N° 89
SÉNAT
SESSION ORDINAIRE DE 2001-2002
Annexe au procès-verbal de la séance du 22 novembre 2001
AVIS
PRÉSENTÉ
au nom de la commission des Affaires économiques et du Plan (1) sur le projet de loi de finances pour 2002 , ADOPTÉ PAR L'ASSEMBLÉE NATIONALE,
TOME I
AGRICULTURE
Par M. Gérard CÉSAR,
Sénateur.
(1) Cette commission est composée de : MM. Gérard Larcher, président ; Jean-Paul Emorine, Marcel Deneux, Gérard César, Pierre Hérisson, Jean-Marc Pastor, Mme Odette Terrade, vice-présidents ; MM. Bernard Joly, Jean-Paul Émin, Patrick Lassourd, Bernard Piras, secrétaires ; MM. Jean-Paul Alduy, Pierre André, Philippe Arnaud, Gérard Bailly, Bernard Barraux, Mme Marie-France Beaufils, MM. Michel Bécot, Jean-Pierre Bel, Jacques Bellanger, Jean Besson, Claude Biwer, Jean Bizet, Jean Boyer, Mme Yolande Boyer, MM. Dominique Braye, Marcel-Pierre Cleach, Yves Coquelle, Gérard Cornu, Roland Courtaud, Philippe Darniche, Gérard Delfau, Rodolphe Désiré, Yves Detraigne, Mme Evelyne Didier, MM. Michel Doublet, Paul Dubrule, Bernard Dussaut, André Ferrand, Hilaire Flandre, François Fortassin, Christian Gaudin, Mme Gisèle Gautier, MM. Alain Gérard, François Gerbaud, Charles Ginésy, Francis Grignon, Louis Grillot, Georges Gruillot, Charles Guené, Mme Odette Herviaux, MM. Alain Journet, Joseph Kerguéris, Gérard Le Cam, Jean-François Le Grand, André Lejeune, Philippe Leroy, Jean-Yves Mano, Max Marest, René Monory, Paul Natali, Jean Pépin, Daniel Percheron, Ladislas Poniatowski, Jean-Pierre Raffarin, Daniel Raoul, Paul Raoult, Daniel Reiner, Charles Revet, Henri Revol, Roger Rinchet, Claude Saunier, Bruno Sido, Daniel Soulage, Michel Teston, Pierre-Yvon Trémel, André Trillard, Jean-Pierre Vial.
Voir
les numéros
:
Assemblée nationale
(
11
ème
législ.) :
3262
,
3320
à
3325
et T.A.
721
Sénat
:
86
et
87
(annexe n°
3
)
(2001-2002)
Lois de finances. |
INTRODUCTION
Mesdames, Messieurs,
Le projet de budget de l'agriculture pour 2002 n'est pas à la hauteur de
la situation de crise traversée actuellement par le monde agricole.
L'agriculture a été durement éprouvée pendant
l'année qui s'est écoulée. La nouvelle crise de l'ESB,
déclenchée il y a exactement un an, a bouleversé
l'économie de toute une filière, à travers des mesures
qui, telles l'interdiction des farines animales et la mise en place de mesures
drastiques de dépistage et de prévention, étaient
pourtant, sans nul doute, nécessaires.
Dans le même temps, l'image volontiers colportée par les
médias des destructions massives de viande bovine dans le cadre des
opérations de retrait-destruction, bientôt relayée par
celle des abattages préventifs d'animaux dans les départements
touchés par la fièvre aphteuse, a profondément
marqué l'opinion publique et laissé la profession impuissante et
découragée.
Pour la filière de l'élevage bovin, les conséquences sont
sans précédent. Après avoir diminué de 60 % au
plus fort de la crise, la consommation de viande bovine semble rester
durablement inférieure à son niveau antérieur. Pendant des
mois, les éleveurs ont été tenus de garder à
l'étable des animaux consommant les réserves fourragères,
alors même que le prix de la paille connaissait une flambée au
printemps. L'effondrement des cours des bovins quand, dans le même temps,
les prix de vente aux consommateurs demeuraient élevés, a
suscité cet été chez les éleveurs une
révolte bien légitime.
La situation est particulièrement dramatique pour le bassin allaitant
qui, ayant investi pendant des années dans une stratégie de
qualité, se trouve de surcroît fragilisé par une
organisation orientée vers l'exportation. Les crises de santé
animale provoquent facilement la fermeture des frontières, souvent bien
au-delà de ce qui est nécessaire. C'est ce qu'a illustré
cette année l'attitude de l'Italie, qui a suspendu les importations de
broutards provenant de départements français pourtant exempts de
foyer de fièvre aphteuse.
Spécificité française dans une production bovine
européenne très largement tournée vers l'élevage
laitier, le bassin allaitant attend désormais la mise en oeuvre du
prochain plan d'aides annoncé récemment par le ministre de
l'agriculture.
Une autre crise a touché cette année un secteur tout aussi
important de notre production agricole -il alimente, en effet, le premier poste
des exportations agro-alimentaires de la France- : celui de la
viticulture. Cette crise s'est traduite par une diminution significative des
ventes des vins de table et d'une partie des vins de pays, qui a rendu
nécessaire de recourir à plusieurs distillations.
Prenant conscience de la montée en puissance de nouveaux pays
producteurs sur le marché mondial des vins, et confronté à
une diminution structurelle de la consommation française, le secteur
viticole a entrepris, sous l'égide du ministère de l'agriculture
et de la pêche, de définir un plan stratégique pour
rétablir sa situation. Le groupe de travail mis en place par votre
commission sur l'avenir de la viticulture espère apporter sa
contribution à cette réflexion.
Il reste que les crises touchant les secteurs bovin et viticole appellent, de
manière urgente, un renforcement des organisations communes de
marchés (OCM) qui les encadrent au niveau européen.
Au-delà de ces deux crises sectorielles, il convient d'insister sur la
nouvelle diminution du revenu agricole durant l'année 2000. Cette baisse
s'établit à -2,1 % si l'on retient comme indicateur le
revenu d'entreprise agricole. A l'évidence, il est de plus en plus
difficile de vivre de l'agriculture.
Dans ces conditions, comment s'étonner de la diminution continue du
nombre d'installations, et de la disparition, selon les chiffres donnés
par le dernier recensement agricole, d'un tiers des exploitations agricoles
depuis 1988 ? Il est temps de mettre en place une politique volontariste qui
permette aux agriculteurs de vivre dignement du revenu tiré de leur
production.
Avant d'en venir à l'examen des crédits de l'agriculture, il est
nécessaire d'évoquer les discussions qui se déroulent
à Doha et qui devraient ouvrir la voie à de nouvelles
négociations multilatérales incluant l'agriculture. Grande
puissance exportatrice, l'Union européenne ne peut que tirer parti d'un
renforcement des règles de discipline de l'OMC. Il est, par exemple,
souhaitable, d'élargir le champ des aides considérées
comme subventions à l'exportation afin de tenir compte des soutiens
déguisés versés par certains Etats sous les formes les
plus diverses.
Cependant, l'Union européenne ne doit pas s'engager dans de nouvelles
concessions sans contreparties, pas plus qu'elle ne doit minorer les efforts
qu'elle a déjà accomplis pour respecter les engagements de
l'accord de Marrakech
. A cet égard, la signature d'une
déclaration qui figerait les résultats des futures
négociations agricoles ou qui permettrait le traitement
séparé des différents volets de celle-ci, serait
inacceptable.
Au vu du désarroi ressenti par une grande majorité du monde
agricole, le projet de budget de l'agriculture qui vous est ici soumis
apparaît bien insuffisant.
Passant de 5.078 millions d'euros en 2001 à 5.075 millions
pour 2002, les crédits de l'agriculture connaissent une diminution de
0,08 %.
Encore cette diminution ne prend-elle pas en compte la
budgétisation d'une partie du Fonds national des Haras et des
activités hippiques, sans laquelle la baisse subie atteint 0,6 %
soit, en termes réels, une diminution de 2,6 %.
Ainsi, le
budget de l'agriculture est le seul budget civil dont le montant diminue, ce
qui souligne l'intérêt porté par le Gouvernement à
ce secteur !
Ces crédits font l'objet d'une répartition entre les cinq grandes
priorités affichées par le Gouvernement:
-
le renforcement de la sécurité alimentaire et de la
qualité des produits ;
Cet objectif, qui est explicité dans l'agrégat n° 12 du
bleu budgétaire, se voit affecter une enveloppe de crédits d'un
montant de 388,5 millions d'euros. Les lignes budgétaires qui
bénéficient de majorations sont principalement celles
consacrées à la lutte contre les maladies animales, notamment
l'ESB, (+ 19,6 %), à la sélection végétale
(+ 14,3 %), et à l'identification des animaux
(+ 17,6 %).
-
la promotion de la multifonctionnalité de l'agriculture, qui
se voit attribuer 752,7 millions d'euros
;
Les principales augmentations de crédits concernent les contrats
territoriaux d'exploitation (+ 25 %), les moyens de fonctionnement du
CNASEA (+23 %), les bâtiments d'élevage et la maîtrise
des pollutions agricoles (+19 %), les aménagements fonciers et
hydrauliques, et le Fonds national de garantie des calamités agricoles,
qui se voit allouer 40 % de crédits supplémentaires.
S'agissant des CTE, votre rapporteur pour avis se demande si une telle
progression est justifiée, compte tenu du succès mitigé de
cet instrument. Est-il nécessaire de souligner que deux ans après
leur création, moins de 15.000 contrats ont été
signés, alors que le Gouvernement ambitionnait 50.000 signatures
dès la première année.
En ce qui concerne le Fonds national de garantie des calamités
agricoles, l'augmentation de 3 millions d'euros de sa dotation, qui est
ainsi portée à 10,7 millions d'euros, doit servir à
la mise en place du premier volet de la réforme de
l'assurance-récolte.
Votre rapporteur pour avis tient à
rappeler que le Parlement souhaiterait être associé à cette
réforme, attendue depuis longtemps par la profession agricole, ce qui
passe notamment par la publication du rapport Babusiaux sur la gestion des
risques en agriculture
.
-
le soutien aux filières et à la régulation des
marchés est doté de 818,09 millions d'euros
;
Au sein de cet objectif, le Gouvernement a considéré comme
prioritaires les actions en faveur de la politique de la qualité
(+4,3 %), la gestion des aides versées dans le cadre de la PAC
(+6%). Il a également majoré de 29% les crédits
consacrés aux primes au maintien du troupeau de vaches allaitantes,
portés à 794 millions d'euros, et au soutien l'investissement des
industries agro-alimentaires (+ 9,4 %).
Votre rapporteur pour avis tient toutefois à souligner l'insuffisance de
la dotation allouée à l'INAO, dont la progression affichée
(+4 %) correspond à une augmentation de seulement
700.000 euros, ce qui est loin d'être suffisant pour satisfaire les
besoins de cet organisme, récemment confronté à une
extension significative de ses missions.
-
l'effort en faveur de l'enseignement et de la recherche, auxquels
sont affectés 1173,02 millions d'euros
;
Au titre de cet objectif, les augmentations de crédits concernent
surtout l'enseignement technique agricole et l'enseignement supérieur
public.
-
la rénovation de la politique forestière, à
laquelle 308 millions d'euros sont alloués
.
L'analyse de ces priorités conduit à formuler trois remarques :
La première porte sur
l'absence de continuité dans les efforts
affichés
. Ainsi, après une augmentation de 31 % de ses
crédits en 2001, la politique forestière voit ses dotations
diminuer de 7 % en dépenses ordinaires et de 15 % en
dépenses en capital.
Il faut souligner, ensuite, la
tendance du Gouvernement à profiter de
l'augmentation des cofinancements communautaires pour diminuer son effort
financier
en faveur d'un secteur ou d'une mesure. C'est le cas pour les
crédits de la forêt, mais également pour ceux
destinés à la dotation d'installation en faveur des jeunes
agriculteurs ou encore aux prêts bonifiés à l'agriculture.
Enfin, force est de constater que
les véritables priorités du
Gouvernement
-la sécurité alimentaire et la
multifonctionnalité de l'agriculture- si légitimes soient-elles
n'apportent pas de vraie réponse aux préoccupations urgentes
des agriculteurs.
Votre rapporteur pour avis déplore, à cet égard, la
stagnation des crédits destinés au versement des
indemnités compensatoires de handicaps naturels (ICHN) et aux offices
agricoles.
De même, la diminution de 9,3 % des crédits prévus
pour la dotation d'installation des jeunes agriculteurs (DJA) démontre
l'absence de volontarisme politique dans ce domaine, le Gouvernement se
contentant de constater chaque année la chute des installations, pour
ajuster à la baisse, l'année suivante, les crédits qu'il y
consacre, alors qu'il pourrait les utiliser pour abonder des dispositifs
fiscaux incitatifs, notamment en matière de transmission des
exploitations.
Par ailleurs, ce budget ne tient pas compte de la profonde crise dans laquelle
se trouvent certains secteurs de notre agriculture.
La simple reconduction à 16,77 millions d'euros des crédits
destinés aux procédures « agriculteurs en difficulté
» dites « procédures Agridiff », de même que celle
de la dotation au Fonds d'allègement des charges (FAC) ne semble pas
suffisante au regard des importants besoins des exploitants en prêts et
soutiens financiers, en particulier dans le domaine de l'élevage.
S'agissant des dispositifs de cessation anticipé d'activité, dont
les crédits diminuent encore cette année de 39 millions
d'euros du fait de l'extinction programmée de leur régime, il est
dommage qu'ils ne prennent pas en compte la nécessité de mettre
en place un accompagnement social à la restructuration de certains
secteurs, comme celui de l'élevage bovin. Des mesures d'aide au
départ des vignerons âgés sont également attendues
dans la filière viticole .
Loin d'être à la hauteur de la crise, économique pour
certains secteurs, et plus largement morale, vécue actuellement par le
monde agricole, ce budget ne mérite pas l'approbation de notre
commission. Votre rapporteur vous proposera, par conséquent, de ne pas
adopter les crédits de l'agriculture.