II. LE PROJET DE LOI : RÉGULATION PARTAGÉE ET TRANSPARENCE

Le projet de loi fait la promotion de la régulation partagée en matière de contrôle légal des comptes et de la transparence en matière de gouvernement des entreprises fondée sur une approche pragmatique. S'il dirige les projecteurs sur le contrôle légal des comptes et la profession qui en est la cheville ouvrière, il n'a pas pour objet de stigmatiser cette profession qui, tout particulièrement en France, est loin d'avoir démérité.

A. LE CHOIX D'UNE RÉGULATION PARTAGÉE EN MATIÈRE DE CONTRÔLE LÉGAL DES COMPTES

Si le contrôle légal des comptes en France est assuré par les commissaires aux comptes qui sont régis par un cadre légal leur conférant le statut de profession réglementée et que les commissaires aux comptes ont eux-mêmes adopté une démarche d'auto-régulation en définissant des règles déontologiques et en mettant en place des mécanismes de surveillance, il est néanmoins apparu nécessaire, à titre préventif et avec le souci de renforcer la crédibilité du contrôle légal dans un contexte de turbulences des marchés et de crise de confiance, de conforter les garanties d'indépendance de la profession.

Le projet de loi a en outre fait le choix de prendre en considération la spécificité des personnes contrôlées faisant publiquement appel à l'épargne tout en conservant un cadre légal unique pour l'ensemble des commissaires aux comptes.

1. La création d'un Haut conseil du commissariat aux comptes

Le projet de loi réaffirme le caractère unitaire de la profession et renforce le contrôle du fonctionnement du commissariat aux comptes en créant le Haut conseil du commissariat aux comptes, instance constituée aux trois-quarts de membres extérieurs, magistrats ou personnalités qualifiées, dotée de vastes attributions.

Il est en effet investi d'une mission générale de surveillance de la profession en liaison avec la Compagnie nationale des commissaires aux comptes : il veillera en particulier au respect de la déontologie et devra élaborer une jurisprudence pour définir les « bonnes pratiques professionnelles », c'est-à-dire les pratiques qui, sans faire encore l'objet d'une norme d'exercice professionnel homologuée ou d'une règle portée au code de déontologie, sont recommandées comme de nature à garantir l'indépendance du professionnel et l'absence de risque de conflit d'intérêts dans l'exercice de sa mission de certification.

Le Haut conseil est par ailleurs chargé de plusieurs attributions opérationnelles : il succède à la commission nationale d'inscription et à la chambre nationale de discipline respectivement chargées de statuer sur les contestations en matière d'inscription et sur les recours en appel des décisions des chambres régionales de discipline ; il organise les programmes de contrôle mis en oeuvre par la Compagnie nationale des commissaires aux comptes ; il donne un avis sur le code de déontologie avant son approbation par un décret en Conseil d'Etat ; il donne également un avis sur les normes d'exercice professionnel avant leur homologation par arrêté du garde des sceaux.

Une véritable solennité s'attache à cette nouvelle instance : le Haut conseil est institué auprès du ministre de la justice, ce qui se concrétise par un rattachement budgétaire et la présence d'un commissaire du Gouvernement ; il est présidé par un magistrat de la Cour de cassation ; le président de l'Autorité des marché financiers en est membre de droit.

2. Des garanties d'indépendance renforcées

Le projet de loi renforce les contrôles exercés sur la profession et précise et complète les règles prudentielles destinées à garantir l'indépendance du commissaire aux comptes dans l'accomplissement de sa mission de certification.

a) Un nouveau régime de contrôles et d'inspections

Le contrôle de la profession est essentiellement aujourd'hui un contrôle interne exercé par les compagnies régionales et à l'occasion d'un examen national d'activité assuré par le comité CENA qui définit conjointement avec la Commission des opérations de bourse le programme de contrôle des cabinets concernés et les thèmes de vérification.

La définition des programmes de contrôles périodiques reviendra désormais au Haut conseil et leur mise en oeuvre sera le fait de la Compagnie nationale avec le concours de l'Autorité des marchés financiers pour les commissaires aux comptes placés auprès de personnes faisant appel public à l'épargne et, pour les autres, des compagnies régionales avec, le cas échéant, le concours de magistrats désignés par le premier président de la cour d'appel et le président de la chambre régionale des comptes.

Le projet de loi innove en prévoyant des inspections. Sont investis du pouvoir de faire diligenter des inspections : le garde des sceaux, qui peut demander selon les cas le concours de l'Autorité des marchés financiers, de la Compagnie nationale des commissaires aux comptes ou d'autres instances ; l'Autorité des marchés financiers dès lors qu'est en cause le commissariat aux comptes d'une société faisant appel public à l'épargne.

Dans le prolongement de ces inspections et enquêtes mais également en dehors d'elles, la suspension temporaire d'un commissaire aux comptes qui aurait commis des faits d'une particulière gravité pourra être désormais prononcée par le garde des sceaux. Il s'agit de mettre en place un moyen de réaction rapide pour éviter que la mission de certification ne soit compromise. Cette mesure avant dire droit existe d'ailleurs pour d'autres professions réglementées telles que les notaires, les avocats ou encore les administrateurs judiciaires et les mandataires judiciaires au redressement et à la liquidation des entreprises.

b) Un renforcement des garanties d'indépendance

Le projet de loi prévoit une série de mesures de nature à conforter l'indépendance des commissaires aux comptes en évitant les risques de collusion et en prévenant les situations de conflits d'intérêts.

Ces mesures sont les suivantes :

- les dirigeants membres du conseil d'administration et les administrateurs salariés ne pourraient plus prendre part au vote tendant à proposer un commissaire aux comptes à la désignation de l'assemblée générale des actionnaires. Il s'agit d'éviter que le choix du commissaire aux comptes ne soit en réalité effectué par les personnes dont la gestion et la préparation des comptes seront contrôlées ou par celles qui seront ultérieurement quotidiennement en contact avec l'équipe de certification ;

- le régime applicable en matière d'incompatibilités professionnelles est rationalisé, complété et renforcé.

L'interdiction de prendre, recevoir ou conserver tout intérêt direct ou indirect de la personne dont le commissaire aux comptes certifie les comptes est rappelée.

La définition des incompatibilités tenant aux liens personnels, financiers ou professionnels est renvoyée au code de déontologie qui sera approuvé par décret en Conseil d'Etat. Les dispositions actuellement en vigueur pour les sociétés anonymes, à la fois lacunaires et quelque peu obsolètes, sont corrélativement abrogées. Ce renvoi au code de déontologie doit permettre d'élaborer un dispositif détaillé afin d'appréhender le maximum d'hypothèses, ce qui est difficile à faire dans la loi.

Le dispositif s'emploie en outre à prendre en considération les risques de conflits d'intérêts susceptibles de résulter de la délivrance de prestations de services par les réseaux auxquels les sociétés de commissaires aux comptes sont souvent affiliées. Sans remettre en cause la pluridisciplinarité, gage de compétence et d'efficacité dans le contrôle économique et financier, il définit le critère en vertu duquel sera appréciée la compatibilité entre la prestation d'audit et des prestations de conseil : l'incompatibilité entre contrôle et conseil sera ainsi évaluée par référence aux normes d'exercice professionnel lorsque le conseil est délivré par le commissaire aux comptes certificateur à la personne qu'il contrôle ou à la société mère ou encore aux filiales, et par le Haut conseil appréciant le caractère direct ou non du lien entre la prestation et la mission lorsque la prestation est délivrée par un autre membre du réseau. Le dispositif évite prudemment de donner une définition du réseau multidisciplinaire : il s'agit en effet d'une réalité économique pouvant revêtir diverses formes et difficile à appréhender d'un point de vue juridique ; s'efforcer d'en donner une définition risquerait d'être contre-productif en facilitant les contournements de la loi.

- le projet de loi limite à six exercices consécutifs la durée du mandat du commissaire aux comptes signataire pour les sociétés faisant appel public à l'épargne ainsi que les personnes morales ayant une activité économique et les associations subventionnées dès lors qu'elles font appel à la générosité publique. Il aménage par ailleurs le fonctionnement du co-commissariat en prévoyant un chevauchement dans le temps des mandats des deux commissaires aux comptes : ce décalage a pour objectif d'inciter chaque commissaire aux comptes à davantage de vigilance et de renforcer le caractère contradictoire du double contrôle. L'effectivité de ce double contrôle est également renforcée par la mesure imposant la mise à la disposition des associés et actionnaires du montant des honoraires versés à chacun des commissaires aux comptes : cela permettra en effet d'évaluer si l'équilibre dans les diligences accomplies a été respecté ;

- il est enfin interdit de nommer commissaire aux comptes d'une société les professionnels qui auraient été chargés au cours des deux derniers exercices de vérifier des opérations d'apport ou de fusion de ladite société ou de sociétés filiales.

Le projet de loi tend également à renforcer l'efficacité du contrôle légal des comptes en imposant aux commissaires aux comptes qui, bien qu'inscrits sur la liste, n'auraient pas effectué de mission de certification depuis au moins trois ans, de suivre une formation particulière. Par ailleurs, lorsqu'il y a obligation d'établir des comptes consolidés, est levée l'obligation de secret professionnel entre commissaires aux comptes de la personne morale consolidante et des personnes consolidées.

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