B. ÉLARGIR LE CHAMP DE L'INJONCTION THÉRAPEUTIQUE
1. Une mesure peu utilisée
a) Un dispositif diversement apprécié
L'injonction thérapeutique, qui permet au procureur de ne pas poursuivre un consommateur de stupéfiants s'il accepte de se faire soigner, a été instituée par la loi du 31 décembre 1970 relative aux mesures sanitaires de lutte contre la toxicomanie et à la répression du trafic et de l'usage illicite de substances vénéneuses.
Rapidement, dès la fin des années 1970, la mesure est tombée en désuétude en raison des réticences du corps médical à soigner sous la contrainte , comme le souligne le rapport Pelletier en 1978. Les magistrats n'y ont alors recours que rarement, découragés par l'absence de dialogue entre les autorités judiciaires et sanitaires, les médecins se réfugiant le plus souvent derrière le secret médical pour ne pas fournir d'informations sur le suivi des traitements. Les circulaires Peyrefitte du 7 mai 1978 et Badinter de 1984 ont également discrédité ce dispositif en préconisant de ne pas l'appliquer aux usagers de cannabis et en critiquant le caractère contraint de la cure.
Il faut attendre la circulaire Chalandon du 12 mai 1987 pour entrevoir une tentative de relance de l'injonction thérapeutique. L'intervention répressive est adaptée aux différents types d'usage et l'injonction thérapeutique préconisée pour les consommateurs réguliers qui présentent des signes d'intoxication , quel que soit le produit en cause. On compte alors 4.000 injonctions prononcées chaque année avec de grandes inégalités entre les départements.
La circulaire Vazelle-Kouchner du 9 février 1993 a ensuite généralisé le recours à cette procédure sur l'ensemble du territoire national. Elle complète la circulaire interministérielle du 14 janvier 1993, qui rappelle que l'injonction thérapeutique s'applique aux toxicomanes qui n'ont pas commis d'autres infractions que l'usage de drogues.
La circulaire interministérielle du 28 avril 1995 relative à l'harmonisation des pratiques relatives à l'injonction thérapeutique restreint, quant à elle, les catégories d'usagers susceptibles d'en bénéficier en insistant sur le critère de nécessité sanitaire (consommation de cocaïne et d'héroïne, usage massif et répété de cannabis, polyconsommation). Il est également précisé que la mesure doit favoriser, au-delà de la réponse sanitaire, la réinsertion sociale des toxicomanes.
Enfin, le plan triennal 1999-2001 de la mission interministérielle de lutte contre la drogue et la toxicomanie (Mildt), défini par la circulaire Guigou du 17 juin 1999, a étendu à l'ensemble des départements les conventions départementales d'objectifs justice-santé mises en place en 1993 dans quinze d'entre eux et à Paris pour améliorer l'articulation entre les politiques sanitaire et répressive. Là encore, dans le cadre d'une diversification des réponses judiciaires à l'égard des usagers de drogues, il est rappelé aux magistrats, comme en 1995, que l'injonction thérapeutique est réservée aux toxicodépendants. Le rappel à la loi et l'orientation sanitaire, sous la forme d'un classement sans suite, sont donc privilégiés s'agissant des consommateurs occasionnels, notamment de cannabis.
b) Un bilan mitigé
Ainsi que le constatait notre collègue Bernard Plasait en 2003 5 ( * ) , « la répétition, circulaire après circulaire, des mêmes recommandations, laisse songeur ».
De fait, si les relances successives de l'injonction thérapeutique depuis 1987 ont conduit à une augmentation progressive du nombre de mesures prononcées (de moins d'un millier par an à la fin des années 1970 à 8.000 à la fin de la décennie 1990), elles n'ont pu répondre à la croissance exponentielle des interpellations pour usage de stupéfiants, passées de 2.000 à 60.000 par an depuis 1970.
On estime ainsi à seulement 6 % environ la proportion de consultations et d'admissions de toxicomanes dans les centres de soins agréés faisant suite à une mesure de ce type.
En outre, l'objectif de recentrage de l'injonction thérapeutique sur les usagers les plus dépendants a été diversement respecté par les parquets. Elle concerne aujourd'hui 5 % à 6 % des personnes interpellées pour infraction à la législation sur les stupéfiants, tous types de consommations confondus. Toutefois, l'Office français des drogues et toxicomanies (OFDT) note, dans son évaluation du plan triennal, qu'il est actuellement difficile de connaître précisément le parcours pénal des usagers de drogues et donc d'évaluer finement le recours aux orientations socio-sanitaires et les résultats obtenus en matière de récidive.
Plus généralement, le rapport de la Cour des comptes de 1998 observe que les résultats varient fortement d'un département à l'autre , certains tribunaux ne prononçant aucune mesure, en dépit des tentatives pour homogénéiser les pratiques sur le territoire national. Ces écarts s'expliquent certes par la concentration du phénomène de consommation de stupéfiants dans les grandes agglomérations, notamment en Ile-de-France, mais également par les réticences de certains parquets à jouer un rôle dans la prise en charge sanitaire des usagers.
Enfin, il apparaît que les réticences du corps médical à l'égard de ce dispositif n'ont pas complètement disparu, même si les contrats locaux de sécurité (CLS), mis en oeuvre dans le cadre de la politique de la ville, ont souvent permis d'améliorer les relations entre magistrats et personnels médicaux et sociaux.
* 5 Drogue : l'autre cancer. Rapport de la commission d'enquête sur la politique nationale de lutte contre les drogues illicites. Sénat n° 321 (2002-2003).