II. LES 35 HEURES MULTIPLIENT LES INÉGALITÉS SANS EFFETS DÉTERMINANTS SUR L'EMPLOI
A. UN COÛT PROHIBITIF POUR DES RÉSULTATS IMPOSSIBLES À ÉVALUER PRÉCISÉMENT
1. Un coût de plus en plus déraisonnable
Les 35 heures constituent assurément la principale mesure mise en oeuvre par le Gouvernement dans le domaine de l'emploi au cours de cette législature. Pourtant, malgré son coût, elle ne figure pas au budget de l'emploi ce qui revient à en tronquer la présentation et à lui ôter une bonne part de sa cohérence.
a) Le coût des 35 heures n'est pas inclus dans le budget de l'emploi
La loi
n° 2000-37 du 19 janvier 2000 relative à la réduction
négociée du temps de travail a prévu la mise en place,
à compter du 1
er
février 2000, d'un nouvel
allègement de charges qui élargit et associe, dans le cadre des
35 heures, les dispositifs précédents (« ristourne
Juppé », « exonération de Robien »,
« aide Aubry I »...). Le montant de ces allègements
de charges sociales est estimé à 100 milliards de francs par
l'Agence centrale des organismes de sécurité sociale (ACOSS).
Comme le souligne Alain Vasselle dans son rapport sur le projet de loi de
financement pour 2002, la masse des crédits nécessaires au
financement des allègements de charges rendait leur prise en charge par
le budget de l'Etat
« totalement incompatible avec la vertu
budgétaire proclamée et affichée par le
Gouvernement »
9(
*
)
. C'est pourquoi celui-ci a
décidé de mettre à contribution la sécurité
sociale par l'intermédiaire du FOREC.
En conséquence, le coût des 35 heures, qui s'élève
en 2002 à 102 milliards de francs continue à être pris en
charge par le FOREC, alimenté en partie par des recettes fiscales de
l'Etat à hauteur de 71,9 milliards de francs. Sur la période
2000-2002, le montant de la mise à contribution des régimes
sociaux au financement des 35 heures est estimé à près de
85 milliards de francs.
Le basculement de la prise en charge des allégements de charges sociales
sur le FOREC a profondément modifié la physionomie du budget de
l'emploi qui a fondu d'environ un tiers depuis 1999 alors même que le
surcroît de dépenses occasionné par la loi Aubry II du 19
janvier 2000 aurait du, au contraire, se traduire par son augmentation.
Evolution du budget depuis 1999
(avec opérations de clarification FOREC)
Il
résulte de la présente situation une grande confusion puisque des
dépenses décidées par l'Etat et concernant l'emploi sont
en fait financées par d'autres, ou par lui-même, mais en dehors du
cadre du budget.
Outre l'
« onde de chocs »
provoquée sur les
comptes sociaux et qu'a parfaitement analysé notre collègue Alain
Vasselle, c'est la politique de l'emploi qui semble prise dans le tourbillon
des 35 heures. De nombreux dispositifs sont maintenant subordonnés
à la réduction du temps de travail (allégements de charges
sur les bas salaires, allégement spécifique au CIE) ou sont
appelés à disparaître progressivement à son profit
(aide spécifique aux zones franches urbaines reconduite pour seulement
trois ans).
Le mélange des dispositifs, des objectifs et des financements rend
pratiquement impossible toute évaluation des résultats, ce qui
constitue d'ailleurs sans doute un des buts de la manoeuvre. Comment sera
à l'avenir comptabilisée l'embauche d'un
bénéficiaire du CIE ? Sera-t-il considéré
comme un emploi créé ou préservé par les 35 heures
au motif que l'exonération des cotisations sociales attaché au
contrat sera celle de la loi Aubry II ? Auquel cas, nul doute que les
statistiques du ministère de l'emploi sur les résultats de cette
loi continueront à satisfaire le Gouvernement.
b) La promotion de l'emploi occupe maintenant une place résiduelle dans le budget
Le
budget de l'emploi ne comprend plus maintenant que des crédits
résiduels en matière de promotion de l'emploi.
Les aides au conseil à la réduction du temps de travail
constituent maintenant la seule contribution du budget de l'emploi au
financement de la réduction du temps de travail. Elles
s'élèveront à 39,33 millions d'euros en 2002. Cette baisse
est d'autant plus étonnante que ces crédits sont principalement
destinés aux PME.
Promotion de l'emploi et adaptations économiques
|
LFI 2001 |
PLF 2002 |
Evolution (%) |
PROMOTION DE L'EMPLOI ET ADAPTATIONS ÉCONOMIQUES PUBLICS PRIORITAIRES |
867,88 |
912,04 |
5,1 |
A - Réduction du temps de travail |
42,69 |
39,33 |
- 7,9 |
Aides au conseil RTT |
42,69 |
39,33 |
- 7,9 |
B - Allégement du coût du travail |
607,66 |
731,85 |
20,4 |
ZRR-ZRU/ZF/Corse |
249,25 |
304,90 |
22,3 |
Divers : HCR/DOM/Presse/Travailleurs indépendants |
358,41 |
426,95 |
19,1 |
C - Promotion de l'Emploi |
69,66 |
73,02 |
4,8 |
Dotations pour la promotion de l'emploi |
8,97 |
10,77 |
20,0 |
Aides au conseil, ingénierie |
2,04 |
3,56 |
74,3 |
Diagnostic conseil et développement des entreprises nouvelles |
58,65 |
58,69 |
0,1 |
D - Accompagnement des restructurations |
147,87 |
67,84 |
- 54,1 |
Chômage partiel |
22,87 |
20,58 |
- 10,0 |
Dotation globale - restructurations |
44,21 |
42,69 |
- 3,4 |
Conventions de conversion |
76,22 |
0,00 |
- 100,0 |
Divers : ATD |
4,57 |
4,57 |
- 0,1 |
(en
millions d'euros)
Le budget a également conservé les mesures ciblées
d'exonération de charges sociales.
Les crédits consacrés aux zones de revitalisation rurale (ZRR) et
aux zones de revitalisation urbaine (ZRU) baisseront en 2002 à 33,54
millions d'euros contre 64 millions en 2001. Ces crédits permettront de
majorer les allègements liés à la réduction du
temps de travail. La DARES estime
10(
*
)
que ce double dispositif a permis de
créer 18.700 embauches en 2000 et environ 64.000 depuis 1997.
Par ailleurs, la dotation en faveur des exonérations de charges dans les
zones franches passera de 152,45 millions de francs en 2001 à 243,9
millions en 2002 du fait du dynamisme de cette mesure.
L'EXONÉRATION DE COTISATIONS DANS LES
ZONES
FRANCHES
URBAINES (ZFU)
11(
*
)
Ce
dispositif a été mis en place en 1997 dans 44 zones et vise
à favoriser l'implantation d'établissements et la création
d'emplois dans les quartiers urbains de plus de 10.000 habitants
particulièrement défavorisés au regard des critères
pris en compte pour la détermination des zones de redynamisation
urbaine. Les établissements implantés dans l'une des 44 zones
franches urbaines bénéficient notamment d'une exonération
totale de cotisations sociales pendant une durée de cinq ans (contre 12
mois dans les ZRU) suite à l'embauche d'un ou plusieurs salariés
sous contrat à durée indéterminée ou à
durée déterminée d'au moins douze mois.
Fin 2000, environ 9.700 établissements bénéficient de
l'exonération de cotisations sociales au titre des ZFU et emploient
environ 62.000 salariés dont 54.000 exonérés. Selon une
enquête réalisée par la DARES en janvier 2001 auprès
de 6.460 établissements bénéficiaires de la mesure
à la fin 1999, ces établissements, de petite taille en
général (57 % ont moins de cinq salariés), se sont
implantés en zone franche urbaine pour plus des trois quarts d'entre eux
après le 1
er
janvier 1997, date d'instauration de la mesure.
La répartition des établissements en ZFU selon le secteur
d'activité économique est proche de celui des
établissements en ZFU : 66 % sont dans les services, 20 %
dans la construction et 13,5 % sont dans l'industrie.
Parmi les 54.000 salariés exonérés, environ 14.500
salariés résident dans l'une des 44 zones franches urbaines fin
2000. Dans plus de huit cas sur dix, les contrats signés sont à
durée indéterminée et ce d'autant plus que l'employeur est
un petit établissement.
Les crédits consacrés à l'accompagnement des
restructurations baissent de plus de 54 % du fait de la suppression des
conventions de conversions.
Compte tenu d'un contexte marqué par une recrudescence du nombre des
plans sociaux, la baisse de ces crédits apparaît regrettable ainsi
que l'a soulignée la CFDT lors de son audition par votre rapporteur en
estimant que pour 2002,
« il aurait fallu développer
davantage les dispositifs d'accompagnement des restructurations (FNE,
congés de formation) »
.
2. Le bilan quantitatif des 35 heures est toujours en débat
a) La durée du temps de travail est en baisse
L'examen
du bilan de la politique de réduction autoritaire du temps de travail
menée depuis 1997 n'est pas une chose simple. Certes, l'objectif
annoncé est atteint puisque la durée du travail continue de
baisser
12(
*
)
. Elle
s'établissait à environ 36,12 heures à la fin du mois de
septembre, en baisse de 0,1 % au troisième trimestre et de 1,7 % sur un
an.
Au 30 septembre 2001, 68 % des salariés à temps complet des
entreprises de 10 salariés au plus travaillent moins de 36 heures
hebdomadaires, contre 52,9 % un an plus tôt.
La baisse de la durée du temps de travail ne saurait toutefois
être attribuée uniquement à la politique de
réduction autoritaire du temps de travail. D'autres
éléments ont pu joué comme la mise en oeuvre des
conventions « de Robien » ou le développement du
temps partiel.
b) Le Plan estime à moins de 200.000 le nombre d'emplois effectivement créés par la RTT
Le
ministère de l'emploi estime que fin mai 2001, 73.419 entreprises et 6,8
millions de salariés étaient passées aux 35 heures ce qui
aurait permis la création ou la préservation de 357.000 emplois.
Ces résultats ne sont pas aisés à interpréter comme
en témoigne la notion d'emploi préservé qui reste pour le
moins évanescente. L'évolution des chiffres du chômage
comparée à celle de nos voisins européens qui n'ont pas
connu les 35 heures tendrait plutôt à attribuer les
créations d'emplois à la conjoncture même si les
exonérations de charges sociales ont pu joué un rôle. Pour
la CCIP,
« le succès annoncé des 35 heures est loin
d'être établi, (...) il y a eu des effets d'aubaine, seules les
entreprises qui pouvaient passer aux 35 heures l'ont fait »
.
En fait, les seuls travaux solides disponibles pour l'instant ont
été réalisés par le Commissariat
général du Plan et aboutisse à partir de l'observation des
faits à moins de 200.000 créations d'emplois attribuées
à la RTT entre 1996 et 2000.
RTT : les enseignements de l'observation 13( * )
Le
Commissariat général du Plan a essayé de déterminer
l'effet de la réduction du temps de travail sur l'emploi en examinant
les accords signés dans le cadre incitatif « de
Robien » et « Aubry I ». Il estime que
« le recul manque pour mener aussi précisément des
analyses similaires sur les générations suivantes (Aubry II
précoces ou après le vote de la loi) »
14(
*
)
. Ce faisant le Plan confirme
l'impossibilité d'évaluer sérieusement les effets sur
l'emploi de la réduction autoritaire du temps de travail. Or tel est
bien le débat puisque chacun était d'accord pour favoriser une
RTT incitative.
Reprenant des travaux comparatifs entre entreprises ayant ou non réduit
la durée du travail, corrigeant les résultats en fonction du
dynamisme antérieur de l'entreprise en termes de créations
d'emplois, pour des structures de taille et de secteur identique, le Plan
conclue à des résultats similaires pour les conventions
« de Robien » et « Aubry I » qui
correspondent à des effets nets sur l'emploi compris entre 6 % et 7,5 %
pour une baisse de la durée du travail de 10 %. Les premières
indications pour les accords « Aubry II » précoces
feraient par ailleurs
« ressortir un tout premier effet net sur un
an de l'ordre de 2,5 % »
, soit trois fois moins que les deux
précédents dispositifs.
La DARES
15(
*
)
évalue
ainsi à 265.000 environ l'effet net total sur l'emploi de l'ensemble des
accords, signés entre juin 1996 et décembre 2000, ce qui
correspond à 0,8 point de baisse du taux de chômage. Toutefois,
ces effets ne seraient pas instantanés du fait des délais entre
la signature d'un accord et la réalisation des embauches. Pour le Plan,
« en tenant compte d'une estimation moyenne des effets d'appel des
créations d'emploi sur la population active, de l'ordre de 20 %, la
diminution du nombre de chômeurs induite par la RTT serait
d'un peu
moins de 200.000
et celle du taux de chômage de ¾ de
point »
. Seul ce nombre qui correspond à des dispositifs
incitatifs et à l'observation des faits constitue une estimation fiable,
les autres évaluations constituent surtout des hypothèses
fondées sur des conditions particulièrement restrictives et donc
invérifiables.
Les 200.000 créations d'emplois que l'on peut attribuer à la
réduction du temps de travail engagée dès 1996 de
manière incitative ne sauraient donc expliquer les résultats
encourageants enregistrés depuis lors (400.000 emplois ont
été créés par an depuis trois an par exemple). La
baisse du chômage s'explique donc par d'autres facteurs, parmi lesquels
on citera la croissance bien sûr, mais aussi les allègements de
cotisations sociales sur les bas salaires engagés massivement depuis
1995 et qui ont pu produire leurs effets sur l'emploi au cours des 5
dernières années.
Comme le souligne Jean Pisany-Ferry dans son rapport sur le plein emploi,
« les 250.000 emplois que les évaluations administratives
retiennent comme l'effet de long terme des allègements bas salaires en
vigueur antérieurement à la réforme des cotisations
patronales se situent en bas de la fourchette des estimations
disponibles »
16(
*
)
. La plupart des études
chiffrent cet effet sur l'emploi aux alentours de 400 à 490.000. Sur la
période 1996-2000, le rapport de l'effet respectif de la RTT (y compris
la loi de Robien adoptée par la précédente
majorité) et des allégements de charges sociales serait donc de 1
à 2.
L'existence d'effets d'aubaine amène à s'interroger sur le
coût des emplois ainsi créés, à l'instar de la CFTC
qui aurait
« préféré que les aides soient
davantage liées à des engagements plus importants en termes de
créations d'emplois »
.
Par ailleurs, le nombre d'entreprise concerné demeure en fait
très limité. A cet égard, le MEDEF rappelle que
« seule la moitié des entreprises de plus de 20
salariés est passée aux 35 heures et que 93 % des entreprises n'y
sont toujours pas
»
17(
*
)
.