de conventions de délégation de gestion qui seront prochainement passées entre le nouveau ministère et les ministères chargés des affaires étrangères, de l'intérieur et de la solidarité.

Le ministère de l'immigration s'occupera exclusivement de la gestion de proximité de ces personnels (congés, sanctions les plus légères). Les emplois créés seront également rattachés à des corps préexistants.

Ce système souple, cohérent avec la taille modeste de l'administration centrale et l'absence de services déconcentrés (voir ci-dessous), a toutefois des inconvénients. Un défi sera de parvenir à ce que ces personnels passent outre les cloisonnements administratifs et les méthodes de travail de leur corps d'origine pour s'adapter rapidement aux méthodes de travail du nouveau ministère. Les auditions auxquelles votre rapporteur a procédé lors de l'examen de la loi n° 2007-1631 du 20 novembre 2007 relative à la maîtrise de l'immigration, à l'intégration et à l'asile font penser que certains des services agrégés sont moins disposés que d'autres à jouer le jeu de ce rapprochement. Cela suppose également que ces personnels ne soient pas pénalisés au moment de leur retour dans leur administration d'origine.

Enfin, cette administration centrale est toujours en quête d'un site pour regrouper les effectifs parisiens aujourd'hui disséminés, soit environ 400 personnes. Le cabinet du ministre demeurerait dans le VIIème arrondissement de Paris et la sous-direction des naturalisations de la direction des populations et des migrations ainsi que la sous-direction de la circulation des étrangers, actuellement implantées à Nantes et à Rezé y resteraient.

c) Le projet d'organigramme

Le projet d'organigramme du nouveau ministère a pu être communiqué à votre rapporteur. Il est encore soumis à la consultation des commissions techniques paritaires dans les différents ministères concernés. Les ultimes arbitrages devraient être rendus fin décembre.

Sans commenter l'ensemble de l'organigramme, quelques remarques peuvent être faites.

Tout d'abord, votre rapporteur se félicite de la création d'un département des statistiques au sein du service de la stratégie. La commission d'enquête du Sénat sur l'immigration clandestine avait déploré le manque de lisibilité, voire de fiabilité des statistiques en matière d'immigration, chaque ministère ou service au sein d'un ministère donnant des chiffres différents sur un même sujet. Pour la première fois, un département statistique sera commun aux différents services en charge de l'immigration.

On remarquera également la création d'une mission de promotion de l'immigration professionnelle au sein du service des affaires internationales et du co-développement. Elle devra notamment faire connaître les dispositions plus favorables de la loi du 24 juillet 2006 en matière d'immigration de travail. Elle pourrait éventuellement démarcher en fonction de besoins identifiés de main d'oeuvre et en application des accords de gestion concertés des flux migratoires qui auront été signés. On relèvera à cet égard l'accord conclu en octobre de cette année avec les Philippines pour développer l'immigration de travail ainsi que l'accueil d'étudiants.

Cette mission devrait notamment s'appuyer sur le réseau international de l'Agence nationale de l'accueil des étrangers et des migrants (ANAEM) 12 ( * ) .

Au total, ce ministère est une administration de mission, recentrée sur ses métiers de base et développant une approche stratégique.

2. Un périmètre budgétaire qui ne recouvre pas l'ensemble des missions du ministère

a) L'absence d'administrations déconcentrées

Le nouveau ministère ne disposera pas de services déconcentrés, sauf si l'on prend en considération les implantations sur le territoire français et à l'étranger de l'ANAEM, lequel est un opérateur du programme 104 « Intégration et accès à la nationalité française » et est placé sous la tutelle conjointe des ministres de l'immigration et du travail.

En effet, les agents des services des visas, ceux des services des étrangers des préfectures ainsi que de la police aux frontières ou de la sécurité publique ne figurent pas au sein de la mission. Cette situation peut s'expliquer par les résistances des autres ministères, mais aussi plus simplement en raison des inconvénients et difficultés pratiques qu'il y a à distinguer des personnels actuellement intégrés dans des dispositifs plus larges.

A ce stade, votre rapporteur n'a pu apprécier exactement les avantages et les inconvénients d'un transfert d'un ou plusieurs de ces services au sein de la mission « Immigration, asile et intégration ». Mais, en fonction du retour d'expérience de ce premier budget, des évolutions de périmètre pourraient être étudiées lors des prochains exercices budgétaires.

Quelque soit finalement l'architecture budgétaire retenue, votre rapporteur tient à rappeler, comme il l'avait déjà fait lors de l'examen de la loi du 24 juillet 2006, l'urgence d'une modernisation du service public de l'immigration. Le passage d'une politique de maîtrise des flux à une politique de pilotage de ceux-ci impose de renforcer impérativement les moyens humains et matériels de ces services. La réhabilitation d'une vision positive de l'immigration passe nécessairement par une rénovation des administrations en charge de ces matières, surtout habituées à faire du contrôle.

Une voie à explorer est sans doute de développer la mobilité des agents de l'Etat entre les préfectures et les consulats, de telle sorte que se mette en place une filière des métiers de l'immigration.

b) Le programme « co-développement »

Bien que la mission « Immigration, asile et intégration » ne prévoit pas de crédits consacrés au co-développement, le ministre de l'immigration aura les moyens d'affirmer sa compétence en cette matière.

En effet, le projet de loi de finances pour 2008 crée un programme spécifique « Co-développement » au sein de la mission interministérielle « Aide publique au développement ». Le responsable de ce programme sera le futur secrétaire général du ministère de l'immigration.

Une autre solution aurait pu être de rattacher directement ce programme à la mission « Immigration, asile et intégration ». L'expérience dira si l'architecture des missions doit être modifiée.

Le programme sera doté de 60 millions d'euros en autorisations d'engagement et de 29 millions d'euros en crédits de paiement. L'évolution, à structure constante, des crédits du programme « Co-développement » (+ 224 % en AE et + 100 % en CP par rapport à 2007) témoigne de la nouvelle priorité accordée à ce type de projets.

Ces crédits serviront notamment à assurer la promotion des accords de gestion concertée des flux migratoires ainsi qu'à contribuer au développement des projets individuels ou collectifs portés par les migrants dans leur pays d'origine.

Ce programme finance l'aide au retour volontaire (ARV) ainsi que, pour un montant de 5 millions d'euros, l'aide au projet individuel ou collectif.

L'ARV s'adresse à tout étranger en situation irrégulière ayant fait l'objet d'une invitation à quitter le territoire ou d'un arrêté préfectoral de reconduite à la frontière. Les candidats au retour reçoivent une somme d'argent de 2.000 euros par adulte, de 3.500 euros pour un couple et de 1.000 euros par enfant de moins de 18 ans jusqu'au troisième et de 500 euros par enfant mineur supplémentaire. L'ANAEM prend en charge les frais de voyage et d'acheminement des bénéficiaires. En 2006, près de 2.000 personnes en ont bénéficié, pour l'essentiel des déboutés du droit d'asile isolés. Entre le 1er janvier et le 15 juillet 2007, ils étaient au nombre de 844. Ce relatif succès comparativement au nombre de bénéficiaires des aides au retour les années précédentes est en réalité un échec. En particulier, ce dispositif n'a pas su séduire les familles en situation irrégulière.

Lors de son audition par votre rapporteur, M. Patrick Stefanini a estimé qu'il fallait proposer d'autres dispositifs mieux adaptés à cette catégorie de population.

Cela sera le cas avec les aides individuelles ou collectives à la réinsertion par le co-développement. Il ne s'agira plus d'une aide sèche au retour. Le programme « Co-développement » prévoit le financement, dans une vingtaine de pays francophones, de 700 dossiers individuels, pour un montant maximum de 7.150 euros, et d'une trentaine de projets collectifs, d'un montant n'excédant pas 37.500 euros.

A titre personnel, votre rapporteur place beaucoup d'espoir dans la contractualisation et la mise en place de procédures d'accompagnement au retour des familles étrangères en situation irrégulière. Il conviendrait d'étudier la création d'un « contrat pour le retour ».

c) La création d'un document de politique transversale

La mission « Immigration, asile et intégration » ne fait pas apparaître les crédits :

- des services des visas ;

- des services des étrangers dans les préfectures et des directions départementales du travail chargées de délivrer les autorisations de travail ;

- de la police aux frontières, de la sécurité publique et des forces mobiles qui participent à la lutte contre l'immigration irrégulière ;

- du co-développement ;

- de l'aide médicale d'Etat qui permet aux personnes en situation irrégulière de bénéficier d'une couverture médicale.

On peut songer également à l'activité de l'inspection du travail dans la lutte contre le travail clandestin, du moins pour la part qui implique des étrangers.

Pour pallier ces manques et restaurer une vision complète et exhaustive des crédits consacrés à la politique de l'immigration et d'intégration, notre collègue André Ferrand, rapporteur spécial pour la commission des finances des crédits de la mission « Immigration, asile et intégration » a présenté un amendement tendant à créer un document de politique transversale.

Votre rapporteur soutient cette initiative.

* 12 L'ANAEM a des implantations en Algérie, au Maroc, en Tunisie, en Turquie, au Sénégal et au Mali. Ce réseau devrait être étendu.

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