2. L'inadaptation du dispositif actuel de lutte contre le surendettement des particuliers
En quelques années, la physionomie du surendettement des particuliers a changé. Bien que le dispositif d'effacement des dettes, après moratoire, mis en place en 1998, n'ait pas encore produit son plein effet, le dispositif actuel de traitement des situations de surendettement se révèle encore insuffisant pour les cas les plus obérés.
Le surendettement touche aujourd'hui un nombre grandissant de ménages. Ainsi, selon l'étude d'impact fournie par le ministère de la ville, depuis la mise en place d'un traitement de lutte contre le surendettement, par la loi « Neiertz » du 31 décembre 1989, 5 ( * ) environ 1.100.000 familles ont vu leur dossier examiné par les commissions de surendettement, 140.000 familles supplémentaires entrant chaque année dans le dispositif actuel.
Dès 1997, dans le rapport du groupe de travail commun de votre commission des Lois et de votre commission des Finances sur le surendettement, rédigé par votre rapporteur pour avis et notre excellent collègue Paul Loridant, le changement de nature du surendettement avait été souligné 6 ( * ) .
La mutation du visage du surendettement, d'un surendettement « actif » caractérisé par un abus de crédit, vers un surendettement « passif » résultant d'un événement extérieur -parfois qualifié d'« accident de la vie », tel qu'une perte d'emploi, un divorce, un accident ou un décès-, s'est renforcée.
Ces événements extérieurs peuvent être à l'origine de situations financières particulièrement dramatiques pour certains particuliers. Leur situation financière peut être à ce point obérée qu'aucune possibilité n'existe pour eux de pouvoir faire face, dans un délai raisonnable, à leurs dettes. De semblables situations n'ont, dans un premier temps, pas été prises en compte par la législation sur le surendettement.
La loi n° 89-1010 du 31 décembre 1989 , tout en créant un fichier recensant les incidents de paiement (FICP), avait institué une procédure collective tendant à traiter globalement la situation de surendettement des débiteurs. Cette procédure, administrative dans un premier temps, au stade de la recherche d'une solution amiable, devenait judiciaire dans un second temps, le juge pouvant imposer aux créanciers ainsi qu'au débiteur un plan de redressement comprenant notamment la possibilité de rééchelonner les dettes pour en permettre le remboursement.
Les limites du dispositif imaginé en 1989, à commencer par l'engorgement des juridictions chargées d'établir les plans de redressement, ont conduit le législateur à modifier le dispositif initial. La loi n° 95-125 du 8 février 1995 relative à la procédure civile, pénale et administrative a, en conséquence, scindé la procédure de surendettement en trois étapes, les commissions de surendettement jouant désormais un rôle central :
- une phase amiable, au cours de laquelle un plan de réaménagement des dettes du débiteur est établi par la commission, en accord avec les créanciers ;
- en cas d'échec du plan, une deuxième phase au cours de laquelle la commission formule des recommandations en vue de l'apurement du passif du débiteur ;
- une phase de contrôle juridictionnel, devant le juge de l'exécution, sur les décisions de la commission, le juge pouvant par ailleurs homologuer le plan de redressement ou rendre les recommandations formulées par la commission obligatoires.
Le dispositif imaginé visait donc uniquement à assurer le règlement des créanciers, le cas échéant, sur la base d'un échéancier établi sur une durée relativement longue. Il ne prenait cependant pas en compte les hypothèses dans lesquelles le débiteur n'a aucune faculté de remboursement, et pour lesquelles le recours à un échéancier est tout bonnement inutile.
Le législateur est, en conséquence, une nouvelle fois intervenu en 1998. Outre la loi n° 98-46 du 23 janvier 1998 renforçant la protection des personnes surendettées en cas de saisie immobilière, le législateur a adopté la loi n° 98-657 du 28 juillet 1998 d'orientation relative à la lutte contre les exclusions .
Ce dernier texte traduit, pour la première fois, la réelle prise en compte de la situation des débiteurs dont la situation financière est définitivement obérée.
S'inspirant directement des préconisations du rapport d'information du Sénat relatif au surendettement 7 ( * ) , la loi susvisée a en effet introduit la faculté pour la commission de surendettement qui constate l'insolvabilité du débiteur, caractérisée par l'absence de ressources ou de biens saisissables de nature à permettre d'apurer tout ou partie de ses dettes et rendant inapplicables les mesures de recommandations visant à en rééchelonner le paiement, de recommander la suspension de l'exigibilité de créances autres qu'alimentaires ou fiscales pour une durée maximum de trois ans. Lorsqu'à l'issue de ce moratoire, le débiteur reste insolvable, la commission peut recommander, par avis spécial et motivé, l'effacement total ou partiel des créances autres qu'alimentaires ou fiscales, aucun nouvel effacement ne pouvant cependant intervenir dans une période de huit ans, pour des dettes similaires à celles ayant donné lieu à effacement 8 ( * ) .
Les commissions de surendettement ont d'ores et déjà commencé à recommander la suspension de l'exigibilité des créances dans les hypothèses où il était manifeste que le débiteur ne pouvait faire face à son passif exigible ou à échoir, faute de ressources ou de biens saisissables. En revanche, l'effacement de créances, en application du dispositif ainsi décrit, n'a encore été que rarement prononcé. L'efficacité de ce dispositif n'a, en conséquence, pas encore été démontrée ou, au contraire, infirmée par la pratique.
Le Gouvernement a néanmoins, à l'occasion du présent projet de loi, souhaité introduire un autre mécanisme d'effacement des créances du débiteur qui coexisterait avec la procédure susmentionnée.
* 5 Loi n° 89-1010 du 31 décembre 1989 relative à la prévention des situations de surendettement des particuliers et des familles.
* 6 « Surendettement : prévenir et guérir », rapport du groupe de travail commun sur le surendettement de la commission des Lois et de la commission des Finances, présenté par MM. Jean-Jacques Hyest et Paul Loridant, octobre 1997.
* 7 Op. cit., page 79.
* 8 Article L. 331-7-1 du code de la consommation.