II. RELEVER LE DÉFI ÉCONOMIQUE EN MODERNISANT L'EXPLOITATION ET EN FAVORISANT L'AVÈNEMENT DE L'ENTREPRISE AGRICOLE
Dans le contexte économique actuel, le principal enjeu consiste à aider les exploitations agricoles à se transformer en entités économiques autonomes, c'est-à-dire en de véritables entreprises.
En effet, le modèle de l'exploitation familiale, structuré par les lois agricoles fondatrices de 1960 et 1962, ne correspond plus que partiellement à la réalité diverse des exploitations agricoles actuelles.
C'est pourquoi le présent projet de loi vise à promouvoir la constitution d'unités économiques cessibles, à moderniser les relations entre propriétaires ruraux et exploitants agricoles et à reconnaître, par le biais du fonds agricole, la valeur économique créée par l'exploitation.
A. LA CRÉATION DU FONDS AGRICOLE ET SES COROLLAIRES
1. Le fonds agricole : entité économique autonome
a) La définition économique du fonds agricole
L'article 1 er du présent projet de loi vise à créer le « fonds agricole » afin de faire évoluer le statut de l'exploitation agricole traditionnelle vers celui d'entreprise agricole et de permettre d'appréhender, dans une même unité économique, l'ensemble des facteurs de production liés à l'activité agricole, qu'ils soient corporels ou incorporels.
Par la voie d'un amendement présenté par notre collègue député Antoine Herth, rapporteur au nom de la commission des affaires économiques, de l'environnement et du territoire, saisie au fond, l'Assemblée nationale a souhaité rendre optionnelle la création de ce fonds agricole, ce que votre rapporteur pour avis approuve compte tenu des craintes exprimées par une partie du monde agricole, relatives à l'augmentation du prix des exploitations et, par conséquent, au renchérissement du coût fiscal des transmissions d'exploitations, au déséquilibre que pourraient subir les partages familiaux, ou encore aux modalités de fixation de la valeur du fonds agricole.
Votre rapporteur pour avis estime, en outre, que la création du fonds agricole devrait permettre de rapprocher le statut de l'exploitation agricole de celui de l'entreprise existant dans les autres secteurs de l'économie et d'identifier la valeur entrepreneuriale de l'exploitation agricole .
En effet, la diversification des activités agricoles, l'élargissement des missions des agriculteurs, l'évolution des éléments immatériels qui composent l'entreprise agricole, la nécessaire séparation entre le patrimoine professionnel et les biens personnels, enfin le souci de transmission et de renouvellement des générations, imposent la redéfinition de l'environnement juridique de l'exploitation.
Les objectifs poursuivis par la création du fonds agricole sont les suivants :
- dépasser l'approche patrimoniale des exploitations ;
- transmettre l'exploitation agricole : le fonds agricole doit être à la fois un outil de non-démembrement des exploitations et de meilleure performance économique de l'activité agricole qui permettra à l'exploitant cédant son exploitation de conforter sa retraite ;
- évaluer l'entreprise à reprendre en fonction de sa capacité à générer du revenu et encourager plus globalement le financement et le dynamisme de l'agriculture.
Votre rapporteur pour avis estime que le fonds agricole permettra, in fine , de mieux appréhender la valeur marchande des exploitations agricoles, aujourd'hui inférieure à son niveau réel, en tenant compte de tous les actifs, y compris les actifs immatériels.
Il ne faut toutefois pas passer sous silence les interrogations légitimes suscitées par la mise en place de ce nouvel outil juridique .
Parmi ces interrogations, votre rapporteur pour avis souhaite évoquer ici le risque d'un renchérissement du coût fiscal des transmissions et par conséquent du prix du foncier agricole. Dans la mesure où l'un des objectifs principaux de la création du fonds agricole est de favoriser la transmission d'outils économiques, la crainte que ce fonds ne devienne un obstacle à la transmission peut sembler paradoxale.
Enfin, la question de l'opportunité de l'incorporation des droits incorporels cessibles dans le fonds agricole, au premier rang desquels les droits à paiement unique issu de la réforme de la PAC, a également été posée. En effet, la valeur des éléments incorporels du fonds agricole, tels les DPU ou les droits à produire cessibles, sera variable dans le temps mais l'important est de pouvoir les évaluer au moment de la cession du fonds. Votre rapporteur pour avis estime qu'il est nécessaire d'accepter l'idée d'un fonds agricole évolutif en fonction, notamment, de la valeur des droits incorporels cessibles.
b) Des précisions d'ordre fiscal apportées par l'Assemblée nationale
L'Assemblée nationale a adopté deux nouveaux articles relatifs au régime fiscal du fonds agricole.
L'article 6 bis du présent projet de loi vise à permettre d'appliquer aux transmissions à titre gratuit d'un fonds agricole ou d'une partie de celui-ci les régimes de faveur existant en ce qui concerne le report d'imposition des plus-values et en ce qui concerne l'exonération partielle de droits de mutation à titre gratuit.
Votre rapporteur pour avis, s'il souhaite que les transmissions à titre gratuit des exploitations agricoles se trouvent encouragées, et que les conditions dans lesquelles s'opèrent ces transmissions soit appréhendées avec réalisme par l'administration fiscale, exprime des réticences quant à l'opportunité de maintenir cet article dans le présent projet de loi.
A cet égard, il souhaite rappeler qu'une instruction fiscale, en cours de finalisation, prévoit des cas de transmissions de parties d'une entreprise à la seule condition que la transmission concerne une branche complète d'activité, réputée constituer une entreprise individuelle.
Une branche complète d'activité se définit comme l'ensemble des éléments d'actif et de passif d'une division d'une entreprise ou d'une société qui constituent, du point de vue de l'organisation, une exploitation autonome, c'est-à-dire un ensemble capable de fonctionner par ses propres moyens.
Or, de ce point de vue, un fonds agricole, et a fortiori , une partie de celui-ci, ne constituent pas nécessairement une branche autonome d'activité. Il ne paraît pas opportun d'ouvrir le bénéfice d'un régime de faveur à la transmission d'un élément d'actif isolé.
L'article 6 ter du présent projet de loi vise à appliquer aux mutations à titre onéreux d'un fonds agricole un droit fixe d'enregistrement, et non le taux dégressif applicable aux fonds de commerce.
Votre rapporteur pour avis partage l'analyse de la commission des affaires économiques et de la commission des finances de l'Assemblée Nationale selon laquelle la création du fonds agricole doit s'accompagner d'un régime fiscal favorable aux transmissions .
Le régime de droit commun applicable aux fonds de commerce aurait contrarié cet objectif de développement et de transmission des fonds agricoles. En outre, l'alignement des droits d'enregistrement applicables aux cessions de fonds agricoles sur ceux applicables en cas de cessions de biens mobiliers dépendant d'une exploitation agricole paraît conforme à la nature même du fonds agricole, qui vise à appréhender l'ensemble des facteurs de production agricole, corporels ou incorporels.