B. ASSURER UNE MEILLEURE ALLOCATION DES MOYENS PAR UNE PLUS GRANDE RESPONSABILISATION DES ACTEURS DU SYTÈME ÉDUCATIF
« Clef de voûte du système éducatif », comme le souligne très justement la commission Thélot dans son rapport, l'établissement scolaire est l'échelon le plus adapté pour apporter des réponses de proximité aux problèmes que rencontre l'école, tant pour combattre l'échec scolaire que pour améliorer la gestion des ressources humaines.
En son sein, votre rapporteur insistera sur le rôle clé du chef d'établissement, animateur et pilote de l'équipe éducative.
Encore faut-il lui donner une capacité d'action suffisante, et rompre définitivement avec le système actuel, rigide et déresponsabilisant, qui accentue les inégalités et se satisfait d'une inflation incontrôlée des moyens.
1. Développer une logique de contractualisation avec les établissements
a) Une autonomie aujourd'hui privée de portée réelle
L'ambition de faire réussir tous les élèves ne peut être envisagée sans une refonte du fonctionnement des établissements scolaires, afin de leur donner une souplesse et une capacité d'action suffisantes pour apporter des réponses de proximité cohérentes et adaptées à leur contexte scolaire.
Dans la perspective, d'une part, de la modernisation de la loi d'orientation de 1989, et, d'autre part, de la mise en oeuvre de la loi organique relative aux lois de finances, fondée sur les principes d'une plus grande globalisation des moyens en contrepartie d'une responsabilisation des gestionnaires et d'un contrôle de gestion accru, il est primordial de donner une réelle portée à l'autonomie pédagogique, éducative, administrative et financière des établissements d'enseignement.
Reconnue par les textes officiels, celle-ci est, de facto, vidée de son sens et de sa portée par l'excès de rigidité, de centralisme et de lourdeur de l'appareil administratif. Comme l'avait regretté M. Xavier Darcos, alors ministre délégué à l'enseignement scolaire, « le harcèlement textuel », à savoir la surabondance d'instructions adressées par l'administration centrale, bride les initiatives des acteurs de terrain.
Malgré les insistances des circulaires de préparation des rentrées 2003 et 2004 sur l'importance de l'autonomie pédagogique des établissements, les progrès en ce sens sont réels mais restent trop limités : quelques souplesses horaires pour l'organisation du travail en groupes allégés, possibilité de substituer aux itinéraires de découvertes d'autres modalités d'aides aux élèves, possibilité d'expérimenter de nouveaux modes d'organisation des enseignements (dédoublements ou regroupements de classes entre professeurs d'une même discipline...).
De surcroît, le projet d'établissement, conçu comme l'instrument de cette autonomie, se cantonne le plus souvent à un exercice formel. Comme le fait remarquer la Cour des comptes dans son rapport particulier d'avril 2003 sur la « Gestion du système éducatif », « compte tenu de l'emprise qu'exercent les services académiques sur le contenu et l'élaboration de l'offre de formation, les ambitions pédagogiques des projets sont souvent modestes » ; par ailleurs, le « manque d'enthousiasme » des établissements « s'explique en partie par la difficulté que ressentent les chefs d'établissement pour mobiliser les ressources nécessaires à l'exécution de leur projet, qu'il s'agisse des personnes en place ou des moyens financiers disponibles ».
b) Vers une logique de contrat mise au service de la réussite des élèves
Véritable « centre de gravité » du système éducatif, l'établissement doit avoir la capacité de mettre en oeuvre une véritable politique d'établissement, orientée vers l'amélioration de la performance de l'action éducatrice, afin de faire réussir tous les élèves.
Selon une enquête réalisée par la direction de l'évaluation et de la prospective du ministère de l'éducation nationale, 95% des chefs d'établissement s'accordent sur le fait qu' « une politique d'établissement peut en quelques années améliorer sensiblement les performances scolaires des élèves ».
Aussi, conformément aux principes de la LOLF, et dans un sens qui rejoint les orientations prioritaires définies par la commission Thélot, laquelle souligne que « le système éducatif doit passer du gouvernement par les règles au pilotage par les objectifs et les résultats », votre rapporteur estime essentiel de développer une logique de contrat d'objectifs et de moyens , support, dans un cadre financier maîtrisé, d'une plus grande efficacité et d'une responsabilisation accrue des équipes éducatives.
Cela passe par plusieurs étapes :
- une analyse partagée de la situation ;
- la définition d'objectifs et d'actions dans le cadre d'un projet d'établissement qui prendrait sa réelle dimension ; cela suppose, en contrepartie, que l'Etat affirme plus nettement ses prérogatives, par la définition de priorités et d'exigences nationales claires, tout en laissant plus de souplesse aux acteurs locaux pour en définir les modalités de mise en oeuvre ;
- l'engagement contractuel sur ces objectifs et les moyens nécessaires à leur mise en oeuvre, qui devrait se faire, comme le préconise le rapport Thélot, dans un cadre tripartite, entre l'établissement, l'autorité académique et la collectivité territoriale de rattachement, compte tenu des compétences de ces dernières, renforcées et étendues par la récente loi de décentralisation ;
- une évaluation des résultats obtenus, donnant lieu, le cas échéant, à révision des moyens et des objectifs.
L'évaluation des performances des établissements est la contrepartie de leur plus grande liberté d'action des acteurs. Elle doit être mesurée au plan tant quantitatif (résultats aux examens, taux d'insertion scolaire et professionnelle des élèves...) que qualitatif (climat de vie scolaire). Pour ce faire, le développement d'une forme d'autoévaluation impliquant l'ensemble des acteurs de l'établissement, personnels et élèves, comme cela se pratique dans certains établissements d'enseignement supérieur, serait à envisager.
De surcroît, le principal intérêt consiste à mesurer la « plus-value » de l'établissement, en confrontant les résultats obtenus aux résultats attendus, compte tenu de l'environnement et des caractéristiques des élèves.
c) Une politique à la fois plus ambitieuse et maîtrisée de différenciation des moyens
La logique de contractualisation doit permettre d'aboutir à une allocation à la fois plus souple et mieux ciblée des moyens.
Il s'agit, d'une part, d'accorder de plus larges marges de manoeuvre et d'initiatives laissées à la discrétion des établissements pour la mise en oeuvre d'une véritable politique de projet, capable d'insuffler un dynamisme nouveau aux équipes éducatives. D'autre part, la répartition des moyens entre les établissements gagnerait à être optimisée, par une différenciation plus marquée en fonction des besoins et des différents contextes scolaires.
Dans le schéma suggéré par la commission Thélot, la dotation versée aux établissements se répartirait en trois composantes :
- une dotation fixe, calculée sur un mode identique pour tous les établissements, destinée à assurer les enseignements communs ;
- une part de l'ordre de 8 à 10 % de cette dotation serait laissée au libre usage de l'établissement pour la mise en oeuvre de son projet, dans le cadre contractualisé ;
- enfin, certains établissements pourraient se voir allouer une dotation supplémentaire, variant de 0 à 25 % de la dotation, dévolue sur critères spécifiques, en fonction des caractéristiques des élèves accueillis.
Cette dernière dotation serait la traduction d'une politique plus volontariste de lutte contre les inégalités scolaires et sociales, alors même que le bilan de la politique d'éducation prioritaire est aujourd'hui plutôt nuancé.
2. Le rôle clé du chef d'établissement
Votre rapporteur estime primordial de ne pas sous-estimer la force d'impulsion personnelle du chef d'établissement pour créer les conditions favorables à la réussite de tous les élèves.
Celui-ci est appelé à jouer un rôle pivot, tant à l'intérieur de l'établissement, par l'animation de l'équipe éducative, qu'à l'extérieur, dans les relations avec les partenaires extérieurs, parents, entreprises, collectivités territoriales, police, justice, services médico-sociaux, etc, dont votre rapporteur a souligné la contribution décisive pour la réussite de l'école.
A cet égard, votre rapporteur rappellera qu'à son initiative, la loi relative aux libertés et responsabilités locales institue une relation directe entre le chef d'établissement et le président de la collectivité de rattachement, fondée sur la définition d'objectifs et de moyens, pour l'exercice des compétences confiées aux départements ou régions en matière d'accueil, de restauration, d'hébergement et d'entretien général et technique, ainsi que de gestion des personnels TOS exerçant ces fonctions dans les établissements.
Néanmoins, comme le fait observer la Cour des comptes dans le rapport précité, « le rôle des chefs d'établissement, qui devraient surmonter le clivage entre les filières pédagogique et administrative, n'est pas encore suffisamment affirmé, ni perçu comme décisif dans le fonctionnement des équipes éducatives » .
Si le « référentiel » publié en 2002 constitue un progrès, en clarifiant les fonctions et compétences des chefs d'établissement, et en leur confiant, notamment, la mission de « conduire une politique pédagogique et éducative d'établissement au service de la réussite des élèves » , les avancées se heurtent à un manque certain de capacités d'actions.
C'est pourquoi le chef d'établissement doit être reconnu comme le « chef d'orchestre » de l'établissement, en lui donnant des moyens concrets d'assumer la responsabilité de la politique conduite et des résultats obtenus.
A cet effet, dans le sens des propositions de la commission Thélot notamment, deux axes complémentaires sont à privilégier :
- renforcer l'autorité et la collégialité du pôle de direction , notamment en vue de rompre le cloisonnement nocif et paralysant entre l'administration et les personnels éducatif et pédagogique ;
- faire du chef d'établissement le moteur de la cohésion de l'équipe éducative .
Les jeunes enseignants de l'académie de Créteil, qu'a rencontré le ministre M. François Fillon le 4 novembre dernier, l'ont souligné de façon unanime : la clé, dans les zones difficiles, réside dans la qualité et la solidité de l'équipe d'encadrement et les échanges avec les autres professeurs.
Dans un souci de proximité, le chef d'établissement serait le mieux placé et le mieux qualifié, d'une part pour assurer une gestion des ressources humaines plus optimale, et d'autre part pour apprécier la manière de servir des personnels placés sous son autorité.
Cela suppose, par exemple, de lui donner plus de pouvoir en matière d'affectation et de mutation des personnels, comme cela fonctionne, avec le succès et les résultats que l'on connaît, dans l'enseignement privé sous contrat, voire de procéder au recrutement direct de certaines catégories de personnels. L'exemple des assistants d'éducation, recrutés au niveau des établissements, en est un premier exemple positif qui pourrait servir de référence.
Cela serait le gage d'une plus grande cohésion et stabilité des équipes, mais aussi d'une meilleure adéquation entre les profils des personnels et les exigences particulières des postes .
En outre, le chef d'établissement devrait bénéficier de marges de souplesse pour utiliser au mieux les compétences des personnels placés sous son autorité, notamment pour pouvoir gérer les besoins de remplacement ponctuels ou organiser des aides intensives en faveur des élèves en difficultés.
Par ailleurs, il serait intéressant de confier au chef d'établissement un plus grand rôle en matière d'évaluation des personnels, tout en veillant à garantir, en parallèle, des conditions d'équité, mais aussi en accordant une réelle portée à ces évaluations, afin de reconnaître davantage le mérite des personnels, tant en terme de rémunération que de progression de carrière ; à l'inverse, le constat d'inadaptation au poste devrait être pris en compte dans la gestion des ressources humaines de façon plus systématique.
L'ensemble de ces mesures suppose, en parallèle, la mise en place d'une gestion plus adaptée des personnels de direction :
- par l'adaptation de leur formation aux exigences nouvelles en termes de pilotage par objectifs et de contrôle de gestion,
- par l'élargissement de leur vivier de recrutement,
- par une politique d'affectation prenant en compte les exigences requises pour chaque poste, qui dépendent du contexte des établissements,
- par une valorisation accrue de la fonction, encore trop peu attractive, alors que le corps sera confronté, ces prochaines années, à des besoins massifs de renouvellement. Les mesures inscrites au projet de loi de finances pour 2005 (une mesure statutaire et 40 créations de postes), sont un premier pas en ce sens, mais doivent être encore amplifiées.