II. EXAMEN DU RAPPORT POUR AVIS

Réunie le mercredi 30 juin 2004 , sous la présidence de M. Nicolas About, président, la commission a procédé à l'examen du rapport pour avis de M. Dominique Leclerc , sur le projet de loi n° 1613 (AN) relatif au service public de l'électricité et du gaz et aux entreprises électriques et gazières .

Rappelant que l'objectif du projet de loi était de permettre aux industries électriques et gazières françaises, les IEG, de préparer leur ouverture à la concurrence, M. Dominique Leclerc, rapporteur pour avis, a indiqué qu'elles seront en outre soumises, à compter du 1 er janvier 2005, à de nouvelles normes comptables internationales les obligeant à inscrire à leur bilan leurs engagements de retraite. Or, ceux-ci n'ont jamais été provisionnés jusqu'alors et ils s'élèvent à 80 milliards d'euros, dont 60 milliards pour EDF. Dès lors, il était indispensable que ce projet de loi comporte un volet consacré aux retraites, dont la commission a souhaité se saisir pour avis.

Il s'est dit convaincu de l'utilité pédagogique des débats parlementaires à venir, qui permettront de mieux appréhender les spécificités des régimes spéciaux en général, et de celui des gaziers et électriciens en particulier. Il a toutefois précisé que la présente réforme avait pour objet de bâtir un nouveau cadre de financement et d'adossement pour le régime spécial de retraite des IEG et non de remettre en question le niveau de prestations de celui-ci.

M. Dominique Leclerc, rapporteur pour avis, a rappelé que ce régime, généreux et donc coûteux, hérité de l'après-guerre, était financé par des cotisations salariales faibles, représentant moins d'un cinquième des recettes, et par une contribution importante de l'entreprise qui absorbe aujourd'hui 54 % de la masse salariale. Les retraites actuelles des personnels sont donc intégralement assurées par EDF, GDF et les entreprises non nationalisées de la branche et, si elles n'ont jamais fait l'objet d'un provisionnement, c'est en raison du statut d'établissement public d'EDF et de GDF et du caractère monopolistique de leurs activités. Trois raisons principales rendent désormais ce statu quo intenable : d'abord, les engagements européens de la France en matière d'ouverture à la concurrence du secteur de l'énergie ; ensuite, les contraintes financières et démographiques pesant sur le régime ; enfin, l'introduction de nouvelles normes comptables.

Il a constaté que la réforme proposée s'avérait particulièrement protectrice pour les personnels gaziers et électriciens, puisque le niveau des prestations restera inchangé, y compris pour les nouveaux entrants, que la hausse prévue des cotisations salariales sera entièrement neutralisée par des hausses de salaire équivalentes et qu'un organisme de sécurité sociale « ad hoc » sera créé pour préserver, sur le plan institutionnel et juridique, les spécificités de la branche. Il a enfin fait valoir que le régime général et les régimes complémentaires, en permettant « l'adossement » du régime des IEG, garantiront le paiement des retraites à l'avenir.

M. Dominique Leclerc, rapporteur pour avis, a précisé que la préparation du projet de loi a été précédée par une concertation intense avec les organisations syndicales qui avait débouché, le 9 décembre 2002, sur la signature d'un « relevé de conclusions ». Il a indiqué, par ailleurs, que la Confédération générale du travail (CGT), syndicat majoritaire à EDF, y avait pris une place déterminante, avant de s'en désolidariser après le rejet desdites conclusions par 53 % des agences lors du referendum consultatif de janvier 2003.

Exposant le dispositif technique d'ensemble, il a relevé que le montage proposé paraissait inédit et particulièrement complexe. Il ne correspond pas à une intégration classique dans la mesure où le régime spécial restera ouvert aux « nouveaux entrants » et où il n'y aura pas de lien direct entre les retraités et les régimes de retraite de droit commun, puisque l'interface sera assurée par un organisme spécifique, la future caisse nationale des IEG. En conséquence, les dispositions du projet de loi devront être complétées par la signature de deux conventions d'adossement, entre cette caisse nationale et la Caisse nationale d'assurance vieillesse des travailleurs salariés (CNAVTS), d'une part, les organismes de retraite complémentaire, tels que l'Association générale des institutions de retraite des cadres (AGIRC) et l'Association des régimes de retraite complémentaire (ARRCO), d'autre part.

M. Dominique Leclerc, rapporteur pour avis, a ensuite exposé le contenu des prestations servies par le régime de retraite spécial des IEG. Celui-ci correspondra à l'addition des « droits de base », équivalant à ceux des salariés du secteur privé versés par la CNAVTS, l'AGIRC et l'ARRCO, et des « droits spécifiques » du régime spécial, également appelés « régime chapeau », c'est-à-dire les prestations supplémentaires dont seuls bénéficient les salariés de la branche.

Les droits de base, évalués entre 42 et 52 milliards d'euros, seront financés par des cotisations patronales et salariales libératoires, ainsi que par des contributions complémentaires, prenant vraisemblablement la forme de « soultes » destinées à garantir la neutralité du montage pour les régimes d'accueil. Selon la manière dont elles seront calculées, ces soultes pourraient atteindre 5 à 8 milliards d'euros pour la CNAVTS et même davantage pour les régimes complémentaires.

Pour le financement des droits spécifiques, évalués entre 28 et 37 milliards d'euros, trois cas de figure sont distingués : les futurs engagements, constitués à partir du 1 er janvier 2005, seront entièrement assumés par les entreprises de la branche IEG ; pour les engagements passés, arrêtés au 31 décembre 2004, les financements seront soit à la charge de l'entreprise, si elle exerce une activité concurrentielle, soit couverts par une contribution tarifaire, si elle exerce une activité régulée.

En conclusion, M. Dominique Leclerc, rapporteur pour avis, a approuvé le principe d'un traitement spécifique réservé aux IEG, pour plusieurs raisons tenant à des considérations historiques, au rôle stratégique d'EDF dans notre politique énergétique, ainsi qu'à la nécessité de bâtir un projet industriel ambitieux pour l'avenir de ce secteur. Il a toutefois souhaité garantir le fonctionnement juste et équilibré du montage en présentant plusieurs amendements qui proposeront d'affirmer, dans la loi, le principe de neutralité financière du schéma d'adossement, d'indiquer plus précisément les paramètres de calcul de la soulte, de préciser certaines modalités de la méthode de calcul et d'organiser l'information du public et du Parlement sur le suivi à long terme de cet adossement.

M. Dominique Leclerc, rapporteur pour avis, a en outre souligné que le montage proposé ne réglait pas définitivement les problèmes de financement, car les perspectives démographiques de la branche continueront à se dégrader et parce que les spécificités du « régime chapeau » étaient très coûteuses. Il a constaté que le coût du régime de retraite d'EDF/GDF était presque deux fois supérieur à celui des régimes de droit commun et que la situation des salariés y était très avantageuse. Il a ainsi évoqué les nombreuses possibilités de départ à la retraite à partir de 55 ans, le fait que 90 % des personnels liquident leur pension avant l'âge de 60 ans, la durée de cotisations qui demeure fixée à 37,5 années et le calcul des pensions qui apparaît très favorable.

Il a considéré, de façon générale, que ce schéma d'adossement devrait rester un cas isolé et ne pas être reproduit avec les autres régimes spéciaux, car leurs besoins de financements, colossaux, seraient de nature à mettre en grave péril l'équilibre des comptes de la CNAV.

Il a donc appelé à la conduite d'une réflexion concertée sur l'avenir des régimes spéciaux que, par réalisme et souci d'efficacité, le Gouvernement n'avait eu d'autre choix, l'an passé, que de disjoindre de l'ensemble de la réforme des retraites. La poursuite, sur longue période, du statu quo actuel étant désormais impossible pour des raisons démographiques et financières, il a souhaité que des travaux soient entrepris pour restaurer la justice et l'équité entre les Français afin que l'ensemble de la population active soit associée à l'effort collectif de sauvetage des régimes de retraite.

Sous le bénéfice de ces observations, il a invité la commission à donner un avis favorable à l'adoption des dispositions du titre IV de ce projet de loi, assorties des amendements qu'il présenterait.

M. André Lardeux a déclaré que s'il ne s'opposerait pas à l'adoption de ces dispositions, il regrettait qu'il ne s'agisse que d'une réforme partielle et que le schéma d'adossement proposé ne soit pas précisément financé. Relevant l'ampleur des besoins d'investissement auxquels l'entreprise EDF aura à faire face par ailleurs pour assurer son développement, il s'est demandé comment il sera possible de dégager les moyens financiers nécessaires au financement de ce régime spécial.

Sans vouloir opposer une « France exposée » à une « France abritée », il a jugé que ce nouveau mécanisme d'adossement augurait mal d'une future réforme des régimes spéciaux. Il a estimé que s'il était exact que la marge de négociation sur ces dossiers était faible, ce raisonnement justifiait l'inaction depuis cinquante ans et qu'aujourd'hui le statu quo n'était tout simplement plus tenable.

M. Jean Chérioux a soutenu qu'EDF n'était pas une entreprise comme les autres, en raison notamment de l'attachement de son personnel à la notion de service public et du caractère stratégique de son activité pour l'indépendance énergétique de la France et que l'on pouvait y voir la justification du traitement spécifique dont elle bénéficie. Il a également considéré que l'ampleur des engagements de retraite non provisionnés, le coût du « régime chapeau », ainsi que les montants prévisibles des soultes, traduisaient la situation financière catastrophique de l'entreprise et, qu'en conséquence, il n'y avait pas d'alternative à l'adossement. Il a précisé que, pour autant, cet adossement ne devait pas intervenir aux dépens des assurés du régime général et des régimes complémentaires, ni être dépourvu de solides garanties.

Il a fait valoir qu'il convenait de faire face au grave danger que représente la fragilité financière d'EDF en abordant ces questions avec pragmatisme. Soulignant la structure déséquilibrée de son bilan, il s'est inquiété de la possibilité pour l'entreprise, après la disparition de la garantie de l'État, de se financer sur les marchés financiers internationaux.

Jugeant qu'il était impossible de porter un jugement sur la seule partie du projet de loi consacrée aux retraites sans prendre en compte l'ensemble d'un projet de loi aboutissant à privatiser EDF, M. Roland Muzeau a contesté cette analyse néo-libérale. Il s'est déclaré totalement hostile à une conception de la vie économique et des rapports sociaux entièrement dominée par les mécanismes de marché en général, et les impératifs des marchés financiers en particulier. Il a regretté que l'exposé du rapporteur pour avis, qui présentait tout d'abord des qualités pédagogiques, se termine par une charge contre les avantages des personnels dénoncés comme autant de privilèges. Il a précisé que la logique du changement de statut des entreprises électriques et gazières comportait un vrai risque pour l'avenir du système de retraite. Après s'être interrogé sur la possibilité, à l'avenir, de voir préservée l'indépendance énergétique du pays, il a relevé les déclarations récentes du président de la SNCF, s'inquiétant d'une hausse de tarif de 30 % depuis l'ouverture à la concurrence du marché des clients éligibles. Il a indiqué que l'ouverture d'un débat sur ces questions lui paraissait une urgence, mais qu'aucun accord ne pourrait intervenir sur de telles bases.

M. Claude Domeizel a indiqué que le groupe socialiste aurait l'occasion, lors de la discussion du texte en séance publique, d'exprimer son opposition sur l'ensemble des dispositions de ce projet de loi, et donc sur celles consacrées aux retraites des industries électriques et gazières. Il a constaté que s'il était exact qu'EDF n'avait jamais provisionné ses engagements de retraite, elle n'avait fait que suivre l'exemple de l'État qui était son propre assureur. Il a souligné la complexité de cette partie du projet de loi et rappelé qu'il avait déploré l'an passé, lors de l'examen de la réforme des retraites, une démarche gouvernementale précipitée, partielle et qui tendait à pénaliser les assurés sociaux.

Se reportant aux débats menés lors de la réforme des retraites en 2003, M. Nicolas About, président, a rappelé le caractère généreux du dispositif dit des « carrières longues » permettant aux personnes ayant débuté leur vie professionnelle à un âge précoce de liquider leur pension de retraite avant l'âge de 60 ans.

M. Claude Domeizel a jugé que les retards et les difficultés de transposition du dispositif des « carrières longues » dans la fonction publique attestaient précisément des limites de la réforme des retraites votée l'année dernière. Il s'est également interrogé sur la nature du précédent que pourrait constituer le schéma d'adossement du régime de retraite des industries électriques et gazières pour les autres régimes spéciaux.

M. Yves Krattinger a contesté que l'on puisse qualifier de coûteux le régime de retraite des industries électriques et gazières. Il a indiqué que la faiblesse relative de la cotisation salariale et l'importance prédominante de la contribution de l'entreprise dans le financement de ce régime spécial n'empêchaient pas la France de disposer du prix de l'énergie le moins cher en Europe.

M. Jean Chérioux a expliqué cette situation par l'importance du parc électronucléaire dans la production d'énergie française.

M. Yves Krattinger a précisé que la contrainte démographique constituait en fait la véritable menace pour le régime spécial de retraite des IEG. Il a considéré, plus généralement, que la question du statut de l'entreprise semblait inséparable de celle des retraites. Il a estimé que la cessation précoce d'activité ne constituait nullement un privilège des agents gaziers et électriciens mais correspondait à un phénomène social largement répandu dans le secteur privé, comme le montraient les exemples des nombreux plans sociaux récents plaçant les personnels en pré-retraite dès l'âge de 55 ans. Considérant que ce projet de loi correspondait à un choix tactique conduisant inévitablement, à terme, à la question de la propriété de l'entreprise et à la prédominance du facteur de rentabilité, il a affirmé que la question se poserait alors de choisir entre la retraite par répartition et par capitalisation.

Après s'être inquiété de la capacité de notre pays à maintenir sa compétitivité et son modèle social face à la concurrence asiatique, M. Louis Souvet s'est fait l'écho de l'inquiétude des acteurs économiques quant à la détermination des décideurs publics français à s'attaquer pleinement à la résolution des problèmes structurels du pays. Il s'est également demandé quelle entreprise en France, autre qu'EDF, pourrait se développer avec un bilan aussi déséquilibré et de telles contraintes. Revenant sur la critique portée au caractère précité à la réforme des retraites votée l'an dernier, il a affirmé que la démarche de l'actuel Gouvernement consistait précisément à rattraper le retard accumulé précédemment. Il a observé que l'obligation de provisionnement imposée à EDF correspondait à de nouvelles normes comptables internationales et n'avait ainsi rien à voir avec une alternative entre capitalisation et répartition. Il a fait observer que les avantages liés à la cessation précoce d'activité des agents de la branche IEG pouvaient effectivement constituer une inégalité de traitement par rapport aux autres assurés sociaux et que, s'agissant du comité d'entreprise d'EDF, l'ensemble des usagers se trouvaient mis à contribution pour une institution à la santé financière florissante.

Mme Jacqueline Rozier a déclaré qu'elle partageait totalement cette analyse et qu'elle attendait avec impatience l'ouverture du débat en séance publique pour connaître les arguments qui seraient développés à l'appui du maintien de tels avantages.

M. André Lardeux a rejeté le qualificatif d'ultralibéral apposé à son intervention et souligné que s'il ne se considérait prisonnier d'aucune idéologie, il était intimement convaincu que le maintien du statu quo était impossible.

M. Claude Domeizel a contesté le fait que l'on puisse désigner les régimes spéciaux comme des sources de privilèges injustifiés mis à la charge financière des salariés du régime général.

En réponse, M. Dominique Leclerc, rapporteur pour avis, a considéré que le problème des retraites constituait un préalable à l'évolution des IEG et à leur adaptation à la concurrence. Après avoir rappelé que la libéralisation du marché de l'électricité avait débuté dès 1996, et celle du gaz deux ans plus tard, il a confirmé le caractère inédit du montage d'adossement des IEG sur les régimes de retraite de droit commun.

Il a indiqué que chaque régime spécial obéissait à une logique propre et à une histoire particulière, qu'il convenait certes de respecter, mais qu'il était tout aussi nécessaire d'envisager, en temps utile, les évolutions indispensables. Il a jugé que les nouvelles normes comptables internationales s'imposaient pleinement à EDF et il a exprimé sa préoccupation quant à la neutralité, in fine, du calcul des soultes, pour les assurés sociaux du secteur privé.

Rappelant que lors des débats parlementaires de la réforme des retraites de 2003, il avait considéré qu'il n'était possible de réformer qu'avec des contreparties généreuses, il a regretté que la conjoncture économique favorable enregistrée lors de la précédente législature n'ait pas été utilisée pour réaliser les réformes difficiles qui s'imposaient.

Après avoir considéré que le dossier des retraites des IEG risquait de constituer un véritable exemple pour d'autres régimes spéciaux, il a considéré qu'il convenait d'apporter toutes les garanties de transparence souhaitables.

A l'issue de ce débat, la commission a procédé à l'examen des amendements présentés par le rapporteur pour avis.

A l'article 17, elle a adopté un amendement tendant à inscrire, dans le texte même du projet de loi, le principe de neutralité financière de l'adossement.

Elle a également adopté un amendement confirmant que le paiement de soultes aux régimes général et complémentaires constitue un dû et ne revêt pas un caractère exceptionnel.

La commission a ensuite adopté un amendement visant à préciser les paramètres de détermination des soultes.

Puis elle a adopté un amendement proposant que la nouvelle Caisse nationale des industries électriques et gazières fournisse, dans son rapport annuel, des informations sur la neutralité de l'adossement, afin de permettre l'information du public sur la conduite de cette opération.

Elle a enfin adopté un amendement prévoyant la remise au Parlement, tous les cinq ans, de rapports établis respectivement par la Caisse nationale des industries électriques et gazières, la CNAVTS et les institutions de retraite complémentaire sur la mise en oeuvre de l'opération d'adossement.

La commission a ensuite adopté le titre IV du projet de loi ainsi amendé.

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