III. UN HORIZON : LA CONCURRENCE
A. UN PROCESSUS ENTAMÉ EN 1989
1. Un processus continu depuis 15 ans
Le
secteur postal n'est que tardivement entré dans le champ des
préoccupations des instances communautaires : la poste n'est en
effet pas mentionnée dans le traité de Rome. Le
développement et la transformation de ce secteur et l'apparition de
nouveaux segments de marché, concurrentiels et à plus forte
valeur ajoutée, ont progressivement appelé une intervention au
niveau européen.
Cette intervention a d'abord été contentieuse
13(
*
)
: elle a, dans un premier
temps, concerné le respect, dans le secteur postal, des règles de
concurrence posées par le Traité instituant la communauté
européenne.
Après toute une série de décisions dans les années
1980 et 1990, un célèbre arrêt de la Cour de Justice sur
l'étendue du monopole postal en Belgique
14(
*
)
considérait d'ailleurs, en
1993, que les dispositions du Traité en matière de concurrence
« permet[tent] aux Etats membres de conférer à des
entreprises qu'ils chargent de la gestion de services d'intérêt
économique général, des droits exclusifs qui peuvent faire
obstacle à l'application des règles du traité sur la
concurrence, dans la mesure où des restrictions à la concurrence,
voire une exclusion de toute concurrence, de la part d'autres opérateurs
économiques, sont nécessaires pour assurer l'accomplissement de
la mission particulière qui a été impartie aux entreprises
chargées des droits exclusifs ».
Cette décision, importante, a ainsi posé, en droit communautaire,
les fondements de la
reconnaissance du service public
(notamment postal)
et de la nécessité d'assurer son financement par un monopole sur
certaines activités.
2. Deux étapes décisives : le Conseil informel d'Antibes en 1989 et le « Livre vert postal » en 1992
C'est
en 1989, sous présidence française de la Communauté, au
Conseil informel d'Antibes, qu'est lancé le débat européen
sur le secteur postal
. M. Paul Quilès, alors ministre
français en charge du secteur postal, préparait à cette
époque la réforme de l'administration des P et T, qui allait
conduire, avec l'adoption de la loi précitée du
2 juillet 1990 sur l'organisation du service public de la poste et
des télécommunications, à la séparation de La Poste
et de France Télécom, qui, d'administration de l'Etat, sont
devenus deux établissements publics.
L'objectif fixé en 1989 était la définition d'un cadre
réglementaire européen en matière postale
.
La Commission européenne a publié, en juin 1992, une
communication
15(
*
)
intitulée : «
Livre vert sur le développement
du marché unique des services postaux
», document
d'orientation destiné à organiser le débat sur les
propositions législatives communautaires.
Ce document, qui donnait l'analyse de la Commission sur l'état du
secteur postal européen, proposait également une politique que
cette dernière considérait comme opportun de mener. Partant du
constat que «
le principe politique le plus fondamental est le
besoin d'assurer la poursuite du service
universel et donc de garantir
que la mission de service public qui incombe aux administrations postales
s'exerce dans de bonnes conditions économiques et
financières
», le Livre vert :
- excluait la libéralisation complète comme le maintien du
statu quo (synonyme, aux yeux de la Commission, d'une absence d'harmonisation
européenne et donc de marché unique postal) ;
- proposait une solution
«
d'équilibre
», combinant ouverture accrue
du marché et renforcement du service universel, via
le maintien sous
monopole d'un portefeuille de services (les services
« réservés ») destinés à en
assurer le financement
. La Commission indiquait ainsi que
«
cette option part du principe qu'en vue d'assurer le service
universel, il est nécessaire d'apporter certaines restrictions au
marché libre. (...) L'objectif d'un service universel peut justifier
l'établissement d'un ensemble de services réservés,
lesquels aideraient à garantir la viabilité financière du
réseau du service universel
»
Notons-le au passage : c'est dans le secteur postal qu'est, pour la
première fois, apparue en droit communautaire la notion de
« service universel », déclinaison européenne
de la notion française de service public.
3. Le sommet de Dublin de 1996 et une directive du 15 décembre 1997 qui laissait le temps de l'adaptation
Après la publication de «
lignes
directrices pour le développement des services postaux
communautaires
» en 1993, le
Conseil, par une
résolution du 7 février 1994, a fixé les objectifs
de
la future réglementation postale : garantir la fourniture, à
l'échelon communautaire, d'un service universel de qualité
accessible à tous ; assurer sa viabilité économique
en définissant un secteur réservé à son prestataire
qui soit suffisamment large ; concilier libéralisation graduelle et
garantie du service universel.
La Commission a, dans cette perspective, publié en 1995 une
proposition de directive
dont l'adoption relevait de la procédure
de la codécision, et un projet de communication sur l'application des
règles de concurrence au secteur postal. Ces propositions allaient au
delà de ce que le Sénat considérait comme souhaitable pour
le marché postal communautaire.
Aussi votre commission s'était-elle saisie de ce projet de directive, et
avait-elle adopté une résolution
16(
*
)
, devenue résolution du
Sénat à l'issue de sa discussion en séance publique le
21 mai 1996. Dans cette résolution, le Sénat soutenait la
définition proposée pour le service universel postal, demandait
une modération de l'ouverture à la concurrence proposée
par la Commission, souhaitait que la date de révision de cette directive
soit repoussée et que cette révision s'effectue dans le cadre de
le procédure de la codécision.
Le Gouvernement de l'époque avait d'ailleurs obtenu de nos
partenaires européens une ouverture suffisamment mesurée pour
laisser à notre opérateur postal le temps de l'adaptation.
C'est, d'abord, lors de Conseils des ministres tenus en juin 1995, sous
présidence française, et mars 1996, que des avancées
significatives avaient été obtenues de nos partenaires, puis,
grâce à l'intervention décisive des Chefs d'Etat
français et allemand, au sommet de Dublin, en décembre 1996,
qu'un compromis politique fut élaboré, permettant d'aboutir
à une position commune préfigurant la directive du
15 décembre 1
997.
Au total, ce texte consacre un large périmètre de services
réservés et n'ouvre donc que faiblement le marché postal
européen à la concurrence, sans toutefois porter préjudice
au droit des Etats membres à accélérer, s'ils le
souhaitent, la libéralisation -ce que sept d'entre eux ont, à des
degrés divers, déjà fait-.
PRINCIPALES DISPOSITIONS DE LA DIRECTIVE 97/67
La
directive 97/67/CE du Parlement européen et du Conseil du
15 décembre 1997 concernant des règles communes pour le
développement du marché intérieur des services postaux de
la Communauté et l'amélioration de la qualité du
service17(
*
) (dénommée
« directive postale ») a défini les
caractéristiques du service postal universel que doivent garantir tous
les Etats membres, établi des normes de qualité pour les services
transfrontaliers, ainsi que des principes tarifaires et de transparence des
comptes.
Les limites maximales communes des services que les Etats membres peuvent
réserver au(x) prestataire(s) du service universel dans la mesure
où le maintien du service universel l'exige sont fixées à
350 grammes et cinq fois le tarif normal pour un envoi du premier
échelon de poids.
La directive fixe également des principes devant régir les
procédures d'autorisation de la prestation de services postaux non
réservés, de même que la séparation des
compétences réglementaires et des fonctions
opérationnelles dans le secteur postal.
La directive postale fixe ensuite un calendrier pour la poursuite du processus
d'ouverture des marchés postaux à la concurrence :
- la Commission devait présenter, pour le
31 décembre 1998, une proposition concernant la poursuite
progressive et contrôlée de l'ouverture du marché postal,
en vue notamment de libéraliser le courrier transfrontière et le
publipostage et de revoir à nouveau les limites de prix et de
poids ;
- le Conseil et le Parlement devaient se prononcer sur cette proposition
avant le 1er janvier 2000 ;
- les mesures décidées devaient entrer en vigueur le
1er janvier 2003.
L'ouverture à la concurrence requise par la directive 97/67 est
faible
: la Commission européenne a chiffré à
3 % la part du courrier soumise à la concurrence du fait de la
directive.
Il faut, en outre, garder à l'esprit que La Poste exerce
déjà une part importante de son activité dans le
secteur concurrentiel
, qu'il s'agisse des services financiers ou de
l'activité « colis ».
Dans le cadre de la directive actuellement en vigueur, les services
« réservés » (exerçables sous
monopole) représenteraient, d'après la Commission,
70 %
du chiffre d'affaire postal
. Appliqué au chiffre d'affaire postal du
groupe La Poste, ce ratio amène à considérer que
47 milliards de francs de chiffre d'affaires
sont aujourd'hui sous
monopole, soit environ
la moitié du chiffre d'affaires total du
groupe.
La directive de 1997 offrait une occasion idéale de préparer
l'opérateur à la concurrence, avec une ouverture encore
modérée à la concurrence, mais une perspective de
libéralisation accrue incitant à l'adaptation. La plupart de nos
voisins européens l'ont compris. En France, votre commission
réclame depuis 1997 des réformes dont aucune n'a
été, à ce jour, amorcée.
4. La deuxième directive postale : vers une libéralisation totale ?
a) La proposition initiale de la Commission du 20 mai 2000
Conformément au processus prévu par la directive
postale de 1997, mais avec quelques mois de retard, la Commission
européenne a établi le 20 mai 2000 une
proposition
de directive, modifiant 6 articles de la directive 97/67/CE du
15 décembre 1997
:
- l'article 2 sur les définitions terminologiques,
- l'article 7 sur les services réservés,
- l'article 9 sur les conditions d'accès au marché non
réservé,
- l'article 12 sur les principes de tarification du service universel,
- l'article 19 sur le règlement des litiges,
- l'article 27 sur la durée d'application de la directive.
Sans préjudice de la liberté des Etats-membres à
libéraliser plus rapidement leur marché, le dispositif
proposé consistait en une poursuite de l'ouverture à la
concurrence, en deux étapes.
La première, qui devait entrer en vigueur
le
1er janvier 2003, consistait en un abaissement général
des limites de poids et de prix actuelles pour les services qui peuvent
continuer à être réservés
(c'est-à-dire
exercés sous monopole). Parallèlement, toutes les limites de
poids et de prix auraient été supprimées en ce qui
concernait le
courrier transfrontalier sortant et le courrier express. En
outre, des « services spéciaux » auraient
été définis, qui ne pouvaient entrer dans le
périmètre des services réservés
.
L'étape ultérieure, pour laquelle la décision aurait du
intervenir au 31 décembre 2005 au plus tard, aurait pris effet au
1er janvier 2007
; il s'agissait d'une nouvelle
restriction des droits exclusifs encore accordés aux prestataires du
service universel, conservés dans la seule mesure où cela est
strictement nécessaire au maintien du service universel.
L'ampleur de
cette nouvelle avancée aurait du être déterminée par
le Parlement européen et le Conseil le 31 décembre 2005
au plus tard, sur proposition de la Commission, présentée avant
le 31 décembre 2004
.
b) La position du Parlement européen le 11 décembre 2000
Le
Parlement européen s'est prononcé en séance
plénière le 11 décembre 2000 sur la proposition de
directive, adoptée dans le cadre de la procédure de
codécision
. De façon assez inattendue pour le Commissaire
européen concerné, et à l'initiative du
député anglais Brian Simpson (PSE), alors que les propositions du
rapporteur de la commission saisie au fond, le député Markus
Ferber (PPE, Allemagne), soutenaient globalement celles de la Commission
européenne, le Parlement européen a
adopté une
série d'amendements demandant notamment
:
- la suppression de la notion de
services spéciaux
;
- la fixation de nouvelles limites, plus larges, de poids et de prix des
services réservés à
150 grammes et quatre fois
le tarif de base ;
- la
suppression
de l'étape de libéralisation de
2007
tout en demandant à la Commission européenne de
présenter une
évaluation
de l'état du secteur
postal avant le 31 décembre 2003 ;
- le report au 31 décembre 2004 de la
date limite de
transposition
de la nouvelle directive ;
- la prise en compte des
différences géographiques
et
du coût, variable, du service universel selon les configurations
géographiques de chaque Etat membre ;
- la mise en valeur du principe
d'adaptation
du service universel
aux évolutions technologiques.
c) La résolution du Sénat votée le 14 décembre 2000
A
l'issue d'un débat de qualité, en commission comme en
séance publique, le Sénat a, quant à lui, adopté,
le 14 décembre dernier, une résolution sur la proposition de
directive de le Commission, qui partait du constat suivant :
- la poursuite de la construction d'un marché communautaire
unifié des services postaux a été approuvée par la
France,
en mars 2000, au Conseil européen qui a réuni les
chefs d'Etat et de gouvernement à Lisbonne
;
- l'Union européenne reconnaît désormais la place
des services d'intérêt général
et leur
rôle dans la promotion de la cohésion sociale et
territoriale ;
- un marché postal unifié est de nature à favoriser
la modernisation de l'économie française et à offrir de
nouvelles opportunités à La Poste ;
- mais le processus ainsi engagé doit, au travers
du service
universel postal
institué par l'Union européenne, garantir la
pérennité des principes du service public postal, notamment la
péréquation tarifaire et l'adaptabilité des missions ;
- or, cette pérennité ne saurait être garantie si
la viabilité économique de La Poste, opérateur public
du service public, n'est pas assurée
. Le Gouvernement
français n'a, pourtant, depuis 1997, engagé à La Poste
aucune des réformes de structure nécessitées par la
libéralisation programmée au niveau européen
.
C'est pour l'ensemble de ces raisons que votre commission considérait
que, si elle était retenue en l'état, la proposition de directive
de la Commission pourrait menacer l'équilibre financier de La Poste, car
celle-ci supporte encore, en propre,
le coût de missions
d'intérêt général ne pouvant plus être
financées par les seuls revenus de ses activités
. C'est dans
ce contexte, et non par refus idéologique de la concurrence, à
son sens pleinement compatible avec un service public de qualité, que la
résolution du Sénat demandait au Conseil, que :
- les services réservés aux prestataires de service
universel englobent les envois de correspondance intérieure et les
envois de correspondance transfrontière sortante qui sont soit d'un
poids inférieur à 150 grammes, soit d'un prix
inférieur à trois fois le tarif public applicable à un
envoi de correspondance du premier échelon de poids de la
catégorie la plus rapide ;
- les services spéciaux soient clairement définis comme des
services à haute valeur ajoutée n'interdisant d'aucune
façon l'adaptabilité du service universel et son possible
élargissement à des prestations tendant à se banaliser au
fur et à mesure de l'évolution du secteur postal.
d) La position commune du Conseil du 15 octobre 2001
Contrairement aux propos optimistes de M. Christian
Pierret
devant votre commission quelques jours auparavant, le Conseil des ministres
n'est pas parvenu à l'accord que souhaitait la présidence
française le 22 décembre 2000, qui aurait
été proche du vote du Parlement européen.
Les négociations se sont donc poursuivies sous présidence
suédoise et ont abouti sous présidence belge du Conseil,
nettement plus favorable à la libéralisation que la
présidence française.
Une nouvelle proposition a été présentée par la
Commission le 21 mars 2001, ne retenant qu'une partie (11 sur 47) des
amendements votés par les députés européens, la
Commission rejetant les amendements les plus importants (portant sur les
services spéciaux, le périmètre du domaine
réservé et le calendrier de révision de la directive).
Le Conseil européen de Stockholm du 23 et 24 mars 2001 a demandé
au Conseil et au Parlement européen d'adopter la directive sur les
services postaux avant la fin 2001, ce à quoi la présidence belge
a oeuvré.
C'est ainsi que
le Conseil « Télécom » du
15 octobre dernier a abouti à un accord politique
, à la
majorité qualifiée, avec le vote contraire de la
délégation néerlandaise et l'abstention de la
délégation finlandaise, sur une
position commune
sur la
proposition modifiée de directive modifiant la directive 97/67/CE.
L'accord porte sur
une libéralisation en trois
étapes
: 2003, 2006 et l'« étape
décisive » en 2009. Pour ce qui est de
l'
« étape décisive »
, la Commission
procèdera à une étude prospective destinée à
évaluer, pour chaque Etat membre, les incidences de l'achèvement
du marché intérieur des services postaux sur le service
universel. Sur la base des conclusions de cette étude,
la Commission
présentera, avant le 31 décembre 2006, un rapport au
Parlement européen et au Conseil assorti d'une proposition confirmant,
le cas échéant, la date de 2009 pour
«
l'achèvement
» (selon les termes du
relevé de conclusions du Conseil) du marché intérieur des
services postaux, ou «
définissant une autre
étape
» à la lumière des conclusions de
l'étude
.
L'échéancier de libéralisation -repris ci-après-
prévoit une décision du Parlement européen et du Conseil,
conformément à la procédure de codécision, avant la
fin de 2007 pour confirmer «
l'étape
décisive
» de libéralisation.
CALENDRIER DE LA LIBÉRALISATION POSTALE
|
Courrier ordinaire |
Publipostage |
Courrier transfrontalière sortant |
01/01/2003 |
Services
réservés :
|
Services
réservés :
|
Services
réservés :
|
01/01/2006 |
Services
réservés :
|
Services
réservés :
|
Services
réservés :
|
30/06/2006 |
Etude prospective de la Commission (évaluation des incidences que l'achèvement du marché intérieur des services postaux pourrait avoir sur le service universel dans chaque Etat membre) |
||
31/12/2007 |
Décision du Parlement européen et du Conseil confirmant l'étape décisive |
||
01/01/2009 |
Etape décisive |
(*) Dans
les cas où cela est nécessaire pour assurer la prestation du
service universel, par exemple, quand certaines activités postales ont
déjà été libéralisées ou à
cause des caractéristiques spécifiques propres aux services
postaux dans un Etat membre.
Cette position commune appelle deux commentaires :
Dans le court terme, une large enveloppe de services
réservés est préservée, comme le demandait la
délégation française. Toutefois, ce
« répit » dans le rythme de la libéralisation
ne vaut que s'il est utilisé pour engager une modernisation du cadre
d'activité postal.
Dans le moyen terme, et c'est une différence de taille par rapport
à la proposition initiale de la Commission,
l'horizon de la
libéralisation totale est désormais implicitement
affiché
, même si les négociations ont finalement permis
d'exclure toute automaticité de l'« étape
décisive », dont le contenu exact n'est pas défini.
N'oublions pas qu'un groupe de délégations était favorable
au fait de fixer une date automatique de libéralisation totale (de
préférence 2009). Cette inscription de
« l'étape décisive » dans le texte de la
proposition de directive marque indiscutablement la progression de leur
thèse au sein du Conseil.
La proposition de directive doit encore être soumise en deuxième
lecture au Parlement européen.
B. QUELLE ADAPTATION A LA CONCURRENCE ?
1. Respecter enfin les engagements de 1997
Malgré l'opportunisme du Gouvernement en cette matière, profitant de multiples « véhicules législatifs 18( * ) » pour transposer -sans bruit- la directive postale de 1997, au moins deux points importants de cette directive n'ont toujours pas été transposés en droit français ou réellement mis en pratique.
a) Les modalités de la régulation postale
L'article 22 de la directive impose la désignation
d'autorité(s) réglementaire(s) nationale(s) pour le secteur
postal, «
juridiquement distinctes et fonctionnellement
indépendantes
» des opérateurs postaux.
La Commission européenne a mis en demeure la France, par lettre du
3 août 2000, de se conformer aux obligations de la directive,
considérant que, de par ses tâches, le Ministère de
l'économie et des finances ne peut être considéré
comme fonctionnellement indépendant de l'opérateur postal public
La Poste. En effet, elle estime qu'un même ministre ne peut à la
fois exercer la fonction d'autorité réglementaire nationale et la
fonction de tutelle d'un opérateur postal.
Toutefois, la Commission souligne qu'elle n'impose pas de définition du
statut d'une ou plusieurs autorités réglementaires nationales,
qui peuvent être une autorité publique ou une entité
indépendante désignée à cet effet, cette
définition relevant de la compétence de l'Etat membre
(considérant 39 de la directive postale). De même, il ne s'agit
pas pour la Commission de contester le régime de la
propriété d'un opérateur postal en France, notamment le
cas où l'Etat est totalement ou partiellement propriétaire de
l'opérateur postal chargé du service universel. Le droit
européen est, en vertu du traité, neutre à cet
égard.
Dans leur réponse, les autorités françaises estiment au
contraire que la réglementation nationale assure une séparation
des fonctions de réglementation et d'exploitation postale, en
particulier depuis la mise en place d'un «
médiateur du
service universel postal
».
Votre Commission des Affaires économiques n'en est pas convaincue.
b) La clarification de la comptabilité du prestataire de service universel
Les
obligations comptables fixées par l'article 14 de la directive sont
essentielles : elles visent en effet à rendre transparents les
coûts des différents services et à rendre vérifiable
le fait que des subventions croisées du secteur réservé au
secteur non réservé ne se produisent pas.
La transparence comptable, c'est la clé de la confiance de la
Commission européenne et des concurrents dans le comportement du
prestataire du service universel. C'est donc la condition de l'absence de
remise en cause non seulement des services réservés, mais aussi
de services concurrentiels vitaux à son activité, tels que les
services financiers. C'est enfin, le meilleur moyen de déterminer le
coût réel du service universel.
Or, La Poste ne respecte pas toujours ses obligations en la matière.
Depuis 1996, La Poste établit un compte analytique des branches du
courrier et des services financiers : ce compte identifie également
les charges du réseau postal et les charges de structure de La Poste,
avant leur répartition sur les deux métiers. Pour établir
cette comptabilité par métiers, La Poste a mis en place un
dispositif de recueil des données comptables et des statistiques de
production. Les charges de La Poste sont extraites de la comptabilité
générale et classées par nature en une centaine de
postes ; elles sont ensuite ventilées en 450.000 centres
d'analyse correspondant, en général, à un secteur
d'activité d'un établissement (ex : tri courrier en bureau
de poste).
En 1998, cet outil a connu une amélioration méthodologique
importante puisqu'il a distingué un troisième métier
correspondant aux activités « colis » de La Poste.
En 1999, des affinements supplémentaires ont été mis en
oeuvre, dans le sens d'une plus grande identification des charges imputables
directement aux métiers, d'une amélioration des clés de
ventilation et d'une meilleure répartition du résultat financier.
Toutefois, la Cour des Comptes, dans un rapport particulier relatif à
la comptabilité analytique de La Poste, tout en soulignant que le
système actuel de recueil des données, particulièrement
détaillé, ne faisait pas l'objet de critiques fondamentales, a
présenté les limites de la méthode employée par La
Poste et indiqué les pistes à développer.
La Cour rappelle que la comptabilité analytique doit satisfaire à
deux objectifs : répondre aux exigences réglementaires de
transparence des coûts qui sont posées aux niveaux national et
européen et procurer, à tous les échelons de l'entreprise,
un instrument d'aide à la gestion et au pilotage. Tout en soulignant la
potentialité des outils développés par La Poste, notamment
en matière de calcul de coûts, la Cour a constaté que ce
deuxième objectif n'était que partiellement atteint. En outre, le
secteur postal étant caractérisé par l'importance des
coûts mutualisés entre produits, la Cour souligne
l'incertitude
liée à l'imputation des charges indirectes
.
La Poste a, depuis, fait le choix de développer, depuis plusieurs mois,
une méthode alternative à celle des coûts complets,
reposant sur le principe d'une
comptabilité par activités
(tri, distribution, guichet, ...) dont les coûts sont ensuite
répartis sur les produits, selon un principe dit de
«
coûts incrémentaux
».
Un groupe de travail, rassemblant des représentants de différents
services du Ministère de l'économie, des finances et de
l'industrie et La Poste a été constitué sur ce sujet. Son
programme de travail comporte l'examen successif des différents points
de méthode (objectifs du système comptable, comparaison
internationale, principes de répartition des charges des grandes
étapes du processus de production : distribution, tri, transport,
réseau, structure...).
Parallèlement, les exigences imposées à La Poste ont
été formalisées sur le plan réglementaire, par le
décret du 8 février 2001
modifiant l'article 33
du cahier des charges de La Poste, qui impose à cette dernière
une «
tenue de comptes séparés pour chacun des
services dont l'exclusivité lui est réservée d'une part,
et pour les autres services, d'autre part, en isolant parmi ces derniers, ceux
qui relèvent de l'offre de service universel et ceux qui relèvent
de ses activités financières
».
Sur le plan opérationnel, les ministres ont demandé à La
Poste, qui s'y est engagée, de produire des comptes analytiques sur le
nouveau modèle avant la fin de l'année 2001.
Pourtant, et votre Commission des Affaires économiques le
déplore, la mise en place de cette nouvelle compatibilité
analytique semble n'avancer qu'à pas de fourmis
.
2. Préparer La Poste par une loi d'orientation postale
Depuis
la publication du rapport d'information précité,
rédigé par le Président Gérard Larcher
«
Sauver la Poste : devoir politique, impératif
économique
19(
*
)
», en octobre 1997,
votre commission ne cesse de réclamer la discussion d'une grande loi
d'orientation postale, qui assure l'avenir de La Poste et intègre les
évolutions rendues nécessaires par l'évolution du secteur,
aussi bien que par le droit communautaire.
Le Gouvernement s'était, un temps, engagé à cette
discussion.
Ainsi, au compte rendu des débats de l'Assemblée nationale du
2 février 1999, lors de la discussion du projet de loi
d'orientation d'aménagement du territoire, figurent les propos suivants
du ministre chargé de la poste, tenus au sujet de l'amendement de
transposition de la directive postale déposé par le Gouvernement
(réitérés au Sénat le 25 mars 1999) :
«
La Commission supérieure du service public a
été consultée sur ce texte (...). Nous comprenons sa
préoccupation, (...) que je sais partagée sur tous ces bancs, que
puisse être examiné par le Parlement un projet d'ensemble se
rapportant à ces questions du service public de La Poste.
«
C'est pourquoi, comme je l'ai indiqué à la
Commission supérieure du service public des postes et
télécommunications,
j'ai proposé au premier ministre
que le Gouvernement dépose, dans les prochains mois, un projet de loi
qui donnera aux activités postales un cadre juridique complet et qui
confortera ainsi la lisibilité d'ensemble de notre réglementation
relative au service public. Il permettra, par ailleurs, de débattre
largement -je pense que nous en avons besoin- du service public, de sa
modernisation, de son encouragement par les pouvoirs publics et par le
Gouvernement
».
On sait bien qu'il n'en a rien été, le Gouvernement demandant au
contraire au Parlement de l'habiliter à finir de transposer par voie
d'ordonnance la directive postale de 1997, ce qui lui fut finalement
refusé par le Parlement, à l'initiative de la commission des
lois, saisie au fond de ce texte, de votre commission, saisie pour
avis
1
et de son rapporteur, notre collègue Ladislas
Poniatowski.
Votre Commission des Affaires économiques estime en effet, depuis
plus de quatre ans, qu'une loi d'orientation postale est nécessaire pour
assurer l'avenir de La Poste et tracer son chemin dans un nouvel environnement
libéralisé. Elle doit aborder sans tabous les questions
essentielles : statut de l'entreprise et garanties pour son personnel,
prise en charge des retraites, services financiers, aménagement postal
du territoire, compensation des missions d'intérêt
général.
Sans doute ce sujet sera-t-il un des enjeux de la prochaine législature.